EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 31 mars 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis, sur la proposition de loi n° 389 (2020-2021) tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique, présentée par M. Daniel Gremillet.

M. Claude Raynal , président . - Nous examinons le rapport pour avis de Mme Christine Lavarde sur la proposition tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique. La commission des affaires économiques a souhaité nous déléguer l'examen au fond du volet fiscal de cette proposition de loi, composé des articles 12 à 16. Je salue la présence parmi nous du rapporteur de la commission des affaires économiques Patrick Chauvet.

Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Je vais rappeler quelques chiffres sur la filière hydroélectrique, première source d'énergie renouvelable, comprenant l'énergie des lacs, des cours d'eau et des marais, sachant que seuls les cours d'eau nous intéressent ce matin.

La filière hydroélectrique représente 13,5 % de la consommation électrique française. Cette source présente la spécificité d'être très dépendante, comme l'éolien et le photovoltaïque, des conditions météorologiques.

Le parc français est composé de 2 500 installations, dont 400 sous le régime de la concession. Ces concessions, propriété de l'État, mais gérées par un partenaire privé, concernent les installations de plus de 4,5 mégawatts . Elles représentent 90 % de la puissance totale du parc ; il n'en sera pas question dans le texte ce matin.

Les 2 100 installations plus particulièrement visées par la proposition de loi dépendent du régime de l'autorisation environnementale. D'une puissance installée inférieure à 4,5 mégawatts, elles reçoivent une autorisation d'exploitation délivrée par le préfet pour une durée limitée.

La commission de régulation de l'énergie (CRE) a publié, en janvier 2020, une étude économique du secteur, permettant de comprendre l'hétérogénéité de la filière à la fois dans ses coûts et sa rentabilité.

Les coûts d'investissements varient entre 2 100 et 5 600 euros par kilowatt pour 75 % des installations neuves ; les coûts de fonctionnement, quant à eux, varient entre 50 et 180 euros par kilowatt, et le productible annuel va de 2 000 à 4 300 heures « équivalent pleine puissance ». Cela donne des coûts de production fluctuant entre 37 et 200 euros par mégawattheure (MWh) pour les installations neuves, et toujours inférieurs à 100 euros par MWh pour les installations rénovées.

Dans les conclusions établies par la CRE, 50 % des installations hydrauliques ont un taux de rentabilité avant impôt insuffisant, voire négatif. Dans le même temps, 35 % de ces installations ont des rentabilités jugées excessives. On comprend, après ce panorama de la filière, qu'il sera difficile de pouvoir adopter des mesures homogènes.

Autre point important à prendre en compte : les contraintes environnementales pesant sur ces installations, comme le classement des cours d'eau instauré par la loi de décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema). Les cours d'eau sont classés en deux catégories. Les exploitants, s'ils veulent continuer à pouvoir utiliser le productible hydroélectrique, doivent réaliser des dispositifs permettant la dévalaison et la montaison, facilitant le passage des poissons et des sédiments dans les deux sens.

Ces contraintes génèrent des coûts importants pour les producteurs. Ainsi, pour une petite installation de 1 mégawatt, le coût d'investissement total varie entre 2 et 5 millions d'euros ; et le coût d'une simple passe à poissons s'élève à plusieurs centaines de milliers d'euros. Les installations faisant l'objet d'une rénovation, pour avoir de nouveau l'autorisation d'exploiter, doivent se conformer à la règlementation environnementale.

Ces installations, comme vous l'avez compris, ne sont pas rentables en elles-mêmes ; elles bénéficient de dispositifs de soutien.

Les plus grandes - celles sous le régime de la concession - vendent leur électricité au prix du marché. Pour les moins rentables, on a créé un dispositif de complément de rémunération ; je ne m'y attarde pas, ces installations ne sont pas concernées par la proposition de loi.

Les plus petites - moins de 1 mégawatt - se tournent vers un « guichet ouvert ». Dès qu'elles obtiennent leur autorisation d'exploiter, elles peuvent bénéficier d'un dispositif de soutien qui peut prendre deux formes, suivant la puissance de l'installation et son statut (neuf ou rénové) : soit une obligation d'achat, soit un contrat de complément de rémunération.

