Avis n° 117 (2022-2023) de M. Cédric PERRIN et Mme Hélène CONWAY-MOURET , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 17 novembre 2022
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N° 117 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022 |
AVIS PRÉSENTÉ
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées
(1)
sur le projet de
loi
de
finances
,
considéré comme
|
TOME VIII DÉFENSE Équipement des forces (Programme 146) |
Par M. Cédric PERRIN et Mme Hélène CONWAY-MOURET, Sénateur et Sénatrice |
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard . |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26 Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023) |
SYNTHÈSE
Au sein de la mission défense, les crédits du programme 146 (Équipement des forces) s'élèvent à 15,4 Md€, en hausse de 6 %. Cette augmentation représente 900 M€ de crédits supplémentaires mais elle est obérée par l'inflation, dont l'impact est évalué à 460 M€. En loi de finances rectificative, le P146 subit une annulation de 321 M€ sur des crédits mis en réserve, dans un contexte de surcoûts très élevés.
L'actuelle LPM n'est plus adaptée au contexte économique et géostratégique :
- L'inflation en réduit la portée. Le recours au report de charge permet de boucler le budget par un tour de passe-passe. Mais une indexation sur l'inflation est, fondamentalement, nécessaire. En outre, la provision OPEX-MISSINT est mal dimensionnée : elle se révèle chaque année insuffisante et ne permet pas de prendre en compte le renforcement du flanc oriental de l'OTAN. Cette provision doit être rehaussée.
- La guerre en Ukraine bouleverse le contexte stratégique européen, ce qui nécessite une LPM de renouveau. Notre modèle d'armée, structuré autour de la dissuasion nucléaire et de forces expéditionnaires, doit être adapté. Un nouvel équilibre est à trouver, pour tenir compte de l'hypothèse, désormais avérée, d'une guerre de haute intensité en Europe. D'éventuels arbitrages défavorables sur de grands programmes, entraînant leur abandon ou leur ralentissement, remettraient sérieusement en cause l'ambition affichée d'une « économie de guerre ». Des lacunes doivent être comblées sur des capacités clefs. La poursuite du programme de système de combat aérien futur (SCAF) nécessite des garanties sur la préservation d'un certain nombre d'intérêts stratégiques de la France.
- Le ministère mobilise la base industrielle et technologique de défense (BITD), dans le cadre d'un travail mené avec les industriels pour rechercher des simplifications et optimiser les cycles de production. Sans commandes, toutefois, les industriels ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer. Attendre la prochaine LPM pour procéder à un certain nombre de commandes, c'est perdre un an par rapport au déclenchement de la guerre en Ukraine, alors que plusieurs pays ont déjà annoncé des efforts conséquents.
- Un engagement interministériel sur les enjeux de souveraineté et de défense est nécessaire. La pénurie de compétences nécessite de revoir en profondeur la formation. La création d'une « réserve industrielle », dans le domaine de la défense, sur la base du volontariat, permettrait de mieux faire connaître ces métiers. L'industrie n'est pas une activité du passé. Elle recouvre des métiers d'avenir, porteurs d'innovation, de souveraineté et de prospérité économique.
- Enfin, le soutien des acteurs financiers est indispensable, tant du côté des banques que des fonds d'investissement, ce qui implique de les remobiliser au service des activités de souveraineté.
Les autorisations d'engagement du P146 s'élèvent à... |
Les crédits de paiement du P146 s'élèvent à... |
en hausse de 38 %. |
en hausse de 6 %. |
I. LE DERNIER BUDGET D'UNE LPM DÉSORMAIS INSUFFISANTE ?
A. UN BUDGET CONFORME À LA LPM...
Pour 2023, le budget de la mission défense s'élève à 43,9 Md€ (hors pensions), en hausse de 3 Md€ (+7,4 %), conformément à la loi de programmation militaire (LPM) qui prévoit une progression jusqu'à 50 Md€ en 2025 .
Les crédits de paiement du programme 146 maintiennent leur dynamique de croissance : ils s'élèvent à 15,4 Md€, ce qui représente 35 % de la mission défense, et sont en augmentation de 6 % par rapport à l'an dernier. Cette augmentation représente 900 M€ de crédits supplémentaires. Les autorisations d'engagement s'élèvent à 23,6 Md€, en forte hausse (+38 %), notamment en raison de la commande de 42 appareils Rafale.
Évolution des crédits du P 146 (Mds€) depuis 2019
Au sein du programme :
Ø Les programmes à effet majeur (PEM) couvrent 55 % des crédits, soit 8,5 Mds€, en hausse de 6 %.
Ø La dissuasion représente 30 % des crédits, soit 4,6 Md€, en hausse de 6%. Ce poste augmente moins que le budget défense dans son ensemble, ce qui signifie que le renouvellement de la dissuasion n'est qu'une composante parmi d'autres de l'augmentation budgétaire.
Ø Les autres opérations d'armement (1,4 Md€ soit 9 % des crédits) sont en baisse de 1 %.
Ø Un effort particulier est réalisé sur les infrastructures (567 % M€ soit 9% des crédits), en hausse de 35 %, notamment pour la réalisation des infrastructures associées aux programmes Scorpion, MRTT, Rafale.
