F. LA DÉCONJUGALISATION DE L'ALLOCATION ADULTE HANDICAPÉ (AAH) : UNE VOLONTÉ DE RENFORCER L'AUTONOMIE ENFIN ENTENDUE (ARTICLE 5 BIS)
Introduit par voie d'amendements déposés par huit groupes politiques de l'Assemblée nationale (Les Républicains, Socialistes et apparentés, Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires, Gauche démocrate et républicaine - NUPES, Écologistes - NUPES, Horizons, La France Insoumise - NUPES, Démocrate, Renaissance) et la rapporteure de la commission des affaires sociales, après avis favorable du Gouvernement, l'article 5 bis du présent projet de loi prévoit une mesure de « déconjugalisation » de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
L'allocation aux adultes handicapés
L'allocation aux adultes handicapés (AAH) est un minimum social versé, sous conditions de ressources, aux personnes handicapées de plus de vingt ans 64 ( * ) . Elle est subsidiaire par rapport à d'autres prestations, comme les pensions d'invalidité, les rentes d'accident du travail ou les avantages vieillesse. Elle peut se cumuler avec des ressources personnelles, y compris des revenus d'activité 65 ( * ) , dans la limite d'un plafond fixé à à 919,86 euros par mois pour une personne seule sans enfant depuis le 1 er avril 2020 66 ( * ) .
Afin de bénéficier de l'AAH, la personne handicapée doit être atteinte :
- soit d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % (« AAH 1 ») ;
- soit d'un taux d'incapacité compris entre 50 % et 80 %, et présenter une restriction substantielle et durable 67 ( * ) pour l'accès à l'emploi (RSDAE) ne pouvant être compensée par des mesures d'aménagement du poste du travail (« AAH 2 »).
Ces conditions sont appréciées par les commissions départementales des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) après instruction par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
Les crédits prévus en loi de finances pour 2022 au titre de l'AAH s'élevaient à 11,8 milliards d'euros .
Source : commission des finances du Sénat
1. La conjugalisation, un frein à l'autonomie
Comme les autres minima sociaux, l'AAH est en effet « conjugalisé » au sens où les ressources prises en compte pour le calcul de l'allocation sont celles du ménage. Ainsi, en application de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, il est précisé que l'AAH « peut se cumuler avec les ressources personnelles de l'intéressé et, s'il y a lieu, de son conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité dans la limite d'un plafond fixé par décret, qui varie selon qu'il est marié, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité et a une ou plusieurs personnes à sa charge ».
Il est toutefois à noter que l'article 202 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 avait remplacé le mécanisme existant d'abattement proportionnel de 20 % sur les revenus perçus par le conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité qui n'est pas allocataire de l'AAH par un dispositif d'abattement forfaitaire de 5 000 euros, auquel s'ajoute un abattement de 1 100 euros par enfant du foyer. Cette mesure avait représenté un coût estimé à 185 millions d'euros pour l'État. Comme l'avaient cependant relevé les rapporteurs spéciaux Arnaud Bazin et Éric Bocquet 68 ( * ) , ce dispositif « ne saurait en aucun cas être assimilé à une réelle déconjugalisation de l'AAH, soit l'absence totale de prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation ».
Les rapporteurs spéciaux ajoutaient qu' « une telle évolution est défendue par les associations représentant les personnes en situation de handicap - entendues sur ce point par les rapporteurs spéciaux. Celle-ci témoignerait de la pleine reconnaissance de la spécificité du public ciblé par l'AAH, qui, en raison de son montant et de ses conditions d'accès plus favorables, ne saurait être regardée comme un minimum social comme un autre. Elle permettrait de clarifier la nature du dispositif en faisant de l'AAH une véritable prestation de compensation de l'éloignement de l'emploi provoqué par le handicap, et d'accès à l'autonomie. En risquant d'accroître la dépendance de la personne handicapée aux revenus de son conjoint, la conjugalisation constitue en effet un frein à cette logique d'autonomie ».
