EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 23 novembre 2022, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 146 - Équipement des forces - de la mission « Défense ».

M. Christian Cambon, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense ».

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Équipement des forces ». - Les crédits du programme 146 s'élèvent à 15,4 milliards d'euros pour 2023 ; ils augmentent de 6 %, ce qui représente 900 millions d'euros de crédits supplémentaires. Ce budget est conforme à la loi de programmation militaire (LPM). Les crédits des programmes à effets majeurs et ceux de la dissuasion augmentent de 6 %. Un effort particulier est réalisé sur les infrastructures, avec une hausse de 35 % pour l'accueil des programmes Scorpion, MRTT et Rafale qui vont monter en puissance.

Il apparaît désormais que la LPM, en raison du nouveau contexte économique et géostratégique, est insuffisante. Concernant le contexte économique, la crise du covid puis celle en Ukraine ont été absorbées à LPM constante. L'effet de l'inflation sur le programme 146 est évalué à 460 millions d'euros en 2023. Cet effet doit être couvert par des retards exogènes sur certains programmes et par le mécanisme du report de charge, dont je rappelle qu'il est, pour une large part, un tour de passe-passe afin de boucler le budget. On assiste au retour de la « bosse budgétaire », au détriment des créanciers du ministère. C'est pourquoi la prochaine LPM devra prévoir un mécanisme d'indexation pour pallier les effets de l'inflation.

La dégradation du contexte géostratégique entraîne, par ailleurs, des surcoûts très élevés : 600 millions d'euros pour le renforcement du flanc oriental de l'Otan ; et 400 millions d'euros pour les opérations extérieures (Opex) de la France et les missions intérieures (Missint) - ce qui porte le budget, en cumulé, à 2,2 milliards d'euros. Ces surcoûts sont financés par des ouvertures nettes de crédits qui n'en couvrent toutefois pas la totalité. Un reliquat de l'ordre de 400 millions d'euros reste à la charge du ministère.

La provision des Opex prévue dans la LPM n'est désormais plus adaptée ; elle devra être revue, aussi bien dans son format que dans son montant.

Dans le cadre du programme 146, 200 millions d'euros sont ouverts pour le fonds spécial de soutien à l'Ukraine et 29 millions d'euros pour l'acquisition de munitions par la direction générale de l'armement (DGA) ; mais 321 millions d'euros sont, par ailleurs, annulés sur des crédits mis en réserve. Au sujet des munitions, des industriels auditionnés nous ont informés qu'il n'y avait encore eu aucune commande.

M. Christian Cambon, président . - Il faudra poser la question au Délégué général pour l'armement qui sera auditionné la semaine prochaine.

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. - Nous n'y manquerons pas...

La guerre en Ukraine impose une LPM de renouveau. Nous aurons déjà au moins un an de retard lorsqu'elle sera promulguée, alors que nombre de nos partenaires ont annoncé un effort conséquent dès l'après-24 février. Notre modèle d'armée reste structuré autour de la dissuasion nucléaire et de forces expéditionnaires. Ce modèle doit être complété pour tenir compte de la possibilité, désormais avérée, d'une guerre de haute intensité en Europe.

D'éventuels arbitrages défavorables sur de grands programmes, dont la presse se fait écho, remettraient sérieusement en cause l'ambition affichée d'une « économie de guerre ». Je vous donne un exemple : l'an dernier, dans le cadre d'une mission à Madrid, nous avions évoqué avec les Espagnols le projet de modernisation du Tigre 3, afin de pallier les carences allemandes sur ce sujet ; si les assertions de la presse se révèlent exactes et que le Tigre 3 est effectivement abandonné par la France pour des raisons budgétaires, nous aurons bonne mine d'avoir sollicité les Espagnols.

Alors qu'on s'attendrait à une accélération, on n'entend en effet parler que de recherche d'économies, ce qui est pour le moins paradoxal. Il est d'ores et déjà acquis que plusieurs capacités n'atteindront pas le jalon 2025 fixé par la LPM : le format Rafale air, en raison de l'export croate ; les frégates de défense et d'intervention, en raison de l'export grec ; ou encore l'Eurodrone - annoncé aujourd'hui pour 2030, alors que sa livraison était prévue pour 2025 -, le système de drones tactiques et les véhicules blindés légers régénérés.

