Avis n° 118 (2022-2023) de M. Alain DUFFOURG , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 17 novembre 2022
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L'ESSENTIEL
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I. UNE HAUSSE SUBSTANTIELLE DU NOMBRE DE PLACES ET
DES CRÉDITS CONSACRÉS À L'HERBERGEMENT
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II. LES CHANTIERS STRUCTURELS À MENER
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I. UNE HAUSSE SUBSTANTIELLE DU NOMBRE DE PLACES ET
DES CRÉDITS CONSACRÉS À L'HERBERGEMENT
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES, CONTRIBUTION
ÉCRITE ET DÉPLACEMENT
N° 118 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022 |
AVIS PRÉSENTÉ
au nom de la commission des affaires sociales (1)
sur le projet
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TOME II COHÉSION DES TERRITOIRES Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables |
Par M. Alain DUFFOURG, Sénateur |
(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel . |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273, 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374, 386 et T.A. 26 Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023) |
L'ESSENTIEL
Ce programme doté de 2,8 milliards d'euros finance la politique publique de lutte contre le sans-abrisme et d'insertion dans le logement des personnes vulnérables . Les objectifs 2023 sont :
• le maintien du parc d'hébergement d'urgence généraliste à un niveau élevé avec un étiage à 200 000 places à fin décembre 2023 ;
• la couverture de la revalorisation des rémunérations des travailleurs sociaux oeuvrant sur le secteur Accueil, Hébergement, Logement (AHI) tel que prévu par le Ségur relatif au travail social (+ 148 millions d'euros) ;
• la poursuite de la dynamique lancée par le plan « Logement d'abord » (+ 44 millions d'euros), visant en particulier des moyens complémentaires pour le logement adapté.
I. UNE HAUSSE SUBSTANTIELLE DU NOMBRE DE PLACES ET DES CRÉDITS CONSACRÉS À L'HERBERGEMENT
Ce programme finance la politique publique de lutte contre le sans-abrisme et d'insertion dans le logement des personnes vulnérables. 98,5 % de ses crédits sont orientés vers le parc d'hébergement et de logement adapté et la politique de veille sociale y afférant. Le solde permet de financer des actions de prévention de l'exclusion et de pilotage d'une politique publique mise en oeuvre quasi exclusivement par des associations .
A. UN NOMBRE INÉDIT DE PLACES D'HÉBERGEMENT À LA QUALITÉ VARIABLE
1. Le parc d'hébergement généraliste a atteint un niveau inégalé
Le parc d'hébergement généraliste a atteint un niveau inégalé de plus de 203 000 places en mars 2021 pour faire face à la crise sanitaire, soit une augmentation de 40 000 places et de 25 % par rapport à fin février 2020. Alors que la fin de la période hivernale entraîne une fermeture de places chaque année, une instruction ministérielle du 26 mai 2021 1 ( * ) avait prévu le maintien du parc au seuil de 200 000 places jusqu'au 31 mars 2022 avant qu'une décrue progressive soit engagée au cours de l'année 2022 jusqu'à atteindre un seuil de 186 000 places en 2023.
Le parc d'hébergement généraliste a culminé à 203 000 places en mars 2021 contre 154 000 places fin 2019.
La confirmation de cet objectif à l'occasion de la présentation du PLF pour 2023 a provoqué une levée de boucliers des acteurs du secteur. Il faut dire que depuis la fin de l'été, les associations alertaient les pouvoirs publics sur la recrudescence des besoins : deux tiers des demandes non pourvues d'hébergement émanaient de familles et 1 658 enfants étaient sans solution d'hébergement avant la rentrée scolaire.
Répartition des places du parc
d'hébergement généraliste
au 1
er
juin
2022
Source : Commission des affaires sociales du Sénat d'après le PAP 2023
Le Gouvernement a renoncé à son projet de réduction de nombre de places, ainsi que l'a confirmé le ministre du logement lors de son audition au Sénat le 8 novembre dernier. Le programme 177 a été abondé de 40 millions d'euros supplémentaires et près de 200 000 places d'hébergement (197 000 selon les chiffres communiqués) seront financées pour l'hiver 2022-2023.
De façon plus ciblée, le Gouvernement s'était engagé à créer en 2020 et 2021, à la suite du Grenelle des violences conjugales, 1 000 places d'hébergement pour les femmes victimes de violences. Cet effort a été poursuivi en 2022 avec la création de 1 000 places supplémentaires, et la dotation budgétaire afférente a été revalorisée. Ces places sont des places non mixtes, dédiées aux femmes victimes de violence, avec ou sans enfant. L'accès rapide à une place d'hébergement constitue très souvent une mesure urgente indispensable pour mettre une femme en sécurité d'un conjoint ou ex-conjoint violent, mais aussi un préalable à toute reconstruction pour une personne victime de violence.
2. Des tensions persistantes malgré l'accroissement continu du nombre de places ouvertes
Le constat est fait, année après année, d'un allongement des durées d'hébergement. Selon les données de la plate-forme d'hébergement et de réservation hôtelière du Samu social de Paris établies au 1 er novembre 2020, 48 % des ménages enregistrés étaient hébergés depuis plus de deux ans, 15 % depuis plus de cinq ans (10 % il y a cinq ans) et 2 % depuis plus de 10 ans. Un allongement de la durée moyenne de séjour est constaté, passant de 1,8 année en janvier 2015 à 2,54 années en novembre 2020. D'après l'étude nationale des coûts (ENC), la durée est respectivement de 24,17 et 24,24 mois en centre d'hébergement d'urgence et en CHRS. L'ensemble de ces facteurs influeront sur le programme dont l'un des enjeux sera de parvenir à faire face à ces besoins d'hébergement durablement élevés tout en poursuivant parallèlement la mise en oeuvre du plan « Logement d'abord » et la recherche de solutions de logement durable et adapté.
