EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 16 novembre 2022, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de M. Alain Duffourg sur le projet de loi de finances pour 2023 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).
M. Alain Duffourg , rapporteur pour avis sur le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires » . - Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », de la mission « Cohésion des territoires », constitue le support financier de la politique publique de lutte contre le sans-abrisme.
Ce programme finance des structures d'hébergement aux différents statuts. Il s'agit principalement de centres d'hébergement d'urgence (CHU) ou de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) qui permettent un accueil plus pérenne des personnes, et un accompagnement social plus approfondi. Le nombre de places d'hébergement financé par le programme 177 constitue le point nodal de son examen, et absorbe, entre 95 % et 98 % de ses crédits. Le parc d'hébergement a culminé à un niveau inédit de plus de 203 000 places en mars 2021, soit une augmentation de 40 000 places par rapport à février 2020. Dès le printemps 2021, le Gouvernement avait fait part de son intention de maintenir 200 000 places ouvertes jusqu'au 31 mars 2022, avant qu'une décrue progressive ne soit engagée au cours de l'année 2022, pour atteindre un seuil de 186 000 places en 2023.
La confirmation de cet objectif, à l'occasion de la présentation du PLF pour 2023, a provoqué une levée de boucliers des acteurs du secteur. Il faut dire que depuis la fin de l'été, les associations alertaient les pouvoirs publics sur la recrudescence des besoins : deux tiers des demandes non pourvues d'hébergement émanaient de familles, et 1 658 enfants étaient sans solution d'hébergement avant la rentrée scolaire.
Le Gouvernement a renoncé à son projet de réduction de nombre de places, ainsi que l'a confirmé le ministre du logement lors de son audition au Sénat le 8 novembre dernier. Le programme 177 a été abondé de 40 millions d'euros supplémentaires, en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), et près de 200 000 places d'hébergement (197 000 selon les chiffres communiqués) seront financées pour l'hiver 2022-2023.
Malgré une augmentation substantielle du nombre de places ouvertes au cours des dernières années (40 000 places en plus), des demandes sont encore non pourvues auprès des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) qui gèrent le numéro « 115 » et orientent les personnes vers une solution d'hébergement ou de logement. Selon la Cour des comptes, en 2021, en France, près de 300 000 personnes se trouvaient, avant même la crise sanitaire, sans domicile, estimation qui a plus que doublé depuis la dernière enquête statistique de 2012.
Dans le projet de LFI pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » atteignent 2 795 milliards d'euros en AE et 2 820 milliards d'euros en CP. Ces montants sont en légère hausse par rapport à la LFI 2022, et inférieurs aux crédits autorisés par la loi de finances rectificative (LFR) pour 2022. Cette dernière avait prévu 2 931 milliards d'euros en AE et 2 833 milliards en CP. Cet écart s'explique par la dotation exceptionnelle, d'un montant de 100 millions d'euros, prévue dans la LFR pour 2022 pour la prise en charge des réfugiés ukrainiens.
Je souligne par ailleurs que l'hébergement généraliste financé par le programme 177 n'a été que faiblement mobilisé pour l'accueil des personnes fuyant la guerre en Ukraine. L'État a choisi de privilégier des solutions d'hébergement financées par le programme 303 « Immigration et asile ». Néanmoins, selon les territoires, certains SIAO ont pu être très sollicités, malgré des orientations nationales qui ne ciblaient pas l'hébergement d'urgence généraliste. La dotation 2022 devait permettre l'accompagnement des réfugiés, elle sera également utilisée pour le financement de l'aide mensuelle de 150 euros aux ménages qui accueillent, ou ont accueilli en 2022, des réfugiés ukrainiens, prime qui sera versée à partir de la fin du mois de novembre.
Les crédits alloués à la veille sociale (maraudes, 115, SIAO, accueils de jour) connaissent une hausse de 6 % par rapport au PLF 2022, hausse qui semble limitée pour répondre aux besoins et aux objectifs du « Service public de la rue au logement ».
Les crédits de l'hébergement d'urgence sont en baisse par rapport au PLF 2022, du fait de la réduction du nombre de places opérée en 2022, et sur laquelle le Gouvernement ne revient pas. Il renonce à la baisse supplémentaire prévue en 2023 : 197 000 places ouvertes en 2023 contre 203 000 début 2022, selon les informations disponibles.
Les crédits pour les CHRS sont en hausse de 9 % du fait de la mise en oeuvre des revalorisations salariales. Mais les CHRS restent fragilisés par le plan d'économies mis en oeuvre ces dernières années. Je rappelle par ailleurs que, dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, le Gouvernement s'était engagé à créer 1 000 places d'hébergement pour les femmes victimes de violences en 2020 et 2021. Cet effort a été poursuivi en 2022 avec la création de 1 000 nouvelles places. Ces places sont des places non mixtes, dédiées aux femmes victimes de violence, avec ou sans enfant. L'accès rapide à une place d'hébergement constitue très souvent une mesure urgente indispensable pour mettre une femme en sécurité, mais aussi un préalable à toute reconstruction pour une personne victime de violence.