Détail de l'évolution des crédits (Mds€)
Crédits de paiement par opération stratégique (Mds€) |
LFI 2022 |
PLF 2023 |
Variation |
Activités opérationnelles |
0,01 |
0,01 |
+2% |
Autres opérations d'armement (AOA) |
1,4 |
1,4 |
-1% |
Dissuasion |
4,4 |
4,6 |
+6% |
Environnement des programmes d'armement |
0,14 |
0,16 |
+16% |
Fonctionnement et activités spécifiques |
0,06 |
0,06 |
+15% |
Programmes à effet majeur (PEM) |
8,1 |
8,5 |
+6% |
Infrastructures (INFRA) |
0,42 |
0,57 |
+35% |
Total |
14,5 |
15,4 |
+6% |
Au cours de l'année 2023, doivent notamment être livrés : 13 Rafale pour l'armée de l'air et de l'espace, 3 avions ravitailleurs multi-rôles MRTT, un bâtiment ravitailleur de forces pour la marine, ainsi qu'un second sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) de classe Suffren, un patrouilleur outre-mer, une frégate La Fayette rénovée et 5 hélicoptères H160. Dans le cadre du programme Scorpion, doivent être livrés : 123 Griffon (véhicule blindé multi-rôles), 119 Serval (Véhicule Blindé multi-rôle léger), 22 Jaguar (engin blindé de reconnaissance et de combat), 18 chars Leclerc rénovés. Doivent également être livrés 200 missiles moyenne portée (MMP), 100 missiles Aster 30, 20 torpilles lourdes Artemis, 31 missiles Exocet, 37 missiles Scalp rénovés, 9 pods de désignation laser, 30 missiles MIDE-Meteor, 77 remotorisation MICA, 100 fusils brouilleurs pour la lutte anti-drones, 8660 fusils d'assaut.
Parmi les commandes programmées pour 2023, on note : 42 Rafale, 420 Serval, 36 stations Syracuse IV, des lots de missiles Aster, MMP (missiles moyenne portée), et Exocet.
B. ... MAIS UNE LPM DÉSORMAIS INSUFFISANTE
Contrairement à ce que prévoyait la loi de programmation militaire 2019-2025, l'actualisation par le gouvernement de la Revue stratégique en 2021 a conduit à des ajustements hors cadre législatif , ce que la commission a vivement regretté.
Afin de financer les besoins nouveaux (renseignement, cyber, spatial, protection NRBC, santé, lutte anti-drone...), des décalages ont été opérés dans la réalisation de programmes importants tels que la capacité hydro-océanographique future (CHOF), le système de lutte anti-mine futur (SLAM-F), l'étape 2 du système de drone tactique (SDT) ou encore le programme de véhicules lourds 4-6 tonnes (FTLT).
Pour le programme Scorpion , central pour l'armée de terre, l'actualisation a conduit à réduire les objectifs à 2025 (à 45 % au lieu de 50 % de la cible totale). Un décalage d'un an de la commande et de la livraison des 32 CAESAR (camion équipé d'un système d'artillerie), et de la rénovation de 77 CAESAR, a alors été opéré.
Ajustements opérés en 2021
Programme |
Objet |
Scorpion |
Actualisation de la cible LPM à 45 % au lieu de 50 % de la cible totale à fin 2025 |
Système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F) |
Décalage d'un an des livraisons de l'étape 2. |
Capacité hydrographique et océanographique future (CHOF) |
Décalage d'un an de la phase de réalisation (qui sera lancée en 2025) |
Flotte tactique et logistique terrestre (FTLT) |
Décalage de deux ans, commande en 2024, premières livraisons en 2027 |
Système de drones tactiques (SDT) |
Décalage de l'étape 2 de 2024 à 2025 |
Avion de patrouille maritime (PATMAR) |
Décalage d'un an de la commande précédemment prévue en 2025 |
Missile moyenne portée (MMP) |
Étalement des livraisons prévues en 2024-2025 sur 2024-2026 |
CAESAR |
Décalage d'un an de la commande et de la livraison des 32 derniers CAESAR et de la rénovation de 77 CAESAR |
Avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) |
Dépassement du jalon (3 ALSR en 2025 au lieu de 2) |
Source : ministère des armées
De nouveaux ajustements ont été réalisés en 2022 , pour financer des éléments de connectivité aéronautique (MRTT, Rafale), l'accélération de la préparation de la rénovation mi-vie des frégates de défense aérienne (synchronisation avec l'Italie) et la mise en place de nouveaux programmes (frappe longue portée et maîtrise des fonds marins). L'équilibre se fait grâce à des décalages sur d'autres programmes :
Ajustements opérés en 2022
Scorpion |
Décalage de commande de véhicules SERVAL sans impact sur le calendrier de livraisons |
Système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F) |
Prise en compte du retard de la livraison du module de lutte contre les mines |
Maîtrise de l'espace |
Décalage d'un an de la phase de réalisation pour l'alerte avancée |
Frégates de défense et d'intervention (FDI) |
Prise en compte du nouveau calendrier de livraisons des frégates françaises à la suite de l'export grec. |
Chars Leclerc rénovés |
Ajustement de la répartition du jalon 2025 à 45% de SCORPION entre GRIFFON, JAGUAR, SERVAL et LECLERC |
Système de combat aérien du futur (SCAF) |
Prise en compte de l'impact du décalage en 2022 de la notification du contrat en coopération (NGWS) attendue initialement fin 2021. |
Source : ministère des armées
Plusieurs capacités manqueront le jalon 2025 prévu par la LPM : Rafale (export croate) Eurodrone (report de la commande), drone SDT (crash du Patroller), FDI (export grec), véhicules blindés légers (VBL) régénérés.
