Avis n° 144 (2020-2021) de Mme Françoise DUMONT , fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 novembre 2020
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N° 144 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la c ommission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 , |
TOME XIII SÉCURITÉ CIVILE |
Par Mme Françoise DUMONT, Sénatrice |
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled. |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500 Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 25 novembre 2020, sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône) , la commission des lois a examiné, sur le rapport pour avis de Françoise Dumont (Les Républicains - Var), les crédits du programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurités », inscrits au projet de loi de finances pour 2021 . À cette occasion, elle a entendu Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur 1 ( * ) .
Le programme 161 « Sécurité civile » est l'un des quatre programmes de la mission « Sécurités » qui « concourt à la stratégie du ministère de l'intérieur visant à protéger et secourir les Français sur l'ensemble du territoire » 2 ( * ) . Cette mission comprend également les programmes « Police nationale », « Gendarmerie nationale » et « Sécurité et éducation routières ».
L'État est « garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national ». À ce titre, il « en définit la doctrine [...] coordonne ses moyens [...] évalue en permanence l'état de préparation aux risques et veille à la mise en oeuvre des mesures d'information et d'alerte des populations » 3 ( * ) . Le ministère de l'intérieur est son bras armé.
Piloté par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), le programme « Sécurité civile » finance les moyens nationaux de la sécurité civile, qu'il s'agisse des outils d'intervention opérationnels mis en oeuvre au quotidien pour le secours à personne, les opérations de déminage ou déclenchées en cas de catastrophes majeures, qu'elles soient naturelles comme les feux de forêt, les inondations, les tempêtes ou les séismes, ou technologiques avec les risques NRBC-E (nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosif).
I. LA STAGNATION DES MOYENS DU PROGRAMME « SÉCURITÉ CIVLE »
A. DES CRÉDITS STABLES
Le projet de loi de finances pour 2021 transmis au Sénat prévoit une quasi-stagnation des crédits de paiement (CP) avec une augmentation de 0,5 % au bénéfice du programme Sécurité civile : ceux-ci s'élèvent à 520 millions d'euros, contre 518 millions d'euros en 2020.
Les autorisations d'engagement (AE) subissent une baisse faciale de 15,5 %, passant de 491 millions d'euros à 415 millions d'euros. Cette baisse s'explique principalement par l'imputation de coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs de la sécurité civile dans la mission « plan de relance ». 37,5 millions d'euros prévus dans le cadre du plan de relance seront, in fine , spécialement dédiés à la sécurité civile. Comme l'indique la DGSCGC, « par ailleurs, la sécurité civile disposera d'un droit de tirage sur les crédits mutualisés du plan de relance, notamment en matière de réfection immobilière et de rafraîchissement du parc automobile » 4 ( * ) .
Pour rappel, les dépenses de MCO avaient largement participé à la hausse de 8 % des AE lors de l'exercice précédent puisqu'elles étaient passées de 46,65 millions d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2019 à 102,50 millions d'euros demandés pour 2020.
Cette année, la variation des CP n'a pas pour cause une variation de périmètre du programme 161, comme lors de l'exercice précédent, puisque celles-ci sont limitées. Elles correspondent à des mouvements créditeurs de 806 000 euros induit, d'une part, par le remboursement du coût relatif à un sapeur-pompier professionnel mis à disposition de la mission de gouvernance ministérielle des systèmes d'information et de communication (MGMSIC) pour 106 000 euros et, d'autre part, par l'organisation de la sécurité civile à Wallis-et-Futuna pour 700 000 euros.