2. Un dispositif qui intègre les observations du Sénat
La proposition de déconjugalisation de l'AAH a fait l'objet de la première pétition à recueillir plus de 100 000 signatures sur la plateforme dédiée du Sénat en février 2021. L'atteinte de ce seuil a entraîné l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale 69 ( * ) . Le Sénat a adopté dans ce cadre une disposition tendant à la déconjugalisation de l'AAH en première lecture le 9 mars 2021. En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a ensuite modifié le texte en adoptant un dispositif d'abattement forfaitaire identique à celui de l'article 202 de la loi de finances initiale pour 2021, avant que le Sénat ne rétablisse sa version dans le texte adopté le 12 octobre 2021.
L'application automatique de la déconjugalisation peut s'avérer cependant problématique. En effet, comme le souligne le rapport de Philippe Mouiller sur la proposition de loi précitée 70 ( * ) : « alors qu'environ 270 000 bénéficiaires de l'AAH sont aujourd'hui en couple, un grand nombre de ménages, de l'ordre de 196 000, gagneraient certes à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint, mais cette mesure ferait aussi un grand nombre de ménages perdants, environ 44 000, dont 21 % perdraient totalement le bénéfice de la prestation. De plus, la déconjugalisation creuserait les inégalités de niveau de vie puisque les ménages perdants se trouvent dans tous les déciles de niveau de vie jusqu'au septième, tandis que les gains seraient plus concentrés entre les troisième et cinquième déciles. Les gagnants appartenant aux neuvième et dixième déciles de niveau de vie, quoique peu nombreux - 13 000 -, seraient même les plus grands bénéficiaires de la mesure, avec un gain moyen mensuel de 500 euros. ».
Le texte adopté par le Sénat le 12 octobre 2021 prévoyait, pour cette raison, la mise en place d'un mécanisme transitoire en faveur des actuels bénéficiaires de l'AAH qui perdraient à la déconjugalisation de la prestation : pendant dix ans, ils pourront choisir de continuer à bénéficier de l'AAH, tant qu'ils en remplissent les conditions, selon les modalités de calcul applicables aujourd'hui.
Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale à l'article 5 bis intègre ce mécanisme de droit d'option. Ses modalités sont même légèrement plus favorables puisque ce droit s'appliquerait jusqu'à extinction des droits des bénéficiaires. Après s'y être opposée tout au long du précédent quinquennat, la majorité présidentielle à l'Assemblée nationale a donc fini par se rallier à la position du Sénat, dans l'intérêt des personnes en situation de handicap.
D'après les estimations du Gouvernement, le coût global de la mesure pour l'État serait de 560 millions d'euros en année pleine , dont 160 millions d'euros liés à l'application du droit d'option. Le dispositif serait opérant au 1 er octobre 2023.
* 64 Ou plus de 16 ans pour un jeune qui n'est plus considéré à la charge des parents pour le bénéfice des prestations familiales .
* 65 Les modalités de cumul de l'allocation avec des revenus d'activité sont précisées par le décret n° 2010-1403 du 12 novembre 2010, et visent à encourager l'accès durable à l'emploi : pendant six mois au maximum à compter de la reprise d'un emploi, puis partiel sans limite dans le temps.
* 66 Ce plafond est multiplié par 1,81 pour un couple et majoré de 50 % par enfant à charge.
* 67 Elle est durable dès lors qu'elle est d'une durée prévisible d'au moins un an à partir du dépôt de la demande.
* 68 Annexe « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 163 (2021-2022) de MM. Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 novembre 2021
* 69 Proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale déposée par les députés Jeanine Dubié, Charles de Courson, Yannick Favennec et plusieurs de leurs collègues le 30 décembre 2019.
* 70 Rapport n° 400 (2020-2021) de M. Philippe Mouiller, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 3 mars 2021.