B. DES RÉFORMES ORGANISATIONNELLES ENCORE INABOUTIES
Les deux forces de sécurité intérieure disposent de leur propre dispositif de police technique et scientifique, qui répond à une organisation et des logiques différentes. Si des rapprochements ont été initiés, les voies d'une mutualisation demeurent nombreuses.
1. Une organisation complexe en cours de réforme
a) Une organisation intégrée au sein de la gendarmerie nationale
La gendarmerie nationale a mis en place, au cours des quinze dernières années, un dispositif de police technique et scientifique entièrement intégré à son organisation centrale et territoriale .
Au niveau local, les 101 cellules d'investigation criminelle et numérique, qui assurent les actes de constatation et d'analyse, dépendent ainsi directement des groupements départementaux de gendarmerie.
Au niveau central, l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), que votre rapporteur a eu l'occasion de visiter, concentre l'ensemble des laboratoires de sciences forensiques. L'IRCGN intervient de manière complémentaire aux structures locales, notamment sur des techniques de pointe nécessitant une expertise et des équipements non présents au niveau territorial.
b) Une rationalisation engagée au sein de la police nationale
En raison de la grande complexité de son organisation, la police nationale a initié, à la suite de deux rapports de l'inspection générale de la police nationale et de la Cour des comptes, une réforme d'ampleur de sa chaîne de police technique et scientifique.
Initiée en 2017, cette réforme s'est articulée autour de deux axes.
En premier lieu, il a été procédé à la création d'un service central de la police technique et scientifique 20 ( * ) , placé auprès du DGPN. Cette nouvelle structure, dont le siège se situe à Écully, s'est vu confier pour rôle de coordonner et d'harmoniser les pratiques des structures de police technique et scientifique . Réparties dans l'ensemble des directions métiers de la police nationale (voir schéma) qui, chacune, dispose de ses propres effectifs et de ses propres moyens alloués à cette activité, ces structures, au nombre de 722 , ne disposaient en effet jusqu'alors d'aucune autorité commune, avec pour conséquence des écarts sensibles de pratique et de doctrine.
Organisation du dispositif PTS au sein de la police nationale
Source : commission des lois du Sénat
sur la
base des réponses au questionnaire budgétaire
En second lieu, la police nationale a procédé à une rationalisation de ses plateaux techniques de révélations papillaires implantés au niveau local 21 ( * ) , afin de réduire les coûts de fonctionnement et d'adapter les structures aux besoins réels des territoires. Leur nombre a ainsi été réduit de 193 en 2016 à 58 aujourd'hui. Cette réduction du nombre de plateaux techniques s'est en outre accompagnée d'une modernisation technologique des structures maintenues.
Cette réforme, conforme aux recommandations de la Cour des comptes, s'est traduite par des économies substantielles . Le ministère de l'intérieur estime ainsi que la suppression de 135 laboratoires aurait permis d'économiser 14 millions d'euros sur le budget initialement estimé pour la modernisation des plateaux techniques. Il est également attendu une baisse conséquente des coûts d'achat d'équipements et de fournitures du fait de la centralisation de la fonction achat au sein du SCPTS.
Si elle a permis d'harmoniser les pratiques et d'assurer une meilleure répartition des compétences entre services, la création du SCPTS n'a, pour autant, pas résolu l'ensemble des difficultés liées à l'éclatement des structures et des moyens , que dénonçait la Cour des comptes dans son rapport de décembre 2016. Le SCPTS n'assure en effet qu'un rôle de coordination fonctionnelle, mais ne dispose d'aucune autorité hiérarchique sur les personnels. Aux termes de l'arrêté d'avril 2017, ses actions doivent être conduites « en concertation avec les directions d'emploi ». Une telle lettre de mission ne manque pas d'interroger sur la portée réelle de la réforme.
Cette difficulté n'est d'ailleurs pas niée par le ministère de l'intérieur qui, dans ses réponses au questionnaire budgétaire, indique : « structurellement, la PTS reste donc exercée par une mosaïque d'entités dépendant de chaînes hiérarchiques aux fonctionnements et modes de management différents. L'homogénéité recherchée par le service central s'en trouve d'autant freinée. Cette dichotomie est largement bloquante, chronophage et dispendieuse, car l'autorité fonctionnelle ne fonctionne que par compromis ».
2. Des mutualisations à promouvoir entre la police et la gendarmerie
En raison de son caractère technique et des investissements lourds qu'elle implique, la police technique et scientifique constitue un secteur propice à des mutualisations entre la police et la gendarmerie.