Réduire le nombre de places d'hébergement d'urgence suppose que des places alternatives en logement adapté soient créées au moins dans les mêmes proportions.
Si l'hébergement à l'hôtel a connu une progression constante depuis une décennie (+ 265 % sur la période 2010-2019), cette tendance a pris une tournure sans précédent avec la pandémie et les besoins supplémentaires d'urgence. Le Gouvernement a exprimé sa volonté de réduire l'utilisation de ces nuitées hôtelières au profit de places d'hébergement en structures plus durables et offrant un accompagnement social. En effet, si le recours à l'offre hôtelière permet de répondre à l'urgence et aux situations de détresse, elle ne constitue pas une solution satisfaisante sur le long terme. L'enjeu consiste aujourd'hui à diminuer le recours aux nuitées hôtelières en développant des solutions de logement ou, à défaut, d'hébergement plus qualitatives qui s'inscrivent davantage dans la dynamique du plan « Logement d'abord ». L'action du Gouvernement est bousculée par le maintien d'une demande d'hébergement élevée et par le fait que certains établissements hôteliers souhaitent retrouver une activité commerciale, notamment à l'horizon 2024.
Évolution de nombre de nuitées hôtelières
Source : Commission des affaires sociales du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
B. DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES EN PROGRESSION CONSTANTE
Pour répondre à cet accroissement sensible du nombre de personnes nécessitant une mise à l'abri, les dispositifs d'hébergement ont été fortement développés depuis le milieu des années 2010.
1. Des crédits budgétaires qui ont doublé en dix ans
Au cours de la décennie écoulée, les crédits ouverts, et exécutés, en loi de finances ont doublé. Les dépenses supplémentaires directement engendrées par la crise sanitaire sont estimées à plus de 500 millions d'euros.
Crédits du programme 177 ouverts en
LFI
et exécutés (2014-2022)
+ 153
+ 146
+ 443
+ 145
+ 238
Source : Commission des affaires sociales d'après les annexes budgétaires aux lois de finances
En dix ans, les crédits affectés au programme 177 ont doublé, ceux affectés à l'hébergement d'urgence ont été multipliés par quatre.
L'effort en faveur de l'hébergement d'urgence connaît une croissance supérieure. Le PLF pour 2023 prévoit une enveloppe de 1,27 milliard d'euros (en CP) pour l'hébergement d'urgence, c'est en baisse par rapport à la LFI 2023 (1,37 milliard d'euros en CP). Mais depuis 2012, le montant des crédits destinés à l'hébergement d'urgence a quadruplé.
L'augmentation des crédits, exceptionnelle dans un contexte de maîtrise des finances publiques, a donc été principalement destinée au financement du parc d'hébergement, et notamment de l'hébergement d'urgence.
Crédits destinés à l'hébergement d'urgence
(en millions d'euros)
Source : Commission des affaires sociales du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur
2. Un PLF 2023 qui acte la pérennisation de ces augmentations de crédits
Le PLF pour 2023 acte la pérennisation des augmentations opérées les années précédentes. Le texte déposé à l'Assemblée nationale proposait une stabilisation des montants consacrés à la politique d'hébergement et de parcours vers le logement.
a) Une exécution 2022 qui consomme l'intégralité des crédits inscrits au programme
La Dihal prévoit d'exécuter l'intégralité des crédits ouverts sur le programme 177 soit 2,931 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,833 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).
Tableau d'exécution 2022
AE |
CP |
|
LFI 2022 |
2 785 788 444 |
2 677 488 444 |
Arrêté du 28 février 2022 portant reports de crédits 2021 et 2022 |
1 459 176 |
11 000 323 |
Décrets de virement et transfert du 27 juin 2022 |
10 200 000 |
10 200 000 |
LFR n° 2022-1158 du 16 août 2022 |
134 329 169 |
134 329 169 |
Crédits ouverts |
2 931 976 789 |
2 833 217 936 |
Source : Commission des affaires sociales d'après les réponses au questionnaire de la Dihal
b) Une LFI pour 2023 qui tient compte des mesures de revalorisation salariale
Dans le texte déposé à l'Assemblée nationale, le montant total des autorisations d'engagement apparaissait en légère baisse (de l'ordre de 30 millions d'euros), tandis que le montant des crédits de paiements était en augmentation de plus de 100 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2022. Ces 100 millions d'euros sont affectés à l'action 12 du programme consacré à l'hébergement et au logement adapté.