Évolution des crédits de la
sécurité civile sur deux ans
(en euros)
Numéro et intitulé
|
Autorisations d'engagement |
Crédits de paiement |
|||||
• Ouvertes en LFI 2020 |
Demandées pour 2021 |
Évolution
|
Ouverts en LFI 2020 |
Demandés pour 2021 |
Évolution
|
||
11 |
Prévention et gestion des crises |
29 211 542 |
34 999 586 |
+ 19,8 % |
29 872 057 |
36 025 134 |
+20,6 % |
12 |
Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux |
320 982 319 |
283 705 243 |
- 25,6 % |
346 976 589 |
342 603 170 |
- 1,3 % |
13 |
Soutien aux acteurs de la sécurité civile |
131 527 405 |
130 551 552 |
-0,7 % |
131 527 405 |
130 958 532 |
-0,4 % |
14 |
Fonctionnement, soutien et logistique |
9 675 904 |
10821 284 |
+ 11,8 % |
9 675 904 |
10 821 284 |
+ 11,8 % |
TOTAL |
491 397 170 |
415 077 665 |
- 15,5 % |
518 051 955 |
520 408 120 |
+ 0,5 % |
Cette année, les crédits n'ont pas été modifiés par une seconde délibération à l'Assemblée nationale.
Évolution des crédits de la mission
«
Sécurité civile
» sur six
ans
(en millions d'euros)
B. DES EFFECTIFS EN LÉGÈRE HAUSSE
Le plafond d'emplois augmente de 11 équivalents temps plein travaillé (ETP), passant de 2 479 en LFI 2020 à 2 490 pour le PLF 2021. Le schéma d'emploi 2021 conduit à une augmentation net de 10 ETPT avec 12 créations contre 2 suppressions, à laquelle il faut ajouter l'imputation d'un ETPT par effet de périmètre ( cf. supra ). La création des 12 emplois correspond, notamment, à un report en 2021 de créations d'emploi autorisées pour l'année précédente mais n'ayant pu être réalisées en raison de la crise sanitaire. Les dépenses de personnel (titre 2) augmentent légèrement au sein de ce PLF, passant à 189,4 millions d'euros demandés cette année en AE et en CP, contre 186,2 millions d'euros en LFI 2020.
Le plafond d'emplois du programme « Sécurité civile » pour 2021 5 ( * )
2 490 ETPT, soit + 11 ETPT par rapport à 2020 6 ( * ) :
- 128 personnels administratifs (- 3) ;
- 500 personnels techniques (+ 23 7 ( * ) ) ;
- 1 415 militaires (hors gendarmes) (-) ;
- 61 ouvriers d'État (- 9) ;
- 81 hauts fonctionnaires, ou personnels des corps de conception et de direction, et corps de commandement (police nationale) (-) ;
- 305 personnels de corps d'encadrement et d'application (-).
C. L'ÉVOLUTION DES MOYENS AÉRIENS DE LA SÉCURITÉ CIVILE
La remise à niveau de la flotte aérienne de la sécurité civile est un des principaux chantiers de la DGSCGC depuis trois ans.
Un marché a été notifié le 10 janvier 2018 à la société CONAIR portant sur l'acquisition de six appareils multi-rôles de type Dash 8 Q400M 8 ( * ) afin de pallier le retrait progressif des sept Tracker 9 ( * ) qui étaient encore en service et arrivaient au terme des 25 000 heures de vol fixées par le constructeur. Le premier appareil a été livré en 2019 avant qu'un second ne le rejoigne en 2020, conformément au calendrier prévisionnel prévu par le marché. Il a complété la flotte de deux Dash 8 dont disposait déjà la DGSCGC.
Comme le craignait Catherine Troendlé dans son avis rendu au nom de la commission des lois sur le PLF 2020, un « creux dans le cycle de remplacement des Trackers par les nouveaux Dash » s'est effectivement produit puisque l'ensemble des avions Trackers ont été retirés du service au cours de l'année 2020 suite à la perte d'un Tracker et au décès de son pilote pendant la saison des feux 2019 puis à la détection d'un problème technique sur les trains d'atterrissage rendant inopérationnel le reste de la flotte de ces appareils .
