B. DES RISQUES SÉCURITAIRES QUI DEMEURENT IMPORTANTS
En juillet 2018, l'évasion spectaculaire de Rédoine Faïd du centre pénitentiaire sud-francilien de Réau avait mis en lumière les défis que doit relever l'administration pénitentiaire en matière de sécurité de ses établissements. Comme les années précédentes, des moyens significatifs seront donc encore consacrés en 2020 à leur sécurisation. L'administration pénitentiaire doit en outre gérer la menace résultant de la radicalisation islamiste et du risque terroriste, ce qui l'a conduite à se doter d'un service national du renseignement pénitentiaire de plein exercice et à lancer un nouveau programme d'accueil individualisé et de réaffirmation sociale (PAIRS).
1. La sécurisation des établissements et l'équipement du personnel
Depuis plusieurs années, l'administration pénitentiaire investit dans l'installation de filets anti-projection, de glacis 10 ( * ) , de concertinas 11 ( * ) et de nouveaux dispositifs de vidéo-surveillance. Le projet de loi de finances prévoit de consacrer 14,5 millions d'euros en 2020 à la poursuite de cet effort de sécurisation.
Un autre chantier d'importance concerne le brouillage des téléphones mobiles . L'introduction de téléphones en détention facilite la poursuite d'activités délinquantes à distance, ce qui est un facteur d'insécurité majeur. Compte tenu de leur petite dimension et des matériaux dans lesquels ils sont fabriqués, ces appareils ne sont pas toujours aisés à détecter et les dispositifs de brouillage des communications actuellement installés sont parfois technologiquement dépassés : certains ne brouillent que les communications en 2 G, alors que les portables commercialisés émettent en 3 G ou en 4 G.
En décembre 2017, un marché a été notifié en vue d'une remise à niveau, sur une période de six ans, de ces dispositifs de brouillage. En 2020, 24,8 millions y seront consacrés ; 30,6 millions sont ensuite prévus en 2021 et 35,5 millions en 2022.
Une autre menace dont doit se préoccuper l'administration pénitentiaire est la lutte contre les drones malveillants , à laquelle une enveloppe de 3,6 millions d'euros sera consacrée l'an prochain. Un marché d'acquisition de solutions anti-drones malveillants, lancé en 2018 par le ministère de la justice, a permis de tester sur plusieurs établissements pilotes trois types de réponses technologiques : le brouillage des ondes de télépilotage, la prise de contrôle à distance et le canon anti-drone.
Enfin, pour accroître la sécurité des agents à l'ouverture de porte, l'expérimentation d'arrêtoirs de porte, comparables à ceux utilisés dans les établissements suisses, a débuté à compter de mi-septembre 2019. Pour ce faire, cinquante arrêtoirs de porte à crémaillère ont été acquis pour lancer une expérimentation dans cinq établissements pénitentiaires.
Concernant l'équipement du personnel, on peut retenir notamment l'acquisition de gilets pare-lames , distribués à 1 718 surveillants pénitentiaires affectés dans les quartiers sensibles et aux 376 agents des maisons centrales de Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil entre fin 2018 et le deuxième trimestre 2019. La dotation des autres personnels de surveillance va être échelonnée entre septembre 2019 et janvier 2020. Au total, l'administration a commandé, en 2019, 22 000 gilets pour un montant de 3,2 millions d'euros.
Des gants et des tenues d'intervention (de type maintien de l'ordre) ont été livrées dans les établissements en 2018 et 2019 et 36 000 paires de chaussures de travail adaptées ont été commandées fin juin 2019 et seront intégrées à la dotation en uniforme pour 2020.
2. La création du service national du renseignement pénitentiaire
Par arrêté de la garde des sceaux du 29 mai 2019, le bureau central du renseignement pénitentiaire est devenu le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), service à compétence nationale placé sous l'autorité directe du directeur de l'administration pénitentiaire, ayant autorité hiérarchique sur l'ensemble de ses agents. Cette transformation témoigne de la volonté du ministère de se doter d'un outil plus performant afin de surveiller efficacement l'univers carcéral où sont susceptibles de se produire des phénomènes de radicalisation et de constitution de réseaux criminels.
Le renseignement pénitentiaire a pour mission de prévenir les risques d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ainsi que les risques d'atteinte à la sécurité des personnels pénitentiaires et des personnes détenues.
Le SNRP s'appuie sur dix cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP), sur des délégations locales 12 ( * ) du renseignement pénitentiaire en établissement (86 agents en 2019) et sur des correspondants locaux du renseignement pénitentiaire 13 ( * ) en établissement et en SPIP (143 agents en 2019).
Le SNRP est intégré à la communauté du renseignement et il peut mettre en oeuvre certaines techniques de recueil de renseignement prévues par le code de la sécurité intérieure. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice lui a donné de nouvelles possibilités d'emploi de techniques de recueil de renseignement, dont la mise en oeuvre n'est plus limitée aux seules personnes détenues mais concerne également les intervenants en détention.