Actions |
UB |
PLF 2023 |
|
AE |
CP |
||
UB2 - Actions de prévention et Accès au droit |
31 771 000 € |
31 771 000 € |
|
Total Action 11 - Action de prévention et accès aux droits |
31 771 000 € |
31 771 000 € |
|
Action 12 - Hébergement et logement adapté |
UB3 - Veille sociale |
190 675 000 € |
190 675 000 € |
UB4 - Hébergement d'urgence |
1 246 773 531 € |
1 271 526 975 € |
|
UB5 - CHRS |
721 575 000 € |
721 575 000 € |
|
UB6 - Logement adapté |
556 491 000 € |
556 491 000 € |
|
Total Action 12 - Hébergement et logement adapté |
2 715 514 531 € |
2 740 267 975 € |
|
Action 14 - Conduite
|
UB7 - Conduite et Animation Politique AHI |
8 372 700 € |
8 372 700 € |
Total Action 14 - Conduite et Animation Politique AHI |
8 372 700 € |
8 372 700 € |
|
Total P177 |
2 755 658 231 € |
2 780 411 675 € |
Source : Commission des affaires sociales d'après les réponses au questionnaire de la Dihal
Cette majoration de crédits figurant dans la LFI pour 2022 correspond aux annonces de revalorisation salariale des métiers de la filière socio-éducative des secteurs sanitaire, médico-social et social faites par le Premier ministre le 12 février dernier. Cette revalorisation prend la forme d'une augmentation des rémunérations (dues à compter du 1 er avril 2022) des personnels concernés (professionnels socio-éducatifs des établissements et services médico-sociaux et sociaux et autres structures éligibles) à hauteur de 183 euros nets mensuels. La Dihal est responsable de la mise en oeuvre de la compensation financière des employeurs dans le secteur Accueil-Hébergement-Insertion (AHI) et le programme 177 porte budgétairement cette dépense.
Les structures du secteur AHI ont été largement incluses dans le périmètre de la revalorisation, en cohérence avec la politique du « Logement d'abord ». Comme dans les autres secteurs, la compensation ne concerne pas les personnels exerçant à titre principal des fonctions techniques et administratives. Dans le secteur AHI, cette compensation s'appliquerait donc à environ 27 000 ETP dans les structures de veille sociale (accueils de jour, maraudes), d'hébergement (HU, CHRS), de logement adapté (IML, PF, RS, FJT...) et d'accompagnement social des personnes sans domicile (dont AVDL).
La revalorisation est versée aux salariés qui exercent effectivement et à titre principal certaines fonctions, conformément aux arbitrages pris par le Gouvernement et qui s'appliquent à tous les secteurs concernés. Les accords négociés par les partenaires sociaux dans la branche professionnelle de l'action sanitaire, sociale et médico-sociale (BASSMS) et dans la branche Habitat et Logement accompagné (HLA) encadrent la mise en oeuvre de cette revalorisation par les employeurs.
La diversité des situations dans le secteur AHI (diversité des dispositifs, des taux d'encadrement, des formes juridiques des structures ou de leurs branches professionnelles d'affiliation...) ont conduit à écarter rapidement l'option d'une compensation forfaitaire par employeur. Les employeurs du secteur AHI ont donc été invités à déclarer le nombre d'ETP éligibles à la revalorisation, afin de solliciter le versement d'une compensation par l'État au plus proche de leur besoin. Les résultats de cette enquête sont en cours d'instruction et de consolidation. Les compensations sont en cours de versement aux employeurs
Toutefois des « oubliés du Ségur » existent, les Services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) a qui a été confié un rôle structurant du « Service public de la rue au logement » ont été écartés du bénéfice de la mesure.
c) Les modifications considérées comme adoptées par l'Assemblée nationale
Les montants affectés au programme 177 ont été majorés de 40 millions d'euros (en AE et CP) dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, à la suite de la décision du Gouvernement de ne pas procéder à une réduction du nombre de places d'hébergement en 2023.
Total P177 considéré comme adopté par l'Assemblée nationale |
2 795 658 231 € AE |
2 820 411 675 € CP |
Ces sommes sont proches des montants exécutés en 2022, et ne prévoient pas, à ce stade, la reconduction de la dotation spécifique de 100 millions d'euros destinée à la prise en charge des réfugiés ukrainiens.
II. LES CHANTIERS STRUCTURELS À MENER
Avec le plan « Logement d'abord » et la lutte contre le sans-abrisme, l'ambition affichée par les pouvoirs publics était de diminuer de manière significative le nombre de personnes sans domicile d'ici 2022, il s'agissait de recentrer l'hébergement sur sa mission d'accueil temporaire et d'urgence et de développer des parcours d'accès plus rapide au logement adapté ou autonome.
A. LE PLAN « LOGEMENT D'ABORD » ET LA LUTTE CONTRE LE SANS-ABRISME (2018-2022) : DES RÉALISATIONS RALENTIES PAR LA CRISE ET QUI PEINE À RÉDUIRE LA TENSION SUR LES STRUCTURES D'HÉBERGEMENT
1. Une stratégie de transformation de la politique publique de lutte contre le sans-abrisme
Le plan quinquennal 2018-2022 pour le « Logement d'abord » définit la stratégie prioritaire de transformation structurelle de la politique publique. Il entend développer les modes de logement adapté avec un accompagnement social renforcé afin d'orienter en priorité les personnes sans-abri ou mal logées vers ces dispositifs. Le « Logement d'abord » fait donc le choix de mettre fin au parcours d'insertion par étape : accueil en CHU ou à l'hôtel, en CHRS puis seulement en logement adapté. Les objectifs assignés au plan sont de créer 10 000 places en pensions de famille et 40 000 places supplémentaires en intermédiation locative (IML) sur cinq ans.