L'échéancier actualisé de ces acquisitions est le suivant :
En M€ |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
TOTAL |
Commande |
6 |
6 |
||||||
Livraison |
1 |
1 |
2 |
1 |
1 |
6 |
||
AE* |
- |
322,06 |
1,62 |
1,85 |
12,79 |
10,1 |
16,07 |
364,49 |
CP |
- |
34,35 |
64,17 |
65,61 |
80,55 |
65,3 |
54,51 |
364,49 |
Répartition sommaire des appareils
du Bureau
des moyens aériens de la DGSCGC
(octobre 2020)
10
(
*
)
Appareils |
||
Échelon central |
- |
|
Groupement « Avions » |
22 avions bombardiers d'eau : |
12 Canadair CL 415 amphibies |
4 bombardiers lourds polyvalents Dash 8 |
||
3 avions de liaison de type Beechraft King 200 |
||
Groupement « Hélicoptères » |
34 hélicoptères EC 145 biturbines 2 hélicoptères EC 225 bombardiers d'eau (location) |
Afin de pallier le retrait anticipé des Tracker, la DGSCGC a loué auprès de la société Airtélis un hélicoptère bombardier d'eau EC225 déployé en Corse à partir du 15 juillet 2020 pour une durée de deux mois. Cet appareil est le second de ce type loué à cette société. La location du premier hélicoptère permet d'ajuster les moyens dont dispose la DGSCGC en fonction du niveau de risque.
Bilan des interventions des Dash 8 au cours de la crise sanitaire
Entre le 17 mars et le 16 avril 2020 (première période de l'état d'urgence sanitaire), le Dash M73 du groupement avions de la Sécurité Civile (GASC) a réalisé 8 missions en relation avec la crise sanitaire, correspondant à un total de 25 heures et 18 minutes de vol. En fonction des nécessités, les Dash 8 Q 400 ont été utilisés en configuration dite « combi » (passagers et fret) ou en configuration « passagers » uniquement.
Ces missions ont permis de répondre aux besoins exprimés par le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud pour assurer le transport de matériel sanitaire (masques, équipements de protection individuelle, gel hydroalcoolique) au profit des préfectures des départements de la Haute-Corse (2A) et de la Corse du Sud (2B) ainsi que le soutien au ministère de la santé pour le transfert d'une équipe médicale depuis Bordeaux vers Strasbourg et Besançon pendant le pic de la pandémie dans la Région Grand-Est.
Un Dash a également été engagé pour permettre aux équipages de l'hélicoptère envoyé en renfort aux Antilles de gagner l'aéroport de départ.
Une mission a également été ordonnée pour transporter un détachement de la Brigade des marins-pompiers de Marseille (BMPM) jusqu'à Paris.
Évaluées au coût complet de l'heure de vol (11 128 €), les 8 missions réalisées par le Dash M73 dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19 représentent une dépense de 280 203 €.
Source : réponse au questionnaire budgétaire
Dans le cadre du Plan de soutien à l'aéronautique et pour une industrie verte et compétitive du 9 juin 2020, la DGSCGC a lancé un marché tendant à l'acquisition ferme de deux hélicoptères H145 D3 de la société Airbus Helicopters ainsi que deux appareils en option sur la base de crédits ouverts dans la troisième loi de finances rectificative de 2020. In fine , 80,55 millions d'euros de CP sont prévus au titre du remplacement des Trackers et de l'achat des hélicoptères initié cette année.
La France a également lancé l'acquisition de deux avions bombardiers d'eau en lien avec l'Union européenne qui en financerait 90 %, dans le cadre du mécanisme RescUE. Cette démarche répond ainsi aux craintes émises lors des exercices précédents par la commission des lois et la commission des finances du Sénat 11 ( * ) quant au vieillissement de la flotte de Canadair. Enfin, une réflexion est susceptible d'être engagée en partenariat avec l'Allemagne sur l'acquisition d'un hélicoptère lourd de type H225 pouvant être basé dans le nord-est du territoire français.
