Avis n° 139 (2020-2021) de Mme Viviane ARTIGALAS , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 novembre 2020
Disponible au format PDF (804 Koctets)
Synthèse du rapport (360 Koctets)
N° 139 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 , |
TOME VIII COHÉSION DES TERRITOIRES (POLITIQUE DE LA VILLE) |
Par Mme Viviane ARTIGALAS, Sénatrice |
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault, secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Martine Berthet, M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie-Agnès Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Merillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Mme Guylène Pantel, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-ClaudeTissot .. |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500 Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
Le 14 novembre dernier, 101 maires de banlieues de toutes les couleurs politiques publiaient une Lettre ouverte au Président de la République pour l'égalité républicaine de nos quartiers prioritaires . Au regard des espoirs soulevés par le discours d'Emmanuel Macron à Tourcoing , trois ans auparavant, le 14 novembre 2017, et de son ambition de « changer le visage de nos quartiers d'ici la fin du quinquennat », le constat est amer. Le Rapport Borloo , qui avait été justement lancé à Tourcoing, est resté lettre morte, loin des 70 % de mesures mises en oeuvre annoncées, le 2 octobre dernier, par le Président de la République dans le discours prononcé aux Mureaux . Selon ces maires, « seules quelques mesures éparses, bien souvent portées par les villes ont pu être engagées, dont quatre seulement avec le portage de l'État ! ». Ils rappellent que Jean-Louis Borloo préconisait un changement radical de méthode : « Il faut mettre en mouvement chacun des programmes en même temps afin de provoquer un effet de blast et une dynamique extrêmement puissante. C'est un plan de réconciliation nationale ». Mais ce changement de méthode n'a pas vu le jour, la réconciliation nationale non plus.
C'est la parole de l'exécutif qui est aujourd'hui décrédibilisée. Dans le discours du 23 mai 2018 par lequel Emmanuel Macron enterrait le Rapport Borloo, il annonçait la concrétisation d'ici à juillet 2018 d'une « initiative coeur de quartier » à l'exemple du programme Action coeur de ville. Elle n'a jamais vu le jour ! Lorsque les maires en ont fait état au Premier ministre, le 23 novembre dernier, personne ne savait de quoi il s'agissait.
C'est dans ce contexte que se présente l'examen des crédits de la politique de la ville, inscrits au programme numéro 147, au sein de la mission de cohésion des territoires du projet de loi de finances pour 2021.
L'analyse de ce projet de budget suscite trois principales observations :
1. Les quartiers dits « prioritaires » sont en réalité les oubliés du plan de relance.
2. L'absence de choix est le signe d'un manque de vision.
3. Et, enfin, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, a redémarré, mais le Gouvernement est resté sur le bord de la route.
I. LES QUARTIERS « PRIORITAIRES » : LES OUBLIÉS DE LA RELANCE
Comment cela a-t-il pu se produire ? Il y a en fait trois temps.
A. LE RESPECT FORMEL DES ENGAGEMENTS DE 2018
Mobilisation nationale pour les habitants des quartiers
Juillet 2018 - Répartition des 80 millions d'euros annuels
- 80 cités éducatives, 33 millions d'euros ;
- Renforcement des stages de 3 e , 2 millions d'euros ;
- Parrainages et cordées de la réussite, 3 millions d'euros ;
- Création de postes FONJEP, 7 millions d'euros ;
- Création de 1 000 postes d'adultes-relais, 20 millions d'euros ;
- Soutien à 44 associations structurantes, 15 millions d'euros.
Le premier est le respect formel des engagements pris par le Président de la République de sanctuariser les crédits de la politique de ville, lors du lancement de la Mobilisation nationale pour les habitants des quartiers , le 18 juillet 2018. En effet, après avoir rejeté le Rapport Borloo, Emmanuel Macron a toutefois annoncé une augmentation de 80 millions d'euros par an des crédits sur le quinquennat et un doublement du nouveau programme de renouvellement urbain, le NPNRU.
Concernant les crédits, effectivement, en 2021, le programme 147 dépassera 515 millions d'euros, soit + 3,4 % par rapport à l'année dernière et 87 millions de plus qu'en 2018. L'engagement est tenu, dont acte.
B. UN BUDGET 2021 EN TROMPE-L'oeIL
Le Gouvernement va même plus loin, il présente un budget en forte augmentation, mais en trompe-l'oeil, c'est le second temps de l'occultation.
Il annonce en effet une augmentation de 46 millions d'euros soit une hausse de 9,8 % , mais il s'agit d'autorisations d'engagement. Les crédits de paiement n'augmentent, eux, que de 21 millions d'euros . La différence s'explique par le fait que, d'un côté, on a inscrit + 15 millions d'euros en autorisations d'engagement en faveur de l'ANRU, et que, de l'autre côté, on constate une baisse de 10 millions d'euros des crédits de paiement en défaveur de l'ANRU. C'est une sorte de « tour de passe-passe » budgétaire. Ces nouvelles autorisations d'engagement ne sont pas utiles puisque 200 millions d'euros d'autorisations d'engagement ont déjà été inscrits en 2018 et 2019 et n'ont pas été entièrement décaissés !
C. UN RISQUE DE DÉCROCHAGE
Du respect formel des engagements à l'illusion d'une forte augmentation, on passe au troisième temps, celui de l'oubli dans le plan de relance alors que les quartiers sont en plein désarroi.
Que disent les 101 maires dans l'appel du 14 novembre ? Partout sur le terrain, les signaux sont au rouge .
Les quartiers populaires sont deux fois plus infectés par la Covid-19 en raison notamment de l'exiguïté des logements et de la typologie des métiers exercés. C'est ce qu'a montré l'enquête de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, dans l'étude EpiCov (épidémiologie et conditions de vie) publiée le 9 octobre dernier. Ces données sont corroborées par celle du Pr Guy Burgel du Laboratoire de géographie urbaine de l'université de Paris-Nanterre , qui fait ressortir une surmortalité importante par rapport aux zones plus aisées.
De plus, la crise sanitaire a provoqué une très grave crise économique et sociale. Les demandes d'aide alimentaire explosent . À Mantes (Yvelines), le nombre de tickets alimentaires distribués a doublé entre 2019 et 2020. Les demandes de RSA progressent massivement . D'octobre 2019 à octobre 2020, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 20 % à Grigny (Essonne). Il a doublé à Arras (Pas-de-Calais). Le chômage augmente . + 13 % à Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines. Il aurait doublé à Reims (Marne).
Or, les maires dénoncent aujourd'hui une véritable « non-assistance à territoires en danger ». Selon eux, un virus bien plus dangereux que la Covid-19 se répand dans les quartiers, celui du « décrochage de la République ». « En dépit des alertes, les quartiers populaires restent un angle mort du plan de relance, aucune mesure ambitieuse n'a été prise ».
Déjà, dans le rapport intitulé Tirer les leçons de la crise, construire pour demain d' Annie Guillemot et Dominique Estrosi Sassone sur la crise sanitaire et les mesures de relance pour notre commission, le diagnostic avait été posé. Elles alertaient sur les conséquences du confinement dans ces territoires fragilisés et elles demandaient la mise en oeuvre d'une politique ambitieuse à la fois de médiation sociale en direction de la jeunesse et de construction à travers l'ANRU. Elles soulignaient en outre qu'après la crise de 2008, les quartiers avaient fait l'objet d'une attention toute particulière.
D. LES TERRITOIRES OUBLIÉS DU PLAN DE RELANCE
Face aux critiques qui se faisaient croissante en raison de l'absence de dispositions spécifiques dans le plan de relance, Nadia Hai déclarait : « Pourquoi se contenter d'une enveloppe quand on peut prétendre à l'ensemble du plan de relance ? ». Pourtant, « C'est n'être nulle part que d'être partout » écrivait Sénèque avec la sagesse des antiques, proche de celle des élus de terrain !
Les maires de banlieues demandent aujourd'hui 1 % du plan de relance, soit un milliard d'euros dont la moitié pour financer de l'aide d'urgence pour les associations de jeunesse, les distributions alimentaires et l'action sanitaire. L'autre moitié viserait à mobiliser les acteurs de la formation professionnelle et de l'emploi ainsi qu'à recruter des médiateurs.
Pour répondre concrètement à cet appel et à l'urgence de la situation, il est proposé, par amendements, de débloquer 500 millions d'euros dès 2021 , ce qui rend possible d'atteindre un milliard sur le plan de relance.
Cela comprend :
ï la création d'un Fonds spécifique de 200 millions d'euros dédié à ces communes pour leur permettre de disposer des moyens financiers pour pallier l'urgence de la situation économique et sociale et lancer des projets qui pourront recréer une dynamique ;
ï des moyens en faveur de l'emploi (89 millions d'euros) à travers les parcours emploi compétences et les cités de l'emploi , de l'éducation (51 millions d'euros) autour du programme de réussite éducative et des cités éducatives, et de la santé (15 millions d'euros) pour déployer des actions spécifiques alors que ces quartiers ont été les plus touchés par la crise sanitaire ;
ï les fonds nécessaires pour que l'État tienne ses engagements et donne une nouvelle impulsion au NPNRU (145 millions d'euros) ;
ï la création du Conseil national des solutions inspiré du rapport Borloo.
II. UN MANQUE DE VISION ?
Si la politique de la ville a été oubliée dans le plan de relance, c'est sans doute parce que le Gouvernement manque d'une vision sur le sujet. On remarque dans le budget la poursuite ou l'amplification de dispositifs peu ou mal évalués et la pérennisation de mesures d'urgence peu structurantes tandis qu'il serait souhaitable de promouvoir une vision positive et dynamique de ces quartiers.
A. POURSUITE DE DISPOSITIFS MAL ÉVALUÉS
On peut en donner deux exemples .
Le premier est le dispositif des zones franches urbaines - territoires d'entrepreneurs (ZFU-TE) . Il arrivait à son terme le 31 décembre. Par amendement , le Gouvernement l'a fait prolonger de deux ans par l'Assemblée nationale. Pourtant, au premier semestre 2020, un rapport d'inspection, promis mais toujours pas communiqué au Parlement, a conclu que cette mesure d'exonération d'impôt sur les sociétés ou les revenus, dont le coût est de 201 millions d'euros, n'avait pas démontré son efficacité en matière de création d'entreprises et d'emplois. Le Gouvernement motive cette prolongation par le caractère symbolique de la mesure et la nécessité d'ouvrir une concertation pour imaginer une alternative...
Le second exemple , ce sont les emplois francs . Leur financement n'est pas assuré par le budget de la politique de la ville. Mais ils sont importants car c'était une des promesses présidentielles lors de la campagne de 2017 et, dans le plan de relance , il a été décidé de renforcer les aides à hauteur de 8,1 millions d'euros pour 3 100 jeunes bénéficiaires potentiels. Les emplois francs sont une aide de 5 000 euros par an sur trois ans pour l'embauche en CDI d'une personne issue des quartiers quel que soit son âge. L'aide est de 2 500 euros sur deux ans pour un CDD. Environ 30 000 contrats ont été signés mais c'est très loin de l'ambition initiale puisque seulement 10 à 15 % de l'enveloppe budgétaire est consommée.
A contrario , l'EPIDE , l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi, dispositif éprouvé de formation et de réinsertion de jeunes se fondant sur l'apprentissage des règles de vie dans un cadre structuré, est doté de 4 millions d'euros supplémentaires pour appuyer l'ouverture d'un nouveau centre en Seine-Saint-Denis et pourrait être plus amplement soutenu.
B. PÉRENNISATION DE MESURES PEU STRUCTURANTES
On constate ensuite la pérennisation de mesures d'urgence peu structurantes. Le principal exemple est le dispositif Vacances apprenantes qui, en 2020, a coûté 283 millions d'euros dont 86,5 millions d'euros sur la mission cohésion des territoires. Cette mesure qui visait à combler le décrochage scolaire en raison du premier confinement et de la reprise partielle de l'école avait aussi une finalité « occupationnelle » et sociale non dissimulée. 1 514 nouveaux adultes relais ont également été recrutés à cet effet. Leur prolongation en 2021 est chiffrée à 10 millions d'euros.
En revanche, la pérennisation des Vacances apprenantes, annoncée par le Président de la République aux Mureaux, le 2 octobre dernier, n'a pas été budgétée , soit un manque de 85 millions d'euros sur un budget total de 515 millions.
C. PROMOUVOIR UNE AUTRE VISION
Face à cette absence de vision au regard des enjeux des quartiers, il est possible d'esquisser deux pistes se fondant sur des travaux de think tank ou de recherche. Elles ne sont naturellement pas exhaustives mais elles permettent de sortir, sans angélisme, d'une vision exclusivement communautaire, pour ne pas dire religieuse, et sécuritaire de ces quartiers. Car si leur fragilité est indéniable, une réelle dynamique économique et entrepreneuriale les anime comme l'avait rappelé le Rapport Borloo. C'est sans doute grâce à elle que se comblera le fossé avec le reste de la société.
Première piste , en octobre 2020, l'Institut Montaigne a publié un rapport intitulé « Les quartiers pauvres ont un avenir » . Que dit-il ? Qu'il faut d'abord abandonner les préjugés. La Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France est pourtant le 8 e contributeur au financement de la protection sociale et celui qui en reçoit le moins par habitant. Il compte aussi pour 29 % de l'augmentation de la masse salariale en France entre 2007 et 2018. Pour l'Institut Montaigne, il s'agit donc de s'appuyer sur les atouts de ces quartiers : la jeunesse, la mobilité et une réelle compétitivité foncière dans les métropoles. Le rapport plaide notamment pour une « ANRU des habitants » à côté de « l'ANRU des bâtiments » d'autant que ces quartiers sont plus des sas que des trappes à pauvreté. Il plaide également pour une sorte de « loi SRU à l'envers », c'est-à-dire un plafonnement des logements sociaux dans ces communes.
La seconde piste , c'est une étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques, l'INSEE, et de l'Institut Paris Région, de juillet 2020, qui la suggère. Que dit ce travail sur « Les trajectoires résidentielles des habitants des QPV » ? Tout d'abord que les habitants de ces quartiers sont tout autant mobiles que les autres, c'est-à-dire qu'environ 10 % de la population déménagent par an. Dans plus de la moitié des cas, ils quittent la géographie prioritaire. Dans plus de 40 % des cas, ils changent de statut d'occupation et 31 % d'entre eux accèdent à la propriété. Il y a donc une réelle trajectoire d'émancipation et d'ascension sociale . C'est le premier point important. Le second est que cette trajectoire se réalise à proximité immédiate des quartiers pour ne pas perdre l'ancrage amical et familial. Dans 30 % des cas, ces habitants s'installent dans la bande des 300 mètres bénéficiant d'un taux de TVA réduit pour le logement neuf intermédiaire . Dans cette même zone, plus de 40 % des primo-accédants ont un revenu inférieur à 30 000 euros 1 ( * ) , deux fois plus qu'ailleurs. C'est la raison pour laquelle, un amendement a été adopté en première partie du budget pour revenir au périmètre de 500 mètres, tel que voulu en 2003 par Jean-Louis Borloo, car cela fonctionne. Cette bande à proximité des quartiers est une zone dynamique et de mixité effective qui facilite l'insertion des QPV rénovés dans leur environnement urbain et social plus large.
III. L'ANRU A REDÉMARRÉ MAIS L'ÉTAT EST RESTÉ AU BORD DE LA ROUTE
A. L'ANRU EST RELANCÉE
L'Agence nationale pour la rénovation urbaine a été critiquée pour son immobilisme au cours de ces dernières années. Mais aujourd'hui, l'ANRU a redémarré. Entre juillet 2008, après la confirmation du doublement du programme à hauteur de 10 milliards d'euros - dont un milliard financé par l'État initié dès 2016 par François Hollande - et mars 2020, l'ANRU a validé à marche forcée les projets de plus de 400 quartiers sur les 450 concernés par le nouveau programme national de renouvellement urbain, le NPNRU. Ce sont l'essentiel des moyens qui sont désormais engagés, plus de 85 % des projets sont validés . Ils doivent entraîner plus de 33 milliards d'euros de travaux, tous financeurs confondus, sur la durée du programme.
Déjà 290 opérations concernant 10 000 logements sont achevées . 600 sont actuellement en chantier. Par rapport à l'objectif fixé par le Premier ministre de 300 quartiers en travaux à la fin de 2021, en octobre 2020, les chantiers ont démarré dans 230 quartiers .
Source ANRU, octobre 2020.
