B. LA RELANCE DU NUCLÉAIRE FRANÇAIS : DES DÉFIS QUI EXCÈDENT LARGEMENT LE PÉRIMÈTRE DU TEXTE PROPOSÉ
Aussi bienvenu soit-il, ce projet de loi n'aura qu'un impact limité sur la relance du nucléaire français : l'accélération des procédures et la réduction du risque contentieux ne constituent que des leviers mineurs pour s'assurer 1) du développement dans les délais souhaités d'un nouveau parc nucléaire et 2) de la prolongation du parc existant dans les conditions de sûreté adéquates. Pour la commission, les enjeux dépassent donc largement le périmètre du texte proposé par le Gouvernement. Les défis à relever sont de deux ordres : ils relèvent, d'une part, de la capacité des pouvoirs publics et du secteur à opérer une nécessaire montée en compétence de la filière , et d'autre part, à assurer une acceptabilité locale et nationale autour de la relance du nucléaire.
1. Montée en compétence de la filière, condition sine qua non de la relance du nucléaire
Afin de tenir les délais envisagés pour le lancement des nouvelles centrales, il importera tout d'abord de tirer les conséquences du projet d'EPR de Flamanville , accusant à ce jour dix ans de retard sur le calendrier initial . Parmi les facteurs identifiés expliquant ce retard colossal, la Cour des comptes met en avant « la perte de compétences techniques et de culture de qualité des industriels du secteur » 1 ( * ) . Cette perte de compétences s'explique notamment par le fait que Flamanville 3 ait été le premier chantier entrepris par la filière sur le territoire national, près de 10 ans après l'achèvement de la dernière centrale française (Civaux 2). La construction en série des futurs réacteurs devrait à ce titre bénéficier des retours d'expérience du chantier « test » que constitue Flamanville 3, « tête de pont » de la technologie EPR, dite de « troisième génération ».
Toutefois, cet effet d'apprentissage ne suffira pas à accompagner la montée en compétence de la filière ; le recrutement et la formation de personnels qualifiés , aptes à répondre au défi du déploiement d'un nouveau programme nucléaire, et la structuration de filières industrielles clés pour la construction des réacteurs seront, à cet égard, des impératifs. Se pose ici la question essentielle de l'attractivité de la filière pour les jeunes ingénieurs et techniciens , affaiblie ces dernières années par les atermoiements politiques.
2. Une acceptabilité locale et nationale à garantir pour les projets d'implantation de réacteurs EPR2 et une Stratégie française pour l'énergie et le climat à construire
Deuxième défi à relever : celui d'en garantir l'acceptabilité, tant au niveau local que national, et de définir une stratégie claire pour la politique énergétique et climatique de notre pays. Le rapporteur note que le choix d'une construction des nouveaux réacteurs à proximité immédiate des centrales existantes pourrait constituer un gage de plus grande acceptabilité , les populations et territoires concernés étant déjà acculturés au nucléaire et conscients des bénéfices associés, notamment en termes d'emploi. Cette acceptabilité passera plus largement par un rétablissement de la confiance dans la parole publique et par un dialogue démocratique à tous les échelons territoriaux. À cet égard, la commission souligne le rôle déterminant joué par la CNDP , qui non seulement conduit les concertations locales sur les projets de 6 premiers EPR2, mais intervient également dans la consultation préalable à l'élaboration de la Stratégie française pour l'énergie et le climat.
Extraits de l'intervention de Chantal Jouanno,
présidente de la CNDP
le 19 octobre 2022
au
Sénat
« S'agissant du débat sur les EPR 2, notre principal défi sera d'assurer l'accessibilité et la lisibilité des informations . [...] Le Président de la République ayant fait des annonces sur le sujet lors de son discours de Belfort et un projet de loi d'accélération du nucléaire étant prévu, les citoyens peuvent avoir le sentiment que tout est déjà décidé . [...] Nous débattrons également de toutes les implications qui s'y rattachent . [...] Faut-il de nouvelles usines d'enrichissement d'uranium ? En aval, faut-il une nouvelle piscine à la Hague ? Les capacités de Cigeo sont-elles adaptées ? »
L'acceptabilité locale et nationale passera aussi par un appui résolu sur la voix experte d'autorités indépendantes , au premier lieu desquelles figurent l' Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l' Autorité environnementale (AE) . La commission l'a rappelé lors des récents débats budgétaires 2 ( * ) , les moyens humains et matériels de l'ASN devront être adaptés à une charge de travail qui devrait encore s'accroître dans les prochaines années.
Les concertations et débats publics relatifs à la politique énergétique et à la relance de la filière nucléaire française
La commission appelle en conclusion à donner une visibilité suffisante aux acteurs du nucléaire : l'anticipation , à la fois indispensable à la montée en compétence de la filière et à l'acceptabilité du nouveau programme, constitue sans aucun doute la meilleure réponse aux défis qui s'annoncent pour le nucléaire français. Ce sera le sens de la loi de « programmation » pluriannuelle prévue pour 2023.
* 1 Cour des comptes, « La filière EPR », rapport public thématique, juin 2020.
* 2 Projet de loi de finances pour 2023, avis de M. Pascal Martin au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, tome I « Environnement », fascicule 2 : « Prévention des risques ».