II. UNE POLITIQUE DE SÉCURITÉ CIVILE ESSENTIELLEMENT PORTÉE PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DONT LES COÛTS DEVRAIENT ENFIN ÊTRE RAPPROCHÉS DES ÉCONOMIES GÉNÈRÉES
A. UNE POLITIQUE DE SÉCURITÉ CIVILE ESSENTIELLEMENT PORTÉE PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
1. Un budget transversal de l'État en hausse mais difficilement lisible
Les lignes du budget de l'État destinées à financer la politique transversale de sécurité civile ne se limitent pas au seul programme 161 « sécurité civile ». Certes, les crédits de ce programme sont entièrement consacrés à cette politique transversale et représenteront 43,5 % des 1 197 millions d'euros de CP et 37 % des 1 127 millions d'euros d'AE de son budget global en 2021 12 ( * ) . Toutefois, pas moins de 8 autres programmes abondent également les crédits de cette politique transversale auxquels il convient d'ajouter la mission « plan de relance » dont certains crédits seront destinés aux moyens de la sécurité civile mais qui ne sont pas mentionnés dans le document de politique transversale annexé au PLF 2021. L'enchevêtrement de ces différents programmes rend difficilement lisible l'effort financier consenti par l'État à la politique de sécurité civile puisque les crédits dédiés à cette politique transversale augmentent cette année : + 14 % en AE et + 18 % en CP. C'est d'ailleurs cette hausse globale qui justifie l'avis favorable de la commission des lois quant à l'adoption des crédits du programme 161.
En outre, ce budget doit être rapproché du budget global des services d'incendie et de secours (SDIS) qui s'élevait, en 2019, à 5 131 millions d'euros, assumé à hauteur de 4 543 millions d'euros par les collectivités territoriales (58 % par les départements et 42 % par les communes et établissements publics de coopération intercommunale) 13 ( * ) .
Schéma simplifié de l'architecture
globale du financement
de la sécurité civile
14
(
*
)
(Chiffres pour
2018
15
(
*
)
)
En jaune : le budget des collectivités dont le budget des SDIS ;
En bleu : le budget de l'état dont les crédits destinés à la sécurité civile ;
Cerné de rouge pointillé : le budget global de la sécurité civile française.
2. Des budgets de SDIS à préserver
La qualité de la politique nationale de sécurité civile est largement tributaire des moyens dont disposent les SDIS et, in fine , de ceux des collectivités territoriales, les départements en tête. Or, la santé financière de ces derniers va nécessairement pâtir de l'actuelle crise sanitaire.
Face à ces difficultés à venir, il est primordial de rationaliser les dépenses des SDIS. À ce titre, la DGSCGC indique réfléchir à un « pacte capacitaire » qui permettrait de mutualiser certaines dépenses entre SDIS. Le rapporteur salue cette initiative mais constate que de nombreux efforts de mutualisation ont déjà été mis en oeuvre entre SDIS et craint que les économies restant à réaliser soient décevantes.
En revanche, le rapporteur pour avis appelle la DGSCGC à une grande vigilance dans l'élaboration des référentiels techniques qu'elle pourrait être amenée à mettre en oeuvre dans les mois à venir . Il appelle à ce que les changements de normes induisant le remplacement du matériel des SDIS soient réduits au strict nécessaire afin d'éviter les coûts de réacquisition.
B. LE COÛT DE LA SÉCURITÉ CIVILE DEVRAIT ENFIN ÊTRE RAPPROCHÉ DES ÉCONOMIES QU'ELLE GÉNÈRE
Devant la raréfaction à venir des deniers publics du fait de la crise sanitaire, tant pour l'État que pour les collectivités territoriales, la tentation de réduire les moyens alloués à la sécurité civile pourrait intervenir. Il est donc primordial d'enfin rapprocher le coût de la sécurité civile aux économies qu'elle permet de générer, à tout niveau, afin de le considérer pour ce qu'il est : un investissement et non une perte sèche .
L'exercice a été réalisé par le SDIS des Bouches-du-Rhône dans le cadre de l'élaboration du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR) via une méthode de calcul réalisée sur la base des travaux de plusieurs universitaires 16 ( * ) . Son résultat est édifiant : les 200 millions d'euros de budget 2019 du SDIS ont permis d'obtenir près de 5,5 milliards d'euros de valeur sauvée.
Peu d'investissements publics peuvent se prévaloir d'un « rendement » aussi significatif.
