EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 29 NOVEMBRE 2023

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur pour avis. - L'examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » s'inscrit cette année dans un contexte particulièrement incertain pour les collectivités. La persistance de l'inflation, l'inefficacité du « filet de sécurité » ou encore les perspectives financières contrastées auxquelles nous devons faire face sont autant de facteurs d'inquiétude pour les élus locaux.

Face à ces inquiétudes, et malgré certains signaux positifs, le soutien financier apporté par l'État à nos collectivités n'est pas à la hauteur. À cet égard, la mission dont il m'appartient de vous présenter les crédits ne fait pas exception.

Avant d'évoquer en détail l'analyse des crédits, permettez-moi de dire un mot du contexte dans lequel s'inscrit l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 du point de vue des finances locales.

Nous pouvons tout d'abord nous féliciter de l'abandon par le Gouvernement du mécanisme de contractualisation coercitif - dans la lignée des contrats de Cahors - dans lequel il entendait enfermer les collectivités territoriales à l'occasion du vote du projet de loi de programmation des finances publiques. Si le Sénat a obtenu gain de cause sur ce point, je ne peux m'empêcher d'y voir une occasion manquée de redéfinir les contours d'une véritable relation de confiance entre l'État et les collectivités territoriales. En lieu et place, nous mesurons la défiance qui irrigue trop souvent les relations financières entre l'État et les collectivités, et dont les élus locaux se font souvent le relais.

En outre, le PLF pour 2024 marque un nouveau recul des marges de décision des collectivités territoriales, à deux titres.

Sur le plan fiscal, d'abord, puisque le PLF entérine, avec la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la disparition - une de plus ! - d'une ressource fiscale sur laquelle les collectivités territoriales disposaient d'une marge de manoeuvre. En plus d'éroder la démocratie locale, l'affaiblissement continu du pouvoir fiscal local donne lieu à une compensation financière insatisfaisante. Peut-on indéfiniment réduire l'autonomie fiscale des collectivités et remplacer les recettes des impôts supprimés par des affectations de TVA, par ailleurs largement disputées entre différents niveaux de collectivités ?

Sur le plan financier, ensuite, le soutien apporté par l'État aux collectivités ne pallie qu'imparfaitement les effets de l'inflation. C'est particulièrement le cas du filet de sécurité, qui a manifestement manqué sa cible puisque 3 245 collectivités doivent rembourser les avances qui leur avaient été accordées, ce qui représente plus de 80 % des bénéficiaires desdites avances ! Je rappelle que les annonces initiales faisaient état de 20 000 collectivités potentiellement bénéficiaires de ce filet de sécurité : seules quelques centaines d'entre elles en bénéficieront finalement.

Parallèlement, la hausse de 320 millions d'euros de la dotation globale de fonctionnement (DGF) annoncée la semaine dernière par la Première ministre, si elle est bienvenue, ne suffira toujours pas à compenser l'inflation, et représente encore une diminution en volume de l'ordre de 1,5 %. Je précise que je ne prends pas en compte dans ce calcul d'autres critères, notamment ceux qui sont portés par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, qui, avec le « panier du maire » évalue à plus de 7 % la hausse des prix enregistrée par les communes sur leurs dépenses.

Dans ce contexte, les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » connaissent une baisse regrettable de 4,5 % en crédits de paiement (CP), soit une diminution de 180 millions d'euros à l'échelle de la mission, répartie sur deux programmes.

Le premier, le programme 122, qui regroupe des crédits destinés à financer le soutien de l'État à des collectivités territoriales confrontées à des situations exceptionnelles, connaît une baisse significative des CP de l'ordre de 27 %, soit 80 millions d'euros. Cette diminution s'explique essentiellement par des facteurs paramétriques, à savoir l'extinction de dispositifs exceptionnels liés, notamment, à la crise du covid.

Le second, à savoir le programme 119, concentre des dotations de soutien à l'investissement et des compensations financières des charges et connaît, quant à lui, une baisse de l'ordre de 3 % en CP, soit plus de 100 millions d'euros. Cette baisse est le résultat de deux facteurs aux effets contradictoires.

Elle résulte, d'une part, d'une réduction paramétrique des crédits, liée à la fin de l'abondement de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) exceptionnelle et à la diminution de la dotation générale de décentralisation (DGD) des régions, pour un montant cumulé de plus de 200 millions d'euros.

D'autre part, cette tendance est partiellement compensée par une hausse des dotations particulières de soutien aux communes de 105 millions d'euros, répartie entre la dotation pour les titres sécurisés (DTS) et la dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité et pour la valorisation des aménités rurales, qui sont toutes deux portées à 100 millions d'euros, en autorisations d'engagement (AE) comme en CP.

Les crédits ouverts pour le soutien à l'investissement aux collectivités territoriales ne connaissent qu'une légère baisse en euros courants. Néanmoins, celle-ci représente une érosion des crédits de paiement de près de 4 % en volume par rapport à 2023, après la prise en compte du niveau estimé d'inflation pour 2024.