B. LE GOUVERNEMENT EST RESTÉ SUR LE BORD DE LA ROUTE
Le Gouvernement n'est pas au rendez-vous de ce redémarrage . Comme cela a été rappelé, il doit apporter un milliard sur la durée du NPNRU, 200 millions sur la durée du quinquennat. En termes d'autorisations d'engagement, 15 puis 185 millions d'euros ont été inscrits en 2018 et 2019. En termes de crédits de paiement, en revanche, le compte n'y est pas. L'État n'a pas respecté la planification arrêtée en 2018 pour financer le NPNRU (cf. ci-dessous). En 2020, il a versé 10 millions de moins que prévu et, en 2021, il ne prévoit de verser que 15 millions d'euros contre 50 millions d'euros prévus. Il manque donc 45 millions d'euros par rapport à la programmation annoncée. Comment croire que cela sera rattrapé l'an prochain ou au cours du prochain quinquennat ?
La commission a donc approuvé un amendement pour rétablir les crédits prévus.
Dans ce contexte, le discours du Président de la République aux Mureaux frise le déni de réalité. Le 2 octobre, le budget venant d'être présenté un mois après le plan de relance, il annonce une augmentation des moyens de l'ANRU alors que justement dans le budget, les moyens de l'État en faveur de l'ANRU diminuent et qu'il n'y a rien dans le plan de relance !
Dès lors, comment aider l'ANRU à accélérer et à répondre aux demandes supplémentaires qui lui sont faites à la fois pour tenir compte du Covid mais aussi tout simplement parce que les besoins sont grands ?
À cet égard, le plan de relance et le budget 2021 sont une triple occasion manquée :
- Occasion manquée pour l'État d'avancer le décaissement du milliard d'euros promis ;
- Occasion manquée pour l'État d'amorcer une dotation supplémentaire et de solliciter une contribution supplémentaire du principal financeur du programme, Action Logement. Au contraire, il ponctionne un milliard pour financer les aides au logement et non l'investissement ;
- Occasion manquée enfin de solliciter les bailleurs sociaux qui financent également l'ANRU, en allégeant ou supprimant la réduction de loyer de solidarité qui pèse pour 1,3 milliard d'euros sur leurs comptes. Cela aurait également un impact sur l'ensemble du secteur du logement social et de la construction.
Cette absence de perspectives est inquiétante. Prenons garde que nos craintes et nos manières de les combattre ne deviennent des prophéties auto-réalisatrices. Au contraire, comme l'avait impulsé Jean-Louis Borloo et les très nombreuses personnes qui ont participé à son travail dont la plupart des maires signataires de l'appel du 14 novembre dernier : « Nous sommes capables de traiter l'essentiel de ces problèmes en quittant les angoisses de notre histoire, les dispositifs accumulés, entassés, sédimentés, inefficaces, contradictoires, éparpillés, abandonnés où l'annonce du chiffre tient lieu de politique. Redevenons une puissance d'action ».
La commission des affaires économiques a approuvé cet avis le 25 novembre 2020 et les cinq amendements présentés.
TRAVAUX EN COMMISSION
Audition de Mme Emmanuelle
Wargon,
ministre déléguée auprès de la ministre
de la transition écologique, chargée du logement
(Mardi 17
novembre 2020)
Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, je vous propose de commencer cette audition. Ce soir, nous sommes heureux d'entendre Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du Logement, qui vient nous présenter le budget 2021 de son ministère.
Les crédits du projet de loi de finances pour 2021 concernant les deux programmes relatifs au logement augmentent pour la première fois depuis quelques années de 5,76 % en crédits de paiement pour atteindre 15,2 milliards d'euros. Toutefois, cette augmentation est relative au regard de la ponction de 1,3 milliard d'euros opérée sur Action Logement.
Par ailleurs, un volet important de la mission relance est consacré à hauteur de 7 milliards d'euros à la rénovation thermique des bâtiments et à la reconversion des friches. Je dois dire qu'il s'agit d'une satisfaction pour notre commission, puisque nous avions exprimé ces recommandations dans le cadre de notre plan de relance. Enfin, les moyens précédemment dévolus au crédit d'impôt transition énergétique (CITE) y sont réemployés au profit de « Ma Prime Rénov » distribuée par l'ANAH.
Madame la Ministre, je vous laisserai détailler ces différents points de votre budget. Je voudrais également vous inviter à éclairer notre commission sur quatre sujets particuliers qui nous tiennent à coeur : la construction neuve, Action Logement, la lutte contre l'habitat indigne et l'appel des 101 maires.
Concernant la construction neuve, comme vous le savez, les professionnels du secteur du bâtiment ont salué l'accent mis sur la rénovation. Toutefois, ils ont également déploré que la construction neuve soit l'angle mort du plan de relance. Malheureusement, comme notre commission l'annonçait dans le volet « logement et urbanisme » de notre rapport sur la relance de l'économie française, la crise sanitaire se double aujourd'hui d'une crise du logement. Les permis de construire devraient fortement chuter en 2020, peut-être autour de 350 000 permis, ce qui serait un chiffre historiquement bas. Or nous savons que 100 000 logements correspondent à 200 000 emplois.
Au regard de ces enjeux économiques et sociaux, j'ai l'impression que les seules prolongations du prêt à taux zéro (PTZ) pour l'accession à la propriété et du dispositif « Pinel » d'investissement locatif aidé en faveur du logement intermédiaire, qui ont été votées à l'Assemblée, ne sont peut-être pas à la hauteur de l'enjeu. Nous aurons bien sûr votre appréciation de la situation, Madame la Ministre.
Concernant Action Logement, vous savez que notre commission a souhaité exprimer des contre-propositions en créant une « mission flash » conduite par Mme Valérie Létard avec l'accompagnement de nos collègues Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann. Elles nous ont présenté leurs orientations avant votre audition et vont constituer un groupe de contact pour anticiper et suivre la réforme.
Madame la Ministre, vous avez indiqué à l'Assemblée nationale que le Gouvernement ne déposerait finalement pas d'amendement d'habilitation à légiférer par ordonnances dans le cadre du projet de loi de finances afin de donner sa place à la concertation. Nous vous en remercions. Il s'agit d'un geste indispensable pour décrisper la situation. Pouvez-vous nous préciser quel est aujourd'hui le calendrier du Gouvernement ? Pouvez-vous indiquer si un processus et une méthode ont été formalisés pour aboutir aux articles d'un futur projet de loi d'ici mars-avril ?
Je souhaiterais ensuite que vous fassiez un point sur la lutte contre l'habitat indigne. Notre commission s'est beaucoup impliquée sur ce sujet. Deux ans après le drame de la rue d'Aubagne à Marseille, nous pourrions avoir l'impression que trop peu de choses bougent sur place. Toute une collection d'outils a été créée, depuis la stratégie métropolitaine en passant par le projet partenarial d'aménagement (PPA), la grande opération d'urbanisme (GOU) jusqu'à la société publique locale d'aménagement d'intérêt national (SPLA-IN). Toutefois, le premier comité de pilotage du PPA ne se réunirait que le 25 novembre prochain. Le recrutement du directeur de la SPLA-IN viendrait juste d'être lancé. Concrètement, nous en serions au point mort, ou presque. Pouvez-vous nous dire comment passer aux travaux pratiques après la mise en place de ces outils ?
Enfin, je voudrais vous demander de réagir à l'appel des 101 maires de quartiers prioritaires. Nous sommes tous ici concernés. Comment pensez-vous répondre à cet appel au travers du portefeuille qui est le vôtre, qu'il s'agisse des logements ou de l'aide d'urgence liée au logement ?
Madame la Ministre, je vous laisse maintenant nous présenter votre budget pour 2021 et répondre à ces premières questions. Je donnerai ensuite la parole au rapporteur de la commission, Mme Dominique Estrosi Sassone et s'il le souhaite, à M. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la commission des finances, puis aux collègues qui le souhaiteront.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement . - Madame la Présidente, Madame le rapporteur, Monsieur le rapporteur spécial, Mesdames et Messieurs les sénateurs.
Je suis très heureuse d'être présente auprès de vous pour pouvoir débattre du budget du Ministère du Logement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Le logement est traditionnellement au coeur des préoccupations de nos concitoyens en période calme, et particulièrement durant cette période de crise sanitaire, économique et potentiellement sociale. Il est donc absolument indispensable d'accompagner et de soutenir ce secteur avec l'objectif d'offrir à chacun un lieu de vie décent.
Le secteur du logement a été affecté par la crise. L'État souhaite être à ses côtés. Ce budget illustre cet engagement et cet investissement public. Comme vous l'avez noté, l'effort budgétaire dans le cadre de la mission « Cohésion des territoires » est important. Les moyens alloués au ministère du logement représentent 16,1 milliards d'euros, en augmentation de 2,2 % par rapport à 2020, ce qui est cohérent avec le chiffre que vous avez cité, Madame la Présidente, et intègre les crédits budgétaires et les évolutions de taxes affectées. Le ministère bénéficie également de crédits dans le cadre du plan de relance.
Je vais centrer mon propos sur trois priorités qui animent mon action ministérielle. La première priorité consiste à mettre en oeuvre une politique d'accès au logement plus juste et plus solidaire. En cette période de crise, le budget consacré aux aides personnelles au logement sera doté de 500 millions d'euros supplémentaires pour atteindre un montant total de 15,7 milliards d'euros. Nous allons mettre en place la réforme des APL en temps réel à compter du 1 er janvier 2021. Cette réforme, qui prévoit de calculer le montant des APL sur la base des derniers revenus connus, permettra de mieux accompagner les Français dont les revenus ont diminué en raison de la crise. Il s'agit d'une réforme à contre-cycle, axée sur la justice sociale, dont la mise en oeuvre est importante dans la période actuelle.
Par ailleurs, le Gouvernement et mon budget mobilisent des moyens extrêmement importants pour favoriser l'accès au logement des personnes sans domicile fixe, qu'elles soient à la rue ou hébergées. Depuis le mois de mars, nous consacrons des moyens exceptionnels pour permettre cette mise à l'abri. Nous avons poursuivi nos efforts dans le contexte du deuxième confinement et de la trêve hivernale. Cette année, le programme 177 sera doté d'une enveloppe de 2,2 milliards d'euros, soit plus de 200 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2020. Cela nous permettra de pérenniser 14 000 nouvelles places d'hébergement, de recruter 150 équivalents temps plein au sein des services intégrés d'accueil et d'orientation et de continuer l'ouverture de places supplémentaires avec l'objectif de ne laisser aucune demande non satisfaite durant cette période particulière du confinement et de trêve hivernale.
Dans le cadre de l'acte II de la stratégie de lutte contre la pauvreté, le programme « Logement d'abord » bénéficie également de moyens supplémentaires permettant d'ouvrir 1 500 places d'hébergement pour les femmes sortant de maternité et de financer 250 équipes mobiles de prévention des expulsions locatives. Enfin, nous mobilisons 100 millions d'euros dans le cadre du plan de relance pour construire et rénover des centres d'hébergement, des résidences sociales et des foyers de travailleurs migrants, créer des tiers-lieux alimentaires et rénover les aires d'accueil des gens du voyage. Je voudrais en profiter pour confirmer une nouvelle fois l'engagement du Gouvernement dans le déploiement du plan « Logement d'abord ». La loi de finances donne au ministère les moyens d'une véritable accélération en la matière, notamment par le financement de nouveaux territoires de la mise en oeuvre accélérée du plan « Logement d'abord » mais aussi par le renforcement du financement des pensions de famille. Le forfait journalier va évoluer de 16 à 18 euros. Cette revalorisation répond à une demande ancienne et très attendue.
En ce qui concerne le logement social, les objectifs de production sont maintenus cette année ainsi que l'année prochaine à hauteur de 110 000 logements sociaux. Cette année, l'objectif est extrêmement ambitieux. Je ne pense pas que nous atteindrons le chiffre de 110 000, mais l'objectif est de dépasser celui de 100 000 logements sociaux. Pour l'exercice 2021, l'objectif de 110 000 logements sociaux, dont 40 000 PLAI, est atteignable. Nous nous appuyons notamment sur les moyens mis en oeuvre dans le pacte d'investissement entre l'État et le secteur HLM entre 2020 et 2022. Bien évidemment, je travaille avec toutes les parties prenantes, les bailleurs sociaux, les collectivités territoriales ainsi que les services instructeurs de l'État pour atteindre cet objectif.
Le deuxième axe d'action du ministère concerne la rénovation des logements. Comme vous l'avez souligné, le plan « France Relance » prévoit de consacrer 6,7 milliards d'euros à la rénovation énergétique et 2 milliards d'euros à la rénovation thermique à destination des ménages, ce qui vient compléter la partie budgétaire classique dédiée au financement de « MaPrimeRénov' » à hauteur de 4 milliards d'euros pour les bâtiments publics de l'État et des collectivités territoriales et de 500 millions d'euros pour la réhabilitation du parc social ainsi que 200 millions d'euros pour les travaux effectués par les PME-TPE. Le ministère maintiendra également un haut niveau de dotation de l'ANAH à hauteur de 650 millions d'euros afin de financer ses interventions en faveur de la lutte contre la précarité énergétique et l'habitat indigne et de soutenir les copropriétés dégradées avec des moyens supplémentaires, notamment pour le déploiement de nouvelles opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national.
Enfin, je suis mobilisée en faveur de la construction neuve et durable, ce qui me permettra, Madame la Présidente, de répondre à votre première question. En effet, nous avons devant nous un risque conséquent de « trou d'air » de la construction. Le rythme annuel de mise sur le marché de logements neufs que nous observions avant la crise avoisinait 450 000 logements. Cette année, la mise à disposition de logements neufs sur douze mois glissants sera probablement inférieure à 390 000 ou 400 000 logements. Nous sommes confrontés au risque de rester à ce niveau si nous ne nous mobilisons pas. La mobilisation est celle de l'État, et j'y reviendrai, mais également celle des collectivités territoriales et notamment le bloc communal.
J'ai signé la semaine dernière avec l'Association des Maires de France, France urbaine et l'Assemblée des communautés de France ainsi qu'avec tous les professionnels de la construction et du logement un pacte pour la relance de la construction durable. Celui-ci comprend un axe de simplification des procédures ainsi qu'un axe de soutien à l'émergence de projets durables de construction. Je crois qu'il est extrêmement important de relancer une politique de la construction. La mobilisation des acteurs est une condition nécessaire, même si elle n'est pas forcément suffisante. Dans ce cadre, les actions et les ressources des établissements publics fonciers et des établissements publics d'aménagement seront confortés. Il faut faire en sorte que ces opérateurs soient un véritable soutien de cette politique et permettent de développer des projets d'envergure.
À travers le plan « France Relance », deux aides sont dédiées à ces enjeux. Les collectivités territoriales vont bénéficier d'une enveloppe de 350 millions d'euros pour une aide à la densification. Par ailleurs, le financement du recyclage des friches fait l'objet d'un fonds de 300 millions d'euros. Bien évidemment, la question des dispositifs fiscaux s'est posée. Les discussions avec les différentes parties prenantes ont été longues et nourries. La position du Gouvernement a été précisée à l'Assemblée Nationale la semaine dernière. Les députés ont voté en première lecture la prorogation du prêt à taux zéro à l'identique jusqu'à fin 2022 ainsi que la prorogation du dispositif Pinel à l'identique jusqu'à fin 2022, puis une réduction progressive du taux en 2023-2024 à l'exception des opérations exemplaires, qui resteront à définir, mais qui le seront sur le plan écologique ainsi qu'au regard de la qualité des logements. Je pense par exemple à la nécessité de disposer d'un espace extérieur et à un travail sur la taille des pièces et l'organisation des logements. Enfin, nous avons annoncé l'ambition de soutenir davantage et mieux le logement intermédiaire qui constitue un segment important et permet de mettre sur le marché des logements neufs locatifs à prix maîtrisés. Nous nous sommes engagés à revenir devant la représentation nationale dans le courant de l'année prochaine pour définir les modalités de ce soutien accru.
Enfin, comme vous le savez, nous avons ouvert une discussion sur les moyens, l'organisation et le fonctionnement d'Action Logement. L'article 47 du projet de loi de finances, que vous avez cité, contient un prélèvement exceptionnel d'un milliard d'euros. Au-delà de ce prélèvement exceptionnel, j'estime nécessaire de réengager avec Action Logement une discussion sur deux points. Le premier point concerne le fonctionnement et la gouvernance, avec l'objectif d'aller au bout de la réforme de 2016 et de trouver un fonctionnement satisfaisant ainsi qu'une efficacité plus grande. Le deuxième point concerne les principes d'intervention ainsi que la clarification des rôles et des interventions entre le soutien aux grandes politiques publiques qu'effectue Action Logement - je pense par exemple au financement du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ou d'autres actions de l'ANAH - et les démarches qui font partie du coeur de métier d'Action Logement en matière de soutien à la mobilité et au logement des salariés. Les deux volets forment en réalité un tout. Nous avons envisagé un article d'habilitation à légiférer par ordonnance, mais cet amendement n'a pas été déposé. Je vous confirme qu'il ne le sera pas. Nous donnons une chance à la discussion et à la concertation avec les partenaires sociaux, qui sera engagée avant la fin d'année, ceci durant quelques semaines. J'espère qu'elle sera relativement courte. Elle nous permettra de revenir avant la fin du premier semestre 2021 devant les parlementaires, soit à l'occasion d'une loi de finances rectificative, soit à une autre occasion, pour proposer des aménagements législatifs s'il apparaît que la réforme souhaitée est de niveau législatif.