Répartition de la valeur sauvée par le
SDIS
des Bouches-du-Rhône en 2019
Pour un budget total de 200 millions d'euros :
- 4 milliards d'euros de valeur sauvée pour les interventions sanitaires (1 592 vies sauvées) soit un gain pour la société de 39 000 € par intervention ;
- 1,4 milliards d'euros de valeur sauvée pour les feux de forêts (202 feux de forêts) soit un gain pour la société de 754 000 € par intervention ;
- 394 millions d'euros de valeur sauvée pour les feux d'habitation (842 feux d'habitation) soit un gain pour la société de 478 000 € par intervention.
Source : SDIS des Bouches-du-Rhône
Aussi le rapporteur appelle-t-il à une prise de conscience de ce « gain avéré » pour les arbitrages budgétaires futurs, afin que la sécurité civile bénéficie effectivement des moyens adéquats pour assurer ses missions d'intérêt général.
*
* *
Au bénéfice de ces observations et sur la proposition de son rapporteur, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités », inscrits au projet de loi de finances pour 2021.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
Mme Françoise Dumont , rapporteure pour avis . - Je suis heureuse de présenter mon premier rapport devant notre commission. Il porte sur le programme 161 « Sécurité civile » inscrit dans la mission « Sécurités » du projet de loi de finances (PLF) pour 2021.
Piloté par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), ce programme finance les moyens nationaux de la sécurité civile. Il s'agit des outils d'intervention opérationnels mis en oeuvre au quotidien pour le secours aux personnes, les opérations de déminage et les outils déclenchés en cas de catastrophes majeures. Ces catastrophes peuvent être naturelles, comme les feux de forêt, les inondations, les tempêtes ou les séismes, ou technologiques avec les risques nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosif (NRBCE).
Cette année, les moyens alloués à ce programme, malheureusement, stagnent.
Les crédits demandés restent stables, puisque les crédits de paiement (CP) augmentent de 0,5 %, passant de 518 à 520 millions d'euros, et que les autorisations d'engagement (AE) baissent facialement de 15,5 %, passant de 491 à 415 millions d'euros. Cette baisse s'explique principalement par l'imputation de coûts de maintenance des aéronefs de la sécurité civile dans la mission « Plan de relance ». In fine , 37,5 millions d'euros prévus dans le cadre de ce plan seront spécialement dédiés à la sécurité civile.
Les moyens humains de la DGSCGC connaissent une légère hausse, le plafond d'emplois augmentant de 11 équivalents temps plein travaillé (ETP), de 2 479 à 2 490.
Enfin, les moyens aériens de la sécurité civile poursuivent leur évolution salutaire à travers plusieurs chantiers ; le principal concerne le remplacement des avions Tracker par des avions multirôles de type Dash 8, via un marché notifié, en 2018. Ce marché portait sur 6 appareils dont la livraison est échelonnée jusqu'en 2023 pour pallier le retrait progressif des Tracker. Or, comme le craignait Catherine Troendlé l'année dernière, un creux est apparu dans le cycle de renouvellement. En effet, la perte d'un appareil et le décès de son pilote pendant la saison des feux de 2019, puis la détection d'un problème technique sur les trains d'atterrissage, ont conduit, cette année, la DGSCGC à retirer prématurément du service l'ensemble des Tracker.
Pour faire face à ce retrait, deux hélicoptères bombardiers d'eau ont été loués cette année pour être basés en Corse, pendant la saison des feux. En outre, deux autres hélicoptères sont en cours d'acquisition, avec une option pour un troisième appareil. Cette acquisition s'inscrit dans le cadre du plan de soutien à l'aéronautique de juin dernier, dont les crédits ont été inscrits dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020. Enfin, deux nouveaux avions bombardiers d'eau amphibies sont en cours d'acquisition sur la base de financements européens.
Je souhaite maintenant remettre ces crédits en perspective à travers trois remarques.
