B. DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES AU MAXIMUM DE LEURS CAPACITÉS À MOYENS CONSTANTS
Au cours des années récentes, les juridictions financières ont vu leurs missions se multiplier alors même que le plafond d'emplois, fixé à 1 840 ETPT, n'a pas évolué depuis 2010.
Comme l'a relevé le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, lors de son entretien avec votre rapporteur, les juridictions financières sont sous-dotées en effectifs au regard du périmètre de leurs missions par rapport aux institutions supérieures de contrôle étrangères équivalentes.
1. Des missions toujours plus nombreuses dévolues aux juridictions financières
a) L'expérimentation de certification des comptes des collectivités territoriales
Pour n'évoquer que les réformes les plus récentes, la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a prévu un dispositif d'expérimentation de certification des comptes de collectivités territoriales , conduite par la Cour des comptes, en liaison avec les chambres régionales des comptes. Ce dispositif, prévu pour durer jusqu'en 2023, est destiné à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes des collectivités territoriales volontaires 13 ( * ) .
Par arrêté du 6 décembre 2016, une fois connue la liste des collectivités expérimentatrices fixée par les ministres, le Premier président de la Cour des comptes a créé une formation inter-juridictions permanente (FIJ), commune à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, sur le fondement de l'article L. 141-13 du code des juridictions financières. Cette structure est chargée de conduire l'expérimentation. La FIJ examine l'ensemble des travaux conduits dans le cadre de cette expérimentation et en assure l'homogénéité.
Conformément à la loi du 7 août 2015, une convention a été conclue par le Premier président de la Cour des comptes avec l'autorité exécutive de chaque entité expérimentatrice. La signature de ces conventions a été échelonnée jusqu'à la fin du 1 er semestre 2017. Elles sont toutes identiques. Ces conventions définissent l'objet de l'intervention de la Cour des comptes de 2017 à 2020, en fixent les modalités de mise en oeuvre, le calendrier de réalisation et les moyens dédiés. Elles renvoient à un avenant pour la période 2020-2022.
Il a ainsi été convenu que l'expérimentation comprendrait deux périodes :
- une première période, allant de 2017 jusqu'à mi-2020, durant laquelle les juridictions financières accompagneront, à titre gratuit, les collectivités expérimentatrices dans une démarche progressive d'évaluation de la fiabilité de leurs états financiers ;
- une seconde période, de mi-2020 à 2023, de réalisation de certifications expérimentales sur les comptes des exercices 2020, 2021 et 2022. Le cadre et les modalités de ces certifications seront définis par un cahier des charges, compte tenu des enseignements tirés des constatations faites lors de l'accompagnement mis en oeuvre dans la première période.
Jusqu'à l'été 2016, les moyens humains consacrés à l'expérimentation ont été de 2 ETPT par an. À partir de la fin 2016, lorsque la liste des collectivités expérimentatrices a été arrêtée, et plus encore en 2017, l'impact budgétaire a augmenté : 15 ETPT et 0,11 million d'euros pour 2017, Cour et CRC confondues. Ces moyens humains et budgétaires ont été dégagés par des redéploiements internes, ce qui implique que l'équivalent de ces 15 ETPT n'a pas participé aux autres missions des juridictions financières afin de se consacrer à l'expérimentation. La situation devrait être la même en 2018 et 2019.
Comme prévu par la loi NOTRe, un bilan intermédiaire sera réalisé fin 2018 puis un bilan final en 2023. La Cour des comptes aura finalisé avant la fin de l'année 2018 ses observations qui devront accompagner le rapport que le Gouvernement transmettra au Parlement, ainsi que les observations des collectivités territoriales et des groupements concernés.
Sans anticiper sur ce premier bilan, à la suite des auditions et déplacements qu'il a réalisés dans le cadre de la préparation du présent avis, votre rapporteur estime qu'envisager une généralisation de ce dispositif aurait un impact extrêmement lourd sur les juridictions financières .
Comme l'a souligné M. Pierre Van Herzele, président de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, dans laquelle votre rapporteur s'est rendu, ce dispositif devrait être limité aux collectivités territoriales les plus importantes. Par ailleurs, les chambres ne pouvant pas certifier directement les comptes de l'ensemble de ces grandes collectivités, une réflexion pourrait être engagée pour confier cette mission aux commissaires aux comptes, qui interviennent déjà auprès des universités et des grands hôpitaux par exemple, sous le contrôle de la Cour des comptes.
b) Le contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux et des établissements de santé privés
La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a étendu les compétences de contrôle des juridictions financières à l'ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS), y compris de droit privé .