En attendant, je souhaite conclure avec Action Logement un avenant au plan d'investissement volontaire. Il s'agit de tirer les conséquences de la crise et de l'adoption du plan de relance par l'État et par le Parlement et de mieux coordonner les actions durant les exercices 2021-2022. C'est d'ailleurs à ce titre que je répondrai à votre question sur l'appel des 101 maires. En effet, il me semble que cet avenant au plan d'investissement volontaire d'Action Logement pourrait poser la question d'un soutien renforcé ou d'une visibilité accrue donnée à l'ANRU. Cela fait partie des questions qui ont été soulevées par les maires de banlieue, parmi toutes les questions qui dépassent la politique du logement et qui concernent aussi la santé, l'éducation et la vie associative. En ce qui concerne le logement, je pense que l'une des réponses est de poursuivre cet investissement au travers d'une action volontaire partagée entre l'État et Action Logement.
Je reviens également sur la lutte contre l'habitat indigne, en particulier à Marseille. Je partage assez largement les constats que vous avez exprimés. J'ai l'intention de me rendre à Marseille le 25 novembre pour présider le comité de pilotage du PPA. Je m'y étais rendue quelques temps après ma prise de fonction. Je pense qu'il faut dissocier deux aspects, la prise en charge des familles qui ont été frappées par le drame de la rue d'Aubagne et leur relogement, qui est assez largement en cours, et le fait qu'à la suite de ce drame, la Ville, l'État et la Métropole ont augmenté de manière significative le volume d'arrêtés de péril et d'arrêtés d'insalubrité. Ces acteurs ont commencé à identifier plus précisément les immeubles en difficulté, ce qui a généré un nouveau flux de relogements. Celui-ci est en cours. La plupart des familles de la rue d'Aubagne ont été réinstallées dans de vrais logements, mais cela n'est pas le cas de toutes celles qui ont été confrontées à des situations découvertes après l'effondrement dans la rue d'Aubagne et qui logent encore souvent dans des structures transitoires. L'État agit d'ailleurs plus largement que son rôle théorique, puisqu'il apporte son financement à la mission d'urgence et de relogement au-delà des ambitions initiales, qui portaient sur une durée plus courte.
Au-delà de la réponse apportée à la situation d'urgence, les opérations de requalification mettent du temps à se mettre en place, qu'il s'agisse de la création de la SPLA-IN, du recrutement de son directeur, de la formalisation du contenu du partenariat ou du lancement des premières actions. Cela résulte également de la coexistence assez forte de programmes d'aménagement sur le territoire marseillais, notamment la requalification du centre-ville, les grands programmes d'aménagement classiques et la reprise des grandes copropriétés dégradées, qui se situent plutôt dans les quartiers nord ou en périphérie. Je crois qu'effectivement, nous devons imaginer un pilotage plus resserré. Ce pilotage est forcément tripartite et associe la ville, la métropole et l'État.
La SPLA-IN a été capitalisée à hauteur de 3 millions d'euros. Le plan « Initiative Copropriétés » se voit soutenu au travers d'une enveloppe supplémentaire de 50 millions d'euros dans le cadre du plan de relance.
Mme Sophie Primas , présidente . - Madame la Ministre, je vous remercie. Je vais laisser la parole à Dominique Estrosi Sassone. Nous reviendrons sur la lutte contre le logement indigne. Malheureusement, Marseille n'est pas la seule zone concernée. Je pense aussi à l'Outre-mer ou à la ruralité. Pour avoir conduit cette mission avec Dominique Estrosi Sassone, nous en avons été particulièrement frappées par ces difficultés.
Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis sur les crédits « Logement » de la mission « Cohésion des territoires » . - Madame la Présidente, je vous remercie. Madame la Ministre, je vous poserai cinq questions.
Ma première question concerne le champ des bénéficiaires du dispositif « MaPrimeRénov' », qui a été étendu à tous les ménages, y compris les ménages les plus aisés, aux propriétaires-bailleurs ainsi qu'aux copropriétés. Cela permet à tous les propriétaires d'une copropriété qui s'engagent dans une rénovation globale de bénéficier du soutien de l'ANAH. Le fait que vous ayez pu obtenir ces avancées, Madame la Ministre, me paraît très positif. Néanmoins, il me semble qu'il y a un « trou dans la raquette ». Tous en bénéficient à l'exception des bailleurs de locaux commerciaux en pied d'immeuble. J'avoue que je n'en comprends pas la raison. Si le plan de relance prévoit des aides pour les locaux des TPE-PME, les bailleurs n'y auront pas accès pour leur part. Il serait dommageable que leur voix puisse manquer lors de l'Assemblée générale de copropriétés qui déciderait des travaux, au risque de faire échouer ces travaux puisqu'ils seraient les seuls dans l'immeuble à devoir les payer, ceci sans pouvoir bénéficier d'aides. Accueillerez-vous de manière favorable, Madame la Ministre, un amendement qui irait en ce sens ?
Ma deuxième question porte également sur les bailleurs, et plus précisément sur la possibilité d'aboutir au statut du bailleur privé, dont il est très souvent question. Le bailleur privé ne devrait pas être vu comme un rentier, mais comme un entrepreneur de logement. Le rapport du Comité Action Publique 2022 plaidait en ce sens et invitait à élargir le débat traditionnel sur tel avantage fiscal ou telle prime pour adopter une démarche globale ayant un impact durable sur la construction de logements. Pensez-vous que nous pourrions lancer une réflexion dans les prochains mois ?
Ma troisième question porte sur le sujet d'actualité plus prégnant de la situation des impayés de loyer. L'Union sociale pour l'habitat fait part d'une hausse structurelle de l'ordre de 10 % du stock d'impayés en raison de la crise sanitaire et de la crise économique. Les inquiétudes gagnent non seulement le parc social, mais également le parc privé. Vous avez réuni hier un observatoire des impayés de loyer. Pouvez-vous nous indiquer quels ont été les premiers échanges ? Concernant les aides, pouvez-vous nous faire un état des moyens déployés ?
Vous avez également parlé dans votre intervention des territoires d'accélération de la politique du « Logement d'abord ». Nous considérons qu'il s'agit d'un point très positif. Deux territoires ont été retenus au titre de l'expérimentation de la politique du « Logement d'abord » dans le département des Alpes-Maritimes, la Métropole Nice Côte d'Azur et la communauté d'agglomération de Sophia Antipolis. Pourriez-vous nous donner une évaluation ?
Enfin, seriez-vous en mesure de nous apporter des précisions sur les montants et les modalités d'attribution de l'aide aux maires bâtisseurs, que vous avez annoncée ? Je vous remercie.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement . - Je vous remercie pour ces questions. En premier lieu, j'aurais tendance à dire que je serais favorable au principe d'un amendement. Cependant, je crois que cette demande est satisfaite, ce que nous allons vérifier. En effet, je pense que l'accès des copropriétés au dispositif « MaPrimeRénov' » est un vrai progrès. Il est clair que la rénovation dans une copropriété est déjà suffisamment compliquée. Si chaque copropriétaire a besoin de monter un dossier de demande d'aide et si l'aide varie en fonction des situations personnelles, le dispositif devient totalement illisible. Nous avons donc décidé que la copropriété elle-même pourra demander l'aide « MaPrimeRénov' » par le biais du syndic.
Prenons l'exemple de travaux d'un coût brut d'un million d'euros donnant lieu à une aide de 400 000 euros. Le syndic va réaliser son plan de travaux et l'envoyer à l'ANAH. Il va demander l'éligibilité à l'aide et recevoir cette enveloppe de 400 000 euros, ce qui va donc ramener le prix des travaux à 600 000 euros. Ensuite, le syndic répartira ce montant de 600 000 euros entre les copropriétaires sur la base des tantièmes. Quelle que soit l'identité du copropriétaire et qu'il s'agisse d'un individu ou d'une société commerciale, d'un occupant ou d'un bailleur, la situation est neutre. C'est l'immeuble qui est éligible. Le syndic perçoit l'aide au nom de l'immeuble. Le fait que l'occupant se situe au rez-de-chaussée de l'immeuble et que celui-ci soit un commerce ne crée pas d'exclusion. C'est ce que j'ai compris du dispositif et la réponse formelle que je peux vous apporter aujourd'hui. Je vais néanmoins vérifier ce point, qui m'est indiqué par les services. S'il y avait un blocage sur ce sujet, je serais tout à fait favorable à ce qu'il soit levé, mais je crois que nous n'en avons pas besoin.
Votre deuxième question concerne le statut du bailleur privé. Nous avons fait le choix de proroger les aides à l'investissement locatif sous leur forme actuelle, à savoir le dispositif Pinel, avec une visibilité intacte en 2021-2022 ainsi qu'une visibilité plutôt en régression à partir de 2023, à l'exception des opérations dites exemplaires. Je vous accorde que cela ne répond pas à la totalité de la question posée. Celle-ci me semble comprendre un élément relatif à la valorisation de l'action utile de fourniture de logement qu'est la mise en location par un propriétaire. Elle porte également sur la question de l'amortissement du bien en dehors de tous les dispositifs spécifiques liés à des niches plus petites (Pinel, Denormandie, etc.). Je trouverais intéressant de pouvoir conduire une réflexion sur ce sujet, mais je pense qu'elle n'aboutira pas dans le cadre du PLF 2022. En revanche, il me paraîtrait utile qu'elle puisse être mise en oeuvre afin de préparer une éventuelle réforme plus ambitieuse. Ce sujet revient régulièrement. Nous pourrions l'instruire de façon plus précise. Je rappelle qu'il mobilise des masses financières importantes. Soit les amortissements sont très faibles, soit la dépense fiscale sera plus élevée que la somme des dépenses fiscales spécifiques actuellement intégrées au budget. Pour autant, cela n'empêche pas d'approfondir cette réflexion.
Concernant les impayés de loyer, je partage vos inquiétudes. Toutefois, je vous avoue une forme de frustration au sujet de l'absence de données plus solides. J'ai donc souhaité créer un observatoire des impayés de loyer, que j'ai réuni hier. J'y ai convié la totalité des acteurs susceptibles d'être intéressés et de partager des données, tels que l'ANIL, les associations du contrôle de l'exclusion, le monde du logement social au travers de l'USH ainsi que les propriétaires privés au travers de l'Union nationale des propriétaires immobiliers, Action Logement ainsi que les collectivités territoriales. Chacun de ces acteurs perçoit des signaux.
Le tour de table que nous avons organisé hier nous a permis de partager des inquiétudes, mais nous n'avons pas beaucoup de signaux tangibles à ce stade. L'ANIL constate une augmentation des demandes des consultations. L'USH ne constate pas de hausse des montants d'impayés, mais exprime des interrogations. Les propriétaires privés n'enregistrent aucun signe pour l'instant. Les départements n'ont pas constaté d'augmentation des dépenses liées au Fonds de solidarité pour le logement. Pour autant, rien ne dit que cela ne va pas se produire. Je prends donc ces observations avec précaution et affirme simplement qu'à ce stade, les inquiétudes exprimées de façon légitime n'ont pas encore produit de demandes massives de prise en charge au travers des aides départementales ou au travers de la relation avec les propriétaires. Les signaux intermédiaires de consultation, par exemple, sont plus importants.
Je rappelle qu'il existe des aides. L'aide proposée par Action Logement à hauteur de 150 euros par mois, durant deux mois maximum, a été portée à six mois maximum. De plus, certaines caisses de retraite proposent également des aides, notamment l'AGIRC-ARRCO et son dispositif d'aides nationales. S'y ajoutent les aides locales telles que les Fonds de solidarité pour le logement, les FSL.
Nous avons décidé de travailler dans trois directions. D'une part, il faut essayer de mieux colliger les données afin de construire un indicateur en avance de phase. D'autre part, il faut bien informer les locataires, notamment les locataires du secteur privé. Concernant les locataires du parc social, une charte a été rédigée durant le premier confinement. Les bailleurs sociaux se sont engagés à la republier et la partager. En revanche, l'information des locataires du secteur privé repose sur les grands réseaux qui assurent la gestion d'une partie significative du parc. Ils doivent être informés du fait qu'en cas de difficultés, il vaut mieux signaler celles-ci rapidement et mettre en avant le rôle des agences départementales pour l'information sur le logement (ADIL) en première intention, puis les travailleurs sociaux. Enfin, sur ma proposition, le Premier ministre a mandaté le député Nicolas Démoulin au sujet de la prévention des expulsions locatives. L'objectif est de faire en sorte que les mesures plus structurelles soient reprises dans son rapport et soient mises en oeuvre.
Concernant l'accélération de la mise en place de la politique « Logement d'Abord » sur les territoires, le dispositif fonctionne de façon satisfaisante. Vingt-trois territoires avaient candidaté au premier appel à manifestation d'intérêt. Les résultats sont meilleurs dans ces territoires que dans le reste de la France. Le nombre d'attributions de véritables logements aux personnes en situation d'hébergement a augmenté de 14 % dans ces territoires en deux ans, contre 8 % sur l'ensemble du territoire national. Nous réalisons des efforts spécifiques qui produisent leurs effets. Nous avons lancé un nouvel appel à manifestation d'intérêt. Les retours sont prévus pour le 11 janvier. Nous avons déjà reçu une trentaine de lettres d'intention. Le PLF prévoit une enveloppe de 12 millions d'euros pour financer ces nouveaux territoires d'accélération. Il s'agit donc d'une politique prometteuse.
Enfin, je reviens sur l'aide à la relance de la construction durable, qui se traduit par une enveloppe de 350 millions d'euros sur deux ans. Il s'agit d'une aide au mètre carré quand le nombre de mètres carrés du permis de construire octroyé est supérieur à un seuil de densité fixé selon cinq niveaux différents en fonction de la densité de la zone. Cela permet de ne pas traiter de la même manière les zones rurales et les centres-villes. Cette aide calibrée à hauteur de 100 euros par mètres carrés au-delà du seuil de densité moyen sera versée automatiquement. Les permis de construire seront enregistrés dans la base de données de l'administration, intitulée Citadelle, qui rassemble tous ces permis. Le premier versement est prévu en octobre 2021. Le deuxième versement interviendra courant 2022 de façon automatique.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie pour ces réponses précises. Nous avons de nombreuses questions à vous poser, mais mes collègues ont l'habitude d'être concis. Je donnerai la parole à Mme Valérie Létard, puis à Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Valérie Létard . - Je vous remercie, Madame la Ministre ainsi que Madame la Présidente.
Comme vous le savez, nous avons accueilli très favorablement la décision du Gouvernement de ne pas déposer l'habilitation à légiférer par ordonnances sur la réforme d'Action Logement. Cet engagement était un préalable indispensable. Nous espérons collectivement, puisque nous avons travaillé à quatre sur ce rapport, que cette décision permettra d'ouvrir un véritable temps de dialogue, sans menaces, où chacun pourra assumer les responsabilités qui sont les siennes. Vous nous avez donné des précisions sur le processus, ses différentes étapes ainsi que sur les idées directrices du Gouvernement. Nous soutenons pleinement la volonté que vous avez exprimée d'aboutir à un texte législatif en bonne et due forme, qui sera débattue au Parlement au printemps prochain, comme nous venons de l'entendre. Des auditions que nous avons menées dans le cadre de la mission « flash » et auxquelles vous avez bien voulu participer, nous retenons qu'Action Logement est à la fois un pilier du pacte social et un atout pour notre pays. C'est un groupe puissant, la première foncière d'Europe, et efficace. Il nous semble que des progrès significatifs ont été réalisés par rapport aux différents rapports d'inspection qui nous ont été transmis et qui portent pour l'essentiel sur la période 2016-2018. De nouveaux progrès sont bien évidemment attendus, ce qui est bien normal pour un acteur aussi important.