L'exécution budgétaire a été marquée, en 2022, par le contexte économique et par la guerre russe en Ukraine.
Depuis le 24 février 2022, la question de la pertinence de la LPM en cours se pose.
Alors que plusieurs pays ont annoncé des efforts conséquents, la France n'a pas encore modifié une programmation fondée sur la Revue stratégique de 2017, actualisée en 2021.
Or, en premier lieu, l'impact de l'inflation sur le budget de la mission défense, estimé à 1 Md€, représente un tiers de la hausse des crédits. C'est considérable.
Depuis le début de l'année, l'inflation a généré des surcoûts de 80 M€ sur le P146.
Pour 2023, cet effet est évalué à 460 M€. Il est pris en compte dans le PLF 2023. Ces surcoûts seront couverts :
Ø D'une part, par des retards exogènes (export de frégates, Eurodrone, SCAF) ;
Ø D'autre part, par une augmentation du report de charges au-delà de ce que prévoit la LPM. Le report de charge s'élèverait ainsi à 15 % des crédits en 2023 (soit trois points de plus que la cible de 12 % fixée par la LPM). C'est le retour de la « bosse » budgétaire, c'est-à-dire un tour de passe-passe pour boucler le budget au détriment des créanciers du ministère.
Le projet de loi de finances rectificatives , en cours d'examen, prévoit des ouvertures nettes de 1,3 Md€ en AE et près de 1,2 Md€ en CP, pour l'ensemble de la mission défense.
-Les ouvertures se décomposent de la façon suivante :
Ø 100 M€ pour le fonds spécial Ukraine (montant porté par l'Assemblée nationale à 200 M€) ;
Ø 255 M€ pour tirer les premiers enseignements de la guerre en Ukraine et financer la mise en cohérence des moyens des forces (activité, matériels de déploiement, munitions) dont 29 M€ sur le P146 ;
Ø Près de 700 M€ en AE et près de 600 M€ en CP pour financer le renforcement du flanc oriental de l'OTAN ;
Ø Près de 400 M€ en AE et en CP de surcoûts OPEX-MISSINT au-delà de la provision de 1,2 Md€ et déduction faite des financements externes ;
Ø Près de 200 M€ en AE et en CP pour les carburants opérationnels.
-Les annulations s'élèvent à 149,6 M€ sur la mission. Sur le P 146, on observe :
Ø d'une part, une ouverture de 229 M€ afin de financer le fonds spécial permettant à l'Ukraine d'acquérir des équipements de défense et de sécurité (200 M€) et l'acquisition par la DGA de munitions pour les forces françaises (29 M€) ;
Ø d'autre part, 321,4 M€ sont annulés sur des crédits mis en réserve.
Crédits 2022 modifiés par le PLFR (M€)
Mission Défense |
AE ouvertes 1450 |
CP ouverts 1326 |
AE annulées 149,6 |
CP annulés 149,6 |
Environnement et prospective de la politique de défense (P144) |
25,8 |
25,8 |
||
Préparation et emploi des forces (P178) |
1450 |
1326 |
||
Soutien de la politique de la défense (P 212) |
31,4 |
31,4 |
||
Équipement des forces (P146) |
92,4 |
92, 4 |
Source : PLFR (texte adopté par l'Assemblée nationale)
Les livraisons d'équipements et d'armements français à l'Ukraine impliquent des recomplètements. Le ministère des armées a ainsi commandé, en juillet dernier, 18 CAESAR pour remplacer les 18 exemplaires donnés à l'Ukraine (et prélevés sur un stock total de 76 unités). Leur livraison est prévue en 2024. Le ministre des armées a déclaré y consacrer une enveloppe de 85 millions d'euros, qui n'aurait pas d'impacts sur d'autres programmes. L'acquisition de 109 CAESAR de nouvelle génération (avec cabine blindée) a par ailleurs été lancée en janvier 2022.
L'actuelle LPM n'est plus adaptée au contexte économique et géostratégique. La prochaine devra prévoir une indexation sur l'inflation , un rehaussement de la provision OPEX qui se révèle, chaque année, sous-dimensionnée.
La guerre en Ukraine bouleverse le contexte stratégique européen, ce qui nécessite de repenser notre modèle d'armée, de mobiliser la base industrielle et technologique de défense. Au-delà, cet effort implique un engagement de l'ensemble de la société sur les enjeux de souveraineté.
II. « ÉCONOMIE DE GUERRE » : AU-DELÀ DU SLOGAN, UNE AMBITION À CONCRÉTISER
A. DES INQUIÉTUDES SUR LA LPM DE RENOUVEAU ATTENDUE
Notre modèle d'armée a été structuré autour de la dissuasion nucléaire et de forces expéditionnaires. Ce modèle doit être adapté pour tenir compte de la dégradation du contexte stratégique.
Un nouvel équilibre est à trouver entre la technologie, qui demeure indispensable (par exemple pour continuer à disposer d'une capacité d'entrée en premier), et la masse, qui doit être accrue.