L'intervention des juridictions financières dans le secteur médico-social était jusqu'ici limitée au seul secteur public ou associatif financé par le biais de subventions publiques, ce qui ne permettait pas d'avoir une vision d'ensemble des activités du secteur. Il s'agit donc d'une avancée significative, portant sur un ensemble d'organismes hétérogènes, difficilement comparables entre eux et s'adressant à des publics très divers.
Ces compétences sont partagées entre la Cour des comptes et les CRTC. Le champ à couvrir à ce titre est important, tant en termes de montants financiers que de nombre de structures à contrôler et de variété des publics concernés et des services rendus.
Cette réforme concerne potentiellement plusieurs dizaines de milliers d'établissements supplémentaires (38 000 dont 36 000 ESMS et 2 000 établissements privés) tant pour la Cour des comptes que pour les chambres régionales et territoriales des comptes.
La stratégie et les méthodes de contrôle pour réaliser cette mission - à moyens constants - ont été déterminées en 2017 et les premiers contrôles ont été conduits dans la foulée. En 2018, environ 30 contrôles ont été effectués.
En tout état de cause, compte tenu du champ de ce dispositif, il sera impossible pour les juridictions financières de contrôler plus de quelques structures par an. Si ce contrôle était amené à se développer, il faudrait envisager une hausse substantielle du plafond d'emplois et des crédits du titre 2 du présent programme.
D'autres textes, adoptés en 2018, ont confié à la Cour des compétences nouvelles, qui seront mises en oeuvre dans les années à venir.
La loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 a confié à la Cour des comptes le contrôle des comptes et de la gestion des personnes concourant à l'organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 ayant leur siège en France et bénéficiant à ce titre, s'agissant des personnes morales de droit privé, d'un financement public. Conformément à la loi, un premier rapport sur l'organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 sera remis au Parlement en 2022. Le périmètre et les modalités concrètes de réalisation de cette mission nouvelle, notamment la stratégie et les méthodes de contrôles, restent à préciser.
La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance prévoit l'évaluation comptable et financière, deux ans après leur entrée en vigueur, d'un certain nombre de dispositifs de simplification fiscale et d'incitation à la régularisation . Là encore, il conviendra, dans les prochains mois, d'arrêter les conditions dans lesquelles ces évaluations seront conduites.
Comme l'a relevé votre rapporteur, plus haut, à propos des juridictions administratives, le fonctionnement de ces juridictions est mis en péril par l'absence d'évaluation sérieuse de l'impact des nouvelles missions confiées sur leur activité et l'absence d'allocation de moyens suffisants pour y faire face.
c) Le recours accru aux formations inter-juridictions (FIJ)
Les compétences des formations communes à la Cour et aux chambres régionales et territoriales des comptes, ou communes à plusieurs chambres régionales et territoriales des comptes, sont définies à l'article L. 141-13 du code des juridictions financières. Elles coordonnent ou conduisent les travaux dont elles ont la charge, délibèrent sur leurs résultats, et enfin adoptent la synthèse ainsi que les suites à leur donner, qui prennent le plus souvent la forme d'un rapport publié. Ces compétences ne portent jamais sur les missions juridictionnelles de la Cour et des chambres régionales et territoriales.
Elles ont une durée de vie limitée au temps nécessaire à la réalisation de leurs travaux. Une fois leur rapport publié, un arrêté du Premier président constate leur suppression.
Trois d'entre elles ont, cependant un caractère permanent : les formations communes « Outre-mer », « Fonction publique » et « Finances publiques locales ». Cette dernière est chargée de préparer le rapport annuel relatif à la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. L'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales prend également la forme d'une FIJ.
Au 1 er septembre 2018, 20 FIJ étaient en cours. Les thèmes des enquêtes diligentées par ces formations sont très variés. Les enquêtes récentes ont porté notamment sur les services publics d'assainissement non collectifs, les opérations funéraires ou les stations thermales d'Occitanie.
Selon la Cour des comptes, grâce à cette procédure, les juridictions financières sont en mesure de répondre dans un délai beaucoup plus court aux demandes d'enquête, émanant du Parlement et du Gouvernement, qui concernent à la fois le champ de compétence de la Cour et celui des CRTC.
Selon les représentants de l'association des présidents de chambres régionales des comptes, entendus par votre rapporteur, ces structures sont très efficaces et présentent l'avantage de porter un regard transversal, là où les chambres régionales et territoriales des comptes ne peuvent avoir qu'une vision géographiquement limitée à leur ressort.
Cependant, les magistrats qui participent à ces formations sont nommés par arrêté du Premier président sur proposition des présidents des chambres auxquelles ils appartiennent. Ils continuent à exercer, en parallèle, les missions de contrôle engagées pour le compte de leur juridiction d'appartenance.
Selon les représentants du syndicat des juridictions financières unifié, entendus par votre rapporteur, ces travaux transversaux absorbent les moyens humains des chambres régionales et territoriales des comptes au détriment de leurs missions de contrôle budgétaire et pèsent lourdement sur la programmation des travaux de ces juridictions.
2. Des juridictions à court de ressources pour absorber ce surcroît d'activité
Avant de demander un renfort de moyens, les juridictions financières ont commencé par réformer leur organisation interne.
À cet égard, la carte des juridictions financières a subi d'importantes restructurations ces dernières années. Dans un premier temps, la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles a fixé à quinze le nombre de chambres régionales des comptes pour la métropole (contre vingt-deux par le passé), auxquelles s'ajoutaient cinq chambres territoriales des comptes dans les collectivités situées outre-mer. Dans un second temps, la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral et le décret n° 2015-1199 du 30 septembre 2015 modifiant les dispositions relatives au siège et au ressort des chambres régionales des comptes, a réduit ce nombre de quinze à treize.
De façon générale, la réforme de l'organisation sur le territoire métropolitain des CRC s'est déroulée dans un calendrier et une enveloppe maîtrisés. Le coût total des opérations de regroupement s'est établi à 5,76 millions d'euros : 2,89 millions d'euros au titre des travaux et des aménagements (hors titre 2) et 2,87 millions d'euros au titre des indemnités de mobilité (titre 2), financés à budget constant des juridictions financières. Compte tenu des économies réalisées par ailleurs (économies de loyers notamment), l'opération globale sera amortie sur une durée d'un peu plus de cinq ans.
Bien que les ressorts des chambres régionales des comptes aient été substantiellement élargis, cette réforme a permis de renforcer les capacités d'action des juridictions financières, désormais mieux dotées en personnels de contrôle, de moderniser leurs conditions de travail et de faire des économies d'échelle sur les fonctions support. Un bilan de cette réforme devrait être dressé en 2019 dans le cadre du rapport public annuel sur les finances publiques locales de la Cour des comptes.
En tout état de cause, comme l'a fait valoir le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, lors de son audition par votre rapporteur, toutes les économies possibles et toutes les mutualisations ont désormais été réalisées. Il est impossible pour les juridictions financières d'aller au-delà.
Il résulte de cette situation une « priorisation » des travaux , qui se traduit, comme l'a souligné le président de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, M. Pierre Van Herzele, par le fait que les programmes de contrôle doivent devenir de plus en plus fins et permettre une concentration des contrôles sur les situations qui présentent le plus de risques .
Pour d'autres personnes rencontrées par votre rapporteur, comme les représentants du syndicat des juridictions financières unifié, la multiplication des missions confiées aux juridictions financières produit un véritable effet d'éviction sur les missions traditionnelles des juridictions financières, et en particulier sur le contrôle budgétaire.
Cette situation est d'autant plus problématique que les chambres régionales et territoriales des comptes sont de plus en plus le dernier repère des collectivités territoriales, dans un contexte de reconcentration du réseau des trésoreries et de recul du contrôle de légalité par les services de l'État 14 ( * ) .
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Au bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », inscrits au projet de loi de finances pour 2019.
* 13 50 collectivités se sont portées candidates et 48 candidatures ont été déclarées recevables. Après avis du Premier président de la Cour des comptes, les ministres chargés des comptes publics et des collectivités territoriales ont fixé la liste des collectivités expérimentatrices par arrêté du 16 novembre 2016. Cette liste compte 25 collectivités et groupements. Toutes les régions métropolitaines et deux régions ultramarines (la Guadeloupe et La Réunion) comptent au moins une collectivité expérimentatrice. De plus, à la seule exception des communautés urbaines, chaque catégorie de collectivités territoriales et de groupements est concernée (région, département, commune, communauté d'agglomération, communauté de communes, métropole, syndicat).
* 14 Voir le rapport public annuel 2016 de la Cour des comptes : Le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire : une place a` trouver dans la nouvelle organisation de l'État . Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/10-controle-legalite-et-budgetaire-RPA2016-Tome-1.pdf .