De notre point de vue, il y a trois éléments incontournables pour aboutir à un consensus sur la réforme. Le premier élément est la préservation de la Participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC) comme ressource dédiée au logement. C'est pourquoi nous nous opposerons aux nouveaux prélèvements budgétaires opérés sur Action Logement à l'occasion du projet de loi de finances. Vous comprenez bien Madame la Ministre, qu'un prélèvement d'un milliard d'euros susceptible d'être affecté à l'APL nous interroge beaucoup plus encore que nous aurait interpellé un milliard d'euros sur l'investissement pour accompagner l'effort de construction. De plus, le risque de récurrence de cette mesure est absolument énorme, ce qui nous interpelle au moment où nous allons entamer la concertation. Vous savez que cela remet en question la récupération de la participation des employeurs à l'effort de construction, la PEEC qui permettrait de poursuivre la dynamique.
Il est difficile de relancer un dialogue confiant en captant une grande partie des ressources du groupe cette année. En outre, nous estimons que la gestion paritaire doit être préservée et que le patrimoine immobilier, qui est un bien commun puisque l'héritage de 70 ans de cotisations, doit être sécurisé.
Nous devons également travailler sur plusieurs axes de progrès. Concernant une gouvernance plus fonctionnelle, nous partageons votre souhait d'évoluer vers une ligne hiérarchique plus assumée. Outre le lien emploi-logement à rénover pour répondre à la demande des entreprises comme des salariés, l'amplification de la territorialisation des politiques menées est un autre axe de travail auquel nous souhaitons que les élus locaux puissent être associés. Tel était d'ailleurs le but du Comité des partenaires, prévu par la loi ELAN, qui n'a pas été mis en oeuvre. Madame la Ministre, sur ce dernier point, comment comptez-vous rendre possible cette participation des élus locaux à la réforme d'Action Logement ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Madame la Ministre, Mme Valérie Létard ayant fait le point sur Action Logement, je n'aborderai pas cette question, sur laquelle nous sommes d'accord. Concernant les APL, nous nous situons dans une période ou la contemporanéité va se mettre en place. Il reste à savoir si vous disposez d'estimations sur le nombre de personnes qui ne vont plus recevoir les APL dans le cadre de ce mécanisme. D'après ce que j'ai compris, les économies prévues portent sur un montant d'environ 800 millions à un milliard d'euros, mais elles seront finalement réduites à la moitié au regard de la situation sociale.
Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'il faut tirer les leçons de cette crise ? Les APL sont non seulement un élément de solvabilité fondamental pour nos concitoyens modestes, mais également pour les propriétaires qui, dans les périodes difficiles comme celle que nous avons connue, touchent les loyers au travers du système de paiement direct. Cela produit un effet de stabilisation du système très important. Ne pensez-vous pas qu'il faut revenir sur la volonté de réduire le champ et l'ampleur des APL ? Nous avions déposé un projet de loi pour l'efficacité des APL qui a été voté par le Sénat. Pensez-vous y donner une suite ? Concernant la relance du logement social, il faut que les loyers de sortie correspondent aux revenus des Français, ce qui est de plus en plus difficile dans l'équilibre budgétaire actuel. Ne croyez-vous pas que l'un des éléments de la relance, à défaut d'une baisse générale de la TVA qui a donné lieu à un débat en Allemagne, mais pas en France, est qu'il serait urgent de fixer une TVA à 5,5 % pour le logement social ? Je vous rappelle que cette règle a été maintenue pendant très longtemps et ne s'oppose en rien aux règles européennes. Dans ce cadre, ne faut-il pas accélérer le bail réel solidaire (BRS) et aider au maximum les organismes pour le foncier solidaire ? Accepteriez-vous que les départements aient le droit de réaliser des garanties d'emprunt s'agissant des organismes de foncier solidaire (OFS) ? Évidemment, cela n'est pas une obligation, puisque les communes et les communautés y ont droit. En revanche, les départements n'ont pas le droit de garantir les prêts des OFS et les communes n'en ont pas les moyens. Même s'il y a d'autres débats techniques, il me semble important de souligner ce point. Par ailleurs, l'accession sociale à la propriété est en crise. Elle a plutôt augmenté dans notre pays, mais nous ne parvenons pas à solvabiliser la partie sociale qui concerne les foyers rémunérés à hauteur de deux fois le SMIC.
Nous entendons dire tous les ans que le prêt à taux zéro sera prolongé d'un an, mais ce stop and go est complètement délirant. Si la vente d'une maison ou d'un appartement intervient en milieu d'année, il n'est pas possible au regard du temps de financement de s'assurer d'un accès au PTZ l'année suivante. Ce système a donc un effet négatif sur la production de l'accession sociale. Ne croyez-vous pas qu'au regard des mesures prises par les banques qui restreignent l'accès au crédit, il faudrait expérimenter pour les catégories les plus modestes l'idée d'une prime d'accession sociale, quitte à la localiser pour éviter l'étalement urbain et permettre le renouvellement des centresvilles ? Je rappelle qu'aujourd'hui, le souhait de réaliser une opération d'accession sociale dans les centres-villes se heurte à de tels surcoûts qu'il n'est pas possible d'en rester à un prix raisonnable, à moins d'une perte de confort qui ne rend plus l'opération attractive. Nous assistons à une paupérisation de nos centres-villes.
Enfin, nous craignons un manque d'ambitions quant au bilan carbone. Il existe une grande différence entre le bilan carbone en valeur énergétique et le bilan global, qui englobe les matériaux, la nature des chantiers et les éléments de construction. La France entend réduire le niveau des gaz à effet de serre, mais il faut tenir compte des politiques d'importation. Par conséquent, je plaide pour que nous soyons très attentifs à la nécessité de renforcer la part du bois dans la construction et dans les travaux. Il s'agit d'un point important dans le soutien à la mise en oeuvre d'un bilan carbone offensif dans la construction, notamment dans le logement social.
Mme Viviane Artigalas , rapporteure pour avis sur les crédits « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires » . - Madame la Ministre, je ne reviendrai pas non plus sur Action Logement. J'aborderai trois points.
Le premier point concerne l'appel des 101 maires. Vous souhaitez apporter un soutien supplémentaire à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), mais pour le moment, c'est plutôt Action Logement qui lui apporte ce soutien, tout particulièrement le déploiement du NPNRU. Toutefois, nous voyons bien que les projets ne sont pas mis en oeuvre, ceci pour plusieurs raisons. Les bailleurs sociaux sont en difficulté. En conséquence du dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS), ces bailleurs sociaux ne peuvent pas vendre de logements et donc financer de nouveaux programmes de construction. Nous constatons également les difficultés des collectivités territoriales dans l'autofinancement de ces projets. Enfin, il existe un manque de visibilité sur le long terme. Action Logement finance une grande partie du NPNRU. Or les investisseurs sont en difficulté, puisqu'ils n'ont pas de visibilité sur le devenir des financements d'Action Logement.
Ma deuxième question concerne le prêt à taux zéro. Je rejoins le point de vue de Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans le cadre de la loi de finances pour 2018, la quotité susceptible d'être financée par le PTZ a été divisée par deux. Elle a évolué de 40 à 20 % pour 95 % du territoire français, à savoir dans les zones B2 et C. Cette différence de traitement a créé des inégalités territoriales et des ruptures d'égalité entre les Français. Paradoxalement, c'est dans les zones les moins tendues, où les prix sont encore accessibles aux ménages que le PTZ prend tout son sens, à l'instar de l'APL-Accession. En même temps, faisons confiance aux élus locaux. Nous disposons d'outils. Vous invoquez le problème de l'artificialisation des sols, mais toutes les communes et les intercommunalités sont engagées dans des Plan locaux d'urbanismes intercommunaux (PLUI). Dans chaque département, et tout particulièrement en milieu rural, il est possible de recourir aux commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Ces outils me semblent intéressants pour favoriser l'accession à la propriété dans les zones détendues.
Enfin, le dernier point concerne les jeunes, qui sont en grande difficulté au regard des APL et de la contemporanéité des aides. Il faudrait prévoir une compensation ou une dérogation à ce principe pour les jeunes étudiants qui accèdent à l'emploi. J'ai déjà exprimé cette demande.
M. Franck Menonville . - Madame la Ministre, vous avez une politique ambitieuse en matière de rénovation des logements et de rénovation énergétique. C'est aussi le cas des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), notamment dans le cadre des opérations programmées d'amélioration de l'habitat. Ma question est très simple et tient compte des remontées de terrain. Aujourd'hui, les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) sont programmées sur des périodes de trois ans. Il faut souvent un an au moins pour les mettre en place. Le temps nécessaire pour les organiser sur les territoires est ensuite très réduit. La demande qui m'est exprimée et que je relaye consiste à pouvoir augmenter leur durée jusqu'à environ cinq ans.
M. Joël Labbé . - Madame la Ministre, je souhaite vous interroger sur la question de l'habitat léger et du hameau léger. Nous connaissons les difficultés de logement d'une partie de la population. Celles-ci s'accroissent. Nous savons également que les choix de logement d'une partie de la population, plutôt jeune, portent sur l'habitat réversible, écologique et socialement juste. Un certain nombre de maires souhaitent l'accueil de ce type de ménages avec enfants. Vous en connaissez tous sur vos territoires. Toutefois, ils ne disposent pas encore d'un cadre juridique suffisant pour que ce processus puisse être effectué en toute sécurité. Les maires et les personnes concernées souhaitent que ce cadre soit beaucoup plus sécurisé. Par ailleurs, la question du terrain de l'assiette de l'habitat peut être résolue. Celui-ci peut rester un bien communal mis à la disposition de ménages par bail emphytéotique. L'association « Hameaux légers et Habitat léger » a effectué un important travail sur ce sujet. Elle est en attente d'une réponse du Gouvernement.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je donne la parole à M. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la commission des finances.
M. Philippe Dallier . - Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon absence en début de séance, puisque la commission des finances s'est réunie pour examiner les crédits de la mission. Comme vous l'imaginez, et même si ce sujet ne fait pas directement partie des crédits de la mission, nous avons évoqué l'avenir d'Action Logement, qui s'est trouvé au centre de nos interrogations. Pour en avoir discuté avec nos collègues, nous attendons que le Gouvernement explicite clairement ses intentions. Madame la Ministre, les chiffres du logement ne sont pas bons depuis trois ans. Il y a des raisons à cela. À mon avis, celles-ci se cumulent. Ces facteurs sont le RLS, la réduction du PTZ, le dispositif Pinel, les questions sur l'avenir d'Action Logement ainsi que les incertitudes sur le financement des collectivités territoriales, auxquelles s'ajoute la crise sanitaire. Cet ensemble crée un important problème de visibilité et de confiance. Si vous ne levez pas ces interrogations, le mouvement ne repartira pas, en tout cas il n'atteindra pas le niveau dont nous aurions besoin.
Concernant le plan de relance, j'ai l'impression que le logement n'est pas dans le viseur du Gouvernement. Certes, vous réalisez un effort en matière de rénovation énergétique, mais vous n'agissez pas vraiment sur le champ de la construction. Il a fallu arracher les dispositions relatives à la prolongation du dispositif Pinel. Dans les détails, l'aide aux maires qui agissent en faveur de la densification n'est guère importante. S'y ajoutent les incertitudes sur la disparition de la taxe d'habitation et l'absence de compensation des exonérations de la taxe foncière pour les communes. Ces éléments créent une grande incertitude, qui n'est pas favorable à la relance. Vous aviez l'opportunité de donner un grand coup d'accélérateur dans le cadre du plan de relance, mais cela n'est pas le cas pour la construction neuve. Concernant la rénovation énergétique, les crédits apportés au dispositif « MaPrimeRénov' » sont de même niveau que l'enveloppe allouée au CITE en 2019. Cela n'est pas le booster que nous pourrions attendre au travers du plan de relance. Pourtant, les entreprises de la construction ont repris leur activité malgré la crise sanitaire. Ces activités ne sont pas concernées par les délocalisations et la demande des Français nécessiterait de construire 500 000 logements par an. Cela n'est pas le cas, ce qui crée des déceptions.
M. Daniel Laurent . - Madame la Ministre, l'aménagement du territoire est le grand oublié de ces dernières décennies. Nous savons que le logement est l'élément clé sur nos territoires pour le développement local et l'installation des familles. Nous n'avons de cesse de le répéter. L'État doit être un facilitateur. Les contraintes réglementaires sont malheureusement pléthore. Dans le cadre de la dernière campagne sénatoriale que nous venons de vivre, de nombreux élus nous ont fait part des difficultés auxquelles ils sont confrontés. La question de l'habitat indigne ou des biens inoccupés est prégnante dans nos territoires ruraux. L'accès au logement et le renforcement des aides fiscales pour la réhabilitation du bâti existant est un enjeu de développement des territoires ruraux et des centres des bourgs pauvres.
Les plans locaux d'urbanismes (PLU), les schémas de cohérence territoriales (SCOT), les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) destinés à fixer les règles générales des projets à mener provoquent des incompréhensions chez les élus des territoires ruraux. Peu de foncier est mobilisable au détriment des communes. L'économie de la consommation du foncier s'entend, mais certaines communes n'ont quasiment plus aucune possibilité de réalisation. Aujourd'hui, la crise sanitaire nous montre que certaines populations souhaitent un retour vers nos territoires ruraux.
Mentionnons également la surinterprétation des textes de la loi « Littoral » par les services de l'État, qui génère également des incompréhensions de la part des élus du littoral. Vous avez indiqué, Madame la Ministre, que vous serez attentive à ce que les collectivités territoriales respectent les obligations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et appliquent le droit dans toute sa rigueur. Or nous arrivons à l'échéance triennale et au début des procédures contradictoires dans une période de crise avec les contraintes afférentes. Il convient d'en tenir compte pour permettre aux communes d'avancer dans les projets. Vous savez notamment qu'au sein des territoires littoraux, les contraintes sont malheureusement nombreuses, et plus particulièrement d'ordre environnemental. Pour conclure, une politique favorable à la relance de la construction en milieu rural favorisera l'attractivité du monde rural et le dynamisme social et économique. Quelles réponses apportez-vous sur tous ces sujets ? Vous voulez développer la construction. Nous en avons besoin, mais les voeux pieux ne suffisent pas. Que fait-on sur les territoires ruraux ? Pour répondre à la problématique soulevée par M. Philippe Dallier, les contraintes sont trop importantes. Les maires sont démunis.
Mme Anne-Catherine Loisier . - Madame la Ministre, je souhaite poser quelques questions. Aujourd'hui, les enjeux de la sobriété foncière ou de la définition de l'artificialisation des sols sont au coeur des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Je voudrais connaître vos orientations en la matière. Comment devons-nous interpréter la suppression du versement pour sous-densité dans le PLF ? Par ailleurs, je souhaite revenir sur la RE 2020, qui tarde à être définie et inquiète les soutiens à la filière du bois et des produits biosourcés. Dans le cadre de cette RE 2020, nous attendions une décision et un acte fort permettant de remplir les objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone. Nous souhaitions la prise en compte des matériaux biosourcés qui captent le carbone et le séquestrent pendant toute la durée de vie du produit, depuis le prélèvement de la matière première dans la forêt jusqu'à la destruction du bâtiment. De nombreuses interventions mettent l'accent sur l'approche la plus minimaliste possible. J'insiste donc sur l'intérêt du bois au regard des enjeux de la Stratégie nationale bas-carbone et des volumes de logements à construire dans des délais rapides. Madame la Ministre, pensez-vous maintenir un critère de carbone biogénique stocké dans le décret de la RE 2020 ? Pensez-vous que nous en disposerons rapidement ?
M. Patrick Chaize . - Madame la Ministre, je souhaite vous poser une question similaire à celle de Mme Anne-Catherine Loisier. Elle concerne le RE 2020 et plus particulièrement les engagements pris pour atteindre les objectifs ambitieux et nécessaires fixés à l'horizon 2030. Quels éléments de votre budget sont de nature à nous rassurer sur cette direction ? Je souhaite notamment que vous évoquiez l'utilisation des bois locaux.
M. Jean-Marc Boyer . - Madame la Ministre, la construction devient impossible en zone rurale. Il s'agit d'un véritable parcours du combattant. La crise sanitaire rebat les cartes de l'aménagement du territoire. Nous assistons aujourd'hui à la tendance de nombreux citadins à revenir vers le monde rural. La demande est relativement forte sur l'ensemble du territoire national. Or, les collectivités territoriales sont freinées dans la fourniture d'autorisations et de permis de construire pour plusieurs raisons, notamment l'artificialisation des sols, la nécessité de ne pas utiliser trop de surfaces agricoles, le fait de favoriser l'habitat urbain des métropoles et, pour conséquence, le fait de privilégier l'habitat vertical par rapport à l'habitat horizontal ainsi que la mobilité, puisqu'il faut réaliser des économies en termes d'émissions de CO 2 . Les surfaces sont très limitées au sein d'un certain nombre de collectivités, Les avis des organismes, des schémas de cohérence territoriale, des CDPENAF ainsi que les avis administratifs sont divers.