Ma première remarque concerne le budget du programme « Sécurité civile », qui représente seulement 43,5 % des moyens consacrés par l'État à la sécurité civile. Pas moins de 8 autres programmes sont partiellement consacrés à la politique transversale de sécurité civile de l'État. En outre, le programme « Plan de relance » concourt à renouveler les moyens de la sécurité civile, mais n'est pas pris en compte dans cette politique transversale. Au final, bien que la lecture en soit difficile, ces crédits augmentent, avec une hausse de 14 % en AE et de 18 % en CP ; c'est la raison pour laquelle je vous propose un avis favorable.
Deuxième remarque : le budget consacré par l'État à la sécurité civile doit être rapproché du budget global de nos services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) qui s'élevait, en 2019, à plus de 5 milliards d'euros, presque exclusivement à la charge des collectivités.
La qualité de la politique nationale de sécurité civile est donc largement tributaire des moyens dont disposent les SDIS et, in fine , de ceux des collectivités territoriales, les départements en tête. Or, la santé financière de ces derniers va nécessairement pâtir de l'actuelle crise sanitaire.
Face à ces difficultés à venir, il est primordial de rationaliser les dépenses des SDIS. À ce titre, la DGSCGC indique réfléchir à un « pacte capacitaire » qui permettrait de mutualiser certaines dépenses entre SDIS. Je salue, certes, cette initiative, mais constate que de nombreux efforts de mutualisation ont déjà été mis en oeuvre entre les SDIS. Je crains donc que les économies qui pourraient être réalisées soient décevantes.
En revanche, j'appelle la DGSCGC à une grande vigilance dans l'élaboration des référentiels techniques qu'elle pourrait être amenée à mettre en oeuvre dans les mois à venir. Je souhaite, en effet, que les changements de normes induisant le remplacement du matériel des SDIS soient réduits au strict nécessaire, afin d'éviter les coûts de réacquisition.
Enfin, ma troisième remarque porte sur la manière d'analyser le coût de la sécurité civile. Devant la raréfaction à venir des deniers publics du fait de la crise sanitaire, tant pour l'État que pour les collectivités territoriales, la tentation de réduire les moyens alloués à la sécurité civile pourrait intervenir. Il est donc primordial de rapprocher enfin le coût de la sécurité civile et les économies qu'elle permet de générer, à tout niveau, afin de le considérer pour ce qu'il est : un investissement et non une perte sèche.
L'exercice a été réalisé par le SDIS du département des Bouches-du-Rhône, dans le cadre de l'élaboration du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR), via une méthode de calcul réalisée sur la base des travaux de plusieurs universitaires. Son résultat est édifiant, puisque les 200 millions d'euros de budget 2019 du SDIS des Bouches-du-Rhône ont permis d'obtenir près de 5,5 milliards d'euros de valeur sauvée ; peu d'investissements publics peuvent se prévaloir d'un rendement aussi significatif !
Une prise de conscience de ce gain avéré est donc nécessaire pour les arbitrages budgétaires futurs, afin que la sécurité civile bénéficie effectivement des moyens adéquats pour assurer ses missions d'intérêt général.
M. Jérôme Durain . - Ce programme 161 « Sécurité civile » ne contient pas l'intégralité du budget de la sécurité civile, puisque 90 % de ce dernier est financé par les collectivités locales. Cette année, un élément supplémentaire est venu s'ajouter : le financement de l'État en faveur de la sécurité civile devient de moins en moins lisible, sachant qu'il repose désormais sur 10 programmes, pilotés par 6 ministères différents ; le programme 161 ne représentera plus que 43 % de l'effort financier de l'État pour la sécurité civile en 2021, contre 50 % ces dernières années.
Notre attention doit aussi se porter sur la situation financière des associations agréées, pendant une crise sanitaire qui met à mal leur trésorerie. Le soutien de l'État s'avère nécessaire, faute de quoi elles risquent de ne plus pouvoir poursuivre leurs actions unanimement reconnues aux côtés des sapeurs-pompiers. Acteurs essentiels de la sécurité civile, ces derniers ont, entre le mois de mars et le mois de mai 2020, effectué plus de 122 000 interventions de secours d'urgence, afin de porter assistance à des personnes présentant des symptômes de la covid-19, le plus souvent pour les transporter vers un centre hospitalier. La question des carences ambulancières est rapidement abordée quand on a l'occasion d'échanger avec un officier des SDIS ; ce sujet appelle, sur le terrain, une meilleure collaboration entre les SDIS et les services d'aide médicale urgente (SAMU).
