II. L'ACCUEIL DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS : UNE STABILISATION DES MOYENS EN DÉCALAGE AVEC L'AMBITION DE LA STRATÉGIE « BIENVENUE EN FRANCE »

A. UN CONTEXTE DE CONCURRENCE MONDIALE POUR L'ACCUEIL DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS

Les jeunes dans le monde sont de plus en plus nombreux à étudier à l'étranger. Ils sont désormais 5,1 millions à traverser les frontières pour obtenir un diplôme et vivre une expérience universitaire dans un autre pays que le leur.

Les grandes tendances de la mobilité étudiante mondiale se confirment d'année en année : l'attractivité grandissante des pays anglophones (États-Unis, Royaume-Uni, Australie et Canada), la première place de l'Europe en termes d'accueil et la moitié des étudiants en mobilité originaire d'Asie et d'Océanie (Chine et Inde en particulier).

On assiste cependant à la forte croissance de nouveaux pays de mobilité (Chine, Russie, Turquie, Arabie Saoudite), qui déploient des politiques ambitieuses et utilisent la mobilité étudiante comme un outil d'influence et de rayonnement . À des degrés divers, tous ces pays d'accueil versent des bourses, créent de nouveaux cursus, investissent dans des infrastructures et communiquent sur leurs atouts.

Dans ce contexte de concurrence mondiale accrue, la France occupait jusqu'alors la quatrième position en tant que pays d'accueil. Elle est récemment passée à la cinquième place , derrière l'Allemagne. Son système d'enseignement supérieur, dont la qualité est reconnue, continue de séduire un nombre important d'étudiants étrangers, qui plébiscitent aussi le cadre exceptionnel que constitue notre pays.

Cependant, comparativement à d'autres grands pays de mobilité, l'attractivité relative de la France s'affaiblit : la croissance du nombre d'étudiants accueillis en France a ainsi progressé moins vite que celle de la mobilité étudiante mondiale au cours des cinq dernières années (+ 19 % contre + 28 %). Les effectifs des étudiants chinois stagnent, alors qu'ils sont de plus en plus nombreux à partir à l'étranger. Les étudiants des pays d'Afrique anglophone, d'Inde, d'Indonésie ou du Brésil font, quant à eux, plutôt le choix d'un pays anglophone pour poursuivre leurs études.

Pour faire face à ces évolutions, une nouvelle stratégie d'attractivité intitulée « Bienvenue en France » a été présentée en novembre 2018. Elle fixe pour objectif d'accueillir 500 000 étudiants internationaux en France d'ici 2027 en diversifiant les origines géographiques. Plusieurs instruments ont été annoncés à cette fin : la simplification des procédures d'attribution de visa, le développement de cours de français pour permettre aux étudiants non francophones d'étudier en France et d'apprendre le français à l'occasion de leur séjour, l'amélioration de l'accueil et de l'accès au logement, l'application de frais de scolarité différenciés assortie d'une possibilité d'exonération 3 ( * ) (cf. encadré), le triplement des bourses d'études et des stages, ainsi que des exonérations de droits d'inscription 4 ( * ) .

Campus France est chargé de mettre en oeuvre cette politique via notamment un processus de labellisation des établissements français d'accueil et le lancement d'une campagne de communication mondiale.


L'instauration de frais de scolarité différenciés :
l'analyse de votre commission

À la suite de l'annonce, en novembre 2018, de l'augmentation des frais d'inscription à l'université pour les étudiants extra-communautaires, votre rapporteur pour avis et Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur, ont mené, en mars 2019, un travail d'analyse de cette mesure.

Ils ont souligné qu'il s'agissait d'une vraie rupture avec le modèle de quasi-gratuité des études supérieures en France , tout en indiquant que de très nombreux pays pratiquaient déjà des frais différenciés pour les étudiants étrangers (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Afrique du Sud...) et que d'autres, comme le Danemark et la Suède, étaient eux aussi passés d'un système de quasi-gratuité de l'enseignement supérieur à un schéma intégrant des droits différenciés pour les étudiants étrangers.

Plusieurs raisons peuvent justifier une différenciation des droits :

- les étudiants étrangers concernés ne sont pas redevables de l'impôt en France (or les universités sont financées à 75-80 % par de l'argent public) ;

- les frais différenciés permettent de faire participer les étudiants qui en ont les moyens au coût de leur formation ;

- des frais plus proches du coût réel permettent d'envoyer un « signal prix » indicatif de la qualité des formations à certains publics étudiants, notamment les asiatiques ;

- la perception de ces droits constitue une ressource propre pour des établissements en quête de nouvelles sources de financement.

Sur le fond, vos rapporteurs pour avis se sont donc déclarés favorables à la différenciation des droits , tout en faisant valoir un risque d'éviction : certains étudiants risquent en effet d'être découragés de déposer leur candidature par crainte (réelle ou supposée) de ne pas pouvoir s'acquitter du coût des études envisagées. Ce phénomène a été observé au Danemark et en Suède dans les premières années d'application de la mesure, avant qu'un effet de rattrapage progressif soit constaté.

Vos rapporteurs pour avis ont cependant mis en avant le caractère brutal de l'annonce de la mesure , qui a été très mal ressentie par les candidats aux études en France. En témoignent les baisses drastiques de candidatures en provenance de certains pays (- 55 % pour le Brésil, - 41 % pour l'Algérie et la Guinée, - 28 % pour la Tunisie, - 27 % pour l'Égypte) , mais aussi les « montées au créneau » de nombreux ambassadeurs de pays étrangers et particulièrement de la zone francophone pour lesquels les études en France sont un débouché « naturel » d'une partie de leurs étudiants.

S'ils se sont déclarés résolument favorables à la définition d'une stratégie d'attractivité en direction des étudiants internationaux, dont l'instauration de droits différenciés peut constituer un des leviers , vos rapporteurs pour avis ont estimé que ce sujet aurait mérité un temps de réflexion plus approfondi et un champ de réflexion plus vaste (remise à plat du dispositif français des bourses à l'international, accompagnement des établissements dans l'élaboration de véritables politiques d'attractivité, déclinaison de la mesure par zone géographique prioritaire...).

Suivant leurs recommandations, votre commission s'est, au final, prononcée pour un moratoire sur cette mesure jusqu'en septembre 2020.


* 3 Les établissements peuvent, de leur propre chef, exonérer les étudiants extra-communautaires de frais de scolarité, dans la limite de 10 % de leurs effectifs.

* 4 Pour éviter un trop fort effet d'éviction sur les étudiants étrangers qui ne disposeraient pas de ressources suffisantes pour s'acquitter des nouveaux droits d'inscription, le Gouvernement a annoncé le triplement des bourses offertes aux étudiants étrangers. Seraient concernées par cette mesure les 7 000 bourses actuellement distribuées par le ministère des affaires étrangères, les 14 000 bourses d'exonération créées dans le cadre de la réforme qui seront également accordées par le ministère des affaires étrangères, et les 6 000 bourses d'établissement annoncées en sus.

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