Les nouvelles installations comprises entre 1 et 4,5 mégawatts peuvent bénéficier d'un dispositif de soutien, via un appel d'offres : le prix proposé par les candidats doit tenir compte des coûts d'investissement dans les dispositifs de continuité écologique. Les installations rénovées, en revanche, ne bénéficient d'aucun dispositif de soutien.

J'évoquerai ensemble les articles 12, 15 et 16 de la proposition de loi, car ils proposent un même outil de soutien : la révision de la fiscalité des collectivités locales.

L'article 12 transforme une exonération facultative de taxe foncière sur les propriétés bâties, qui existe déjà dans le code général des impôts, en une exonération obligatoire, sauf délibération contraire des collectivités locales. Cela va à l'encontre de tous les travaux de notre commission. De plus, selon nos informations, seulement deux installations ont bénéficié de cette délibération facultative introduite dans la loi de finances pour 2019. On ne peut que constater le manque d'appétence des collectivités pour cette exonération facultative ; c'est la raison pour laquelle je propose un amendement de suppression de l'article 12.

Les articles 15 et 16 visent à introduire des exonérations facultatives. À l'article 15, une exonération de cotisation foncière des entreprises (CFE) est notamment prévue jusqu'à deux ans après la mise en service de nouvelles installations. Pour rappel, dans la loi de finances pour 2021, a été voté un dispositif exonérant de CFE pour trois ans les créations d'entreprises ou les extensions d'établissements. Ce dispositif est mal adapté à la filière hydroélectrique ; il faudrait en créer un plus spécifique, afin de soutenir la filière. Toutefois, nous risquons de complexifier notre législation fiscale.

Par ailleurs, ces installations bénéficieront des dispositifs de réduction des impôts de production également votés dans la loi de finances pour 2021.

L'article 16 propose une exonération facultative d'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) pour les stations de transfert d'électricité par pompage (Step). Celles-ci connaissent un vrai problème de rentabilité. En France, sous ce régime, on recense six installations représentant 5 gigawatts installés. Dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), on envisage 1,5 gigawatt supplémentaire à l'horizon 2030 ; le potentiel de développement est donc limité. Les charges d'IFER, pour ces six installations, représentent quand même 16 millions d'euros.

L'article 13 concerne une réduction d'impôt pour les moulins à eau. La loi de février 2017 relative à l'autoconsommation d'électricité a déjà assoupli les règles de continuité écologique pour les moulins. Pour autant, d'autres contraintes administratives leur sont imposées. La mise aux normes de ces moulins, détenus le plus souvent par des particuliers, nécessite souvent d'importantes dépenses. Le coût des travaux d'adaptation s'élève en moyenne à 50 000 euros.

L'article 13 prévoyait une réduction d'impôt sur le revenu pour les dépenses réalisées entre le 1 er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, avec un plafond de 20 000 euros. Nous proposons un dispositif s'appliquant aux dépenses réalisées dès l'année 2021, pour une période de trois ans, en abaissant le montant du plafond de 20 000 à 10 000 euros et, dans le même temps, en permettant un report de la réduction non consommée pendant cinq ans. Ainsi, le dispositif pourra profiter au plus grand nombre de contribuables, y compris à ceux acquittant un montant plus faible d'impôt sur le revenu.

Enfin, l'article 14 consiste en un suramortissement pour les installations de moins de 4,5 mégawatts, s'appliquant également aux équipements de continuité écologique. La rédaction de l'article s'indexe sur le suramortissement pour les investissements numériques dans les entreprises. La mesure paraît difficile à chiffrer, car le coût pour l'État s'étale sur une longue période. La doctrine européenne concernant les aides d'État est très précise : en matière environnementale, les aides doivent porter uniquement sur les dispositifs permettant d'aller au-delà de la norme fixée par une règlementation nationale ou européenne ; mais l'État ne peut pas venir en aide pour remplir une obligation légale.

Sachant, en outre, que ces installations sont déjà soutenues et que les coûts des travaux sont déjà pris en compte par ailleurs, il ne m'apparaît pas raisonnable de créer un dispositif de soutien complémentaire. Le suramortissement a du sens sur le long terme ; or, les producteurs doivent faire face à des difficultés de financement à court terme.

