II. RENOUER AVEC L'AMBITION INITIALE DU PROJET DE LOI
La commission regrette que le projet de loi soit centré uniquement sur les établissements de recherche rattachés au ministère de la recherche (A). Elle plaide pour un renforcement de l'ambition budgétaire portée par cette loi (B).
A. LE GOUVERNEMENT RENONCE À PRÉSENTER UNE STRATÉGIE GLOBALE ET COHÉRENTE N'ABORDANT PAS UN GRAND NOMBRE DE DISPOSITIFS PUBLICS DE FINANCEMENT DE LA R&D EN FRANCE
De nombreux éléments de financement public de la R&D ne sont pas abordés, de telle sorte qu'il ne s'agit pas de la loi « recherche et innovation » du quinquennat, mais bien de la loi « recherche » du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Il n'y a donc aucune vision globale du pourtant nécessaire continuum entre recherche fondamentale et innovation.
Le Gouvernement manque ici une occasion d'impulser un grand chantier pour en finir avec le morcellement des politiques de recherche et développement. Il fournit une information lacunaire au Parlement, aux citoyens et aux principaux destinataires de la loi, qui sont contraints à un jeu d'addition de l'ensemble des dispositifs et se heurtent à une complexité accrue du fait de leur portage par des instances différentes et de leur pilotage selon des modalités diverses.
1. Le plan de relance, alibi de l'attrition des crédits budgétaires affectés à la R&D soutenue par le ministère de l'économie, des finances et de la relance et par le ministère de la transition écologique ?
Le projet de loi a été élaboré et est porté par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. C'est pourquoi la trajectoire budgétaire qu'il propose en son article 2 ne porte que sur les programmes budgétaires qui lui sont confiés (programmes n° 150, 172 et 193 au sein de la mission budgétaire interministérielle « recherche et enseignement supérieur » (ci-après « Mires »)), et qui financent l'essentiel de l'écosystème de la recherche publique civile, à savoir le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, l'Agence nationale de la recherche (ANR), la recherche universitaire, les organismes de recherche qui lui sont rattachés et le budget de la politique spatiale civile 9 ( * ) , pour un total, en 2020, de l'ordre de 12,5 milliards d'euros.
En revanche, les programmes de R&D des établissements d'enseignement supérieur et de recherche principalement rattachés au ministère de l'économie, des finances et de la relance 10 ( * ) , au ministère de la transition écologique 11 ( * ) et au ministère de l'agriculture et de l'alimentation 12 ( * ) ne sont pas concernés par la trajectoire définie par la loi. Au sein de la mission « recherche et enseignement supérieur », c'est ainsi environ 2,5 milliards d'euros qui sont écartés, auxquels il faudrait ajouter le milliard d'euros de R&D financée sur la mission « défense », la R&D de défense 13 ( * ) n'étant pas concernée par le projet de loi, tout comme la R&D duale pourtant rattachée à la Mires.
Le rapporteur s'interroge sur les motifs - autres que le manque de coordination entre ministères - justifiant une telle différence de traitement au sein des programmes budgétaires soutenant la R&D . Il est ainsi contradictoire d'afficher des priorités dans le plan de relance - en faveur de la transition environnementale, en faveur de l'innovation industrielle et des relocalisations - et de ne pas les inscrire dans le temps long, dans une trajectoire de crédits budgétaires , au sein des crédits des programmes 190 et 192.
Le projet de loi ne précise pas son articulation avec les programmes d'investissements d'avenir, le plan de relance, les appels à projets lancés dans le cadre du conseil de l'innovation et financés par le fonds pour l'innovation et l'industrie, les appels à projets des ministères ou d'autres agences publiques, telle que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
Lors des auditions, il a souvent été répondu qu'il fallait additionner les crédits du plan de relance aux crédits de la loi de programmation. Or, le plan de relance et les programmes d'investissements d'avenir n'ont pas vocation à prendre le relais de crédits pérennes .
Les dispositions du plan de relance intéressant la recherche et l'innovation
Le plan de relance contient les deux premières années d'un quatrième programme d'investissements d'avenir (« PIA 4 »), qui aura vocation à :
- sur la recherche amont , au sein d'une enveloppe de 2,95 milliards d'euros également utilisée pour d'autres actions :
* financer des projets de recherche de grande ampleur et répondant à des défis sociétaux majeurs (l'action « programmes prioritaires de recherche » sera donc amplifiée), et augmenter les moyens de l'ANR (à hauteur de 400 millions d'euros) ;
* renforcer la valorisation de la recherche publique en poursuivant le financement des sociétés d'accélération du transfert de technologies (ou « SATT » structures publiques créées dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir pour insuffler la culture de la valorisation dans les organismes et universités) ;
* poursuivre le financement de structures de recherche partenariale (IRT - instituts de recherche technologique - et ITE - instituts pour la transition énergétique) ;
- sur la R&D d'aval :
* financer les stratégies sectorielles portant sur des technologies clés (cybersécurité, technologies quantiques...), pour un montant de 2,6 milliards d'euros ;
* soutenir les entreprises innovantes à travers les aides à l'innovation de BPIfrance, les concours d'innovation et le « soutien aux projets structurants de R&D » pour un montant de 1,9 milliard d'euros.