Nos dons à l'Ukraine ont mis en évidence le caractère échantillonnaire de certaines de nos capacités , par exemple s'agissant du système CAESAR (dont nous avons donné un quart de nos stocks), ou encore pour d'autres capacités très recherchées par les Ukrainiens, qui devront être renforcées dans le cadre de la prochaine programmation :
Ø Le système sol-air moyenne portée terrestre (SAMP/T Mamba) : l'armée de l'air et de l'espace dispose de 8 systèmes et d'un nombre de missiles associés relativement limité (Aster 30). L'un de ces systèmes est déployé en Roumanie.
Ø Le système de défense sol-air à courte portée Crotale : nous disposons de 12 systèmes, dont quelques exemplaires livrés à l'Ukraine.
Ø ou encore le lance-roquettes unitaires (LRU) : nous en avons 12, dont 8 opérationnels.
Ce conflit, comme précédemment celui du Haut-Karabagh, a montré le rôle central des forces terrestres et de certaines capacités sur lesquelles un effort particulier doit être entrepris.
Ø La prochaine LPM doit permettre de poursuivre le programme Scorpion , qui est bien engagé, mais dont seulement 17 % des véhicules sont livrés fin 2022.
Ø Des capacités doivent également être constituées dans le domaine des camions de transport , du déminage , du franchissement ou encore dans la défense sol-air de proximité .
Ø La capacité sol-air basse couche (Crotale, Mistral) doit être renouvelée.
Ø Les capacités de suppression des défenses aériennes adverses (SEAD) doivent être renforcées,
Ø de même que la protection contre la menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC).
Ø Le retard de la France dans le domaine des drones doit être comblé, ce qui implique notamment de ne pas rater le tournant de la dronisation navale et de permettre aux industriels français de monter en compétence dans ce domaine.
Des acquisitions « sur étagère » ne sauraient toutefois être totalement exclues, même s'il faut en mesurer les conséquences sur notre souveraineté, par exemple, à titre intérimaire, pour l'intervention dans les grands fonds marins , voire, après examen, pour la frappe longue portée terrestre , la défense sol-air ou la lutte anti-drones.
La nouvelle LPM devra également préserver les « autres opérations d'armement » (AOA) qui forment l'épaisseur des forces des trois armées.
Le nécessaire renforcement du soutien (MCO, munitions) ne doit pas se faire au détriment des besoins capacitaires , c'est-à-dire par un jeu de vases communicants entre P146 et P178.
D'éventuels arbitrages défavorables sur certains programmes majeurs, qui entraîneraient un ralentissement du rythme de modernisation des armées , seraient très préjudiciables. Une accélération est, au contraire, souhaitable. Des informations parues dans la presse, non confirmées à ce stade, font état de réflexions sur l'abandon possible du programme Tigre standard 3, et de ralentissements envisagés sur des programmes aussi majeurs que Scorpion, FDI (frégates de défense et d'intervention) et Rafale. Si ces informations étaient confirmées, elles remettraient sérieusement en cause l'ambition affichée de mise en place d'une « économie de guerre ».
Pour l'avenir, les incertitudes sur le Main Ground Combat system (MGCS), et le report, au-delà de 2045, du programme CIFS ( Common indirect fire system ) sont inquiétants. Il s'agit en effet, avec ces programmes, de trouver des successeurs au char Leclerc, au système CAESAR, ou encore au LRU.
Alors qu'un accord entre industriels a pu être trouvé sur le Système de combat aérien futur (SCAF), le chemin à parcourir est encore long. La vigilance doit rester de mise, après l'annonce, en début d'année 2022, de l'achat par l'Allemagne de trente-cinq F35 américains. Le gouvernement doit donner des garanties sur la préservation d'un certain nombre d'intérêts stratégiques de la France dans ce programme dont elle est chef de file : prise en compte des besoins de nos armées (dissuasion, navalisation), protection de la propriété intellectuelle de l'industrie française, clarification des règles d'exportation. Sur ce dernier point, des voix s'élèvent en Allemagne en faveur d'une européanisation des règles d'exportation qui pose de nombreuses questions puisqu'elle entraînerait des risques de blocages très élevés, sur une question de souveraineté demeurant fondamentalement de la responsabilité des États.
Les mêmes sujets de protection de la propriété intellectuelle et de contrôle des exportations se posent, du reste, pour les projets soutenus par le Fonds européen de la défense (FEDef).
B. UNE MOBILISATION DE LA BASE INDUSTRIELLE ET TECHNOLOGIQUE DE DÉFENSE A CONCRÉTISER PAR DES COMMANDES
La base industrielle et technologique de défense (BITD) française est constituée d'une dizaine de grandes entreprises qui structurent autour d'elles un tissu de 4000 entreprises de toute taille, majoritairement des PME, souvent duales. Ces entreprises représentent 200 000 emplois directs et indirects , qui irriguent les territoires. Suite à la crise engendrée par la pandémie de covid-19, un soutien spécifique a été apporté à ce tissu industriel par le ministère des armées : accélération de paiements, anticipation de commandes, mise en place d'une task-force de sauvegarde de la BITD qui a ensuite été pérennisée.
La crise ukrainienne a entraîné des difficultés supplémentaires, en raison de l'augmentation des coûts de l'énergie et de la hausse des prix et la raréfaction des matières premières et composants . Les formules de révision de prix des contrats d'armement se révèlent souvent inadaptées dans ce contexte nouveau, ayant été établies à une époque où l'inflation était négligeable.