Ce projet vise également à donner une visibilité sur le nombre de places à un horizon de cinq ans et à anticiper les besoins de places en fonction des publics et des territoires. Dans l'instruction du 26 mai 2021, la ministre demandait ainsi aux préfets de région et de département de produire une trajectoire 2022-2024 de l'offre d'hébergement, de logement adapté et d'accompagnement sur leur territoire, avec l'objectif de mettre fin à une gestion de très court terme rythmée par les périodes hivernales. Cette gestion dans l'urgence emporte des effets néfastes pour la qualité du service public rendu aux personnes en situation précaire mais aussi pour les gestionnaires des structures d'hébergement. Ces derniers n'ont pas de visibilité sur le nombre de places ouvertes ou prolongées chaque année et donc, par exemple, sur le nombre d'équivalents temps plein (ETP) nécessaires.
Ce plan arrive à échéance à la fin de l'année 2022. Il fait l'objet d'un consensus parmi les acteurs et sa reconduction devrait être annoncée en janvier 2023.
2. Des objectifs atteints sans entraîner de baisse de la demande d'hébergement d'urgence
Ce plan arrive à échéance cette année et un premier bilan peut en être tiré, en tenant compte du fait que cette transformation de l'action publique s'est trouvée perturbée par l'épidémie de covid-19.
En 2021, 10 384 logements sociaux ont été attribués à des ménages se déclarant sans-abri ou en habitat de fortune (source Dihal). Ce résultat, supérieur à l'objectif 2021, illustre le rebond de cette politique à la suite de la crise sanitaire. Cela correspond à une augmentation de 30 % par rapport au résultat de 2020. Entre janvier et juin 2022, 5 210 logements sociaux ont été attribués à des ménages se déclarant sans-abri ou en habitat de fortune (source Dihal). Le premier semestre 2022 a permis d'exécuter la moitié (48 %) de l'objectif 2022, fixé à 10 750 attributions, en augmentation de 21 % par rapport à l'objectif fixé en 2021 (8 850).
Ces attributions de logements se font dans le parc social, ou dans des logements adaptés. Le terme de logement adapté recouvre les dispositifs comme les maisons-relais ou les pensions de famille permettant un accueil, sans limitation de durée, dans des structures de petite taille gérées par un hôte rémunéré, l' intermédiation locative (IML) pour laquelle une aide est versée à un organisme de logement social ou une association qui, en retour, sous-loue aux personnes un logement à un tarif social ou enfin les résidences sociales soutenues financièrement par l'aide à la gestion locative sociale ( AGLS ).
La crise sanitaire a eu des effets contrastés sur le développement du logement adapté. La création de places en pensions de famille a été retardée avant que la trajectoire ne se redresse en fin de période.
2021 |
% de l'objectif 2021 |
Fin août |
% de l'objectif 2022 |
Total 2018-2022 |
6 259
36 500
Source : Commission des affaires sociales d'après les réponses au questionnaire de la Dihal
In fine , en trois ans et demi, soit entre 2019 et juin 2022, 31 944 logements sociaux ont été attribués à des ménages se déclarant sans-abri ou en habitat de fortune. Ce sont ainsi environ 390 000 personnes qui ont pu accéder à un logement dans le cadre de ce plan.
Entre 2017 et 2022, 390 000 personnes ont pu accéder à un logement dans le cadre de ce plan.
Confrontées à la pression des flux entrants de personnes sans domicile, ces sorties vers le logement n'ont toutefois pas permis d'enregistrer une baisse de la demande d'hébergement d'urgence, ainsi que le montre les crédits consacrés à cette action. En outre, la politique du « Logement d'abord » ne peut que constater le maintien dans l'hébergement, à l'hôtel ou dans des campements, de personnes déboutées du droit d'asile qui ne disposent pas des droits leur permettant d'accéder à un logement.
B. LE « SERVICE PUBLIC DE LA RUE AU LOGEMENT » POUR RENFORCER LE PILOTAGE DU PLAN « LOGEMENT D'ABORD »
1. Une clarification du pilotage pour résorber les difficultés rencontrées sur le terrain
Financée par l'État, la mise en oeuvre de cette politique est déléguée à de nombreux tiers - principalement des personnes privées . Les associations à but non lucratif constituent la plus grande partie de ces opérateurs (17 des 20 plus grands gestionnaires de CHU en 2018). De manière résiduelle, des fondations, des sociétés d'économie mixte, des groupements d'intérêt public ou des établissements publics gèrent des CHU ou des CHRS.
En conséquence, la politique publique pâtit d'une gouvernance complexe et de difficultés de gestion. La Cour des comptes indique par exemple que, pour le logement adapté, le SIAO, opérateur désigné par le préfet de département, « reste en situation de faiblesse par rapport aux autres acteurs qu'il est censé coordonner » 2 ( * ) .
2. Des progrès restent à faire pour un pilotage efficace de cette politique
Face à ces difficultés, l'initiative du « Service public de la rue au logement », lancée le 1 er avril 2021 vise à mieux articuler les acteurs du secteur dans la poursuite de la stratégie du « Logement d'abord ». Le pilotage budgétaire a été confié à la Dihal déjà chargée du pilotage « métier ». La concrétisation du « Service public de la rue au logement » n'est cependant pas encore visible sur le terrain.
La Dihal a fait part au rapporteur du projet de replacer le SIAO comme pierre angulaire de la chaîne de l'hébergement et du logement adapté . Il a ainsi prévu que l'État intègre la gouvernance des SIAO afin de les piloter selon des modalités variant toutefois en fonction de leur statut.