Dans son rapport de 2016, la Cour des comptes regrettait ainsi l'insuffisance des rapprochements entre police et gendarmerie en matière de police technique et scientifique : « au ministère de l'intérieur, la police nationale et la gendarmerie nationale agissent en la matière côte à côte sans rechercher à développer de réelles synergies ».
Force est de constater que, deux ans après ce constat, les synergies demeurent encore insuffisantes entre les deux forces.
En termes d'organisation tout d'abord, il est regrettable que la rationalisation des plateaux techniques de révélations papillaires conduite depuis deux ans par la police nationale n'ait pas été effectuée en concertation avec la gendarmerie nationale , pour aboutir à une carte commune et unifiée, établie sur la base du volume d'activité au sein de chaque territoire. Il s'agirait de mettre en place des plateaux mutualisés, susceptibles d'être sollicités indifféremment par les deux forces. Il a été indiqué à votre rapporteur qu'une réflexion avait été engagée à ce sujet, sans qu'aucune décision n'ait toutefois été prise à ce stade.
Des mutualisations paraissent également possibles en matière d'équipements .
D'ores et déjà, les deux forces ont amorcé une mutualisation en matière de marchés publics, dans un souci de rationalisation des achats. Des marchés publics communs ont par exemple été conclus pour les kits de prélèvements biologiques et de prélèvements de traces biologiques ou encore pour les équipements photographiques.
Par ailleurs, les deux forces alimentent et exploitent, dans le cadre de leurs activités de police technique et scientifique, plusieurs fichiers communs, parmi lesquels le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) et le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Elles procèdent également à des projets de recherche communs, par exemple sur le projet Crim'In , destiné à mettre en place un traitement dématérialisé de la chaîne d'infraction.
Si le projet, parfois évoqué, d'une direction commune à la police et à la gendarmerie paraît prématuré, de plus amples convergences méritent sans aucun doute d'être mises en place.
Il paraît par exemple envisageable de renforcer les complémentarités opérationnelles sur certains secteurs, en particulier sur des secteurs de pointe ou à faibles sollicitations, afin de limiter la dispersion des investissements. Votre rapporteur note, à cet égard, que les conventions d'assistance mutuelle signées au niveau local, mais dont l'exploitation demeure très marginale, pourraient utilement être revalorisées.
3. Une articulation avec le secteur privé qui mériterait d'être clarifiée
Les laboratoires et plateaux techniques publics n'assurent pas l'intégralité des activités de police technique et scientifique, dont une partie est externalisée vers des laboratoires privés.
Ces derniers n'interviennent que sur un nombre réduit d'analyses, principalement génétiques et toxicologiques, sur sollicitation des magistrats ou des officiers de police judiciaire. Sur instruction du ministère de la justice, qui finance sur son programme 166 « Justice judiciaire », en frais de justice, les prestations de ces laboratoires privés, les analyses relevant de la police technique et scientifique dite de masse ne leur sont pas ou peu adressées, pour des raisons de réduction de coûts.
Toutefois, face à la croissance exponentielle de l'activité de police technique et scientifique, la question de l'articulation entre secteur public et secteur privé se pose . En effet, l'augmentation de la charge des laboratoires publics induit logiquement un allongement des délais de traitement, non satisfaisant pour les équipes d'enquête.
Au demeurant, l'intervention du secteur privé peut se révéler utile dans certains territoires non couverts ou éloignés des plateaux techniques ou des laboratoires d'analyse.
Lors de ses auditions, votre rapporteur a pu constater que le ministère de l'intérieur ne disposait, à cet égard, d'aucune doctrine claire .
Face à l'explosion du nombre de saisines des services de la police technique et scientifique, la recherche de complémentarités entre le public et le privé, qu'elles soient sectorielles ou géographiques, mériterait, de l'avis de votre rapporteur, d'être étudiée , de manière concertée entre l'ensemble des acteurs impliqués (police, gendarmerie, justice). En particulier, alors que certaines analyses sont maîtrisées sans difficulté par le secteur privé, il pourrait utilement être envisagé que les laboratoires publics concentrent leurs recherches et leurs activités sur des technologies de pointe, qui constituent un enjeu d'avenir pour l'efficacité de la police technique et scientifique.
* 20 Arrêté du 5 avril 2017 portant création d'un service d'administration centrale dénommé « Service central de la police technique et scientifique ».
* 21 Les plateaux techniques, rattachés aux différents services locaux de police technique et scientifique, effectuent les analyses de révélation papillaire. Leur activité est complémentaire de celle des cinq laboratoires de la police nationale, qui eux dépendent de l'Institut national de police technique et scientifique, qui intervient selon un principe de subsidiarité, soit pour les infractions les plus graves, soit pour la mise en oeuvre de techniques plus complexes dont ne disposent pas les plateaux techniques locaux.