On note par exemple :
Ø des délais d'approvisionnement d'un à deux ans pour des composants électroniques ;
Ø une saturation possible des fournisseurs européens de poudres propulsives ;
Ø Des inquiétudes sur le titane, dont 40 % de la consommation française provient de Russie ;
Ø Une augmentation de 60 % du prix de l'aluminium, et de 65 % de celui de l'acier, sur les deux premiers trimestres 2022.
La mise en place de stocks stratégiques , pour les composants et matières premières les plus critiques, se révèle nécessaire afin d'assurer la continuité des activités industrielles en cas de crise. La création de filières de recyclage permettrait de progresser en ce sens.
Un dispositif de priorisation de l'industrie de défense , vis-à-vis d'autres activités, en cas de crise, est à l'étude et pourrait être inscrit dans la prochaine LPM.
Des relocalisations sont, en outre, nécessaires, sur des activités de souveraineté. Le gouvernement étudierait notamment cette hypothèse s'agissant de la production de poudre pour les obus de gros calibre.
Un travail d'ensemble a été entrepris par le ministère des armées et les acteurs industriels, suite au discours du Président de la République à Eurosatory (juin 2022), annonçant « l'entrée dans une économie de guerre ». Deux séminaires ont réuni l'ensemble des acteurs les 7 septembre et 8 novembre derniers. Cinq groupes de travail ont été mis en place.
Deux grands objectifs sont poursuivis :
Ø Du côté de l'État : une réduction de 20 % des exigences documentaires demandées dans les programmes d'armement est recherchée, ainsi qu'une simplification de l'expression des besoins. Il s'agit de trouver la juste performance nécessaire au regard du coût des programmes.
Ø Du côté des industriels : l'accent doit être mis sur l'optimisation des cycles de production dans l'hypothèse où un engagement majeur imposerait une accélération.
« Économie de guerre » : les actions en cours
Approvisionnement |
• Élaboration de plans d'action sous-traitant par sous-traitant • Constitution de stocks de matières premières ou de pièces détachées, notamment celles soumises à un long délai d'approvisionnement • Relocalisations pour faciliter l'approvisionnement |
Normes |
• Réflexion à partir du dispositif américain de « priorisation » : capacité, en cas de besoin, de prioriser les commandes défense par rapport aux commandes civiles |
Financement |
• Encouragement à la constitution/la consolidation de fonds spécialisés dans la souveraineté : encourager la constitution d'ETI de défense • Travail en cours avec Bercy sur l'épargne des particuliers |
Source : ministère des armées
Dans le cadre de ce travail avec les industriels, l'accent est mis sur douze gros objets ( « top 12 » ), qui doivent faire l'objet d'un effort particulier dans la prochaine LPM. Pour ces objets, les livraisons devront pouvoir être anticipées dans le temps si cela se révélait nécessaire (ce qui nécessite donc de disposer des pièces en amont). Un « top 20 » doit prochainement permettre de traiter huit nouvelles munitions.
Sans commandes, toutefois, les industriels ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer. Attendre la prochaine LPM, c'est déjà perdre un an par rapport au déclenchement de la guerre en Ukraine.
C. UNE AMBITION QUI IMPLIQUE UN ENGAGEMENT DE L'ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ
Le ministère des armées ne saurait porter, seul, une ambition telle que celle traduite par l'expression « économie de guerre ». Une mobilisation interministérielle est nécessaire et, au-delà, une prise de conscience, par l'ensemble de la société, de la nécessité de soutenir les activités de souveraineté.
Toutes les industries sont aujourd'hui confrontées à une pénurie de main d'oeuvre.
Tous les secteurs sont concernés.
Ainsi, par exemple, plus de trente métiers sont en tension dans l'industrie navale.
Un travail de fond doit être effectué sur l'attractivité des métiers industriels, notamment en direction des jeunes et des femmes.
Les femmes représentent moins de 30% des salariés de l'industrie. Elles occupent majoritairement des fonctions support et sont souvent exclues de la conception et de la production. Elles sont peu présentes dans les fonctions de direction (environ 15% des comités exécutifs).
@DGE (Semaine de l'industrie 21-27 novembre 2022
Les métiers industriels ont trop longtemps été déconsidérés au profit du secteur tertiaire. Pourtant, les conditions de travail dans l'industrie se sont améliorées, et les salaires et perspectives d'évolution sont souvent meilleurs que dans d'autres métiers recrutant avec des diplômes de niveau plus élevé.
50 000 emplois ne sont actuellement pas pourvus dans l'industrie et 200 000 emplois supplémentaires pourraient être créés s'il était possible de recruter pour répondre à de nouvelles commandes.
Il est urgent de faire savoir que l'industrie n'est pas une activité du passé , mais qu'elle recouvre, au contraire des métiers d'avenir, porteurs d'innovation, de souveraineté et de prospérité économique , y compris dans des domaines souvent méconnus comme celui de l'industrie de défense terrestre.
En conséquence, c'est toute la stratégie nationale de formation qui doit être revue, ce qui nécessite une forte implication des ministères respectivement en charge de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de l'économie, et du travail, ainsi que des régions .