Cette programmation pluriannuelle doit non seulement aider au pilotage des capacités d'accueil mais également prévoir la configuration de l'offre d'hébergement et de logement adapté afin de répondre aux besoins des personnes sans abri et d'accélérer la montée en qualité des places.
Le parachèvement de cette stratégie de moyen et long terme serait l'adoption à intervalle régulier d'une loi de programmation pluriannuelle à l'instar de ce qui est mis en place pour d'autres politiques. Porté par la Fédération des acteurs de la solidarité et accueilli favorablement par le Gouvernement, ce projet pourrait constituer un outil supplémentaire dans la transformation structurelle à l'oeuvre depuis quelques années.
Le dispositif d'accueil des réfugiés ukrainiens Sur les 7 millions de déplacés d'Ukraine ayant fui leur pays, la France recense aujourd'hui 100 000 personnes sur son territoire, majoritairement des femmes et des enfants. L'hébergement généraliste financé par le programme 177 n'a que faiblement été mobilisé pour l'accueil de ces personnes puisque l'État a choisi de privilégier des solutions d'hébergement « de type sas » et de capacités d'accueil ad hoc , susceptibles d'être ouvertes en lien avec un opérateur associatif chargé d'y assurer un accompagnement social, et dont les capacités sont censées venir en supplément des capacités de l'hébergement généraliste. Ces solutions d'hébergement "sas" et " ad hoc " ont été financées par le programme 303 (Asile et immigration). Malgré ce dispositif et des orientations nationales qui ne ciblaient pas l'hébergement d'urgence généraliste, certains SIAO ont pu être très sollicités. Cela a pu susciter une forme de concurrence entre publics en situation de précarité. Bien que les solutions d'hébergement soient financées par une autre ligne budgétaire, le décret d'avance d'avril 2022 ratifié par la LFR d'août 2022 a prévu une dotation de 100 millions d'euros, financée par le programme 177, dédiée à l'accompagnement des réfugiés ukrainiens. La prévision de dépenses est, à ce jour, estimée entre 45 et 50 millions d'euros. À cette prévision, s'ajoutent les crédits nécessaires au financement de l'aide mensuelle de 150 euros aux ménages qui accueillent ou ayant accueilli en 2022 des réfugiés ukrainiens, qui sera versée à partir de la fin du mois de novembre par l'Agence de service des paiements. La dotation nécessaire est estimée entre 10 et 15 millions d'euros selon le nombre de familles accueillantes : 4 000 familles ayant une convention avec l'État auxquelles pourront s'ajouter entre 5 et 10 000 familles non conventionnées mais éligibles à cette aide. L'intégralité de la dotation ne devrait pas être entièrement exécutée sur la gestion 2022. Toutefois, il est envisagé une demande de report des crédits sur le budget 2023, ce qui permettrait d'assurer dès le début du mois de janvier la continuité des versements aux associations qui oeuvrent au titre de l'accueil de réfugiés ukrainiens et de leur accompagnement social. |
Déplacement à la Cité des dames le 27 octobre 2022 Créé en décembre 2018, la Cité des dames est un dispositif d'accueil innovant qui à notre connaissance ne dispose pas d'équivalent dans le dispositif de veille sociale nationale. Elle est gérée par la fondation de l'Armée du salut et situé dans des locaux qui comprennent également un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Depuis sa création, la Cité des dames a répondu de manière inconditionnelle à l'accueil de plus de 2 500 femmes dont la plupart n'avaient pas de contact avec le monde du travail social. La souplesse des modalités d'accès en direct à ce service permet d'apporter une réponse immédiate de mise à l'abri à des femmes en situation de détresse. Bien qu'en nombre insuffisant, il existe aujourd'hui des centres dédiés aux femmes victimes de violence conjugales. La Cité des dames propose quant à elle un accueil de première intention à des femmes victimes de toute forme de violence car selon leurs déclarations, plus de 70 % des femmes accueillies déclarent avoir subi au moins une violence grave du fait de leur situation de rue et/ou sur les routes de l'exil. L'originalité de ce projet repose sur le couplage d'un accueil de jour et d'un accueil de nuit ouvert 24h/24 et 7j/7j spécialement dédié à des femmes seules et sans abri. Outre des prestations de base (hygiène, repos, restauration...), la Cité des dames propose un premier niveau d'accompagnement social (ouvertures de droits, orientations vers de l'hébergement...), ainsi qu'une première réponse sur l'aspect santé (gynécologie, psychologie). Une initiative frappée par un sous-financement chronique Malgré sa pertinence, ce dispositif peine largement à trouver des financements à hauteur du besoin des femmes accueillies. Ceci s'explique en partie par une autocensure lors du montage budgétaire initial. Un cofinancement de la Cité des dames a en effet été proposé à l'État et à la Ville de Paris, alors que ce projet ne correspondait à aucune programmation budgétaire des deux parties. |
Réunie le 16 novembre 2022, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».
EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 16 novembre 2022, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de M. Alain Duffourg sur le projet de loi de finances pour 2023 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).
M. Alain Duffourg , rapporteur pour avis sur le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires » . - Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », de la mission « Cohésion des territoires », constitue le support financier de la politique publique de lutte contre le sans-abrisme.
