B. DES LEVIERS COMPLÉMENTAIRES DE FINANCEMENT FRAGILISÉS
1. L'avenir incertain des droits d'inscription dans l'enseignement supérieur
Dans sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019 13 ( * ) , le Conseil constitutionnel a estimé que l'exigence constitutionnelle de gratuité , affirmée au treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, s'appliquait à l'enseignement supérieur public . Il a toutefois indiqué que cette exigence ne faisait pas obstacle, « pour ce degré d'enseignement, à ce que des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants » . Le Conseil a également précisé qu'il appartenait aux ministres compétents de fixer les montants de ces droits d'inscription, « dans le respect des exigences de gratuité de l'enseignement public et d'égal accès à l'instruction » .
Cette décision a suscité de très vives réactions, certains y voyant la consécration de la primauté du principe de gratuité de l'enseignement supérieur public, tandis que d'autres y ont lu un rétrécissement de la portée de cette exigence. Il reviendra prochainement au Conseil d'État de préciser la portée exacte de cette décision, et en particulier ce qu'il convient d'entendre par des droits d'inscription « modiques ».
Au-delà du débat d'interprétation entre juristes, cette décision ouvre une période d'insécurité juridique pour les établissements, en particulier pour ceux qui, comme les grandes écoles, mettent déjà en oeuvre un dispositif de droits d'inscription. Certains recours contentieux pourraient ne pas tarder à voir le jour.
Votre rapporteur pour avis juge cette situation préoccupante , dans un contexte déjà tendu au sein de l'enseignement supérieur. Il estime, pour sa part, que les droits d'inscription sont un levier de financement qui mérite d'être activé, dès lors qu'il est tenu compte des capacités financières des étudiants .
2. Le mécénat privé : une démarche dont l'essor est menacé par le projet de loi de finances
Dans le cadre de sa réflexion sur l'évolution du système de financement de l'enseignement supérieur, votre rapporteur pour avis a souhaité approfondir le sujet du mécénat , mode de financement propre encore méconnu .
• Largement utilisé à l'étranger (pays anglo-saxons, pays scandinaves, Allemagne...), il l'est beaucoup moins en France pour des raisons essentiellement culturelles (principe de gratuité de l'enseignement public, rôle traditionnel de l'État dans le financement du système, réticence à coopérer avec le secteur privé).
Les grandes écoles de management et d'ingénieur ont été les premières à le développer, ce qui n'est pas sans logique au regard de leur structure de financement et de leurs liens avec le monde de l'entreprise. Les universités , elles, s'en sont emparées depuis que la loi n ° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités dite « loi LRU » leur a permis de créer des fondations .
Alors que cette possibilité existe depuis une dizaine d'années, votre rapporteur pour avis a été étonné par le manque d'études sur la place et le rôle du mécénat dans l'enseignement supérieur . Il a toutefois rencontré Mme Sophie Rieunier, professeur à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et auteur, avec le soutien de la Conférence des présidents d'université et du réseau des fondations des universités, d'un récent panorama du fundraising dans les fondations à l'université 14 ( * ) . Il s'est également entretenu avec plusieurs responsables de fondations d'école ou d'université, MM. Barthélémy Jobert, président de la Fondation Sorbonne Université, Benoît Legait, président de la Fondation Mines ParisTech et Christian Mouillon, président de la Fondation ESCP.
Selon l'étude précitée, en 2018, les trois quarts des universités françaises étaient dotées d'une fondation , principalement sous la forme d'une « fondation universitaire » (50 %) ou d'une « fondation partenariale » (48 %), les fondations de « coopération scientifiques » ou « d'entreprise » étant extrêmement minoritaires (2 %).
Entre 2008 et 2011, le rythme de création était particulièrement dynamique puisque 6 à 8 nouvelles fondations voyaient le jour par an. Depuis 2011, les créations se poursuivent au rythme de 2 à 4 annuellement.
Ces structures fonctionnent en moyenne à 2,8 salariés à plein temps et ont un budget de fonctionnement moyen de 300 000 euros, les situations étant très disparates d'une fondation à l'autre.
Les fondations d'université collectent en moyenne 623 000 euros par an en mécénat , là aussi avec des résultats extrêmement hétérogènes. 87 % des fonds reçus proviennent des entreprises , 7 % des collectivités territoriales et 6 % des particuliers (alumni, parents d'élèves, personnels des établissements...).