J'ajoute que j'ai effectué, au mois d'octobre, dans le cadre de mes fonctions de rapporteur, un déplacement à la Cité des dames. Il s'agit d'un lieu d'accueil géré par la Fondation de l'Armée du salut que je voudrais vous présenter brièvement. L'originalité de ce projet repose sur le couplage d'un accueil de jour et d'un accueil de nuit ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, spécialement dédié à des femmes seules et sans abri. Outre des prestations de base (hygiène, repos, restauration, etc .), la Cité des dames propose un premier niveau d'accompagnement social (ouvertures de droits, orientations vers de l'hébergement, etc .), ainsi qu'une première réponse sur l'aspect santé (gynécologie, psychologie). À ma connaissance, ce lieu ne dispose pas d'équivalent dans le dispositif de veille sociale nationale ; enfin les crédits consacrés aux actions de prévention et accès aux droits sont reconduits, tandis que ceux consacrés à la conduite et à l'animation politique du dispositif « Accueil, hébergement, insertion » (AHI) sont en légère baisse.
Je ne puis conclure cette présentation du programme 177 sans évoquer rapidement les réformes au long cours conduites dans le secteur de l'hébergement et du logement, et dont l'objectif était de réduire la pression pesant sur l'hébergement d'urgence.
L'année 2022 marque la fin du plan quinquennal « Logement d'abord ». L'ambition de ce plan est de transformer en profondeur la lutte contre le sans-abrisme, en passant d'une réponse construite dans l'urgence s'appuyant majoritairement sur des places d'hébergement, avec des parcours souvent longs et coûteux, à un accès le plus rapide possible au logement avec un accompagnement social adapté aux besoins.
Ce plan entend développer les modes de logement adapté comme les pensions de famille, les intermédiations locatives (IML) ou les dispositifs financés par l'aide à la gestion locative sociale (AGLS). Il s'agit de mettre fin au parcours d'insertion par étape au profit d'une orientation directe vers ces dispositifs. La perspective de la diminution du parc d'hébergement suppose que les solutions alternatives soient au rendez-vous, notamment de solutions de logement.
Ce plan fait l'objet d'un consensus dans le secteur, ses objectifs sont partagés par toutes les personnes que j'ai auditionnées en préparant ce rapport. Depuis le lancement du plan quinquennal en 2017, 390 000 personnes hébergées ou sans-abri ont accédé au logement social ou à une solution de logement adapté, avec des résultats en amélioration continue. Une nouvelle séquence reposant sur des principes identiques est en cours de concertation avec les acteurs associatifs, elle devrait faire l'objet d'une annonce en janvier.
Ces sorties vers le logement n'ont toutefois pas permis d'enregistrer une baisse de la demande d'hébergement d'urgence. Constat est fait, année après année, d'un allongement des durées d'hébergement. Selon les données disponibles, 48 % des ménages enregistrés étaient hébergés depuis plus de deux ans, 15 % depuis plus de cinq ans et 2 % depuis plus de dix ans. Un allongement de la durée moyenne de séjour est constaté, passant de 1,8 année en janvier 2015 à 2,54 années en novembre 2020. L'ensemble de ces facteurs influeront sur le programme dont l'un des enjeux sera de parvenir à faire face à ces besoins d'hébergement durablement élevés, tout en poursuivant parallèlement la mise en oeuvre du plan « Logement d'abord » et la recherche de solutions de logement durable et adapté.
Au regard des moyens financiers supplémentaires engagés par l'État dans ce PLF, après son examen par l'Assemblée nationale, et des réformes amorcées qui me semblent aller dans le bon sens, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits qui sont soumis à notre examen.
Mme Laurence Cohen . - Je partage l'analyse de notre rapporteur. J'étais très défavorable à la suppression de 14 000 places d'hébergement d'urgence et fort heureusement, les associations se sont mobilisées afin d'obtenir l'annulation de cette décision qui était en flagrant décalage avec la réalité.
L'abondement de 40 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence au budget 2023 permettra de stabiliser le nombre de places pour l'année à venir. Néanmoins, les demandes sont considérables et les places insuffisantes. Je m'inquiète du nombre croissant de jeunes et d'enfants à la rue, situation qui les expose au danger. Dans le Val-de-Marne, 150 mineurs se sont installés sous le pont Nelson-Mandela à Ivry-sur-Seine, c'est une situation dramatique. Certes, la volte-face du Gouvernement est positive, mais le problème est d'une ampleur telle que l'effort demeure insuffisant.
Mme Victoire Jasmin . - Il faut pérenniser les opérations et travailler avec les services sociaux, car les personnes prises en charge lors des maraudes retournent quelquefois à la rue. Il faudrait parvenir à une inclusion réelle, permettre l'accès à la formation professionnelle, proposer une réinsertion sociale. Certaines de ces personnes pourraient sans doute s'insérer en exerçant des métiers désertés, comme ceux de plombier, de carreleur ou de plaquiste, etc . C'est une voie à exploiter afin de permettre à cette population d'accéder à un logement et à une réinsertion durable, car le risque de retour à la rue demeure. Il est important que tous aient droit à un toit, notamment les jeunes. Lorsque les personnes sont domiciliées dans un CCAS ou un CHRS, elles retournent souvent à la rue. Il conviendrait d'explorer l'ensemble des dispositifs de droit commun pour leur trouver un lieu d'hébergement stable et des perspectives d'insertion.