Ce programme finance des structures d'hébergement aux différents statuts. Il s'agit principalement de centres d'hébergement d'urgence (CHU) ou de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) qui permettent un accueil plus pérenne des personnes, et un accompagnement social plus approfondi. Le nombre de places d'hébergement financé par le programme 177 constitue le point nodal de son examen, et absorbe, entre 95 % et 98 % de ses crédits. Le parc d'hébergement a culminé à un niveau inédit de plus de 203 000 places en mars 2021, soit une augmentation de 40 000 places par rapport à février 2020. Dès le printemps 2021, le Gouvernement avait fait part de son intention de maintenir 200 000 places ouvertes jusqu'au 31 mars 2022, avant qu'une décrue progressive ne soit engagée au cours de l'année 2022, pour atteindre un seuil de 186 000 places en 2023.
La confirmation de cet objectif, à l'occasion de la présentation du PLF pour 2023, a provoqué une levée de boucliers des acteurs du secteur. Il faut dire que depuis la fin de l'été, les associations alertaient les pouvoirs publics sur la recrudescence des besoins : deux tiers des demandes non pourvues d'hébergement émanaient de familles, et 1 658 enfants étaient sans solution d'hébergement avant la rentrée scolaire.
Le Gouvernement a renoncé à son projet de réduction de nombre de places, ainsi que l'a confirmé le ministre du logement lors de son audition au Sénat le 8 novembre dernier. Le programme 177 a été abondé de 40 millions d'euros supplémentaires, en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), et près de 200 000 places d'hébergement (197 000 selon les chiffres communiqués) seront financées pour l'hiver 2022-2023.
Malgré une augmentation substantielle du nombre de places ouvertes au cours des dernières années (40 000 places en plus), des demandes sont encore non pourvues auprès des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) qui gèrent le numéro « 115 » et orientent les personnes vers une solution d'hébergement ou de logement. Selon la Cour des comptes, en 2021, en France, près de 300 000 personnes se trouvaient, avant même la crise sanitaire, sans domicile, estimation qui a plus que doublé depuis la dernière enquête statistique de 2012.
Dans le projet de LFI pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » atteignent 2 795 milliards d'euros en AE et 2 820 milliards d'euros en CP. Ces montants sont en légère hausse par rapport à la LFI 2022, et inférieurs aux crédits autorisés par la loi de finances rectificative (LFR) pour 2022. Cette dernière avait prévu 2 931 milliards d'euros en AE et 2 833 milliards en CP. Cet écart s'explique par la dotation exceptionnelle, d'un montant de 100 millions d'euros, prévue dans la LFR pour 2022 pour la prise en charge des réfugiés ukrainiens.
Je souligne par ailleurs que l'hébergement généraliste financé par le programme 177 n'a été que faiblement mobilisé pour l'accueil des personnes fuyant la guerre en Ukraine. L'État a choisi de privilégier des solutions d'hébergement financées par le programme 303 « Immigration et asile ». Néanmoins, selon les territoires, certains SIAO ont pu être très sollicités, malgré des orientations nationales qui ne ciblaient pas l'hébergement d'urgence généraliste. La dotation 2022 devait permettre l'accompagnement des réfugiés, elle sera également utilisée pour le financement de l'aide mensuelle de 150 euros aux ménages qui accueillent, ou ont accueilli en 2022, des réfugiés ukrainiens, prime qui sera versée à partir de la fin du mois de novembre.
Les crédits alloués à la veille sociale (maraudes, 115, SIAO, accueils de jour) connaissent une hausse de 6 % par rapport au PLF 2022, hausse qui semble limitée pour répondre aux besoins et aux objectifs du « Service public de la rue au logement ».
Les crédits de l'hébergement d'urgence sont en baisse par rapport au PLF 2022, du fait de la réduction du nombre de places opérée en 2022, et sur laquelle le Gouvernement ne revient pas. Il renonce à la baisse supplémentaire prévue en 2023 : 197 000 places ouvertes en 2023 contre 203 000 début 2022, selon les informations disponibles.
Les crédits pour les CHRS sont en hausse de 9 % du fait de la mise en oeuvre des revalorisations salariales. Mais les CHRS restent fragilisés par le plan d'économies mis en oeuvre ces dernières années. Je rappelle par ailleurs que, dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, le Gouvernement s'était engagé à créer 1 000 places d'hébergement pour les femmes victimes de violences en 2020 et 2021. Cet effort a été poursuivi en 2022 avec la création de 1 000 nouvelles places. Ces places sont des places non mixtes, dédiées aux femmes victimes de violence, avec ou sans enfant. L'accès rapide à une place d'hébergement constitue très souvent une mesure urgente indispensable pour mettre une femme en sécurité, mais aussi un préalable à toute reconstruction pour une personne victime de violence.
J'ajoute que j'ai effectué, au mois d'octobre, dans le cadre de mes fonctions de rapporteur, un déplacement à la Cité des dames. Il s'agit d'un lieu d'accueil géré par la Fondation de l'Armée du salut que je voudrais vous présenter brièvement. L'originalité de ce projet repose sur le couplage d'un accueil de jour et d'un accueil de nuit ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, spécialement dédié à des femmes seules et sans abri. Outre des prestations de base (hygiène, repos, restauration, etc .), la Cité des dames propose un premier niveau d'accompagnement social (ouvertures de droits, orientations vers de l'hébergement, etc .), ainsi qu'une première réponse sur l'aspect santé (gynécologie, psychologie). À ma connaissance, ce lieu ne dispose pas d'équivalent dans le dispositif de veille sociale nationale ; enfin les crédits consacrés aux actions de prévention et accès aux droits sont reconduits, tandis que ceux consacrés à la conduite et à l'animation politique du dispositif « Accueil, hébergement, insertion » (AHI) sont en légère baisse.