Les industriels doivent venir à la rencontre des jeunes dans les établissements scolaires, y compris en dehors des bassins d'emploi traditionnels , et mieux communiquer sur l'évolution des conditions de travail, sur les rémunérations et perspectives de carrière, en amont des décisions d'orientation (classes de troisième et de terminale) ; des campus de formation doivent être structurés ou enrichis.
Pour l'industrie de défense, constituer une « réserve industrielle », fondée sur le volontariat , avec des cycles réguliers de formation, permettrait de mieux faire connaître les métiers concernés. Ce vivier de personnel pourrait être mobilisé rapidement en cas de crise.
Enfin, le soutien des acteurs financiers privés est indispensable , pour passer à l'échelle de l' « économie de guerre », ce qui implique une vigilance particulière vis-à-vis des initiatives réglementaires européennes en matière environnemental, social et de gouvernance (ESG) et de taxonomie.
Cela passe d'abord par une mobilisation des acteurs financiers, indispensable à la montée en puissance du tissu industriel. Or, malgré la guerre en Ukraine, l'industrie de défense reste confrontée au durcissement des conditions d'accès au financement des banques et fonds d'investissement.
Le mercredi 23 novembre 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission défense dans le projet de loi de finances pour 2023.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 23 novembre 2022, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 146 - Équipement des forces - de la mission « Défense ».
M. Christian Cambon, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense ».
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Équipement des forces ». - Les crédits du programme 146 s'élèvent à 15,4 milliards d'euros pour 2023 ; ils augmentent de 6 %, ce qui représente 900 millions d'euros de crédits supplémentaires. Ce budget est conforme à la loi de programmation militaire (LPM). Les crédits des programmes à effets majeurs et ceux de la dissuasion augmentent de 6 %. Un effort particulier est réalisé sur les infrastructures, avec une hausse de 35 % pour l'accueil des programmes Scorpion, MRTT et Rafale qui vont monter en puissance.
Il apparaît désormais que la LPM, en raison du nouveau contexte économique et géostratégique, est insuffisante. Concernant le contexte économique, la crise du covid puis celle en Ukraine ont été absorbées à LPM constante. L'effet de l'inflation sur le programme 146 est évalué à 460 millions d'euros en 2023. Cet effet doit être couvert par des retards exogènes sur certains programmes et par le mécanisme du report de charge, dont je rappelle qu'il est, pour une large part, un tour de passe-passe afin de boucler le budget. On assiste au retour de la « bosse budgétaire », au détriment des créanciers du ministère. C'est pourquoi la prochaine LPM devra prévoir un mécanisme d'indexation pour pallier les effets de l'inflation.
La dégradation du contexte géostratégique entraîne, par ailleurs, des surcoûts très élevés : 600 millions d'euros pour le renforcement du flanc oriental de l'Otan ; et 400 millions d'euros pour les opérations extérieures (Opex) de la France et les missions intérieures (Missint) - ce qui porte le budget, en cumulé, à 2,2 milliards d'euros. Ces surcoûts sont financés par des ouvertures nettes de crédits qui n'en couvrent toutefois pas la totalité. Un reliquat de l'ordre de 400 millions d'euros reste à la charge du ministère.
La provision des Opex prévue dans la LPM n'est désormais plus adaptée ; elle devra être revue, aussi bien dans son format que dans son montant.
Dans le cadre du programme 146, 200 millions d'euros sont ouverts pour le fonds spécial de soutien à l'Ukraine et 29 millions d'euros pour l'acquisition de munitions par la direction générale de l'armement (DGA) ; mais 321 millions d'euros sont, par ailleurs, annulés sur des crédits mis en réserve. Au sujet des munitions, des industriels auditionnés nous ont informés qu'il n'y avait encore eu aucune commande.
M. Christian Cambon, président . - Il faudra poser la question au Délégué général pour l'armement qui sera auditionné la semaine prochaine.
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. - Nous n'y manquerons pas...
La guerre en Ukraine impose une LPM de renouveau. Nous aurons déjà au moins un an de retard lorsqu'elle sera promulguée, alors que nombre de nos partenaires ont annoncé un effort conséquent dès l'après-24 février. Notre modèle d'armée reste structuré autour de la dissuasion nucléaire et de forces expéditionnaires. Ce modèle doit être complété pour tenir compte de la possibilité, désormais avérée, d'une guerre de haute intensité en Europe.
D'éventuels arbitrages défavorables sur de grands programmes, dont la presse se fait écho, remettraient sérieusement en cause l'ambition affichée d'une « économie de guerre ». Je vous donne un exemple : l'an dernier, dans le cadre d'une mission à Madrid, nous avions évoqué avec les Espagnols le projet de modernisation du Tigre 3, afin de pallier les carences allemandes sur ce sujet ; si les assertions de la presse se révèlent exactes et que le Tigre 3 est effectivement abandonné par la France pour des raisons budgétaires, nous aurons bonne mine d'avoir sollicité les Espagnols.
Alors qu'on s'attendrait à une accélération, on n'entend en effet parler que de recherche d'économies, ce qui est pour le moins paradoxal. Il est d'ores et déjà acquis que plusieurs capacités n'atteindront pas le jalon 2025 fixé par la LPM : le format Rafale air, en raison de l'export croate ; les frégates de défense et d'intervention, en raison de l'export grec ; ou encore l'Eurodrone - annoncé aujourd'hui pour 2030, alors que sa livraison était prévue pour 2025 -, le système de drones tactiques et les véhicules blindés légers régénérés.