Ces chiffres montrent que les entreprises constituent une cible privilégiée de collecte . Le mécénat d'entreprise est principalement orienté vers des projets concrets comme l'hébergement de chaires de recherche (62 % des entreprises interrogées), le soutien à des projets de recherche « hors chaires » (48 %), le montage de formations universitaires innovantes (52 %), la mise en place de bourses « égalité des chances » (33 %) 15 ( * ) .
Parmi les sources de motivation avancées par les entreprises pour s'engager dans le mécénat universitaire, reviennent le plus souvent : un objectif d'image (67 % des entreprises interrogées), une visibilité privilégiée auprès des étudiants et une possibilité de recrutement facilité (67 %), le développement de la responsabilité sociale (45 %), l'établissement de liens privilégiés avec la gouvernance de l'université (43 %), la communication sur l'investissement en recherche (40 %), la promotion de l'entreprenariat (33 %) et l'aide aux étudiants méritants (26 %).
Pour les universités, les fondations constituent un atout à plusieurs titres. Elles permettent d'abord de collecter des fonds , dont les montants sont loin d'être négligeables (plusieurs centaines de milliers voire de millions d'euros pour certaines), et donc de diversifier leurs ressources . Elles représentent ensuite un capital immatériel en structurant les partenariats avec les acteurs économiques, en enrichissant les stratégies des universités sur leurs missions et leurs valeurs, en développement le travail en réseau sur leur territoire d'implantation, en capitalisant sur leur réseau d'anciens étudiants.
Du côté des grandes écoles , le mécénat présente les mêmes avantages , avec des effets positifs démultipliés, compte tenu du montant plus élevé des sommes en jeu et de relations historiquement plus étroites avec les entreprises.
• De ce panorama, votre rapporteur pour avis en conclut que le mécénat est une démarche gagnant-gagnant qui , à l'heure où le financement public n'est pas à la hauteur des besoins et où l'avenir des droits d'inscription est incertain, mérite d'être encouragée et développée .
Il s'inquiète donc fortement de la mesure , inscrite à l'article 50 du projet de loi de finances pour 2020, abaissant de 60 % à 40 % le taux de défiscalisation pour les dons d'entreprises d'une valeur supérieure à 2 millions d'euros . Celle-ci va mécaniquement avoir un effet désincitatif sur les gros donateurs et enrayer l'élan en cours.
D'ores et déjà, des mécènes ont prévenu certaines fondations d'université ou d'école qu'ils devront procéder à des arbitrages. Ainsi, la Fondation Sorbonne Université a indiqué à votre rapporteur pour avis que 85 % de ses dons annualisés, provenant de grandes entreprises, seraient possiblement touchés par cette mesure, représentant un manque à gagner annuel de 5 à 6 millions d'euros. En outre, cette nouvelle disposition risque, comme l'a excellemment résumé Lionel Zinsou, président de la Fondation de l'École normale supérieure, lors d'un colloque sur le mécénat privé organisé au Sénat le 9 septembre 2019, d'établir « une ligne de démarcation entre le légal et l'illégal, la vertu et le crime » . En matière fiscale, en effet, les facteurs psychologiques comptent.
Aussi, votre rapporteur pour avis s'étonne-t-il que le ministère n'ait procédé à aucune évaluation financière des conséquences de cette mesure sur le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche . Lors de son audition devant votre commission, la ministre a simplement indiqué que près de 80 entreprises pourraient être concernées, selon les informations transmises par le ministère des finances.
Votre rapporteur pour avis souhaite donc que votre commission puisse, lors de de l'examen du projet de loi de finances, faire une proposition commune sur cette réforme de la fiscalité du mécénat prenant en compte l'ensemble de ses secteurs de compétence qui risquent de s'en trouver affectés .
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Prenant acte de l'augmentation du budget alloué pour 2020 à l'enseignement supérieur, dont il a cependant relevé les limites, votre rapporteur pour avis formule un avis favorable à l'adoption des crédits dédiés à l'enseignement supérieur au sein de la Mires .
* 13 Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juillet 2019 par le Conseil d'État (décision n° 430121 du 24 juillet 2019) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l'union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales (UNEDESEP) et deux autres associations, portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour l'exercice 1951.
* 14 « Panorama du fundraising dans les fondations à l'université », Sophie Rieunier, professeur des universités, directrice de l'unité de formation et de recherche « Sciences Économiques et de Gestion », Université Paris-Est Marne-la-Vallée, juin 2019.
* 15 Les entreprises pouvant cumuler plusieurs projets, la somme de ces pourcentages est supérieure à 100.