Le plan de relance contient également des mesures visant à « préserver l'emploi dans la R&D » (soutien du maintien dans l'emploi en permettant une mise à disposition de chercheurs privés auprès des laboratoires publics, soutien aux jeunes diplômés ou docteurs par subvention). Une enveloppe de 300 millions d'euros serait mobilisée.
Au-delà du plan de relance, le secrétaire général pour l'investissement estime que, sur les 20 milliards d'euros du PIA 4, 7,5 milliards d'euros ont vocation à alimenter l'enseignement supérieur et la recherche et 12,5 milliards d'euros seront utilisés pour « financer des investissements exceptionnels sur quelques enjeux de transformation économique ».
Source : dossier de presse du plan de
relance ;
interview du secrétaire général pour
l'investissement à AEF, 9 octobre 2020.
2. L'absence de stratégie claire sur les dépenses fiscales en soutien à la R&D privée s'explique par un nouveau coup de rabot sur le crédit d'impôt recherche en projet de loi de finances pour 2021
L'effort de recherche privé représente les deux tiers de l'effort de recherche de notre pays . Nous comptons de nombreuses entreprises très impliquées en R&D, comme le montre notre 3 e place au classement des 100 premiers innovateurs mondiaux de Thomson Reuters, avec cinq entreprises listées. Cet effort privé est fortement soutenu par les pouvoirs publics : il existe en France un grand nombre de dispositifs destinés à soutenir la R&D et l'innovation privée, à tel point que la France est le deuxième État à financer le plus la recherche privée au sein de l'OCDE, avec environ 10 milliards d'euros de dépenses publiques en ce sens chaque année. Malgré cet effort public notable, les dépenses de R&D des entreprises ne représentent que 1,44 % du PIB, contre près de 2 % en Allemagne.
Pourtant, le Gouvernement a fait le choix de présenter un texte qui se focalise avant tout sur la recherche publique, le rapport annexé se contentant de lister les quelques mesures contenues dans la loi considérées comme de nature à créer un « effet de levier » - qui reste hypothétique et n'est pas documenté - sur les dépenses intérieures de R&D. Ainsi, contrairement à la loi de 2006, le Gouvernement refuse de s'engager sur les dépenses fiscales en faveur de la R&D 14 ( * ) .
À cet égard, le rapporteur relève l'écart existant entre la parole publique d'un Gouvernement s'engageant à sanctuariser le crédit d'impôt recherche et ses actes , consistant à le raboter chaque année, comme en témoigne à nouveau le projet de loi de finances pour 2021, dans son article 8.
Il convient en revanche de saluer les mesures tenant à la souveraineté technologique et aux relocalisations industrielles insérées dans le plan de relance, de nature à renforcer le poids de l'industrie dans notre économie et donc les dépenses de recherche privées. En effet, l'écart de performance entre la France et l'Allemagne quant à l'effort privé de recherche est généralement expliqué par la différence de structure entre les économies de nos deux pays (la part de l'industrie étant moins importante dans notre pays qu'en Allemagne 15 ( * ) ), et non par la faible intensité en R&D de nos entreprises : il est estimé qu'à structure constante, l'effort de recherche privé atteindrait 2,7 % du PIB, soit, ajouté à l'effort de recherche public, près de 3,5 % du PIB.
3. À la recherche d'une stratégie commune avec les collectivités territoriales
Les collectivités territoriales , qui financent la R&D à hauteur d'environ 900 millions d'euros par an, financement principalement assumé par les régions - dont le sénateur Jean-François Rapin a montré 16 ( * ) l'importance dans l'écosystème de la recherche et de l'innovation -, ne sont évoquées qu'à la marge et aucune stratégie commune État-régions ne semble avoir été définie dans le cadre de la préparation de la loi . Il importe, en conséquence, que la nouvelle génération de contrat de plan État-régions en cours de définition accorde toute sa place à une politique coordonnée en faveur de la R&D 17 ( * ) .
* 9 Cependant, depuis le remaniement ministériel de l'été 2020, les programmes spatiaux civils ne dépendent plus du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation mais du ministère de l'économie.
* 10 Groupement des écoles nationales d'économie et de statistique, groupe Mines Télécoms, laboratoire national de métrologie et d'essais.
* 11 IFP-Énergies nouvelles, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
* 12 Écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire, associations de coordination technique agricole et des industries agroalimentaires.
* 13 Qui font l'objet de lois de programmation militaire.
* 14 Le crédit d'impôt recherche est la principale dépense fiscale : il correspond, depuis 2008, à 30 % des dépenses de R&D jusqu'à 100 millions d'euros de dépenses, le taux étant de 5 % au-delà. Le dispositif « jeunes entreprises innovantes », créé en 2004, est également un instrument important du soutien aux jeunes PME à fort potentiel d'innovation, de croissance et de création de richesse, à travers des allègements sociaux et fiscaux, estimés à 238 millions d'euros en 2020.
* 15 Le secteur industriel réalise en effet 72 % de la dépense intérieure de R&D des entreprises, mais son poids dans le PIB français est insuffisant pour atteindre la dépense constatée en Allemagne.
* 16 Jean-François Rapin, au nom de la commission des finances du Sénat, Les régions, acteurs d'avenir de la recherche en France, 2019.
* 17 L'« accord de méthode » conclu fin juillet entre Régions de France et le Gouvernement ne mentionne la recherche et l'innovation qu'à la marge.