Au-delà de la question du montant des crédits, j'attire également votre attention sur la contrainte croissante exercée par l'État sur le versement des dotations de soutien à l'investissement, qui laisse de moins en moins de place aux élus locaux. Entre le développement de la logique contractuelle et la fixation de priorités thématiques par le Gouvernement, le fléchage des dotations s'apparente à une « recentralisation des crédits », au mépris de la confiance qui devrait être accordée à l'intelligence locale et à la capacité des élus à effectuer les bons choix.

Le PLF 2024 s'inscrit dans ce mouvement puisqu'il porte à 30 % pour la DSIL, à 25 % pour la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) et à 20 % pour la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) la part des crédits qui devront servir à financer des projets concourant à la transition écologique. Si l'objectif de verdissement des investissements ne soulève pas de difficultés dans son principe, les marges de décision des collectivités et la lisibilité des modalités d'attribution des dotations doivent être préservées.

J'en viens maintenant aux articles rattachés, dont l'examen offre l'opportunité d'apporter des ajustements tendant à renforcer les garanties financières accordées à certaines communes ainsi que la lisibilité des dotations d'investissement pour les élus.

En premier lieu, s'agissant des enjeux de libre emploi et de lisibilité des modalités d'attribution des dotations d'investissement que je viens d'évoquer, je vous proposerai d'adopter trois amendements reprenant une position régulièrement défendue par notre commission.

Le premier prévoit que les décisions d'attribution de la DSID soient prises par le préfet de région après avis des présidents de conseil départemental, rendu dans un délai de quinze jours ; le deuxième vise à renforcer l'information des membres de la « commission DETR » en prévoyant que lui soit communiquée, avant la fin du premier trimestre de chaque année, la liste de l'ensemble des demandes éligibles et recevables - et non les seules opérations à subventionner, comme c'est actuellement le cas ; le troisième a pour objet de revenir sur la faculté, ouverte aux préfets par la loi de finances pour 2023, de moduler le taux de subvention d'un projet en fonction de son caractère écologique.

En deuxième lieu, les articles 57 et 58 réforment respectivement les règles d'attribution de la dotation relative aux « aménités rurales » et de la DTS. Si la hausse des crédits alloués à ces dispositifs ne peut qu'être saluée, les garanties accordées aux communes actuellement éligibles à ces dotations ne sont pas suffisantes.

S'agissant particulièrement de la dotation « aménités rurales », l'article 57 modifie les conditions d'éligibilité et les modalités de sa répartition en des termes d'une grande imprécision. L'objectif affiché de la réforme étant d'élargir le périmètre des communes éligibles, je vous proposerai un amendement visant à garantir, a minima, aux communes qui sont aujourd'hui éligibles qu'elles ne percevront pas, au titre du nouveau dispositif, un montant inférieur à celui dont elles ont bénéficié en 2023.

L'article 58, quant à lui, réforme les modalités de répartition de la DTS en supprimant sa part forfaitaire, actuellement versée aux communes en fonction du nombre de stations d'enregistrement des demandes de titres. Afin de garantir aux communes une visibilité sur l'évolution du soutien qui leur sera apporté et de ne pas laisser toute latitude au pouvoir réglementaire, je vous proposerai un amendement tendant à maintenir une référence législative à cette part forfaitaire.

En troisième lieu, je me félicite que le Gouvernement se rallie à la position de notre commission en ce qui concerne la part « protection fonctionnelle » de la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux, dite dotation particulière « élu local » (DPEL).

En effet, l'article 59 étend aux communes de moins de 10 000 habitants le dispositif de compensation par l'État des coûts de la couverture assurantielle pour la protection fonctionnelle que doivent obligatoirement souscrire l'ensemble des communes de France. Ce faisant, elle reprend une mesure figurant dans la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, adoptée par le Sénat à l'unanimité le 10 octobre 2023.

En quatrième lieu, l'article 56 procède à des ajustements en matière d'éligibilité aux dotations de péréquation que sont la dotation nationale de péréquation (DNP) et la dotation de solidarité rurale (DSR), afin de lisser les effets de seuils que peuvent subir les petites communes éligibles à certaines fractions de ces dotations. En complément de ces mesures, je vous proposerai d'adopter un amendement visant à revaloriser le critère de voirie pour les communes de montagne bénéficiaires de la fraction « péréquation » de la DSR, en triplant la longueur de la voirie classée dans le domaine public communal prise en compte pour l'attribution d'une fraction de la dotation - alors qu'elle est seulement doublée actuellement. Je précise que cet amendement a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, mais qu'il n'a pas été conservé après le recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Je profite de cette occasion pour rappeler qu'une réforme profonde de la DGF est plus que jamais nécessaire. Chacun d'entre nous a conscience du degré d'illisibilité, d'incompréhension et, parfois, d'iniquité qu'a atteint ce système. Il nous appartiendra donc, collectivement, de mener une réflexion globale sur l'évolution de cette dotation.