Il faudrait réfléchir à des dispositifs d'aide directe pour les installations qui ne sont pas aidées par les dispositifs d'État. Elles peuvent compter sur une aide des agences de l'eau, mais celle-ci n'excède pas 40 % du montant de l'investissement ; on pourrait envisager une aide plus conséquente, ou alors permettre à ces installations de bénéficier de taux réduits sur le montant de leurs emprunts.

Aussi, je propose de restreindre le champ d'application de cet article uniquement aux installations ne bénéficiant pas d'un dispositif de soutien, à savoir celles qui sont rénovées et d'une puissance comprise entre 1 et 4,5 mégawatts, et les installations neuves ne bénéficiant pas de soutien public.

M. Patrick Chauvet , rapporteur . - Il s'agit d'une proposition de loi à l'esprit consensuel, qui a la volonté de rapprocher l'économie et l'environnement. Durant les auditions, nous avons pu mesurer le fossé séparant les services de l'État des acteurs économiques de l'hydroélectricité. Cet écart d'expression et de point de vue justifie pleinement l'attention du Sénat.

Avec cette proposition de loi, nous reconnaissons un mode de production d'énergie qui n'est sans doute pas assez valorisé. Énergie renouvelable avec très peu d'émissions, l'hydroélectricité a un potentiel de développement autour de deux axes : la rénovation de l'existant et, avec plus d'ambition, la création de nouvelles unités.

Cette reconnaissance de l'hydroélectricité est aussi importante pour les territoires ruraux et de montagne, qui sont principalement concernés.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - La présentation de Mme Lavarde a bien fixé le cadre et les limites de notre réflexion. L'important dans cette proposition de loi, c'est la conjugaison des enjeux écologiques et financiers. Nous devons veiller, comme le Sénat l'a toujours fait, à ne pas dévier d'une certaine ligne de conduite, notamment en permettant aux collectivités locales de garder la main sur les dispositifs financiers. Il s'agit de ne pas être en décalage avec la position que nous tenons dans le cadre des projets de loi de finances ; c'est la voie de la sagesse autant que de la raison. Dans l'intérêt des collectivités et des opérateurs privés, il convient d'éviter les débordements intempestifs et qui peuvent s'avérer contreproductifs.

M. Jérôme Bascher . - J'avais cru comprendre que la France était le premier pays en Europe concernant l'utilisation de l'hydroélectricité et qu'il était difficile d'augmenter notre part dans ce domaine. À combien estime-t-on le surcoût ? Quel est le potentiel véritable de croissance de cette source d'énergie ? Faut-il améliorer les capacités de l'existant ? Ou bien, l'objectif est-il de trouver d'autres systèmes qui ne nuisent pas à l'environnement ?

M. Arnaud Bazin . - Je souhaite exposer un paradoxe au rapporteur de la commission des affaires économiques. Dans une commune de montagne où la ressource hydraulique est importante, celle-ci n'est pas considérée comme une énergie renouvelable pour la rénovation thermique des logements. Ce paradoxe est-il pris en compte dans la proposition de loi ?

Mme Isabelle Briquet . - La suppression de l'article 12, comme le propose Mme Lavarde, me semble inévitable. La niche fiscale ainsi créée n'aurait aucun sens, même si l'on souhaite inciter le développement de l'hydroélectricité.

J'insiste également sur le fait que la baisse de la fiscalité ne doit pas être le seul moyen incitatif. On pourrait aller plus loin dans l'atténuation des dispositifs mis en place, car ils risquent d'accentuer les différences entre les collectivités riches et les plus modestes ; certaines pourront accorder ces exonérations, d'autres ne le pourront pas.

M. Christian Bilhac . - Nous sommes tous, je crois, favorables à cette proposition de loi. Pour nos territoires ruraux, souvent les plus déshérités, l'hydroélectricité est un complément de revenus très intéressant. Mais je m'interroge, comme mon collègue Jérôme Bascher, sur la marge de progression de la production hydroélectrectrique. Nous avons vu, notamment, ce qui s'est passé en région Occitanie, à Sivens... Il sera très difficile de réaliser des ouvrages comme ceux qui ont été réalisés au milieu du XX e siècle.

M. Patrick Chauvet , rapporteur . - Pour répondre à Arnaud Bazin, la proposition de loi concerne l'hydroélectricité - et non le logement. Le paradoxe soulevé est naturellement à étudier. Dans les auditions, j'ai relevé de nombreux paradoxes. Par exemple, l'agence de l'eau finance plus fortement l'arasement des seuils que les passes à poissons ; or, cet arasement compromet le développement de la petite hydroélectricité...

M. Jean-Michel Arnaud . - Je suis surpris de constater le décalage entre la volonté de progresser sur le développement de l'hydroélectricité et la réalité sur le terrain. Je lis, dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, que les porteurs de projets peuvent bénéficier de la souplesse des services de l'État. Or, cela fait maintenant quatre ans que les propriétaires et les différents opérateurs d'un réseau de refuges dans les Alpes du Sud attendent une coordination des services de l'État pour obtenir une autorisation opérationnelle. L'important, au-delà de l'accompagnement financier, est de progresser sur le processus d'autorisation.

M. Jean-François Rapin . - Au-delà de l'aspect fiscal, nous avons une réflexion forte à mener sur le financement des agences de l'eau et sur la capacité de ces agences à pouvoir financer des ouvrages d'un coût parfois exceptionnel ; je pense, par exemple, aux passes à poissons, avec des montants qui peuvent s'élever à 1 million d'euros. Cela fait beaucoup d'argent, il faut en voir l'utilité.

M. Claude Raynal , président . - Le rapport qui vient de nous être présenté correspond à ce que l'on peut en attendre à la commission des finances ; il encadre les dispositifs pour leur permettre de bien fonctionner.

Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - En 2020, la puissance installée du parc hydraulique s'élevait à 25,6 gigawatts. L'objectif fixé est d'augmenter la capacité de production de 900 à 1 200 mégawatts d'ici 2028.

En 2018, le coût du MWh s'élevait à 65 euros pour une installation neuve et à 97 euros pour une installation rénovée.

Il s'agit, comme pour le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets que nous aurons prochainement à examiner, de trouver un juste milieu entre les enjeux économiques et écologiques. Jean-François Rapin a mis en exergue le coût exorbitant de certaines passes à poissons. Lors des auditions, il m'a été confié que, pour une identique qualité de service écologique, nous pourrions réaliser des ouvrages coûtant deux, trois, voire cinq fois moins cher. On se heurte à des problèmes de normes. Avant de se demander si nous pouvons venir en aide aux producteurs d'hydroélectricité, peut-être faut-il s'interroger sur la manière dont sont définis les ouvrages...

EXAMEN DES ARTICLES

Article 12 (délégué)

Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-23 vise à supprimer cet article.

L'amendement COM-23 est adopté.

La commission proposera à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 12.

Article 13 (délégué)

L'amendement rédactionnel COM-24 est adopté.

Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-25 prévoit d'avancer du 1 er janvier 2022 au 1 er janvier 2021 la date d'éligibilité à la réduction d'impôt des dépenses engagées pour la mise aux normes des moulins.

L'amendement COM-25 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-26 est adopté.

Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-27 rend plus efficiente la réduction d'impôt en l'étalant sur cinq ans et en en abaissant le plafond.

L'amendement COM-27 est adopté.

La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 13 ainsi modifié.

Article 14 (délégué)

L'amendement rédactionnel COM-28 est adopté.

Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-29 encadre le dispositif de suramortissement en le limitant aux seules installations qui ne bénéficient pas d'un dispositif de soutien public.

L'amendement COM-29 est adopté.

La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 14 ainsi modifié.

Article 15 (délégué)

La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 15 sans modification.

Article 16 (délégué)

La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 16 sans modification.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 12

Auteur

Sort de l'amendement

Mme LAVARDE

COM-23

Adopté

Article 13

Auteur

Sort de l'amendement

Mme LAVARDE

COM-24

Adopté

Mme LAVARDE

COM-25

Adopté

Mme LAVARDE

COM-26

Adopté

Mme LAVARDE

COM-27

Adopté

Article 14

Auteur

Sort de l'amendement

Mme LAVARDE

COM-28

Adopté

Mme LAVARDE

COM-29

Adopté

Article 15

Article 16

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