Un effort particulier doit, en outre, être rapidement entrepris sur nos lacunes qui sont connues : dans le domaine des camions de transport, des moyens de déminage et de franchissement, en matière de défenses sol-air, de suppression des défenses aériennes adverses et, bien sûr, concernant les drones, domaine dans lequel nous accusons un retard considérable.

Des acquisitions sur étagère se révèleront probablement inéluctables ; encore faut-il bien en examiner les conséquences sur notre souveraineté.

Dans un désordre qui en dit long, un accord entre industriels est annoncé concernant le Scaf. Au-delà des effets d'annonces, le Gouvernement doit donner des garanties sur la préservation d'un certain nombre d'intérêts stratégiques de la France. L'amendement adopté par la commission des finances sera l'occasion de le rappeler. Les besoins de nos armées devront être pris en compte - dissuasion et navalisation -, de même que la protection de la propriété intellectuelle. Les règles d'exportation doivent être clarifiées.

En effet, des voix s'élèvent en Allemagne en faveur d'une européanisation de ces règles d'exportation, qui entraînerait des risques de blocage de certains programmes. Les mêmes sujets de protection de la propriété intellectuelle et de contrôle des exportations se posent pour les projets soutenus par le Fonds européen de la défense (FED). Compte tenu des financements européens sur un certain nombre de projets, la question va se poser significativement.

La LPM sera le moment de vérité. Dans l'attente, sous réserve de ces observations et sans être naïf sur les tours de passe-passe, mon avis sur ce budget sera favorable, afin de permettre à nos armées de bénéficier de la remontée en puissance en cours.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Équipement des forces ». - Dans l'attente de la nouvelle LPM, un travail d'ensemble a été entrepris par le ministère des armées et les acteurs industriels afin de mettre en place ce qu'il est désormais convenu d'appeler une « économie de guerre ».

Deux grands objectifs sont recherchés : de la part de l'État, il s'agit de simplifier, en réduisant les exigences documentaires et en optimisant l'expression des besoins ; de la part des industriels, un réexamen de l'ensemble des cycles de production est demandé, afin de déterminer les conditions de leur accélération si cela se révélait nécessaire.

L'accent est mis sur un « top 12 » de gros objets, pour lesquels les livraisons devront pouvoir être anticipées dans le temps, à la demande du ministère, ce qui signifie que les pièces devront être stockées en amont. L'exercice a toutefois ses limites ; en l'absence de commandes, les industriels ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer.

Je rappelle que la base industrielle et technologique de défense est constituée de 4 000 entreprises alimentant 200 000 emplois directs et indirects, très peu délocalisables. Ces entreprises sont aujourd'hui confrontées à la hausse des prix de l'énergie, des matières premières et des composants. La mise en place de stocks stratégiques mutualisés, pour les composants et matières les plus critiques, s'impose. La création de filières de recyclage pour certains métaux permettrait de progresser en ce sens.

C'est une réflexion à l'échelle nationale qui doit se poursuivre, dans le sillage du rapport de Philippe Varin sur la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières minérales. Par ailleurs, il semble que le ministère envisage un dispositif de priorisation de l'industrie de défense par rapport à d'autres activités, en cas de crise, comme cela existe par exemple aux États-Unis. Ce dispositif pourrait être inscrit dans la prochaine LPM.

Le ministère des armées et la base industrielle et technologique de défense (BITD) ne sauraient toutefois porter, à eux seuls, une ambition aussi vaste que celle de mettre en place une « économie de guerre ». Une mobilisation interministérielle est nécessaire. Il s'agit d'impulser une prise de conscience, par l'ensemble de la société, de la nécessité de soutenir les activités de souveraineté.

Il faut d'abord pouvoir trouver les compétences nécessaires à ces activités. Or, toutes les industries sont aujourd'hui confrontées à une pénurie de main d'oeuvre ; par exemple, plus de 30 métiers sont en tension dans l'industrie navale. Les métiers industriels ont trop longtemps été déconsidérés, au profit du secteur tertiaire. Pourtant, les conditions de travail s'y sont améliorées, et les salaires et perspectives d'évolution sont souvent meilleurs que dans certains métiers qui recrutent à des niveaux de diplôme plus élevés.