J'évoque pour finir deux dispositifs introduits par le Gouvernement à l'Assemblée nationale qui, s'ils ne sont pas formellement rattachés à la mission, concernent de très près les finances locales.

Il s'agit, d'une part, de l'obligation pour les collectivités de plus de 3 500 habitants, de mettre en place un « budget vert » sous la forme d'une annexe budgétaire retraçant l'impact de leurs investissements sur la transition écologique. Le seuil retenu me semble inadapté, tout particulièrement pour la ruralité : si rien ne s'oppose à ce que les collectivités volontaires puissent élaborer un « budget vert », l'obligation ne devrait s'imposer, dans un premier temps, qu'aux grandes collectivités. Je déposerai un amendement en ce sens.

D'autre part, le Gouvernement s'est enfin saisi de la problématique des baisses de dotation subies par les communes nouvelles. J'ai eu l'occasion d'échanger sur ce point avec Françoise Gatel, dont je salue l'engagement en vue d'obtenir un dispositif abouti et pérenne pour ces communes.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, en dépit des aspects positifs que j'ai mentionnés par souci d'honnêteté intellectuelle et des améliorations que nous pourrons apporter via les amendements que je vous soumets, je vous proposerai d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

Article 56

L'amendement LOIS.1 est adopté.

Article 57

L'amendement LOIS.2 est adopté.

Article 58

L'amendement LOIS.3 est adopté.

Après l'article 58

Les amendements LOIS.4, LOIS.5 et LOIS.6 sont adoptés. 

M. Pierre-Alain Roiron. - Je remercie le rapporteur pour la pertinence de son propos et de son analyse, que nous partageons largement.

Cette année encore, l'examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » s'inscrit dans un climat complexe et angoissant pour de nombreux élus. Cette mission, dont les crédits représentent seulement 8 % des concours financiers de l'État aux collectivités et 4 % du total des transferts financiers, est à replacer dans un contexte plus large.

Dans un contexte économique marqué par l'inflation, les incertitudes financières pour l'année prochaine ont un impact significatif sur les plans d'investissements des collectivités territoriales, les élus locaux attendant un PLF pour 2024 à la hauteur de leurs inquiétudes. Je tiens à souligner notre attachement à l'autonomie financière et fiscale, principe fondamental des lois de la République et de la décentralisation dont nous sommes les héritiers.

Nous rejoignons l'analyse de la Cour des comptes selon laquelle la fiscalité des collectivités locales est mise à mal par une croissance de 1 %, dans un contexte inflationniste. La même juridiction annonce un besoin de financement des collectivités de 2,6 milliards d'euros pour 2023, chiffre qui devrait atteindre 2,9 milliards d'euros l'année suivante, soit un constat peu optimiste, contrairement à ce qu'a annoncé le Gouvernement.

Si nous saluons l'augmentation de la DGF, nous souhaiterions qu'elle soit indexée sur l'inflation : cela permettrait de renforcer la capacité d'autofinancement des collectivités locales, condition essentielle d'une décentralisation effective. Cette indexation donnerait aux collectivités une meilleure visibilité et leur permettrait de programmer leurs investissements comme il se doit. Quoi qu'il en soit, le PLF pour 2024 ne répond pas à cette question de la visibilité.

Par ailleurs, force est de constater, comme vous l'avez indiqué, que le filet de sécurité mis en place par le Gouvernement dans le domaine de l'électricité n'a répondu que très partiellement à la situation d'urgence. À l'été 2022, il avait en effet été indiqué que 22 000 communes seraient concernées, avant que les critères précisés en octobre 2022 ne réduisent leur nombre à 7 000. Finalement, ce sont moins de 2 500 communes qui en bénéficieront.

Une vive inquiétude s'est exprimée lors du congrès de l'AMF la semaine dernière s'agissant des conditions de remboursement des avances perçues au titre de ce filet de sécurité, et nous attendons toujours des précisions à ce sujet.

Par ailleurs, je note à regret que les montants de la DETR et de la DSIL ne connaissent pas la hausse attendue, alors que les besoins sont de plus en plus considérables. Nous souhaiterions d'ailleurs que la DETR soit prioritairement ciblée sur les territoires ruraux, et que la DSIL soit attribuée après avis d'une commission départementale.

Il semblerait également pertinent que la DETR soit moins fléchée, car le système actuel entraîne une restriction de la liberté d'action des conseils municipaux. Nous regrettons ainsi que leur liberté en matière d'investissements ne soit pas préservée.

Concernant le fonds vert, nous saluons la reconduction de cet outil de soutien à la transition écologique, mais nous attirons l'attention du Gouvernement sur le manque de pédagogie fournie auprès des élus locaux, ainsi que sur les grandes disparités existant entre les territoires sur ce sujet, ce qui freine l'utilisation de ce dispositif.

Pour toutes ces raisons, nous avons un avis réservé sur cette mission.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

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