En effet, au-delà d'être les soldats du feu, les sapeurs-pompiers contribuent à jouer un rôle de plus en plus important en matière de santé, dans la prise en charge d'urgence et du secours aux personnes.
Pour conclure, j'évoquerai la reconnaissance professionnelle. Une bataille a été emportée au Sénat avec la suppression de la part salariale de la surcotisation perçue par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) dans le cadre des discussions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) en 2021, alors que l'Assemblée nationale avait décidé de son arrêt. Parmi la dizaine d'amendements déposés poursuivant le même objet, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) avait présenté un amendement en ce sens. L'amendement d'Hervé Maurey a finalement été adopté, ce qui constitue une bonne nouvelle.
Mme Agnès Canayer . - Ce budget de la sécurité civile concerne tous les citoyens au quotidien et balaie un nombre de risques très divers - contre le feu évidemment, mais aussi les risques industriels, les risques sur les plages.
Je souhaite évoquer le sujet - épidermique pour les collectivités territoriales - de la défense extérieure contre l'incendie (DECI). Les maires sont pris entre deux feux, si je puis dire : la cotisation aux SDIS et l'obligation de se mettre en conformité avec les normes. N'existe-t-il pas une possibilité de mieux mutualiser et développer les moyens accordés aux SDIS, de manière à assouplir les normes qui pèsent sur les collectivités territoriales en matière de DECI ?
La sécurité civile intervient également beaucoup dans le domaine du bénévolat et de la citoyenneté, notamment auprès des jeunes. Avez-vous un peu de visibilité sur ce rôle et sur les actions menées notamment par les SDIS ?
Mme Françoise Gatel . - Le sujet de la DECI, évoqué par Agnès Canayer, est en train d'émerger dans notre pays. En 2015, un nouveau décret a modifié les règles de protection contre les incendies, en lien avec les feux qui ont dévasté le sud de la France. Ce nouveau décret pose de gros problèmes aux communes. La délégation aux collectivités territoriales a été saisie de ce sujet par le président du Sénat. Nous avons diligenté une mission, de manière à faire des préconisations ; le rapport devrait être rendu au début de l'année prochaine.
En écho, encore une fois, aux propos d'Agnès Canayer, je souhaite évoquer les difficultés rencontrées par certains territoires pour recruter ou fidéliser des pompiers volontaires. Il existe une grande mobilité professionnelle, et les entreprises peuvent également être réticentes à l'idée de libérer leurs salariés qui, par ailleurs, sont pompiers volontaires. En matière de prévention sur ce sujet, existe-t-il des discussions ?
Enfin, les SDIS mènent souvent des actions pour faire découvrir aux jeunes la fonction de pompier volontaire, qui les séduit très souvent. Sachant leur coût, ces actions sont-elles développées partout sur le territoire ?
Mme Françoise Dumont , rapporteure pour avis . - Je partage les propos de Jérôme Durain. En effet, le programme et le budget alloué par l'État manquent de lisibilité. Le budget repose grandement sur les collectivités, au premier rang desquelles nos départements.
Concernant le sujet récurrent des carences ambulancières, les sapeurs-pompiers sont remboursés à hauteur de 123 euros, un transport coûtant entre 400 et 450 euros. Sachant que le secours à personnes augmente chaque année entre 6 et 10 %, plus les secours sont nombreux, plus le déficit se creuse. Sur ce sujet, les SDIS doivent pouvoir bénéficier d'un remboursement plus décent que les 123 euros et un coût moyen doit être établi après une évaluation sur l'ensemble des départements.
Pour répondre à Agnès Canayer et Françoise Gatel, les SDIS se partagent la mission de la défense contre l'incendie avec les maires, les EPCI et le département. Je lirai avec attention le rapport qui sera présenté par la délégation aux collectivités territoriales sur le sujet.