Dans le cadre du plan de relance, quelles mesures pouvez-vous mettre en place pour libérer un peu l'étau administratif pour les communes des zones rurales qui désirent développer leur urbanisme ? Comment lever toutes ces contraintes et faire confiance aux élus ?
M. Michel Bonnus . - Madame la Ministre, les élus locaux dans les communes carencées en logements sociaux ont le sentiment que le calcul des pénalités n'est pas lié à des éléments objectifs. Ils ont besoin de davantage de visibilité au sujet du calcul de ces pénalités. Les élus ont également besoin de renforcer le dialogue avec les préfets. Ces derniers doivent prendre en compte la situation de chaque commune et les moyens qu'elles mettent en oeuvre pour favoriser la production. Il est impératif de motiver systématiquement les arrêtés de pénalités afin que les décisions ne soient pas simplement verticales, mais découlent de véritables décisions.
Nous avons effectué un comparatif entre les départements. Nous constatons que les pénalités sont complètement différentes alors qu'il s'agit de la même taxe et des mêmes strates. Il faut rétablir le dialogue entre les communes et les exécutifs locaux et aider les municipalités à mieux orienter leurs futurs projets de production. Il ne faut pas de défiance, mais des relations de partenariat
M. Daniel Salmon . - Madame la Ministre, ma question recoupe les interrogations qui ont déjà été exprimées, en particulier par Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans les métropoles, nous avons densifié depuis longtemps et reconstruit la ville sur la ville, ce qui est une bonne affaire au niveau de l'artificialisation des sols. Toutefois, ce phénomène n'est pas encore vraiment initié dans les petites villes et les villages, où l'on a tendance à construire en périphérie, puisqu'il est très coûteux d'engager des rénovations en centre-ville. Vous savez bien que, dans de nombreux villages, des maisons de centre-ville sont plus ou moins abandonnées, car elles sont indignes au regard de l'habitat d'aujourd'hui. Quelles propositions exprimez-vous pour qu'il devienne plus intéressant de rénover une maison de centre-ville que de construire en périphérie ? Nous avons parlé d'énergie grise. Lorsque l'on reconstruit la ville sur la ville, c'est bien souvent au prix de nombreuses démolitions. Chaque fois que nous démolissons dans une ville, nous émettons beaucoup de carbone, qui est gaspillé.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian . - Madame la Ministre, je souhaite revenir sur le temps de carence lié au non-versement des APL durant le mois de la première demande. Nous avons voté il y a quelques mois un texte dont l'objectif était de supprimer ce mois de carence. L'Union sociale pour l'habitat a également exprimé cette demande dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Malheureusement, à l'occasion de la crise actuelle, le nombre de Français éligibles aux APL va fortement s'accroître. Les Français de l'étranger, que je représente, ont été des milliers à rentrer obligatoirement en France. Certains ont même dû déménager en quelques jours. Ils sont rentrés sans argent et ont perdu leur emploi. Ils se trouvent aujourd'hui dans une situation financière grave. Leurs besoins sont importants dès le premier jour de leur arrivée en France. Je souhaite connaître la position du Gouvernement à ce sujet.
M. Christian Redon-Sarrazy . - Madame la Ministre, je souhaite attirer votre attention sur un sujet relatif à la construction neuve. Il s'agit du problème soulevé par la caducité prochaine des plans d'occupation des sols (POS) en raison de la situation particulière actuelle et passée. La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a reporté la caducité des POS au 31 décembre 2020 pour les communes faisant partie d'une intercommunalité n'ayant pas achevé l'élaboration d'un plan local d'urbanisme intercommunal. Ce délai supplémentaire avait été octroyé afin de ne pas pénaliser les communes concernées par une situation dont elles ne sont pas responsables, mais qui entraîne l'annulation de leurs documents d'urbanisme. Bien entendu, ce report devait également laisser le temps aux intercommunalités impliquées pour faire aboutir leur Plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI).
La crise sanitaire et la période de confinement n'ont malheureusement pas permis aux collectivités qui avaient en charge ces procédures d'avancer de façon satisfaisante. Un certain nombre d'entre elles n'auront pas achevé leur PLUI avant le 31 décembre 2020, date butoir que j'ai rappelée tout à l'heure, entraînant de fait le retour à l'application du règlement national d'urbanisme (RNU), ce que redoutent les communes concernées. En effet, les décisions des services instructeurs en application du RNU sont souvent très restrictives en matière de constructions nouvelles. Durant cette période, le Gouvernement a pris plusieurs ordonnances, en accord avec les lois votées au Parlement pour permettre à notre pays de s'adapter à cette situation exceptionnelle. Certaines sont relatives à l'urbanisme et à la construction. Elles ont ainsi permis de proroger les délais échus ou impactés pendant la période d'urgence sanitaire et d'adapter certaines procédures administratives. Nous vous demandons qu'un report au 31 décembre 2021 soit acté le plus rapidement possible afin de rassurer les communes concernées et d'apporter souplesse et sérénité aux élus intercommunaux, notamment ceux qui sont issus du dernier renouvellement des exécutifs, vis-à-vis d'une procédure complexe dans laquelle leurs marges de manoeuvre est souvent assez réduite.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie et vous signale qu'une proposition de loi de notre collègue Rémi Pointereau va dans ce sens.
Mme Sylviane Noël . - Madame la Ministre, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire à de multiples reprises avec votre prédécesseur, je souhaite profiter de cette audition pour vous sensibiliser sur l'absolue nécessité de territorialiser davantage les politiques dédiées au logement. Le zonage ABC affecté à de nombreuses communes se révèle inadapté. Ce zonage prend en considération la tension du marché immobilier local comme critère de classement. Or nombre de communes sont classées en zone B2 alors qu'elles mériteraient un classement en zone B1.
À titre d'exemple, à Chamonix, le coût moyen du mètre carré s'élève à 6 500 euros pour un appartement et 8 600 euros par mètre carré pour une maison. Pour un habitant de Chamonix consacrant l'intégralité de son salaire à l'achat de son bien immobilier d'une surface de 70 mètres carrés seulement, plus de vingt-quatre années seront nécessaires à cette acquisition, contre six ans et demi en moyenne pour le reste du territoire national - des chiffres pratiquement sans équivalence en France. Bloquée en zone B2, la commune est ainsi privée de nombreuses aides à l'investissement locatif intermédiaire, notamment du dispositif fiscal de TVA à taux réduit qui s'applique aux logements intermédiaires portés par les investisseurs en zone A et B1. La mise en oeuvre d'un zonage et de dispositifs adaptés aux particularités du territoire constitue un enjeu majeur pour le maintien des populations, le dynamisme économique et la vitalité des services publics.
J'avais eu connaissance d'une expérimentation intéressante menée en Bretagne. Contrairement au reste du territoire, ce sont les collectivités locales qui y déterminent les zones où la tension immobilière est forte et qui peuvent donc bénéficier du dispositif. L'objectif est de permettre une meilleure adéquation de la loi Pinel avec les enjeux territoriaux. La question est simple. Envisagez-vous un élargissement de ce dispositif à d'autres territoires ?
M. Jean-Claude Tissot . - Madame la Ministre, j'ai deux questions principales à vous poser. Tout d'abord, je souhaite revenir sur la prime à la transition énergétique « MaPrimeRénov' » et rappeler l'ampleur des travaux de rénovation thermique. Nous avions demandé il y a plusieurs années l'élargissement de cette aide aux ménages plus modestes. Elle constitue une décision de bon sens. Toutefois, il convient de continuer à réfléchir sur ce sujet. Les ménages en situation de précarité pourront-ils utiliser cette prime si le reste à charge en matière de travaux reste trop élevé ? Dans le cadre du projet de budget, le dispositif « MaPrimeRénov' » est doté d'une enveloppe de 740 millions d'euros à laquelle il convient d'ajouter l'enveloppe de 1,75 milliard d'euros résultant du plan de relance. Les crédits mobilisés sont-ils réellement à la hauteur de l'enjeu visant à mettre fin aux passoires thermiques le plus rapidement possible et atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 ? Le déploiement plus ambitieux des crédits permettrait d'atteindre un niveau de 750 000 logements par an. Madame la Ministre, quels sont vos objectifs concrets en matière de rénovation thermique des logements pour l'année à venir ?
Je souhaite également vous alerter sur le sujet des aides au logement. Durant ces trois dernières années, les décisions successives du Gouvernement en matière d'aide au logement sont édifiantes : baisse de 5 euros des APL en 2017, gel du barème des APL et suppression de l'APL-Accession en 2018. Après de multiples reports, la mise en oeuvre de la contemporanéité des aides au logement devrait avoir lieu le 1 er janvier 2021. Les économies générées par cette réforme sont bien inférieures aux estimations initiales du Gouvernement. Les prévisions portent sur 750 millions d'euros d'économies au lieu des 1,2 milliard d'euros annoncés. Alors que la précarité touche 25 % des jeunes de 18 à 24 ans, le Gouvernement persiste en refusant de réévaluer les aides au logement et en s'opposant à une indexation sur l'indice de référence des loyers. Ce projet de loi de finances ne prend pas la mesure de la gravité de la situation sociale et de l'augmentation du nombre de personnes qui sont en train de tomber dans la précarité.
En cette période de crise sanitaire, économique et sociale, il est grand temps de réagir. Madame la Ministre, ma question sera identique à celle qui avait été posée à vos prédécesseurs l'an dernier. Cependant, nous nous situons cette année dans un contexte bien plus grave. Envisagez-vous de revoir vos décisions sur les aides au logement afin qu'elles n'impactent pas aussi brutalement les jeunes de 18-24 ans qui doivent déjà lutter pour ne pas tomber dans une situation de grande précarité ?
M. Laurent Somon . - Madame la Ministre, je souhaite compléter les remarques sur la construction en milieu rural, qui est extrêmement difficile. Je rejoins les observations de Daniel Laurent au sujet de la réglementation. La multiplication des avis nécessaires pour obtenir les autorisations rend la situation très complexe. Ne pourrait-on pas regrouper les différentes commissions au lieu du morcellement actuel qui rend le processus d'autorisations encore plus complexe ?
Je rejoins le point de vue de M. Jean-Marc Boyer quant à la réutilisation des terres. Je pense que nous sommes bien conscients de ce problème, mais qu'il manque un certain nombre de définitions dans la réglementation. Les services de l'État se retranchent souvent derrière la définition de la « dent creuse » à l'intérieur du périmètre à urbaniser, considérant qu'elles sont soit trop petites, soit trop grandes et empêchent de pouvoir construire, même en zone urbanisée. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec M. Daniel Salmon. Il n'y a pas forcément moins de facilités en zone très rurale pour pouvoir construire, même en milieu urbanisé.
Par ailleurs, je souhaite rappeller une proposition que nous avions exprimée auprès du Président de la République lors du Grand débat. Il s'agit de pouvoir créer une commission sur le logement au niveau rural. Je rejoins en effet les préoccupations exprimées par Mme Marie-Noëlle Lienemann sur la territorialisation en matière de construction. Cette commission réunirait la commune, les représentants de l'agriculture pour le contrôle de la consommation des terres agricoles ainsi que le département et la préfecture pour le contrôle de l'égalité. Cela permettre d'étudier de façon plus pragmatique la nécessité de la construction en milieu rural.
Enfin, rejoins les propos de M. Joël Labbé à propos de l'habitat léger. En zone rurale, il s'agit d'une opportunité pour le développement économique, notamment dans le cadre de la diversification agricole. Il faudrait se pencher sur les moyens de faciliter le développement de cet habitat léger. Enfin, quelles mesures d'accompagnement sont proposées en milieu rural ? Vous souhaitez faire évoluer les pratiques en matière de chauffage et d'efficacité énergétique en supprimant les aides à la rénovation pour les systèmes de chauffage à base de fuel. Envisagez-vous de soutenir le recours au bioliquide pour le milieu rural ? Quelles aides est-il possible d'y développer ?
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci à tous. Je souhaite poser une dernière question à Madame la Ministre. Comme vous le savez, les années électorales sont souvent des années creuses pour la construction. Le renouvellement des assemblées départementales et régionales interviendra en 2021. Ces élections vont probablement être repoussées au mois de juin. Pensez-vous que ce processus peut constituer un frein dans l'avancée des grands projets ? J'ai cette inquiétude, même si j'espère que cela ne sera pas le cas.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement . - Madame la Présidente, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, je vous remercie pour toutes ces questions. Je vais m'efforcer d'y répondre dans l'ordre.
Concernant Action Logement, je vous ai parlé de l'intention du Gouvernement. Les deux principaux objectifs sont l'amélioration du fonctionnement et de la gouvernance ainsi que la clarification des interventions d'Action Logement. En ce qui concerne les niveaux d'intervention et la place d'Action Logement dans le paysage du logement, la baisse de la PEEC n'est pas un objectif en soi de la réforme. Je voudrais le souligner de façon claire. Nous allons travailler avec les partenaires sociaux. Vous savez que les organisations patronales et les organisations syndicales n'ont pas toutes les mêmes positions quant au bon niveau de la PEEC. Elles vont exprimer des propositions sur ce sujet. L'une des pistes qui avait été évoquée consistait à réaliser des économies sur les frais de fonctionnement et les frais de recouvrement afin qu'elles soient rendues aux entreprises pour leur donner davantage de marge de manoeuvre. Il ne s'agit pas forcément d'agir sur les dépenses elles-mêmes. Le niveau des économies de fonctionnement est relativement bas. Elles ne vont pas être abaissées à zéro. En tout cas, l'objectif n'est pas la baisse de la PEEC en tant que telle, mais plutôt la meilleure efficacité.
S'agissant de la participation des élus locaux, je partage les préoccupations consistant à retrouver la territorialisation d'Action Logement au travers de cette réforme ainsi que le lien entre le cadre d'action national et les actions locales. L'intervention d'Action Logement, sa valeur ajoutée et les enjeux pour lesquels son rôle est important varient selon les territoires. Il me semble essentiel de donner une marge de manoeuvre importante à la capacité d'Action Logement à répondre aux besoins des entreprises sur les territoires. J'ai pu apprécier la situation sur le terrain à de nombreuses reprises, notamment en Vendée.
Je souhaite également répondre à Mme Marie-Noëlle Lienemann au sujet du calcul des APL en temps réel. Le but initial de cette réforme consistait à réaliser des économies au regard d'une masse salariale croissante et de trajectoires individuelles en progression. La référence aux ressources les plus récentes connues fait sortir plus rapidement du taux plein.
Les APL s'ajustent en fonction des ressources. Ce principe me semble assez juste. Il est compliqué de calculer les allocations sur la base des ressources N - 2. De plus, les ressources nettes des ménages dépendent de nombreux éléments liés aux allocations, versements et impôts. Si une partie des APL est calculée en fonction des dernières ressources disponibles tandis qu'une autre partie est basée sur les ressources plus anciennes, personne ne comprend rien à la cohérence du système. La réforme sera mise en place au 1 er janvier 2021. Notre hypothèse sous-jacente d'économies n'a plus rien à voir avec la précédente. Alors que les premières simulations portaient sur la réalisation de 1,2 milliards d'économies, celles-ci devraient finalement être inférieures à 500 millions d'euros. Toutefois, les hypothèses d'évolution de la masse salariale sont difficiles à définir. Je ne dispose pas de chiffres plus précis. Il est en tout cas certain que cette réforme va créer de nombreux gagnants, ce qui n'était pas initialement prévu. Je rappelle que les revenus de nombreux ménages vont malheureusement baisser, notamment les salariés au chômage partiel percevant 84 % de leur salaire, les intermittents qui ont perdu toute activité ainsi que les personnes qui avaient signé plusieurs contrats et n'en ont plus qu'un seul. Or actuellement, les APL ne sont pas ajustées en cas de baisse de revenus. Chaque année, 30 à 40 % des allocataires voient leurs APL évoluer à la hausse ou à la baisse. Ce taux devrait avoisiner 50 % au 1 er janvier. Pour autant, cela ne signifie pas que les APL de 50 % des allocataires vont évoluer à la baisse. Très probablement, il y aura un bien meilleur équilibre qu'on ne le pensait lors de la conception de cette réforme.
Concernant le logement social, nous n'avons pas retenu le retour de la TVA à 5,5 %. En revanche, l'enveloppe de 500 millions d'euros figurant dans le plan de relance pour le financement des rénovations et des réhabilitations lourdes au sein du logement social passera probablement par le Fonds national des aides à la pierre (FNAP). Il s'agit d'une manière de remettre de l'argent dans le logement social.
Par ailleurs, je suis très favorable au soutien aux OFS. Nous allons reprendre une partie des propositions de M. Jean-Luc Lagleize, que vous aviez étudiées de façon très précise lors de l'examen de la proposition de loi, et auxquelles avaient été intégrées un certain nombre de transformations. Nous souhaitons apporter des améliorations à la partie OFS. La garantie d'emprunt des départements n'était pas envisageable en PLF. Nous allons faire en sorte de rendre possible la garantie d'emprunt des départements sur les OFS dans le cadre de la loi 3D.
Concernant l'accession sociale à la propriété, le prêt à taux zéro a été prorogé dans le cadre de deux exercices. Nous donnons de la visibilité non seulement pour 2021, ce qui était déjà le cas, mais également pour 2022. Nous n'avons pas totalement achevé notre réflexion sur l'atterrissage du prêt à taux zéro. Je souhaite poursuivre ce travail durant l'année prochaine afin de trouver un meilleur équilibre entre le logement et le logement ancien. Le prêt à taux zéro n'est pas principalement un outil de soutien à la construction, mais un outil de soutien à l'accession. Il s'agit d'une aide sociale des ménages avant d'être une aide à la construction de logements.
Je souhaite également revenir sur la question délicate de l'équilibre territorial. De fait, le PTZ dans l'ancien est ouvert dans les zones B2 et C à 40 %. La quotité dans le neuf a été réduite afin de ne pas donner d'incitation indirecte à la construction neuve par rapport à la rénovation. J'entends cet argument, car l'aide existe dans le secteur ancien. Je pense que nous reviendrons au prêt à taux zéro pour les exercices postérieurs à 2022 en nous efforçant de trouver le bon équilibre entre les enjeux de l'aménagement du territoire 2017, le caractère social et la plus grande efficacité possible de l'outil en cette période de baisse des taux.
La question du bilan carbone de la construction neuve fait partie des enjeux de la RE 2020. J'y reviendrai peut-être, car de nombreuses questions ont été posées à ce sujet. En ce qui concerne l'appel des 101 maires, nous allons poursuivre notre soutien à l'ANRU au travers d'Action Logement. L'avenant au plan d'investissement volontaire prévoit de rediscuter de la place de l'ANRU. C'est la raison pour laquelle je suis favorable à un partenariat stratégique avec Action Logement. L'enveloppe du NPRU est fixée à 10 milliards d'euros. Nous pourrions imaginer de la porter à 11 ou 12 milliards d'euros sur une durée longue. Je crois que 85 % des opérations sont engagées. Il a fallu du temps. Désormais, le gros du travail est fait. L'augmentation éventuelle de l'enveloppe permettrait de mieux financer les opérations qualitatives et d'aller plus loin dans la réhabilitation.
Concernant les APL versées aux étudiants, nous avons examiné cette question de très près et vérifié qu'il n'y aura pas de perdants dans le cadre de la réforme. Le niveau des APL des étudiants qui ne travaillent pas restera inchangé. Les étudiants qui travaillent en parallèle à leur cursus ne seront pas perdants. Ils sont protégés en raison de l'évolution du plancher de ressources vers un système de forfait. Les jeunes qui vont obtenir un emploi sur le marché du travail seront plutôt des perdants de la réforme, mais il ne s'agit pas de la population qu'il est le plus important de protéger durant cette période. Le calcul de leur APL sera effectué à partir des derniers mois disponibles, sur la base de leur salaire, de façon progressive, avec un changement par trimestre.
Concernant les OPAH, il est possible de les réaliser non seulement sur une période de trois ans, mais également une période de cinq ans.
S'agissant de l'habitat léger, je suis tout à fait favorable à engager une réflexion destinée à retravailler le cadre juridique s'il existe un besoin de sécurisation réglementaire. Restaurer la confiance avec tous les acteurs du logement public et privé est ce que je m'efforce de faire depuis ma prise de poste. C'est la raison pour laquelle nous allons négocier la réforme d'Action Logement et nous avons redonné de la visibilité au dispositif Pinel et au prêt à taux zéro. Vous affirmez l'avoir arraché, mais je rappelle qu'il s'agit d'un amendement du Gouvernement. En tout cas, mes objectifs depuis ma prise de poste consistent à redonner de la visibilité à ces dispositifs. J'ai d'ailleurs mentionné le logement intermédiaire, complémentaire au dispositif Pinel, dans mes propos. Les deux compartiments ont besoin d'exister l'un et l'autre. Dans les deux cas, il s'agit de mettre sur le marché des logements à loyer intermédiaire au niveau situé entre le logement social et le secteur libre. Je vous rejoins sur le sujet des exonérations de taxe du foncier bâti, qui est réellement une difficulté, compliquée à traiter. Nous nous sommes engagés à l'Assemblée nationale à faire examiner une solution devant le Parlement. Elle ne pourra pas être étudiée dans le cadre de la loi de finances pour 2021, mais au plus tard au deuxième semestre de l'année prochaine. Nous réfléchirons aux moyens de mieux soutenir le logement intermédiaire et de répondre à cette question d'exonérations.
Dans le secteur des logements neufs, la baisse des volumes des projets n'est pas uniquement liée au soutien à la demande. Je suis convaincue qu'il s'agit à la fois d'un problème de solvabilisation de la demande et d'un problème d'offre. Les opérations sont trop peu nombreuses. Ce sujet est compliqué pour les maires et les promoteurs. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à signer ce pacte avec les associations de collectivités locales. Je connais la valeur et la limite d'un pacte signé avec ces interlocuteurs. Au-delà de la démarche de mobilisation locale par les préfets, ce pacte permet de redonner l'envie de construire en montrant qu'il est possible de le faire dans des conditions de qualité, de durabilité et d'écologie ainsi que des conditions d'acceptabilité sociale et d'accueil de nouveaux habitants satisfaisantes. Les enjeux portent à la fois sur le contenu de la construction, l'égalité du dialogue local et l'équation économique. La construction soulève en effet la question de l'accueil des nouveaux habitants et de la réforme des bases de la fiscalité territoriale. Tant que nous n'avons pas traité ce sujet, nous n'aurons pas totalement répondu à la question des raisons du trop faible nombre de constructions neuves en France. L'augmentation des aides fiscales ne me semble pas permettre de répondre totalement à cette problématique. Mon objectif est de retrouver la confiance avec le secteur. Je m'y emploie avec énergie et détermination depuis ma prise de poste et m'efforce de donner de bons signaux au fur et à mesure des dossiers. Je cherche à nouer des discussions de moyen terme et à replacer dans le débat la définition d'une construction durable et désirable. Il s'agit d'un message politique sur la construction à toutes les échelles, dans les centres-villes des métropoles, dans les villes moyennes, les périphéries, les actions de coeur de ville et la ruralité. Nous en aurons besoin.
Concernant la rénovation, je ne vous rejoins pas complètement au sujet des chiffres. Sur le plan budgétaire, « MaPrimeRénov' » fait l'objet d'une enveloppe de 2,3 milliards d'euros cette année. Ce niveau est comparable avec le CITE. Entre-temps, nous avons toutefois récolté 2 milliards d'euros de certificats d'économie d'énergie. Par ailleurs, il était prévu d'affecter 50 % de la dépense du CITE aux deux déciles 9 et 10, à savoir les déciles les plus aisés et 50 % aux fenêtres. Cela n'était pas un élément structurant de la rénovation en France. Il me semble que notre politique va favoriser la hausse du nombre des rénovations parmi des segments de populations plus nombreux.
Pour répondre à la question de M. Daniel Laurent sur l'aménagement du territoire, je pense effectivement que plusieurs facteurs sont en jeu, la difficulté de trouver du foncier ainsi que l'empilement des documents. J'ai signé une ordonnance destinée à clarifier les liens entre les SCOT, les PLU et les SRADDET. Les documents sont nombreux et ne relèvent pas tous de la même temporalité. Il est parfois difficile de les rendre compatibles. Il reste peut-être des améliorations à mettre en oeuvre. Je suis tout à fait prête à simplifier encore le processus si cela est possible, y compris dans le cadre de l'application de la loi « Littoral ».
Concernant la loi SRU, il n'est pas possible d'affirmer que nous manquons de logements sociaux et de faire confiance aux partenariats à chaque triennale. De fait, j'ai diffusé des consignes de fermeté. À ma connaissance, les préfets ou les sous-préfets sont allés à la rencontre des maires. La commission d'harmonisation présidée par M. Thierry Repentin, maire de Chambéry, va permettre de vérifier que les politiques d'application de la loi SRU sont harmonisées d'un département à un autre et d'une région à une autre. Il y aura un retour avant décision définitive. Les critères de la loi SRU sont assez clairs. Ils concernent à la fois le niveau atteint et la trajectoire. Dans certaines communes, celle-ci est bien respectée. Dans d'autres communes, un tiers de la trajectoire est atteinte. Elle est même parfois à zéro.
S'agissant de l'artificialisation, le débat sera mené dans le cadre du projet de loi de transposition des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. L'objectif est la division par deux de l'artificialisation dans les dix années à venir. L'objectif d'atteinte du niveau zéro est très ambitieux. Vous savez que les surfaces artificialisées représentent l'équivalent d'un département tous les dix ans. Cette démarche a essentiellement lieu dans des zones où la population diminue. Il n'est même pas possible d'affirmer que l'artificialisation progresse là où la démographie progresse, car cela n'est pas le cas. Il faut trouver une réponse à cette question. Le Gouvernement est en train d'y travailler. Les arbitrages ne sont pas encore rendus. Je ne peux répondre précisément quant aux moyens de transposer cette proposition. En tout cas, cette question sera examinée par la représentation nationale.
Les travaux sur la RE 2020 se poursuivent. Les principaux arbitrages devraient être rendus d'ici la fin d'année. Pour l'instant, la date d'effet est prévue à mi-2021. Je pense que nous serons confrontés à deux pressions contraires. Une partie de nos interlocuteurs mettra en avant le fait que cette réforme est préparée de longue date et doit être enfin mise en oeuvre. Une autre partie des interlocuteurs soulignera que la crise rend déjà la situation suffisamment compliquée pour le secteur du neuf et qu'il est urgent de ne pas édicter les textes trop rapidement. Je retiens plutôt la première option. Les discussions sont engagées depuis un certain temps. Il n'y a jamais de bon moment pour mettre en place une nouvelle réglementation. Je souhaite qu'elle soit prête à mi-2021. Cette réglementation sera exigeante en matière de matériaux, puisqu'elle prévoit d'intégrer la réalisation de l'analyse en cycle de vie. Les enjeux ne porteront plus uniquement sur la consommation énergétique d'un bâtiment jusqu'à sa livraison, mais également sur l'impact carbone du bâtiment durant tout le cycle de vie des matériaux. Les matériaux biosourcés seront donc très fortement avantagés. Pour autant, je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à la question sur l'intégration du bois local dans l'analyse du cycle de vie. Je ne suis pas certaine que le transport du matériau soit pris en compte. Je préfère ne pas vous répondre sur ce point.
M. Jean-Marc Boyer a abordé le sujet de la construction en zone rurale. Une question a été posée au sujet de l'équilibre entre la construction et la rénovation dans ces zones. Je crois qu'il s'agit d'un enjeu majeur si nous considérons que la politique consiste également à réhabiliter les coeurs de bourgs, les coeurs de villages et les bâtiments existants. Il s'agit d'une politique d'aménagement du territoire et du vivre ensemble. L'enjeu est d'associer cette politique de l'habitat avec la possibilité pour les usagers de disposer de services et de commerces. Le modèle économique doit le permettre. Tel est le souhait du ministre Julien Denormandie au travers du dispositif fiscal applicable à l'ancien. Tel est également le sens des aides à la rénovation qui seront applicables sur l'ensemble du territoire français. Il s'agit également de pouvoir financer des projets sur des friches. Je suis prête à poursuivre la réflexion et trouver un mode d'accélération si le panel des outils ne semble pas suffisant pour faire basculer l'intérêt économique, écologique et social des projets depuis le réinvestissement des coeurs de bourgs, en particulier en milieu rural, vers l'étalement. Je pense qu'il ne s'agit pas uniquement d'une problématique d'interdiction, mais de modèle. Cela nous mène d'ailleurs à revenir sur la question du logement social dans le secteur très diffus. Je pense que nous ne disposons pas de tous les outils nécessaires à ce stade.
Par ailleurs, le Gouvernement n'a pas prévu de revenir sur le mois de carence des APL. Cette règle est transversale à toutes les prestations sociales. Même si je comprends que cela puisse poser problème aux personnes qui reviennent de l'étranger et sont confrontées à des difficultés, cette règle est applicable à toutes les prestations. Il faut sans doute traiter ces situations spécifiques.
S'agissant de la caducité des POS, nous n'avons pas prévu de revenir sur ce sujet, déjà identifié depuis un certain temps. La loi « Engagement et proximité » édictée en fin d'année 2019 a prévu une année supplémentaire en 2020. D'après ce que j'ai compris, 546 POS ne sont pas encore repris. Ce chiffre est peu élevé à l'échelle de 35 000 communes. À ce stade et sous la responsabilité du ministère de la cohésion des territoires, la réponse du Gouvernement est de s'en remettre au Règlement national d'urbanisme (RNU).
Concernant la territorialisation et le zonage, je pense qu'il faudra retravailler ce sujet sous deux angles. Il faut réaliser un bilan de l'expérimentation menée en Bretagne, qui s'achèvera fin 2021 après la remise d'un rapport en milieu d'année 2021. À quantité de zonages éligibles donnés, la répartition s'effectue en bonne intelligence entre les élus et l'État. Il sera intéressant de pouvoir réaliser un bilan qualitatif et quantitatif de cette expérimentation et le cas échéant, de l'étendre si les résultats sont satisfaisants. Je pense que le zonage réalisé en 2014 pose effectivement problème dans un petit nombre de territoires. Je suis prêt à travailler en lien avec les services pour examiner les problématiques particulières de ce type dans l'attente d'une réforme plus générale du zonage. Je pense notamment à Chamonix, à la Vendée et à Belfort. Il y a sûrement d'autres situations à examiner en 2021.
S'agissant du dispositif « MaPrimeRénov' », je rappelle qu'au cas où le début de l'enveloppe serait consommé très rapidement, nous sommes en capacité d'en réattribuer. Pour l'instant, nous avons prévu de distribuer cette aide à 500 000 demandeurs l'année prochaine. Par ailleurs, je rappelle que l'indexation des APL interviendra en 2021.
Concernant la construction en milieu rural, je ne suis pas opposée à rouvrir une réflexion pour identifier d'éventuelles marges de progrès. Vous avez également posé une question sur l'habitat léger. Je suis favorable à ce que nous examinions précisément la question d'éventuels ajustements à effectuer. Concernant les chaudières à fioul, le décret n'est pas encore paru. Nous allons nous efforcer de le mettre en oeuvre rapidement. L'enjeu concerne les nouvelles installations de chaudière à fioul, et non les équipements déjà installés. Les alternatives sont essentiellement les chaudières à gaz, les pompes à chaleur, y compris les installations couplées au fioul si cela est nécessaire de façon résiduelle, ainsi que les chaudières à granulés de bois. Évidemment, la filière bois est tout à fait adaptée à ces enjeux. Enfin, je pense que ces sujets doivent être intégrés à la campagne des élections régionales et départementales. Évidemment, ils n'auront pas le même impact dans le cadre des élections municipales, puisque les permis de construire sont délivrés à ce niveau, mais les départements et les régions peuvent également s'impliquer dans l'enjeu de la construction durable.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je remercie chacun de vous pour la précision des questions posées et pour le temps que vous avez consacré à y répondre, Madame la Ministre, certains d'entre nous ont été satisfaits par vos réponses, même si je ne suis pas certaine que tous aient été convaincus, mais je vous félicite pour cet exercice. Nous nous retrouverons lors de l'examen du projet de loi de finances dans l'hémicycle. Ces discussions se poursuivront avec les rapporteurs. Enfin, je remercie les collègues qui ont participé à ces échanges en visioconférence.
Examen en commission
(Mercredi 25 novembre 2020)
Réunie le mercredi 25 novembre 2020, la commission a examiné le rapport de Mme Viviane Artigalas sur les crédits « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2021.
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Nous passons au quatrième rapport, avec Mme Viviane Artigalas, à la mission « Cohésion des territoires » pour le programme « Politique de la ville ».