Un effort particulier doit, en outre, être rapidement entrepris sur nos lacunes qui sont connues : dans le domaine des camions de transport, des moyens de déminage et de franchissement, en matière de défenses sol-air, de suppression des défenses aériennes adverses et, bien sûr, concernant les drones, domaine dans lequel nous accusons un retard considérable.
Des acquisitions sur étagère se révèleront probablement inéluctables ; encore faut-il bien en examiner les conséquences sur notre souveraineté.
Dans un désordre qui en dit long, un accord entre industriels est annoncé concernant le Scaf. Au-delà des effets d'annonces, le Gouvernement doit donner des garanties sur la préservation d'un certain nombre d'intérêts stratégiques de la France. L'amendement adopté par la commission des finances sera l'occasion de le rappeler. Les besoins de nos armées devront être pris en compte - dissuasion et navalisation -, de même que la protection de la propriété intellectuelle. Les règles d'exportation doivent être clarifiées.
En effet, des voix s'élèvent en Allemagne en faveur d'une européanisation de ces règles d'exportation, qui entraînerait des risques de blocage de certains programmes. Les mêmes sujets de protection de la propriété intellectuelle et de contrôle des exportations se posent pour les projets soutenus par le Fonds européen de la défense (FED). Compte tenu des financements européens sur un certain nombre de projets, la question va se poser significativement.
La LPM sera le moment de vérité. Dans l'attente, sous réserve de ces observations et sans être naïf sur les tours de passe-passe, mon avis sur ce budget sera favorable, afin de permettre à nos armées de bénéficier de la remontée en puissance en cours.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Équipement des forces ». - Dans l'attente de la nouvelle LPM, un travail d'ensemble a été entrepris par le ministère des armées et les acteurs industriels afin de mettre en place ce qu'il est désormais convenu d'appeler une « économie de guerre ».
Deux grands objectifs sont recherchés : de la part de l'État, il s'agit de simplifier, en réduisant les exigences documentaires et en optimisant l'expression des besoins ; de la part des industriels, un réexamen de l'ensemble des cycles de production est demandé, afin de déterminer les conditions de leur accélération si cela se révélait nécessaire.
L'accent est mis sur un « top 12 » de gros objets, pour lesquels les livraisons devront pouvoir être anticipées dans le temps, à la demande du ministère, ce qui signifie que les pièces devront être stockées en amont. L'exercice a toutefois ses limites ; en l'absence de commandes, les industriels ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer.
Je rappelle que la base industrielle et technologique de défense est constituée de 4 000 entreprises alimentant 200 000 emplois directs et indirects, très peu délocalisables. Ces entreprises sont aujourd'hui confrontées à la hausse des prix de l'énergie, des matières premières et des composants. La mise en place de stocks stratégiques mutualisés, pour les composants et matières les plus critiques, s'impose. La création de filières de recyclage pour certains métaux permettrait de progresser en ce sens.
C'est une réflexion à l'échelle nationale qui doit se poursuivre, dans le sillage du rapport de Philippe Varin sur la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières minérales. Par ailleurs, il semble que le ministère envisage un dispositif de priorisation de l'industrie de défense par rapport à d'autres activités, en cas de crise, comme cela existe par exemple aux États-Unis. Ce dispositif pourrait être inscrit dans la prochaine LPM.
Le ministère des armées et la base industrielle et technologique de défense (BITD) ne sauraient toutefois porter, à eux seuls, une ambition aussi vaste que celle de mettre en place une « économie de guerre ». Une mobilisation interministérielle est nécessaire. Il s'agit d'impulser une prise de conscience, par l'ensemble de la société, de la nécessité de soutenir les activités de souveraineté.
Il faut d'abord pouvoir trouver les compétences nécessaires à ces activités. Or, toutes les industries sont aujourd'hui confrontées à une pénurie de main d'oeuvre ; par exemple, plus de 30 métiers sont en tension dans l'industrie navale. Les métiers industriels ont trop longtemps été déconsidérés, au profit du secteur tertiaire. Pourtant, les conditions de travail s'y sont améliorées, et les salaires et perspectives d'évolution sont souvent meilleurs que dans certains métiers qui recrutent à des niveaux de diplôme plus élevés.
Actuellement, 50 000 emplois sont non pourvus dans l'industrie en général ; et 200 000 emplois supplémentaires pourraient être créés s'il était possible de recruter, afin de répondre à de nouvelles commandes.
Un travail de fond doit être effectué auprès des jeunes et des femmes. Ces dernières représentent, en effet, moins de 30 % des salariés de l'industrie ; elles sont encore plus minoritaires dans les fonctions de conception et de production, ainsi que dans les postes de direction. Attirer les femmes nécessite de changer profondément l'image de l'industrie.
L'État et les régions doivent engager un grand chantier de rénovation des formations. Les industriels doivent venir à la rencontre des jeunes, y compris en dehors de leurs bassins d'emplois. Des campus de formation pourraient être créés et enrichis. Pour l'industrie de défense en particulier, constituer une réserve industrielle, fondée sur le volontariat, avec des cycles réguliers de formation, permettrait de mieux faire connaître les métiers concernés.