Mme Michelle Meunier . - Je souhaitais mettre l'accent sur le SIAO. Nous avons auditionné la Fédération des acteurs de la solidarité et le collectif Alerte. Le service est composé d'agents qui répondent sur une ligne téléphonique dédiée et qui orientent vers le lieu adapté à la situation de l'appelant. Ils sont environ 1 000 en France. En Loire-Atlantique, ils sont une douzaine et hier, à Nantes, un mouvement inédit les a conduits à ne pas décrocher, sauf dans les cas d'appels de femmes victimes de violences. Le fait que des personnels si motivés par leur mission se mobilisent ainsi est significatif. C'est la question des oubliés du Ségur. Les agents du SIAO ne sont pas considérés comme des travailleurs sociaux.
Au-delà du chiffre global des personnes sans-abri, qui est très important et que nous commentons beaucoup, il faudrait aussi évoquer les nombreuses populations qui basculent dans la pauvreté alors qu'elles ne devraient pas se retrouver à la rue. Le phénomène s'aggrave. Le logement n'est pas tout ; il faut mettre en place un accompagnement global de la personne dans sa situation et son environnement.
Mme Raymonde Poncet Monge . - La situation est inquiétante : 48 % des ménages enregistrés dans l'hébergement d'urgence étaient hébergés depuis plus de deux ans, 15 % depuis plus de cinq ans et 2 % depuis plus de dix ans. La notion d'hébergement d'urgence devient relative dans ce contexte. Comment l'expliquez-vous ? On assiste à une embolie du dispositif dont l'objet premier est de répondre à l'urgence. Les propositions de sortie vers le logement sont-elles suffisantes ? Quelles sont les solutions intermédiaires ? Quant à l'hébergement des femmes victimes de violences, le nombre de places disponibles répond-il à la demande ou bien certaines femmes demeurent-elles sans solution ?
M. Daniel Chasseing . - Je me réjouis de la création de 1 000 places pour accueillir les victimes de violences, notamment les femmes. C'est une mesure indispensable. Outre la fourniture d'un logement, l'accompagnement est aussi essentiel. Les associations qui y pourvoient doivent être aidées : en Corrèze, une association a dû arrêter la surveillance de nuit des établissements hébergeant des femmes victimes de violences. Il faut également poursuivre l'accompagnement des femmes dans le domaine judiciaire.
M. Alain Duffourg , rapporteur pour avis. - Avant d'aborder la question de l'insertion professionnelle, il faudrait au préalable régler le problème de l'accès au logement.
En dix ans, les crédits de l'hébergement d'urgence ont été multipliés par quatre. Malgré cet effort, les tensions restent importantes. Les deux principaux objectifs du plan « Logement d'abord » étaient d'établir une programmation pluriannuelle de l'évolution du nombre de places d'hébergement et de proposer une réponse favorisant un accès le plus rapide possible au logement avec un accompagnement social adapté aux besoins. Concernant les 200 000 places allouées en 2022-2023, il faut noter que, d'après les associations et les relevés de maraudes, il resterait entre 15 000 à 30 000 personnes ayant fait une demande d'hébergement et se trouvant encore dans la rue. On pourrait croire naïvement qu'il suffirait de créer 30 000 places supplémentaires, mais les professionnels pensent que cela ne serait pas le cas car cette solution ne suffirait pas à régler la question. Tous les observateurs soulignent combien la question de l'hébergement d'urgence est soumise à des pressions géopolitiques (flux migratoires) ou économiques qui pèsent sur la demande. Une partie substantielle des places est occupée par des personnes en situation irrégulière sur le territoire. En conséquence, la situation administrative de ces personnes peut les empêcher d'accéder à un logement.
Mme Meunier m'a interrogé sur les oubliés du Ségur : le ministre a annoncé, le 8 novembre, qu'une négociation était en cours avec les SIAO et qu'une proposition de revalorisation serait adressée à leurs personnels.
Madame Poncet Monge, si la durée d'hébergement augmente, c'est en raison de l'état de santé, des résidents, et donc de leur incapacité à vivre de façon autonome, ou comme je l'ai déjà dit, de leur situation administrative. Or sans régularisation de leur situation administrative, ils ne peuvent pas prétendre à un accès au logement. Il faut souligner que nous nous heurtons à la crise du logement. Compte tenu du coût exorbitant de la construction, le problème s'accroît dans le logement en général, dans le logement social en particulier.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Et pour les femmes ?
M. Alain Duffourg , rapporteur pour avis. - Pour les femmes victimes de violence, un peu moins de 5 000 places sont ouvertes fin 2022. L'augmentation du nombre de places a été régulière depuis le Grenelle des violences conjugales, fin 2019.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »