CONCLUSION
Indéniablement, les crédits d'équipement des forces, portés par le programme 146, évoluent sensiblement à la hausse, et la trajectoire définie par la LPM est globalement respectée. Cela a amené les deux rapporteurs du programme 146 à émettre un avis favorable à son adoption.
Cependant, les nuances qui ont été apportées, concernant tant les conditions de l'exécution 2019 que le financement du surcoût des OPEX ou que l'incidence potentielle de ces deux éléments sur le report de charges, doivent inciter à la vigilance. En effet, nous sommes encore dans la partie la plus « facile » de la LPM, avec des marches d'augmentation des crédits de 1,7 milliard d'euros. Que deviendront les aspérités détectées aujourd'hui lorsque les marches de progression passeront à 3 milliards par an ? C'était le point de préoccupation majeur du Sénat lors de la discussion de la LPM en 2018. L'analyse du Sénat est confirmée, et c'est dans cet esprit qu'il faudra aborder la dernière ligne droite avant l'actualisation de la LPM en 2021, qui devra confirmer la trajectoire audacieuse retenue par le Gouvernement en 2018.
À l'issue de sa réunion du mercredi 20 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ayant voté contre. |
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 20 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 146 - Équipement des forces - de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Il nous revient de vous présenter les crédits du programme 146, structurant pour nos armées car il concerne l'équipement des forces et qu'il représente 27 % des crédits du ministère pour 2020.
Avec 12,6 milliards d'euros, il s'agit aussi du premier budget d'investissement de l'Etat.
Le fait majeur de ce deuxième budget de la nouvelle LPM, c'est naturellement la poursuite de la progression des crédits : + 1,7 milliard d'euros par rapport à 2019, soit une augmentation forte de 15,6 %. Nous sommes bien sur la trajectoire prévue par la LPM, et, globalement, nous pouvons en donner acte au Gouvernement.
Deux nuances doivent toutefois être apportées : d'une part, comme la ministre l'avait signalé lors de son audition, il y a un léger changement de périmètre, puisque certaines infrastructures nécessaires aux nouveaux matériels sont désormais rattachées au programme 146, et non plus au programme 212. Il s'agit de 320 millions d'euros qui sont désormais inscrits au programme 146. Même avec cette nuance, ce sont tout de même, à périmètre constant, près de 1,4 milliard d'euros de crédits qui viennent accroître l'effort d'équipement des forces.
Seconde nuance à apporter à cette hausse significative : les conditions de l'exécution de 2019. En effet, c'est une chose de majorer les crédits en loi de finances initiale. Encore faut-il tenir cet engagement sur l'exécution. Comme l'an passé, il y a, de ce point de vue, un bémol à apporter : d'une part, 70 millions d'euros sont annulés sur la mission défense : il s'agit d'une partie des crédits mis en réserve et qui sont supprimés. D'autre part, des transferts de crédits sont, une fois de plus, nécessaires pour financer le surcoût des OPEX. Comme le Président Cambon l'avait indiqué la semaine dernière, la part non financée du surcoût se montait à 400 millions d'euros. Une fois pris en compte une sous-consommation de 140 millions d'euros de crédits du titre 2 (dépenses de personnel) et le report d'un marché de MCO pour 57 millions d'euros, ce sont encore 284 millions qui restent à financer pour le surcoût des OPEX. Vous vous souvenez que nous avions rétabli dans la LPM le principe du financement interministériel du surcoût des OPEX. C'est ce principe, énoncé clairement dans l'article que le Sénat avait voté, qui n'est pas respecté aujourd'hui, comme l'an passé, puisque les différents programmes de la mission défense sont mis à contribution. C'est regrettable et il faut le dire. Pour le programme 146, ce sont 167 millions qui sont affectés au financement de ce surcoût.
Cela doit être un point de vigilance, car si l'épure est globalement respectée en 2019 et 2020, qu'en sera-t-il lorsque nous serons dans la seconde partie de la LPM, avec des marches à +3 milliards par an ?
Naturellement, ces transferts et annulation risquent de peser sur le report de charges. Le DGA nous assuré que l'impact devrait être limité cette année, mais là encore, la vigilance s'impose. Je rappelle que la LPM prévoit une trajectoire de réduction du report de charges, qui n'est finalement qu'une sorte de cavalerie budgétaire institutionnalisée.
Je voudrais maintenant m'attarder sur un dossier qui marque nécessairement la thématique de l'équipement des forces : le dossier de la coopération franco-allemande, et en particulier du SCAF (système de combat aérien du futur). Depuis l'audition du Délégué général pour l'Armement devant la commission début octobre, les dossiers franco-allemands ont bien avancé. C'est le cas pour le MGCS (Main Ground Combat System), système de combat terrestre du futur autour d'un char lourd. L'accord entre KNDS (la joint-venture de Nexter et KMW) et Rheinmetall, qui se dessinait lors de l'audition du DGA a été confirmé, et ce dossier semble désormais lancé, même s'il a pris un peu de retard. Naturellement, il conviendra de suivre dans la durée ce dossier complexe.
Par ailleurs, le dossier du SCAF a bien avancé. Reste la question du moteur, et plus particulièrement des rôles respectifs du français SAFRAN et de l'allemand MTU, qui travaillent à rapprocher leurs positions. Les points de vue des gouvernements des deux pays semblent converger. Lors de nos dernières auditions, on nous indiquait que le compromis proposé achoppait encore sur des réticences de MTU. Le problème devrait se régler avant la fin de l'année. Dans le pire des cas, si le blocage devait persister, le reste du projet pourrait être lancé, la question de la motorisation restant à définir. Pour ma part, je ne suis pas certain que cela se ferait au bénéfice de MTU, car il ne faut pas oublier qu'il demeure, à l'horizon, la question d'une éventuelle convergence avec le projet britannique Tempest. Or, parmi les domaines de prédilection des Britanniques, il y a, notamment, la motorisation, avec l'acteur majeur Rolls-Royce. Il n'est donc pas certain que l'industrie allemande serait gagnante à jouer les prolongations sur la motorisation...
Autre aspect fondamental de la coopération capacitaire franco-allemande : la question des exportations. L'accord conclu à Toulouse a désormais été publié. Il fixe un seuil de minimis en deçà duquel un pays ne peut bloquer les exportations d'un produit. Ce seuil est de 20 %. Nous ne devrions donc plus rencontrer le problème des matériels dont l'exportation était bloquée parce qu'une petite pièce était fabriquée en Allemagne. Encore un exemple des convergences qui peuvent se dessiner progressivement.
Enfin, en ce mois où nous fêtons le neuvième anniversaire des accords de Lancaster House, et alors que les esprits se tournent vers les 10 ans de ces accords essentiels, il importe de rappeler l'importance que le partenaire britannique devrait conserver, quelle que soit l'issue du Brexit. L'année 2020 sera celle de l'actualisation de notre relation avec ce partenaire majeur, avec lequel nous partageons, entre autres, une culture opérationnelle. La France est prête à donner un nouvel élan à ces accords.
Au vu de ces différents éléments, je vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits du programme 146.
M. Cédric Perrin, rapporteur. - Après la présentation générale des crédits qui vous a été faite par Hélène Conway-Mouret, je voudrais d'une part vous présenter rapidement la conséquence concrète des crédits inscrits, c'est-à-dire les matériels dont la livraison est prévue pour 2020, ainsi que les principales commandes effectuées, et m'attarder sur un dossier qui a particulièrement retenu mon attention, celui du drone européen de moyenne altitude-longue endurance MALE, dit Eurodrone.
Pour commencer avec cette question très sensible du drone MALE, je voudrais tout d'abord rappeler le contexte. Il s'agit d'un grand programme de coopération européenne. Airbus défense and Space est le leader du projet, pour environ 50 %. Dassault représente environ 35 %, et l'italien Leonardo les 15 % restant.
Je rappelle aussi que la dernière loi de programmation militaire (LPM) repose en partie sur l'hypothèse que nous parviendrons à équiper nos forces pour moins cher en travaillant en coopération européenne. L'idée est simple et connue : en mutualisant les coûts de développement, d'une part, et en augmentant le nombre d'exemplaires produits du fait des besoins cumulés des différents pays européens participant au programme, on espère obtenir un matériel de meilleur niveau, à un coût moindre.
Évidemment, ces objectifs louables contrastent avec les difficultés inhérentes à tout partage de la décision entre plusieurs pays. Les écueils sont de deux natures : le risque de sur-spécification. Concrètement, si chacun fait sa demande spécifique, qui diffère légèrement ou largement de celle des autres partenaires, on finit par chercher à produire un mouton à cinq pattes.
Second écueil : la logique industrielle, c'est-à-dire, pour parler crûment, l'absence de logique industrielle qui conduit d'abord, pour un pays, à réclamer la partie sur laquelle il est le moins compétent, pour chercher à monter en gamme et acquérir une compétence ; et ensuite la logique de retour géographique qui consiste à réclamer pour son industrie une part au moins égale à son financement du programme.
Quand on combine ces deux écueils, on rencontre les difficultés de l'A400M...
Toute la question de l'Eurodrone est donc de savoir s'il est parvenu à éviter ces écueils. Eh bien, nous sommes parvenus, dans le cadre de notre rapport sur le programme 146, à une conclusion peu rassurante. Il semble qu'il y ait une difficulté majeure sur le prix. Il semble que l'écart entre le prix attendu par la DGA et le prix proposé par les industriels soit de près de 30 %. Autant dire qu'il y a péril, car le risque est grand, qu'à ce prix-là, les Etats qui participent au programme n'achètent pas (sans même parler des perspectives d'exportation, qui seraient compromises par un prix trop élevé). La France a voulu être vertueuse, en n'annonçant à ce stade qu'une commande réaliste de 4 systèmes de drones MALE européen, quand l'Allemagne en annonce 7, et l'Espagne et l'Italie 5.
La tentation pourra alors exister, même pour les pays qui ont participé à ce programme, soit d'acheter un matériel non-européen, soit du moins d'acheter un vecteur sur étagère, pour y greffer une charge nationale. La faisabilité d'une telle solution de repli resterait évidemment encore à expertiser. Mais la question du prix se pose aujourd'hui de façon aigüe. Il reste quelques semaines aux industriels et à la DGA pour se mettre d'accord. Il faut souhaiter que ce dossier puisse évoluer de façon favorable, car rappelons que l'Eurodrone devrait être une des composantes du SCAF.
J'en viens maintenant aux livraisons. La trajectoire d'augmentation des crédits du programme 146 permet des avancées significatives, qui se traduisent par l'arrivée dans les forces, en 2020, de nombreux matériels :
Pour l'armée de terre, sont notamment prévus :
- 128 blindés Griffon (contre 3 en 2018 et 89 en 2019). Je précise que nous avons à nouveau contrôlé le niveau des livraisons actuel. Ont été livrés à ce jour 38 Griffon. 16 devraient être livrés d'ici la fin de la semaine prochaine, soit 54 à la fin novembre. L'objectif de 92 livrés à fin décembre semble donc possible, si ce rythme exigeant est tenu ;
- les 4 premiers Jaguar (successeur de l'AMX 10 RC) ;
- 12.000 fusils d'assaut HK 416F (soit 50 % de plus qu'en 2019) ;
- 7 hélicoptères NH90 Caïman ;
- 1 000 VLTP (véhicules légers tactiques polyvalents, successeur du P4) ;
- 1 système de drone tactique (SDT) Patroller, dont il est désormais prévu qu'il soit armé, comme le CEMAT nous l'avait confirmé lors de son audition, et comme le DGA nous l'a encore redit la semaine dernière, puisqu'une étude de levée de risques a été commandée. Il faut rappeler que, sans possibilité d'armer ce drone, ses perspectives d'exportation auraient été restreintes.
Pour la marine, ce seront bien sûr le Suffren (SNA de classe Barracuda), 2 ATL 2 rénovés, 2 hélicoptères NH90 Caïman Marine ;
Pour l'armée de l'air, les livraisons sont également très importantes :
- 2 A400M Atlas ;
- 1 MRTT Phénix (avion de transport et de ravitaillement) ;
- 1 ravitailleur KC-130J ;
- 2 Mirage 2000D rénovés ;
- 1 système Reaper.
Pour l'espace, puisqu'il convient désormais d'identifier ce domaine de façon spécifique, le deuxième satellite MUSIS/CSO.
Je passerai plus rapidement sur les commandes : il est prévu de commander en 2020, notamment, pour l'armée de terre, 271 Griffons, 364 Serval, 42 Jaguar, la rénovation de 50 Leclerc ; pour la marine nationale, 3 avions de surveillance Hawkeye, 7 avions de surveillance maritime et 2 modules de lutte contre les mines (programme SLAMF) ; pour l'armée de l'air, 4 C130-H rénovés et les 4 premiers systèmes MALE, si nous avons pu nous entendre sur le prix. En revanche, je rappelle pour mémoire qu'il n'y a pas de livraisons de Rafale prévues pour 2020 ni 2021, ce qui portera donc à 5 ans la durée sans livraison d'exemplaire neuf de cet appareil.
Au vu de ces différents éléments, je vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits du programme 146.
M. Ladislas Poniatowski. - Vous avez évoqué un surcoût en discussion de l'ordre de 30 % sur le drone MALE. Comment peut-on expliquer un tel surcoût ?
M. Cédric Perrin, rapporteur. - Cette question nous a évidemment beaucoup préoccupés. Selon nos interlocuteurs, la raison n'en serait pas des surspécifications, dans le sens où les éléments demandés par les Etats ont été intégrés depuis 2017, comme par exemple le choix de la double motorisation. Il peut toujours y a voir des estimations qui divergent entre le client sur le prix des différents éléments du contrat. Il faut bien penser que le contrat ne porte pas que sur les drones eux-mêmes, mais aussi sur les matériels nécessaires à la formation, en l'espèce des simulateurs, le système de contrôle et même le début du maintien en condition opérationnelle.
Deuxième aspect important : l'appréciation du risque industriel lié au programme, et la question de savoir qui supporte ce risque, entre les industriels et les Etats clients. La position de l'industrie consiste, semble-t-il, à dire que si c'est elle qui supporte seule le risque du programme, cela s'intègre dans le prix global. La question du prix n'est donc pas qu'une question de coût de production d'un matériel, elle dépend aussi d'appréciations plus subjectives, et bien sûr les analyses peuvent diverger sur ce point. En tout état de cause, il faudra trouver un accord avant la fin décembre, si ce programme doit se concrétiser. Il faut souhaiter que cette négociation puisse aboutir, car il faut rappeler que le drone MALE européen a vocation à faire partie, à terme et dans une version qui aura évolué, du SCAF.