Mme Viviane Artigalas , rapporteure pour avis . - Madame la Présidente, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, 101 maires de banlieues de toutes les couleurs politiques publiaient une Lettre ouverte au Président de la République pour l'égalité républicaine de nos quartiers prioritaires . Au regard des espoirs créés par le discours d'Emmanuel Macron à Tourcoing, trois ans auparavant, et de son ambition de « changer le visage de nos quartiers d'ici la fin du quinquennat », le constat est amer. Le Rapport Borloo, qui avait été justement lancé à Tourcoing, est resté lettre morte, loin des 70 % de mesures mises en oeuvre annoncées le 2 octobre dernier dans le discours du Président de la République prononcé aux Mureaux. Selon ces maires, « seules quelques mesures éparses, bien souvent portées par les villes ont pu être engagées, dont quatre seulement avec le portage de l'État ! ». Ce rapport préconisait un changement radical de méthode : « il faut mettre en mouvement chacun des programmes en même temps afin de provoquer un effet de blast et une dynamique extrêmement puissante. C'est un plan de réconciliation nationale ». Ce changement de méthode n'a pas vu le jour, la réconciliation nationale non plus.
C'est la parole de l'exécutif qui est décrédibilisée. Dans le discours du 23 mai 2018, Emmanuel Macron enterrait le Rapport Borloo et annonçait la concrétisation d'ici à juillet 2018 d'une initiative « coeur de quartier » à l'exemple du Programme Action coeur de ville. Elle n'a jamais vu le jour. Quand les maires en ont parlé au Premier ministre lundi dernier, personne ne savait de quoi il s'agissait.
C'est dans ce contexte alarmant qu'il nous faut ce matin examiner les crédits de la politique de la ville, inscrits au programme 147, au sein de la mission de cohésion des territoires du projet de loi de finances pour 2021.
L'analyse de ce budget m'inspire trois idées principales. Tout d'abord, les quartiers dits « prioritaires » sont en réalité les oubliés du plan de relance. Ensuite, l'absence de choix est le signe d'un manque de vision. Et enfin, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, a redémarré, mais le Gouvernement est resté sur le bord de la route...
À travers ce projet de budget, on constate donc tout d'abord que les quartiers dits « prioritaires » sont en réalité les oubliés du plan de relance. Comment cette occultation a-t-elle pu se produire ? Il y a en fait trois temps.
Le premier est le respect formel des engagements pris par le Président de la République de sanctuariser les crédits de la politique de ville. En effet, après avoir rejeté le Rapport Borloo, Emmanuel Macron a toutefois annoncé une augmentation de 80 millions d'euros par an des crédits sur le quinquennat et un doublement du nouveau programme de renouvellement urbain, le NPNRU. J'y reviendrai.
Concernant les crédits, effectivement, en 2021, les crédits du programme 147 dépasseront 515 millions d'euros, soit une augmentation de 3,4 % par rapport à l'année dernière et 87 millions de plus qu'en 2018. L'engagement est tenu, dont acte.
La ministre de la ville va même plus loin, elle présente un budget en forte augmentation, mais en trompe-l'oeil, c'est le second temps de l'occultation. Elle annonce en effet une augmentation de 46 millions d'euros soit une hausse de 9,8 %, mais il s'agit d'autorisations d'engagement. Les crédits de paiement n'augmentent, eux, que de 21 millions d'euros. La différence s'explique par le fait que, d'un côté, on a inscrit plus 15 millions d'euros en autorisations d'engagement en faveur de l'ANRU, et que, de l'autre côté, on constate une baisse de 10 millions d'euros de crédits de paiement en défaveur de l'ANRU. C'est une sorte de « tour de passe-passe » budgétaire. En fait, ces nouvelles autorisations d'engagement ne sont pas utiles puisque les 200 millions d'euros promis sur le quinquennat ont déjà été inscrits en 2018 et 2019 et n'ont pas été décaissés !
Du respect formel des engagements à l'illusion d'une forte augmentation, on passe au troisième temps, celui de l'oubli des quartiers populaires dans le plan de relance alors qu'ils sont en plein désarroi.
Que nous disent les 101 maires - plus de 180 maintenant - que nous avons reçus lundi dernier ? Partout sur le terrain, les signaux sont au rouge. Les quartiers populaires sont deux fois plus infectés par la Covid-19 en raison de l'exiguïté des logements. C'est ce qu'a montré l'enquête de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, dans l'étude EpiCov (épidémiologie et conditions de vie) publiée le 9 octobre dernier.
De plus, la crise sanitaire a provoqué une très grave crise économique et sociale. Les demandes d'aide alimentaire explosent. À Mantes, le nombre de tickets alimentaires distribués a doublé entre 2019 et 2020. Les demandes de RSA progressent massivement. D'octobre 2019 à octobre 2020, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 20 % à Grigny dans l'Essonne. Il a doublé à Arras dans le Pas-de-Calais. Le chômage augmente : + 13 % à Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines. Il aurait doublé à Reims.
Or, les maires dénoncent aujourd'hui une véritable « non-assistance à territoires en danger ». Selon eux, un virus bien plus dangereux que la Covid-19 se répand dans les quartiers, celui du « décrochage de la République ». « En dépit des alertes, les quartiers populaires restent un angle mort du plan de relance, aucune mesure ambitieuse n'a été prise ».
Déjà, dans le rapport d'Annie Guillemot et Dominique Estrosi Sassone sur la crise sanitaire et les mesures de relance rendu au nom de notre commission, le bon diagnostic avait été posé. Nos collègues alertaient sur les conséquences du confinement dans ces territoires fragilisés et elles demandaient la mise en oeuvre d'une politique très ambitieuse à la fois de médiation sociale en direction de la jeunesse et de construction à travers l'ANRU. Elles soulignaient en outre qu'après la crise de 2008, les quartiers avaient fait l'objet d'une attention toute particulière.
Face aux critiques à propos de l'absence de dispositions spécifiques dans le plan de relance, Nadia Hai déclarait : « Pourquoi se contenter d'une enveloppe quand on peut prétendre à l'ensemble du plan de relance ? ». Pourtant, « C'est n'être nulle part que d'être partout » écrivait Sénèque avec la sagesse de l'ancien monde que ne renieraient pas les élus de terrain !
Les maires de banlieues demandent aujourd'hui 1 % du plan de relance, soit un milliard d'euros dont la moitié pour financer de l'aide d'urgence pour les associations de jeunesse, les distributions alimentaires et l'action sanitaire. L'autre moitié viserait à mobiliser les acteurs de la formation professionnelle et de l'emploi ainsi qu'à recruter massivement des médiateurs.
Suite, à la rencontre que nous avons eue avec eux, nous avons décidé de proposer un plan de 500 millions d'euros dès 2021, ce qui rend possible d'atteindre un milliard sur le plan de relance. Cela comprend : la création d'un Fonds spécifique de 200 millions d'euros dédié à ces communes pour leur permettre de disposer des moyens financiers afin de pallier l'urgence de la situation économique et sociale et lancer des projets qui pourront recréer une dynamique ; des moyens en faveur de l'emploi à hauteur de 89 millions d'euros à travers les parcours emploi compétences et les cités de l'emploi, de l'éducation à hauteur de 51 millions d'euros autour du programme de réussite éducative et des cités éducatives, et de la santé à hauteur de 15 millions d'euros pour déployer des actions spécifiques alors que ces quartiers ont été les plus touchés par la crise sanitaire ; les fonds nécessaires pour que l'État tienne ses engagements et de donner une nouvelle impulsion au NPNRU à hauteur de 145 millions d'euros ; et enfin la création du Conseil national des solutions inspiré du Rapport Borloo.
Les amendements portant sur le plan de relance ont été déposés hier et je les ai proposés à votre cosignature. Les amendements portant sur le programme 147 vont être débattus tout à l'heure.
Si la politique de la ville a été oubliée dans le plan de relance, c'est sans doute parce que le Gouvernement manque d'une vision sur le sujet. C'est le deuxième volet que je voudrais mettre en avant dans cet avis budgétaire sous trois aspects : la poursuite ou l'amplification de dispositifs peu ou mal évalués, la pérennisation de mesures d'urgence peu structurantes, et l'absence de promotion d'une vision positive et dynamique de ces quartiers.
On constate donc tout d'abord dans ce budget la poursuite ou l'amplification de dispositifs peu, mal ou négativement évalués. Je voudrais en donner deux exemples.
Le premier est le dispositif des zones franches urbaines - territoires d'entrepreneurs (ZFU-TE). Il arrivait à son terme le 31 décembre. Par amendement, le Gouvernement l'a fait prolonger de deux ans par l'Assemblée nationale. Pourtant, au premier semestre 2020, un rapport d'inspection, promis mais toujours pas communiqué au Parlement, a conclu que cette mesure d'exonération d'impôt sur les sociétés ou les revenus, qui coûte 201 millions d'euros, n'avait pas démontré son efficacité en matière de création d'entreprises et d'emplois. Le Gouvernement motive son amendement par le caractère symbolique de la mesure et la nécessité d'ouvrir une concertation pour imaginer une alternative.
Le second exemple, ce sont les emplois francs. Ils sont en dehors du périmètre budgétaire du programme 147. Mais il faut s'y arrêter un instant car c'était une des grandes promesses présidentielles lors de la campagne de 2017 et, dans le plan de relance, il a été décidé de renforcer les aides à hauteur de 8,1 millions d'euros pour 3 100 jeunes bénéficiaires potentiels... Les emplois francs sont une aide de 5 000 euros par an sur trois ans pour l'embauche en CDI d'une personne issue des quartiers quel que soit son âge. Environ 30 000 contrats ont été signés mais c'est très loin de l'ambition initiale puisque seulement 10 à 15 % de l'enveloppe budgétaire est consommée.
A contrario , l'EPIDE, l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi, dispositif éprouvé de formation et de réinsertion de jeunes via une vie en collectivité structurée, est doté de 4 millions d'euros supplémentaires pour appuyer l'ouverture d'un nouveau centre en Seine-Saint-Denis et pourrait être plus amplement soutenu.
On assiste ensuite à la pérennisation de mesures d'urgence peu structurantes. Le principal exemple est le dispositif Vacances apprenantes, qui, en 2020, a coûté 283 millions d'euros dont 86,5 sur la mission cohésion des territoires. Cette mesure qui visait à combler le décrochage scolaire en raison du premier confinement et de la reprise partielle de l'école avait aussi une finalité « occupationnelle » et sociale non dissimulée. 1 514 nouveaux adultes relais ont également été recrutés à cet effet. Leur prolongation en 2021 est chiffrée à 10 millions d'euros. En revanche, la pérennisation des Vacances apprenantes, annoncée par le Président de la République aux Mureaux, le 2 octobre dernier, n'est toujours pas budgétée, soit un manque de 85 millions d'euros sur un budget total de 515 millions, je le rappelle.
Face à cette absence inquiétante de vision au regard des enjeux des quartiers, je voudrais esquisser deux pistes en me fondant sur des travaux de think tank ou de recherche. Elles ne sont naturellement pas exhaustives mais elles permettent de sortir, sans angélisme, d'une vision exclusivement communautaire, pour ne pas dire religieuse, et sécuritaire de ces quartiers. Car si leur fragilité est indéniable une réelle dynamique économique et entrepreneuriale les anime, comme l'avait rappelé le Rapport Borloo. J'ai la conviction que c'est en partie grâce à elle que se comblera le fossé avec le reste de la société.
Première piste, en octobre 2020, l'Institut Montaigne a publié un rapport intitulé « Les quartiers pauvres ont un avenir ». Que dit-il ? Qu'il faut d'abord abandonner les préjugés. La Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France, est pourtant le 8 e contributeur au financement de la protection sociale et celui qui en reçoit le moins par habitant. Il compte aussi pour 29 % de l'augmentation de la masse salariale en France entre 2007 et 2018. Pour l'Institut Montaigne, il s'agit donc de jouer sur les atouts de ces quartiers : la jeunesse, la mobilité et une réelle compétitivité foncière dans les métropoles. Le rapport plaide pour une « ANRU des habitants » à côté de « L'ANRU des bâtiments » d'autant que ces quartiers sont plus des sas que des trappes à pauvreté. Il plaide également pour une sorte de « loi SRU à l'envers », c'est-à-dire un plafonnement des logements sociaux dans ces communes.
La seconde piste, c'est une étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques, l'INSEE, et de l'Institut Paris Région, de juillet 2020, qui me la suggère. Que dit ce travail sur « Les trajectoires résidentielles des habitants des QPV » ? Tout d'abord qu'ils sont tout autant mobiles que les autres, c'est-à-dire qu'environ 10 % des habitants des QPV déménagent chaque année. Dans plus de la moitié des cas, ils quittent la géographie prioritaire. Dans plus de 40 % des cas ils changent de statut d'occupation et 31 % d'entre eux accèdent à la propriété. Il y a donc une réelle trajectoire d'émancipation et d'ascension sociale. C'est le premier point important. Le second, pour nous législateurs, c'est que cette trajectoire se réalise à proximité immédiate des quartiers pour ne pas perdre l'ancrage amical et familial. Dans 30 % des cas, les habitants des QPV s'installent dans la bande des 300 mètres entourant le quartier et bénéficiant d'un taux de TVA réduit pour le logement neuf intermédiaire. Dans cette même zone, plus de 40 % des primo-accédants ont un revenu inférieur à 30 000 €, deux fois plus qu'ailleurs. C'est la raison pour laquelle, j'ai proposé un amendement en première partie, qui a été adopté, pour revenir au périmètre de 500 mètres, tel que voulu en 2003 par Jean-Louis Borloo, car cela fonctionne. Cette bande à proximité des quartiers est une zone dynamique et de mixité effective qui facilite l'insertion des QPV rénovés dans leur environnement urbain et social plus large.
J'en viens au troisième et dernier volet de mon analyse : l'ANRU a redémarré mais le Gouvernement est resté sur le bord de la route.
L'Agence nationale pour la rénovation urbaine a été critiquée pour son immobilisme au cours de ces dernières années. Mais aujourd'hui, l'ANRU a redémarré. Entre juillet 2018, après la confirmation du doublement du programme à hauteur de 10 milliards d'euros - dont un milliard financé par l'État initié dès 2016 par François Hollande - et mars 2020, l'ANRU a validé à marche forcée les projets de plus de 400 quartiers sur les 450 concernés par le nouveau programme national de renouvellement urbain, le NPNRU. Ce sont l'essentiel des moyens qui sont désormais engagés, plus de 85 % des projets sont validés. Ils doivent entraîner plus de 33 milliards d'euros de travaux, tous financeurs confondus, sur la durée du programme.
Déjà 290 opérations concernant 10 000 logements sont achevées. 600 sont actuellement en chantier. Par rapport à l'objectif fixé par le Premier ministre de 300 quartiers en travaux à la fin de 2021, en octobre 2020, les chantiers ont démarré dans 230 quartiers.
Mais le Gouvernement n'est pas au rendez-vous de ce redémarrage. Comme je l'ai déjà indiqué, il doit apporter un milliard sur la durée du programme, 200 millions sur la durée du quinquennat. En termes d'autorisations d'engagement, 15 puis 185 millions d'euros ont été inscrits en 2018 et 2019. En termes de crédits de paiement, en revanche, le compte n'y est pas. Entre 2018 et 2021, l'État versera 80 millions d'euros. Il aurait dû payer 125 millions d'euros. Il manque donc 45 millions d'euros par rapport à la programmation annoncée. Comment croire que ce sera rattrapé l'an prochain ou au cours du prochain quinquennat ?
Je vous propose donc un amendement pour rétablir les crédits prévus.
Dans ce contexte, le discours du Président de la République aux Mureaux frise le déni de réalité. Le 2 octobre, le budget venant d'être présenté un mois après le plan de relance, il annonce une augmentation des moyens de l'ANRU alors que justement dans le budget, les moyens de l'État en faveur de l'ANRU diminuent et qu'il n'y a rien dans le plan de relance !
Dès lors, comment aider l'ANRU à accélérer et à répondre aux demandes supplémentaires qui lui sont faites à la fois pour tenir compte de la COVID mais aussi tout simplement parce que les besoins sont grands ?
À cet égard, le plan de relance et le budget 2021 sont une triple occasion manquée : occasion manquée pour l'État d'avancer le décaissement du milliard d'euros promis sur l'ensemble du NPNRU ; occasion manquée pour l'État d'amorcer une dotation supplémentaire et de solliciter une contribution du principal financeur du programme, Action Logement. Au contraire, il ponctionne un milliard pour financer les aides au logement et non l'investissement. Occasion manquée enfin de solliciter les bailleurs sociaux qui financent également l'ANRU, en allégeant ou supprimant la réduction de loyer de solidarité qui pèse pour 1,3 milliard d'euros sur leurs comptes. Cela aurait également un impact sur l'ensemble du secteur du logement social et de la construction.
