B. UN NOUVEAU PLAN « MISSIONS PRIORITAIRES DES PRÉFECTURES 2022-2025 » QUI N'A PAS LES MOYENS DE SES AMBITIONS

La crise des gilets jaunes suivie de la crise sanitaire et les constats alarmants dressés les élus locaux et les différentes autorités publiques, notamment la Cour des comptes dans son rapport du 14 avril 2022 sur l'administration territoriale de l'État 10 ( * ) , ont forcé le Gouvernement à prendre conscience de la nécessité de « réarmer » l'État territorial .

Depuis 2021, les projets de loi de finances successifs ont intégré une cible de schéma d'emplois nulle pour le programme 354, ce qui a permis de stopper le mouvement de suppression des effectifs enclenché sans interruption depuis 2008. Si ces initiatives ont permis d'offrir une respiration salutaire à l'administration territoriale de l'État, elles demeuraient insuffisantes au regard des besoins.

Le Gouvernement semble avoir opéré un changement de paradigme avec les Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 (MPP 22-25) dévoilées le 2 avril 2022 dans une circulaire du ministère de l'intérieur 11 ( * ) . Contrairement aux plans de réforme précédents, MPP 22-25 n'a pas pour objectif principal de générer des économies en encourageant la dématérialisation et la mutualisation des moyens humains et matériels. Au contraire, l'une des trois priorités transversales identifiées est la « consolidation de l'échelon infra-départemental » .

Cette réforme s'inscrit en totale rupture avec la doctrine de l'État territorial depuis plus de dix ans. Pour rappel, la Cour des comptes, qui tire aujourd'hui la sonnette d'alarme sur le manque de moyens de l'administration territoriale de l'État, observait dans son rapport public annuel de 2012 que « le nombre de sous-préfectures [était] excessif par rapport à l'évolution de leurs fonctions » et fustigeait des « implantations souvent disproportionnées, inadaptées et coûteuses » 12 ( * ) . Suivant ses recommandations, le Gouvernement a lancé en 2013 une expérimentation qui a abouti à la suppression de huit arrondissements et à la fermeture de six sous-préfectures 13 ( * ) . Les sous-préfectures ont été plus durement frappées par les coupes budgétaires supportées par l'administration territoriale de l'État puisqu'elles ont perdu 24 % de leurs effectifs physiques entre 2012 et 2019 contre 4 % pour les préfectures 14 ( * ) .

La commission des lois ne peut que se réjouir de cette prise de conscience de la nécessité de maintenir la présence de l'État au plus proche des citoyens. Force est de constater, cependant, que celle-ci intervient trop tardivement et qu'elle ne s'accompagne pas de moyens budgétaires suffisants. Lors de son déplacement dans la Mayenne le 10 octobre 2022, le Président de la République a annoncé la création de six sous-préfectures 15 ( * ) pour renforcer la présence de l'État au niveau infra-départemental. Cette annonce est bien loin d'être satisfaisante car il s'agit en réalité de « déjumeler » de sous-préfectures fermées à la faveur des dernières réformes de l'administration territoriale de l'État. Seule une création de nouvelle sous-préfecture est prévue à Saint-Georges-de-l'Oyapock, en Guyane. L'État ne se dote donc pas des moyens de ses ambitions et prône, une fois encore, le rééquilibrage plutôt que le réarmement de son administration territoriale.

De même, le rapport annexé du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) , en cours d'examen au Parlement, affirme que « les sous-préfectures seront, en articulation avec le réseau France Services, les lieux des démarches du quotidien pour les citoyens » grâce au déploiement de points d'accueil numérique « augmentés » (PAN+). Or, ce rapport annexé ne détaille pas les moyens affectés au renforcement du réseau préfectoral et n'est pas contraignant.