Enfin, le soutien des acteurs financiers privés est indispensable pour passer à l'échelle de l'« économie de guerre ». Nous avons souvent évoqué ce sujet. Malgré la guerre en Ukraine, l'industrie de défense reste confrontée au durcissement des conditions d'accès au financement des banques et fonds d'investissement.
Les 3 milliards d'euros supplémentaires du budget, dont on nous avait dit qu'ils serviraient à financer le renouvellement de la dissuasion, sont répartis entre : les programmes à effets majeurs - Scorpion et les autres ; le programme 212, « Soutien de la politique de la défense » ; les infrastructures ; les munitions et le fonctionnement.
Ce budget poursuit néanmoins la remontée en puissance prévue par la LPM en 2018 ; mon avis sera donc favorable.
M. Pierre Laurent . - La formule « économie de guerre », aujourd'hui entrée dans le langage courant, a été utilisée à de nombreuses reprises par les rapporteurs ; j'aimerais que l'on discute un jour de sa définition. Qu'entendons-nous par cette formule ? En vue de la prochaine LPM, un débat sur cette question me semble souhaitable.
M. Christian Cambon, président . - Vous avez tout à fait raison. Dans « économie de guerre », il y a « économie » et il y a aussi « guerre ».
M. Ronan Le Gleut . - Des problèmes potentiels à l'export, du fait de l'usage de crédits du fonds européen de la défense, notamment en lien avec des enjeux de propriété industrielle, ont été évoqués. Pouvez-vous préciser cet élément ?
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. - Je partage ce point de vue sur l'« économie de guerre ». Il s'agit, pour une large part, de communication. À mes yeux, « économie de guerre » devrait signifier : mesures exceptionnelles, accélération des processus de qualification, diminution des normes, aides aux entreprises afin de pouvoir s'adapter, mise en place d'une économie qui puisse répondre à des demandes immédiates. Il sera nécessaire, dans le cadre de l'examen de la LPM, que l'on définisse clairement les choses.
Le FEDef pose plusieurs questions. L'Europe apporte, dans ce cadre, une aide financière significative à des entreprises rassemblées en consortium européen. La question est de savoir qui sera ensuite titulaire de la propriété intellectuelle et qui autorisera l'exportation des armes. Il n'est pas exclu que les Allemands en profitent pour transférer l'autorisation à Bruxelles, ce qui est évidemment inacceptable pour la France. Nous devons mettre la pression sur le Gouvernement ; une part non négligeable de notre balance commerciale est en jeu.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis . - L'« économie de guerre » est définie par le Gouvernement de la façon suivante : il s'agit de la capacité à avoir une industrie de défense à même de répondre aux besoins que nous aurions en termes de production de systèmes d'armes, de munitions et de maintien en condition opérationnelle (MCO), dans le cadre d'un engagement dans un conflit majeur.
Au cours de nos prochains débats, nous devons également évoquer la place de la dissuasion. Celle-ci devait bénéficier du doublement de l'augmentation du budget ; or cela n'apparaît pas dans les différentes lignes budgétaires.
M. Christian Cambon, président . - J'ai signifié au ministre que nous ne participerions pas aux groupes travail proposés, où l'on dénombre 60 ou 70 participants. Nos réponses s'élaboreront dans le cadre de nos propres groupes de travail, dont je souligne, une fois de plus, l'importance. Tous ceux qui veulent travailler sur ces sujets sont bienvenus.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
I - Auditions de la commission
Mardi 11 octobre 2022
- M. Sébastien Lecornu , ministre des Armées.
Mercredi 19 octobre 2022
- Général d'armée Thierry Burkhard , chef d'état-major des armées ;
- Général d'armée Pierre Schill , chef d'état-major de l'armée de terre.
Mercredi 26 octobre 2022
- Amiral Pierre Vandier , chef d'état-major de la marine.
Mercredi 16 novembre 2022
- Général d'armée aérienne Stéphane Mille , chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace.
II - Auditions par les rapporteurs
Mardi 8 novembre 2022
- Institut français des relations internationales (IFRI) : M. Léo Péria-Peigné , chercheur ;
- Groupement des Industries Françaises de Défense et de Sécurité Terrestres et Aéroterrestres (GICAT) : MM. Marc Darmon , président, Général (2s), Jean-Marc Duquesne , délégué général, Axel Nicolas , directeur Affaires publiques et Europe.
Mardi 15 novembre 2022
- État-major des armées : général de corps d'armée Vincent Pons , sous-chef plans, le colonel Damien Rouille , assistant exécutif, le colonel Yann Bourion , de la division plans programmes évaluation, le colonel Emmanuel Durville , chargé des relations avec le Parlement, M. Samuel Potier , stagiaire ;
- Groupement des Industries de Construction et Activités Navales (GICAN) : MM. Pierre-Eric Pommelet , président, Philippe Missoffe , délégué général, Jean-Marie Dumon , délégué défense et sécurité et Mme Apolline Chorand , déléguée aux Affaires publiques et à la communication ;
- Dassault Aviation : MM. Éric Trappier , président-directeur général et Bruno Giorgianni , directeur des affaires publiques et sûreté ;
- MBDA France : MM. Jean-René Gourion , directeur général délégué, Amiral Hervé de Bonnaventure , conseiller militaire auprès du PDG, et Mme Sarah-Caroline Leforestier , chargée des relations parlementaires, cellule Affaires publiques.
Contributions écrites :
- Airbus
- Comité Richelieu