Je ne puis conclure cette présentation du programme 177 sans évoquer rapidement les réformes au long cours conduites dans le secteur de l'hébergement et du logement, et dont l'objectif était de réduire la pression pesant sur l'hébergement d'urgence.
L'année 2022 marque la fin du plan quinquennal « Logement d'abord ». L'ambition de ce plan est de transformer en profondeur la lutte contre le sans-abrisme, en passant d'une réponse construite dans l'urgence s'appuyant majoritairement sur des places d'hébergement, avec des parcours souvent longs et coûteux, à un accès le plus rapide possible au logement avec un accompagnement social adapté aux besoins.
Ce plan entend développer les modes de logement adapté comme les pensions de famille, les intermédiations locatives (IML) ou les dispositifs financés par l'aide à la gestion locative sociale (AGLS). Il s'agit de mettre fin au parcours d'insertion par étape au profit d'une orientation directe vers ces dispositifs. La perspective de la diminution du parc d'hébergement suppose que les solutions alternatives soient au rendez-vous, notamment de solutions de logement.
Ce plan fait l'objet d'un consensus dans le secteur, ses objectifs sont partagés par toutes les personnes que j'ai auditionnées en préparant ce rapport. Depuis le lancement du plan quinquennal en 2017, 390 000 personnes hébergées ou sans-abri ont accédé au logement social ou à une solution de logement adapté, avec des résultats en amélioration continue. Une nouvelle séquence reposant sur des principes identiques est en cours de concertation avec les acteurs associatifs, elle devrait faire l'objet d'une annonce en janvier.
Ces sorties vers le logement n'ont toutefois pas permis d'enregistrer une baisse de la demande d'hébergement d'urgence. Constat est fait, année après année, d'un allongement des durées d'hébergement. Selon les données disponibles, 48 % des ménages enregistrés étaient hébergés depuis plus de deux ans, 15 % depuis plus de cinq ans et 2 % depuis plus de dix ans. Un allongement de la durée moyenne de séjour est constaté, passant de 1,8 année en janvier 2015 à 2,54 années en novembre 2020. L'ensemble de ces facteurs influeront sur le programme dont l'un des enjeux sera de parvenir à faire face à ces besoins d'hébergement durablement élevés, tout en poursuivant parallèlement la mise en oeuvre du plan « Logement d'abord » et la recherche de solutions de logement durable et adapté.
Au regard des moyens financiers supplémentaires engagés par l'État dans ce PLF, après son examen par l'Assemblée nationale, et des réformes amorcées qui me semblent aller dans le bon sens, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits qui sont soumis à notre examen.
Mme Laurence Cohen . - Je partage l'analyse de notre rapporteur. J'étais très défavorable à la suppression de 14 000 places d'hébergement d'urgence et fort heureusement, les associations se sont mobilisées afin d'obtenir l'annulation de cette décision qui était en flagrant décalage avec la réalité.
L'abondement de 40 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence au budget 2023 permettra de stabiliser le nombre de places pour l'année à venir. Néanmoins, les demandes sont considérables et les places insuffisantes. Je m'inquiète du nombre croissant de jeunes et d'enfants à la rue, situation qui les expose au danger. Dans le Val-de-Marne, 150 mineurs se sont installés sous le pont Nelson-Mandela à Ivry-sur-Seine, c'est une situation dramatique. Certes, la volte-face du Gouvernement est positive, mais le problème est d'une ampleur telle que l'effort demeure insuffisant.
Mme Victoire Jasmin . - Il faut pérenniser les opérations et travailler avec les services sociaux, car les personnes prises en charge lors des maraudes retournent quelquefois à la rue. Il faudrait parvenir à une inclusion réelle, permettre l'accès à la formation professionnelle, proposer une réinsertion sociale. Certaines de ces personnes pourraient sans doute s'insérer en exerçant des métiers désertés, comme ceux de plombier, de carreleur ou de plaquiste, etc . C'est une voie à exploiter afin de permettre à cette population d'accéder à un logement et à une réinsertion durable, car le risque de retour à la rue demeure. Il est important que tous aient droit à un toit, notamment les jeunes. Lorsque les personnes sont domiciliées dans un CCAS ou un CHRS, elles retournent souvent à la rue. Il conviendrait d'explorer l'ensemble des dispositifs de droit commun pour leur trouver un lieu d'hébergement stable et des perspectives d'insertion.
Mme Michelle Meunier . - Je souhaitais mettre l'accent sur le SIAO. Nous avons auditionné la Fédération des acteurs de la solidarité et le collectif Alerte. Le service est composé d'agents qui répondent sur une ligne téléphonique dédiée et qui orientent vers le lieu adapté à la situation de l'appelant. Ils sont environ 1 000 en France. En Loire-Atlantique, ils sont une douzaine et hier, à Nantes, un mouvement inédit les a conduits à ne pas décrocher, sauf dans les cas d'appels de femmes victimes de violences. Le fait que des personnels si motivés par leur mission se mobilisent ainsi est significatif. C'est la question des oubliés du Ségur. Les agents du SIAO ne sont pas considérés comme des travailleurs sociaux.