Lors de son audition par la commission des lois le 2 novembre 2022, Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, a annoncé que le Gouvernement se fixait pour objectif de créer 400 postes dans les préfectures avant la fin du quinquennat 16 ( * ) . Il a également transmis aux commissaires, à cette occasion, les évolutions des schémas d'emplois envisagées entre 2023 et 2027 pour chacune des missions concernées par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur. Le schéma d'emplois du programme 354 devrait ainsi augmenter de 4 % sur la période pour financer le « renforcement de préfectures prioritaires (Mayotte, Corse, etc. ) principalement pour les services dédiés aux étrangers, la lutte contre le terrorisme et les titres sécurisés » 17 ( * ) , sans plus de précisions. La commission des lois salue à nouveau l'ambition affichée de renforcer le réseau préfectoral mais ne peut que regretter la multiplication des effets d'annonce qui ne sont pas soutenus par une programmation pluriannuelle des moyens alloués à l'administration territoriale de l'État précise et solide.

La traduction budgétaire concrète des annonces du Gouvernement est d'abord à rechercher dans le projet de loi de finances pour 2023. Celui-ci prévoit la création de 210 ETP sur trois ans dont 48 en 2023, 110 en 2024 et 52 en 2025. En raisonnant en termes d'équivalents temps plein travaillés (ETPT), la hausse des effectifs du programme 354, de l'ordre de 208 ETPT en 2023, s'explique principalement par des transferts d'emplois (183 ETPT) et, dans une moindre mesure, par des créations de postes (25,75 ETPT). Ce modeste renforcement des moyens humains de l'administration territoriale de l'État, bien que salutaire, est donc loin d'être suffisant pour compenser les 4 748 postes supprimés entre 2010 et 2021.

De même, les crédits du programme augmentent de 13,25 % en autorisations d'engagement et de 6,92 % en crédits de paiement , ce qui marque une rupture profonde avec les projets de loi de finances précédents. Mais, s'il convient de saluer l'effort budgétaire consenti, les moyens mobilisés demeurent insuffisants pour atteindre l'objectif de réarmement de l'État territorial. L'augmentation des crédits du programme résulte en effet pour partie de la revalorisation de 3,5 % du point d'indice dans la fonction publique qui a pris effet au 1 er juillet 2022 et doit être mise en regard de l'inflation qui devrait atteindre 4,2 % en 2023 18 ( * ) . Le projet annuel de performances de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » annexé au projet de loi de finances pour 2023 indique ainsi que la hausse de 2,1 % des crédits demandés pour financer les dépenses de fonctionnement s'explique entièrement par la prise en compte de l'inflation.


* 10 Cour des comptes, Observations définitives sur les effectifs de l'administration territoriale de l'État (2010-2021), n° S2022-0494, 14 avril 2022.

* 11 Circulaire de Jean-Benoît Albertini, préfet, secrétaire général du ministère de l'intérieur à l'attention des préfets de région et de département du 22 avril 2022 relative aux missions prioritaires des préfectures 2022-2025.

* 12 Cour des comptes, « Les sous-préfectures », rapport public annuel, février 2012.

* 13 Source : « Projet de loi de finances pour 2018 : Administration générale et territoriale de l'État », avis législatif n° 153 (2017-2018) de Pierre-Yves Collombat fait au nom de la commission des lois.

* 14 Source : Cour des comptes, Observations définitives sur les effectifs de l'administration territoriale de l'État (2010-2021), n° S2022-0494, 14 avril 2022.

* 15 Château-Gontier (Mayenne), Clamecy (Nièvre), Mondidier (Somme), Nantua (Ain), Rochecouart (Haute-Vienne) et Saint-Georges-de-l'Oyapock (Guyane).

* 16 Le compte rendu de l'audition est disponible à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221031/lois.html

* 17 Source : document relatif à la répartition des crédits 2023-2027 du ministère de l'intérieur présenté le 2 novembre 2022 par Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, dans le cadre de son audition par la commission des lois sur le projet de loi de finances 2023.

* 18 Estimation issue du projet de loi de finances pour 2023.

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