En conclusion, madame la Présidente, mes chers collègues, je crois que ce budget est doublement inquiétant. Il est inquiétant parce que le Gouvernement a oublié les quartiers prioritaires. Je me suis donc efforcée, dans la limite qui est la nôtre du fait de l'article 40, de redresser cette trajectoire.
Il est inquiétant ensuite par l'absence de perspectives qu'il dessine. Prenons garde que nos craintes et nos manières de les combattre ne deviennent des prophéties auto-réalisatrices. Au contraire, comme l'avait impulsé Jean-Louis Borloo et les très nombreuses personnes qui ont participé à son travail dont la plupart des maires signataires de l'appel du 14 novembre dernier : « Nous sommes capables de traiter l'essentiel de ces problèmes en quittant les angoisses de notre histoire, les dispositifs accumulés, entassés, sédimentés, inefficaces, contradictoires, éparpillés, abandonnés où l'annonce du chiffre tient lieu de politique. Redevenons une puissance d'action ».
Ceci étant et compte tenu des importants amendements que la commission va porter et que je souhaite voir aboutir, je propose un avis favorable sur ces crédits. Je vous remercie.
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Merci beaucoup pour ce rapport précis et détaillé qui pose un certain nombre de pistes de réflexions urgentes et dont il faut se saisir pour que ces quartiers prioritaires reprennent toute leur place dans notre territoire et soient aussi montrés comme des quartiers dynamiques qui apportent une plus-value.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - C'est un excellent rapport que j'approuve à 99 %. Je voudrais insister sur l'audition que nous avons eue des maires de tous bords. Derrière les grandes annonces de milliards qui tomberaient chaque jour dans les quartiers, la méthodologie utilisée pour mener les actions dans ces quartiers est telle que l'argent n'est pas perçu par ces territoires. Critères bureaucratiques, appels à projets, documents à remplir pour ne rien avoir au bout du compte... Cette situation kafkaïenne, je la connais depuis longtemps ! Quand j'étais maire, la situation était déjà dramatique et elle s'est amplifiée depuis. Il est important de réfléchir à la méthodologie qui permet de retrouver sur le terrain les crédits votés par le Parlement et que les besoins des territoires soient pris en compte.
J'approuve dans ce sens la logique du fonds spécifique pour les quartiers. Le Gouvernement dit qu'il va y avoir 1 % mais tout sera mis dedans avec l'ensemble des allègements de TVA... Ce sera un méli-mélo technocratique qui ne permettra pas aux gens de voir l'argent arriver réellement dans leurs quartiers. Les politiques ordinaires ne se mettent pas en oeuvre. Les nombreux critères établis ne positionnent pas ces quartiers dans les priorités. Cela ne veut pas dire qu'il faut arrêter l'effort des politiques classiques dans les QPV, par égalité républicaine. Mais il y a des besoins particuliers notamment en termes d'éducation.
Pour conclure, la loi sur le séparatisme est louable mais quand on entretient les défaillances en termes éducatifs, avec un affaiblissement de l'éducation populaire, il ne faut pas s'étonner que certaines personnes - minoritaires -, devant ces difficultés, se réfugient dans des voies non républicaines. Nous voterons les amendements et nous soutenons la démarche que Viviane a engagée avec une réflexion plus stratégique
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Valérie Létard vient de nous rejoindre. Notre amendement a-t-il été voté, Mme Létard ?
Mme Valérie Létard . - Oui, à la quasi-unanimité. C'est le premier étage de la fusée, la prolongation du travail que nous avons collectivement mené avec la commission des affaires économiques à quatre voix. Il s'agit de la traduction budgétaire de notre propos : ne pas sceller le sort d'Action Logement avant d'entamer la discussion avec les partenaires sociaux. L'amendement défendu maintenait une compensation pérenne de 300 millions à Action Logement d'une recette qui avait été supprimée à Action Logement. Il y aura un deuxième étage à la fusée, un autre amendement à l'article 47, visant à supprimer la ponction d'un milliard d'euros. Il s'agit de prendre les fonds d'Action Logement pour les mettre dans le budget du Fonds national d'aide au logement (FNAL) - qui finance les aides personnelles au logement (APL). Un milliard plus 300 millions, c'est le montant annuel de la collecte de la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), le 1 % logement ! Si la ressource annuelle est totalement enlevée, la discussion ne portera plus que sur ce qui restera d'Action Logement, les revenus tirés de son patrimoine.
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Quelle a été la réponse de monsieur le ministre ?
Mme Valérie Létard . - Il a lu notre rapport, mais il n'en partage pas tous les éléments. Il a pris acte de la position du Sénat. Je pense que la discussion n'est pas terminée et nous aurons d'autres rendez-vous au printemps !
J'avais déjà pris connaissance des amendements de Viviane Artigalas auparavant. Notre groupe est solidaire de cette initiative qui vise à flécher et identifier les moyens qui peuvent aller en direction des communes avec des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Nous sommes aussi favorables à l'amélioration de ce budget pour qu'il soit plus en cohérence avec les engagements de l'État sur l'ANRU et sur l'accompagnement des populations dans le cadre de la politique de la ville. Avec une précarité croissante, il y aura un besoin accru de présence humaine et d'accompagnement sur de nombreux sujets pour éviter que les choses ne se dégradent encore plus. Nous devons être au rendez-vous pour l'accompagnement vers l'insertion professionnelle, la prévention de la délinquance, les violences intrafamiliales... Toutes les politiques qui au quotidien doivent se trouver en tout point de notre territoire, dans ces quartiers comme ailleurs !
Le soutien aux associations est une dépense de fonctionnement facile à supprimer, non récurrente et remise en question chaque année. Cette présence associative et le tissu qui maille ces quartiers sont remis en question. Les budgets sont réduits et bout à bout cela questionne sur la capacité d'accompagnement des collectivités pour faire face à des difficultés sociales accrues. Cela ne veut pas dire : tout pour les quartiers, rien pour ce qui se passe autour ! Il y a des lieux de concentration des difficultés à ne pas occulter. Il faut des solutions pour tous et les adapter aux réalités de la ruralité et de l'urbanité en difficulté. Il faut flécher des moyens et être capable de vérifier leur emploi.
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Comme vous l'a dit Viviane Artigalas, nous avons auditionné lundi une délégation des 101 maires. Il nous a fallu une grande réactivité pour trouver des amendements qui apportent des réponses aux demandes légitimes des 101 maires. Je rejoins ce qui a été dit par Marie-Noëlle Lienemann : il est toujours difficile dans la politique de la ville de mettre en place des crédits contractualisés tout en faisant en sorte que les crédits de droit commun arrivent dans ces quartiers. Lorsque les crédits contractualisés sont supprimés, ils ne sont pas remis dans les politiques publiques ni dans les crédits de droit commun.
M. Joël Labbé . - Je salue le travail de Viviane Artigalas avec son souci de globalité et de cohérence. Dans beaucoup de domaines nous manquons de perspective, de planification : il y a un travail extraordinaire qui a été fait par Jean-Louis Borloo. Il avait fait l'unanimité au moment de la présentation de son rapport à notre commission. Il serait bien de le réentendre au Parlement pour se réapproprier son travail. Nous parlons beaucoup des quartiers prioritaires mais Jean-Louis Borloo mettait les quartiers prioritaires en perspective avec le reste, y compris le souci des territoires ruraux pour avoir une politique globale et une politique de suivi.
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Nous l'avons de nouveau auditionné dans le cadre de la mission flash sur Action Logement. C'était un bonheur de voir son engagement, son enthousiasme et la force qu'il continue à déployer sur ces sujets.
Mme Valérie Létard . - Nous pourrions collectivement demander à Jean-Louis Borloo de venir. L'intérêt qu'il porte à ce sujet et à l'avenir de la politique de la ville serait pour nous un éclairage utile au regard du plan qu'il a préparé et des solutions qu'il a proposées. Nous avons besoin d'une inscription dans le temps et d'une pérennité de la politique de la ville. Par ailleurs, il faut essayer d'avoir des moyens globalisés, visibles et traçables ; une visibilité et une transparence forte pour la politique de la ville. Comme cela a été évoqué, aujourd'hui il existe une séparation entre droit commun et politique spécifique mais normalement le droit commun s'applique en premier et s'adapte à la réalité du territoire pour venir traiter une question plus aiguë qu'ailleurs. Cela ne veut pas dire que l'on soutient l'un au détriment de l'autre.
M. Franck Montaugé . - Vous avez rencontré des maires. J'aurais voulu savoir si les maires ont fait part de risques et d'inquiétudes quant à leur capacité à accompagner les projets de l'ANRU compte tenu de leurs difficultés financières. Je pense aussi aux régions, aux départements et aux bailleurs sociaux qui peuvent accompagner ces projets.
M. Fabien Gay . - Nous avons besoin d'un plan de rattrapage dans certains quartiers prioritaires, mais nous retrouvons les mêmes problématiques dans les zones rurales et en outre-mer. Il y a un manque de service public, d'investissement : ce sont des territoires fragilisés où la République recule. En Seine-Saint-Denis, nous avons été reconnus par Édouard Philippe pour mettre en place un plan de rattrapage, compte tenu des inégalités. Nous avons également besoin des politiques ordinaires ! Une fois que nous aurons rattrapé notre retard, il faut que l'égalité républicaine vaillent partout, sinon la différence réapparait au bout de dix ans. Pendant le confinement, les inégalités se sont accrues et les difficultés de nos territoires rendent le plan de rattrapage en vigueur quasi inopérant dans les domaines de la santé ou de la police. Par exemple, nous avions 104 lits de réanimation avant la crise contre 400 à Paris, avec 200 000 habitants d'écart. Il nous en manque 300 ! 300 lits de réanimation demandent un plan de rattrapage mais une fois le chiffre de 400 atteint, il nous en faudra peut-être 500... Il faut l'égalité républicaine partout et tout le temps sinon nous ne nous en sortirons jamais. Pour se faire entendre, c'est compliqué !
Mme Viviane Artigalas , rapporteure pour avis . - Il nous a paru important avec Sophie Primas, Valérie Létard et Dominique Estrosi Sassone de recevoir rapidement les maires. Nous avons travaillé ensemble dans l'urgence. Le gouvernement n'a visiblement pas de vision sur cet écosystème, il ne fonctionne qu'avec des chiffres et des budgets. Bercy dirige cela avec la volonté de récupérer de l'argent pour le budget de l'État. Il a été répondu aux maires que le milliard est présent dans le plan de relance mais nous avons nous-mêmes du mal à nous retrouver sur les guichets et les modalités d'accès aux différents dispositifs ! Imaginez ce qu'il en est pour les maires des quartiers ! Dans l'urgence, nous essayons d'apporter des réponses concrètes à ces maires. C'est une question de méthode. Ils ont besoin de fonds simples qui arrivent rapidement chez eux : aujourd'hui, pas demain.
Nous avons auditionné Jean-Louis Borloo dans le cadre de la mission Action Logement. Je pense qu'il faudra le réauditionner pour continuer le travail de proposition. Je fais déjà des propositions stratégiques pour la politique de la ville, nous avons des pistes partagées avec les maires et il nous faut continuer ce travail.
Pour certains cofinancements, les communes et collectivités locales sont en difficultés par manque de ressources mais aussi par manque de visibilité sur les capacités de l'État à accompagner les projets sur le long terme. N'oublions pas qu'Action Logement est le principal financeur de l'ANRU. Si l'État favorise les aides au logement, il ne subventionne pas l'investissement. L'État veut ponctionner encore une fois Action Logement et les bailleurs sociaux n'ont pas de visibilité sur la capacité de l'État à financer ces programmes sur le long terme. Je ne sais pas d'où sortira l'argent promis au discours des Mureaux. Peut-être qu'il viendra d'Action Logement, mais il faut leur laisser de l'argent !
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Nous allons passer à la présentation des amendements.
Mme Viviane Artigalas , rapporteure pour avis . - Le premier amendement AFFECO.5 vise à rétablir les crédits de paiement au financement de l'ANRU, tels que le Gouvernement s'est engagé à les verser au cours du quinquennat. Ces engagements pris n'ont pas été tenus. Pour répondre à l'appel des maires, nous souhaitons que ces 45 millions d'euros reviennent sur les CP du programme pour l'ANRU.
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - L'amendement est voté à l'unanimité. Il n'y a pas de vote contre ni d'abstention
L'amendement AFFECO.5 est adopté à l'unanimité.
Mme Viviane Artigalas , rapporteure pour avis . - Le deuxième amendement AFFECO.8 vise à augmenter de 150 % les moyens pour les actions de santé et d'accès aux soins dans les quartiers. Une étude, que j'ai mentionnée, a montré que l'épidémie de Covid-19 a particulièrement impacté les quartiers. En 2018, il avait été décidé de doubler le nombre de centre de santé d'ici 2022. En 2018, il y en avait 209 dont 42 maisons de santé pluridisciplinaires et en 2020 il y a 222 centres de santé et 78 maisons pluridisciplinaires. Il est important de continuer ce travail au moment où les hôpitaux sont débordés et où les centres de santé sont trop éloignés des quartiers. Ils doivent être sur place. Je propose 15 millions d'euros pour augmenter ces crédits.
L'amendement AFFECO.8 est adopté à l'unanimité.
Mme Viviane Artigalas , rapporteure pour avis . - Les maires nous ont saisi sur les questions d'éducation. L'Éducation Nationale doit être présente dans les quartiers en partenariat avec des associations locales, avec les acteurs de terrain. La mission prévoit des crédits pour 40 cités éducatives supplémentaires. Nous proposons d'en ajouter 40 de plus pour accompagner ces quartiers dans la prise en charge des enfants en décrochage et en difficulté. C'est l'objet de l'amendement AFFECO.6 .
L'amendement AFFECO.6 est adopté à l'unanimité.
Mme Viviane Artigalas , rapporteure pour avis . - Sur les programmes de réussite éducative, l'amendement AFFECO.7 vise à augmenter de 50 % les moyens de ce programme pour doubler ses crédits sur deux ans. Le programme repose sur une approche globale qui permet d'accompagner les difficultés des enfants repérés dans le cadre scolaire avec une équipe de soutien. Ces programmes sont une réussite et il est important de pouvoir les doubler dans le plan de relance.
L'amendement AFFECO.7 est adopté à l'unanimité.
Mme Viviane Artigalas , rapporteure pour avis . - Il a été répondu aux maires que le conseil national des villes existe déjà mais il ne fonctionne pas de manière satisfaisante. Nous proposons avec les maires un conseil national des solutions qui jouera un rôle de vigie pour généraliser des solutions locales au niveau national. Il y a peu de projets qui partent du terrain avec une approche du bas vers le haut - l'approche bottom up en anglais. Les solutions seront généralisées si elles sont efficaces sur l'ensemble du territoire, les maires souhaitent travailler au cas par cas. La création du conseil national des solutions vise à organiser ce travail de vigie qui n'est pas réalisé par le conseil national des villes. C'est l'objet de l'amendement AFFECO.9 .
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Le vote est identique à celui des précédents amendements.
L'amendement AFFECO.9 est adopté à l'unanimité.
Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Je remercie sincèrement Viviane Artigalas pour son travail. L'avis donné est favorable sous réserve des amendements proposés et votés à l'unanimité.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires » sous réserve de l'adoption des amendements.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Jeudi 5 novembre 2020
- Agence nationale de la cohésion des territoires : M. François-Antoine MARIANI , directeur général délégué Politique de la ville, Mme Gabrielle DE NADAILLAC , directrice mission soutien à la vie associative, M. Éric BRIAT , chef de service au sein de la Direction de la ville et de la cohésion urbaine.
- Agence nationale pour la rénovation urbaine : MM. Nicolas GRIVEL , directeur général, Damien RANGER , directeur des relations institutionnelles.
- Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales : M. Stéphane GAUVOGEL , directeur de cabinet, Mmes Benjamin QUASHIE-ROUBAUD , conseiller renouvellement urbain, Myriam SOUAMI , conseillère parlementaire.
- Institut national de la statistique et des études économiques : Mme Marie-Christine PARENT , directrice régionale, M. Mustapha TOUAHIR , directeur régional adjoint, chef du service des études et de la diffusion,
- Institut Paris région : Mmes Hélène JOINET , urbaniste, Sandrine BEAUFILS , démographe.
- Nexity : M. François-Xavier SCHWEITZER , directeur de l'habitat social.
Lundi 23 novembre 2020
Table ronde des maires ayant signé l'appel du 14 novembre : Mmes Catherine ARENOU , maire Chanteloup-les-Vignes et Hélène GEOFFROY , maire de Vaulx-en-Velin, ancienne ministre, MM. Guillaume DELBAR , maire de Roubaix et Philippe RIO , maire de Grigny.
* 1 Chiffre Nexity 1 er semestre 2020.