Au-delà du chiffre global des personnes sans-abri, qui est très important et que nous commentons beaucoup, il faudrait aussi évoquer les nombreuses populations qui basculent dans la pauvreté alors qu'elles ne devraient pas se retrouver à la rue. Le phénomène s'aggrave. Le logement n'est pas tout ; il faut mettre en place un accompagnement global de la personne dans sa situation et son environnement.
Mme Raymonde Poncet Monge . - La situation est inquiétante : 48 % des ménages enregistrés dans l'hébergement d'urgence étaient hébergés depuis plus de deux ans, 15 % depuis plus de cinq ans et 2 % depuis plus de dix ans. La notion d'hébergement d'urgence devient relative dans ce contexte. Comment l'expliquez-vous ? On assiste à une embolie du dispositif dont l'objet premier est de répondre à l'urgence. Les propositions de sortie vers le logement sont-elles suffisantes ? Quelles sont les solutions intermédiaires ? Quant à l'hébergement des femmes victimes de violences, le nombre de places disponibles répond-il à la demande ou bien certaines femmes demeurent-elles sans solution ?
M. Daniel Chasseing . - Je me réjouis de la création de 1 000 places pour accueillir les victimes de violences, notamment les femmes. C'est une mesure indispensable. Outre la fourniture d'un logement, l'accompagnement est aussi essentiel. Les associations qui y pourvoient doivent être aidées : en Corrèze, une association a dû arrêter la surveillance de nuit des établissements hébergeant des femmes victimes de violences. Il faut également poursuivre l'accompagnement des femmes dans le domaine judiciaire.
M. Alain Duffourg , rapporteur pour avis. - Avant d'aborder la question de l'insertion professionnelle, il faudrait au préalable régler le problème de l'accès au logement.
En dix ans, les crédits de l'hébergement d'urgence ont été multipliés par quatre. Malgré cet effort, les tensions restent importantes. Les deux principaux objectifs du plan « Logement d'abord » étaient d'établir une programmation pluriannuelle de l'évolution du nombre de places d'hébergement et de proposer une réponse favorisant un accès le plus rapide possible au logement avec un accompagnement social adapté aux besoins. Concernant les 200 000 places allouées en 2022-2023, il faut noter que, d'après les associations et les relevés de maraudes, il resterait entre 15 000 à 30 000 personnes ayant fait une demande d'hébergement et se trouvant encore dans la rue. On pourrait croire naïvement qu'il suffirait de créer 30 000 places supplémentaires, mais les professionnels pensent que cela ne serait pas le cas car cette solution ne suffirait pas à régler la question. Tous les observateurs soulignent combien la question de l'hébergement d'urgence est soumise à des pressions géopolitiques (flux migratoires) ou économiques qui pèsent sur la demande. Une partie substantielle des places est occupée par des personnes en situation irrégulière sur le territoire. En conséquence, la situation administrative de ces personnes peut les empêcher d'accéder à un logement.
Mme Meunier m'a interrogé sur les oubliés du Ségur : le ministre a annoncé, le 8 novembre, qu'une négociation était en cours avec les SIAO et qu'une proposition de revalorisation serait adressée à leurs personnels.
Madame Poncet Monge, si la durée d'hébergement augmente, c'est en raison de l'état de santé, des résidents, et donc de leur incapacité à vivre de façon autonome, ou comme je l'ai déjà dit, de leur situation administrative. Or sans régularisation de leur situation administrative, ils ne peuvent pas prétendre à un accès au logement. Il faut souligner que nous nous heurtons à la crise du logement. Compte tenu du coût exorbitant de la construction, le problème s'accroît dans le logement en général, dans le logement social en particulier.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Et pour les femmes ?
M. Alain Duffourg , rapporteur pour avis. - Pour les femmes victimes de violence, un peu moins de 5 000 places sont ouvertes fin 2022. L'augmentation du nombre de places a été régulière depuis le Grenelle des violences conjugales, fin 2019.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES, CONTRIBUTION ÉCRITE ET DÉPLACEMENT
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Auditions
• Fondation Abbé Pierre
Manuel Domergue , directeur des études
• Croix-Rouge française
Camille Joubert , déléguée nationale adjointe Lutte contre les exclusions (direction générale adjointe aux opérations)
• Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal)
Sylvain Mathieu , délégué interministériel
Sylvain Budillon , chargé de mission budgétaire
Audrey Dubuc , cheffe de cabinet
• Fédération des acteurs de la solidarité
Nathalie Latour , directrice
Nicolas Paolino , chargé de mission
Contribution écrite
Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss)
Déplacement
sur un site
géré par la Fondation de l'Armée du
Salut
(« Centre Espoir - Cité de Refuge » et
Cité des dames - 75013 Paris)
(Jeudi 27 octobre 2022)
Visite du centre et échanges sur la politique de l'hébergement et du logement avec :
Guillaume Latil , directeur général de la Fondation
Christophe Piedra , directeur de l'établissement « Cité de Refuge »
Gilles Pineau , directeur adjoint de la Fondation et directeur du pôle Accueil hébergement insertion
Cécile Fito , directrice adjointe administrative et financière à la Cité de Refuge
Jérôme Voiturier , directeur général de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss)
* 1 Instruction ML/2021-05/13841 du 26 mai 2021 relative au pilotage du parc d'hébergement et au lancement d'une campagne de programmation pluriannuelle de l'offre pour la mise en oeuvre du « Logement d'abord ».
* 2 Cour des comptes, référé au Premier ministre sur la politique en faveur du « Logement d'abord », 20 octobre 2020.