Le SNRP est encore dans une phase de montée en puissance : alors qu'il comptait 294 agents en 2019, trente-cinq recrutements sont prévus l'année prochaine pour porter son effectif à 329 personnes fin 2020. Ces créations de postes vont bénéficier majoritairement aux CIRP, afin de renforcer les fonctions support mais aussi la capacité d'analyse, notamment à travers la prise en charge à l'échelon interrégional du traitement des sources humaines. Des créations de postes sont également dévolues à la mise en place du département de formation du renseignement pénitentiaire au sein de l'ÉNAP.
Hors masse salariale , le projet de loi de finances prévoit d'affecter 5,9 millions d'euros au renseignement pénitentiaire en 2020 , après 5,8 millions d'euros en 2019. Après une période surtout consacrée à l'acquisition d'équipements et à la mise en conformité de ses locaux, le SNRP va maintenant investir dans le déploiement d'un système d'information classifié, indispensable pour achever la structuration du service.
3. La prise en charge en milieu ouvert des individus radicalisés
L'année écoulée a également été marquée par le lancement du programme d'accueil individualisé et de réaffirmation sociale (PAIRS), qui s'est substitué au programme « Recherches et interventions sur les violences extrémistes » (RIVE).
a) Bilan du programme RIVE
À partir de décembre 2016, l'administration pénitentiaire a expérimenté en Île-de-France un dispositif de prise en charge, en milieu ouvert, des personnes placées sous main de justice, mises en examen ou condamnées pour des actes de terrorisme ou pour des faits de droit commun mais identifiées comme radicalisées.
Baptisé RIVE, ce dispositif avait pour finalité de favoriser le désengagement de la violence extrémiste et la réinsertion sociale , par la mise en place d'un suivi individualisé et pluridisciplinaire (travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres, chercheurs et spécialistes de l'islam), complémentaire du suivi effectué par les SPIP.
Selon les informations communiquées par l'administration pénitentiaire, un bilan positif a été tiré de cette expérimentation : aucune personne suivie n'est retournée en détention, n'a vu son suivi interrompu pour faute ou n'a causé un incident lors de sa prise en charge ; la grande majorité des vingt-trois personnes qui ont été accompagnées dans ce cadre sont devenues proactives dans leur parcours. Ceci avait conduit la commission d'enquête sénatoriale sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État islamique à recommander, en juillet 2018, de « développer des programmes de prise en charge individuelle et collective de désengagement de la violence inspirés du dispositif expérimental RIVE » 14 ( * ) .
Il faut noter cependant que les effectifs suivis sont restés modestes : calibré pour cinquante prises en charge, le programme a peiné à trouver son public et n'a accueilli simultanément que douze personnes en moyenne. Compte tenu des coûts fixes inhérents à ce type de programme (personnel, locaux, conception...), le coût de la prise en charge s'est révélé élevé pour l'administration pénitentiaire (un million d'euros par an).
b) Les changements introduits par le programme PAIRS
Dans le cadre de son nouveau plan de lutte contre la radicalisation, lancé en février 2018, le Gouvernement a annoncé la pérennisation, l'extension et le renforcement du programme RIVE, finalement rebaptisé PAIRS.
À partir du dispositif expérimenté en Île de France, le Gouvernement a décidé d'ouvrir trois nouveaux centres basés à Lille, Lyon et Marseille. L'annonce de l'ouverture du centre de Lille avait suscité des interrogations de la part de notre collègue Marc-Philippe Daubresse, sénateur du Nord, ce qui a incité votre rapporteur pour avis à faire un point sur ce dispositif dans le présent rapport. La capacité d'accueil des différents centres est la suivante : trente-sept personnes à Paris, dix à Marseille, huit à Lyon et cinq à Lille.
PAIRS se distingue de RIVE par la possibilité de moduler l'intensité de la prise en charge (avec un accompagnement d'une durée comprise entre trois et vingt heures par semaine) mais aussi par la possibilité de proposer aux personnes suivies une solution d' hébergement dans des logements en ville. L'accompagnement sera partagé entre une phase de diagnostic et une phase de prise en charge. Le SPIP pourra orienter des personnes vers un centre même en l'absence d'obligation spécifique imposée par un juge sur ce point.
La commission d'enquête que le Sénat a décidé de mettre en place pour étudier les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre aura certainement l'occasion, au cours de ses travaux, de se pencher de manière plus approfondie sur la mise en oeuvre de ce programme, afin d'en évaluer les points forts et les limites.
* 10 Un glacis est un talus incliné destiné à rendre plus difficile d'accès l'enceinte de la prison.
* 11 Le concertina est un type de fil de fer barbelé.
* 12 Les délégués locaux sont des agents du SNRP exerçant leur mission de renseignement à temps complet.
* 13 Les correspondants locaux sont des agents pénitentiaires qui assurent pour partie de leur temps de travail des fonctions de renseignement. Ils sont hiérarchiquement rattachés à leur chef d'établissement ou de service.
* 14 Rapport de Mme Sylvie Goy-Chavent fait au nom de la commission d'enquête sénatoriale sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État islamique, déposé le 4 juillet 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr17-210.html