Enfin, s'agissant du volontariat, un plan vise à faciliter la disponibilté des salariés en cas de besoin pour une intervention. Les écoles de jeunes sapeurs-pompiers sont également essentielles, à mon sens, pour faire découvrir aux jeunes la mission de sapeur-pompier. Dans mon département du Var, il y en avait huit à mon arrivée ; désormais, on en compte quinze. Reposant uniquement sur le volontariat de nos sapeurs-pompiers, elles constituent un vivier de recrutement pour les professionnels et s'avèrent, avant tout, une excellente école de vie. Même si les jeunes arrêtent au bout d'une année, ils leur restent toujours quelque chose de cet apprentissage des valeurs de respect, de partage et de courage. Mais il est compliqué aujourd'hui de pouvoir développer ces écoles, car elles reposent sur le volontariat, la bonne volonté et la facilité des SDIS à libérer de l'argent afin de pouvoir acheter du matériel ou des tenues pour les jeunes.
La commission décide de réserver son avis sur le programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » dans l'attente de l'audition du ministre de l'intérieur.
Le ministre entendu, la commission a émis un avis favorable aux crédits du programme.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Ministère de l'intérieur, direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC)
M. Alain Thirion , préfet, directeur général
M. Pierre-Emmanuel Portheret , sous-directeur des moyens nationaux
M. Stéphane Thebault , sous-directeur des affaires internationales, des ressources et de la stratégie
Conférence nationale des services d'incendie et de secours (CNSIS)
M. Olivier Richefou , président
M. Jean-Baptiste Estachy , conseiller sapeurs-pompiers de l'Assemblée des départements de France (ADF)
Mme Marylène Jouvien , responsable des relations avec le Parlement de l'ADF
Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF)
M. le colonel Grégory Allione , président
* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html
* 2 Article 1 er de la loi du 13 août 2014 relative à la modernisation de la sécurité civile.
* 3 Article L. 112-2 du code de la sécurité intérieure.
* 4 Réponse au questionnaire budgétaire.
* 5 Source : projet annuel de performances Sécurités 2021.
* 6 Les totaux et variations tiennent compte des effets de mesures de transferts et de périmètre, des effets de corrections techniques et de l'impact du schéma d'emploi pour 2021.
* 7 Une création est due à un effet de périmètre.
* 8 Les appareils de type « Dash 8 » sont des avions multi-rôles, bimoteurs à turbopropulseurs, rapides et d'une capacité d'emport de 10 tonnes d'eau contre 3 pour les Tracker.
* 9 Les Tracker de la DGSCGC sont des avions bombardiers d'eau bimoteurs à turbopropulseurs dérivés d'appareils conçus dans les années 1950 et initialement destinés à la lutte anti-sous-marine par la marine américaine.
* 10 Données issues de réponses au questionnaire budgétaire.
* 11 Rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre Vogel, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019, « Les feux de forêts : l'impérieuse nécessité de renforcer les moyens de lutte face à un risque susceptible de s'aggraver » , page 60.
* 12 Document de politique transversale « sécurité civile » annexé au PLF 2021, pages 28 et 29.
* 13 Les statistiques des services d'incendie et de secours, édition 2020, page 51, éditées par la DGSCGC.
* 14 Schéma simplifié : une part non significative du budget de l'état abonde le budget des SDIS via, notamment, le soutien à l'investissement. Les ressources des SDIS sont également composées de diverses ressources propres qui ne sont pas à la charge des collectivités (facturation de prestations diverses, etc. )
* 15 Les recettes de l'État en 2018 sont établies sur la base des travaux de la Cour des comptes, le budget consolidé des SDIS sur la base des statistiques des services d'incendie et de secours, édition 2019, et les recettes des collectivités territoriales sur la base des chiffres de l'INSEE.
* 16 En annexe du SDACR, le SDIS 13 indique s'être appuyé sur les méthodes de calcul proposées par les travaux de Cécile Canouet (2016), Dorian Goninet (2018) et de Nouhaila Amir (2019).