Actuellement, 50 000 emplois sont non pourvus dans l'industrie en général ; et 200 000 emplois supplémentaires pourraient être créés s'il était possible de recruter, afin de répondre à de nouvelles commandes.

Un travail de fond doit être effectué auprès des jeunes et des femmes. Ces dernières représentent, en effet, moins de 30 % des salariés de l'industrie ; elles sont encore plus minoritaires dans les fonctions de conception et de production, ainsi que dans les postes de direction. Attirer les femmes nécessite de changer profondément l'image de l'industrie.

L'État et les régions doivent engager un grand chantier de rénovation des formations. Les industriels doivent venir à la rencontre des jeunes, y compris en dehors de leurs bassins d'emplois. Des campus de formation pourraient être créés et enrichis. Pour l'industrie de défense en particulier, constituer une réserve industrielle, fondée sur le volontariat, avec des cycles réguliers de formation, permettrait de mieux faire connaître les métiers concernés.

Enfin, le soutien des acteurs financiers privés est indispensable pour passer à l'échelle de l'« économie de guerre ». Nous avons souvent évoqué ce sujet. Malgré la guerre en Ukraine, l'industrie de défense reste confrontée au durcissement des conditions d'accès au financement des banques et fonds d'investissement.

Les 3 milliards d'euros supplémentaires du budget, dont on nous avait dit qu'ils serviraient à financer le renouvellement de la dissuasion, sont répartis entre : les programmes à effets majeurs - Scorpion et les autres ; le programme 212, « Soutien de la politique de la défense » ; les infrastructures ; les munitions et le fonctionnement.

Ce budget poursuit néanmoins la remontée en puissance prévue par la LPM en 2018 ; mon avis sera donc favorable.

M. Pierre Laurent . - La formule « économie de guerre », aujourd'hui entrée dans le langage courant, a été utilisée à de nombreuses reprises par les rapporteurs ; j'aimerais que l'on discute un jour de sa définition. Qu'entendons-nous par cette formule ? En vue de la prochaine LPM, un débat sur cette question me semble souhaitable.

M. Christian Cambon, président . - Vous avez tout à fait raison. Dans « économie de guerre », il y a « économie » et il y a aussi « guerre ».

M. Ronan Le Gleut . - Des problèmes potentiels à l'export, du fait de l'usage de crédits du fonds européen de la défense, notamment en lien avec des enjeux de propriété industrielle, ont été évoqués. Pouvez-vous préciser cet élément ?

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. - Je partage ce point de vue sur l'« économie de guerre ». Il s'agit, pour une large part, de communication. À mes yeux, « économie de guerre » devrait signifier : mesures exceptionnelles, accélération des processus de qualification, diminution des normes, aides aux entreprises afin de pouvoir s'adapter, mise en place d'une économie qui puisse répondre à des demandes immédiates. Il sera nécessaire, dans le cadre de l'examen de la LPM, que l'on définisse clairement les choses.

Le FEDef pose plusieurs questions. L'Europe apporte, dans ce cadre, une aide financière significative à des entreprises rassemblées en consortium européen. La question est de savoir qui sera ensuite titulaire de la propriété intellectuelle et qui autorisera l'exportation des armes. Il n'est pas exclu que les Allemands en profitent pour transférer l'autorisation à Bruxelles, ce qui est évidemment inacceptable pour la France. Nous devons mettre la pression sur le Gouvernement ; une part non négligeable de notre balance commerciale est en jeu.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis . - L'« économie de guerre » est définie par le Gouvernement de la façon suivante : il s'agit de la capacité à avoir une industrie de défense à même de répondre aux besoins que nous aurions en termes de production de systèmes d'armes, de munitions et de maintien en condition opérationnelle (MCO), dans le cadre d'un engagement dans un conflit majeur.

Au cours de nos prochains débats, nous devons également évoquer la place de la dissuasion. Celle-ci devait bénéficier du doublement de l'augmentation du budget ; or cela n'apparaît pas dans les différentes lignes budgétaires.

M. Christian Cambon, président . - J'ai signifié au ministre que nous ne participerions pas aux groupes travail proposés, où l'on dénombre 60 ou 70 participants. Nos réponses s'élaboreront dans le cadre de nos propres groupes de travail, dont je souligne, une fois de plus, l'importance. Tous ceux qui veulent travailler sur ces sujets sont bienvenus.

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