EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 14 NOVEMBRE 2018
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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Mes chers collègues, l'ordre du jour appelle l'examen des crédits de la mission « Enseignement scolaire » et du programme « Enseignement technique agricole ».
M. Jacques Grosperrin , rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement scolaire » . - Je souhaiterais rendre hommage à notre ancien collègue Jean-Claude Carle, qui fut rapporteur de ce budget pendant de longues années, sans que celles-ci n'entament sa passion pour l'éducation. Je retiendrai tout particulièrement sa conviction forte que l'enseignement des apprentissages fondamentaux est à la racine de la réussite et de l'échec d'un système éducatif et que, comme il le disait lui-même, « la qualité d'un budget ne se mesure pas à l'aune de ses crédits ».
Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit une augmentation des crédits des cinq programmes de la mission « Enseignement scolaire » de 1,2 milliard d'euros en 2019, soit une augmentation de 1,7 % ; à titre de comparaison, il avait augmenté de 2,4 % par an en moyenne de 2012 à 2017. Le budget de l'éducation nationale atteindra alors près de 71,3 milliards d'euros constitué à 93,4 % de dépenses de personnel.
L'intégralité de l'augmentation des crédits provient des dépenses de personnel, dont la hausse procède de plusieurs facteurs :
- le glissement vieillesse-technicité (GVT), soit l'augmentation naturelle des dépenses liée à l'avancement des agents, dont le solde est prévu à 428 millions d'euros ;
- des mesures de revalorisation catégorielles, pour une somme totale de 388 millions d'euros, dont 294 au titre de la mise en oeuvre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) et 59 millions d'euros au titre de la revalorisation du dispositif indemnitaire en éducation prioritaire ;
- et enfin de l'extension en année pleine du schéma d'emplois 2018.
S'agissant des emplois, 1 800 emplois sont supprimés, ce qui est relativement faible au regard des effectifs de la mission, dont le plafond d'emplois s'élève à 1 043 000 ETPT.
Comme le budget précédent, le budget 2019 donne une priorité forte et claire à l'école primaire. Elle se traduit par la forte augmentation des crédits consacrés au primaire, qui s'élève à 2,3 %, et la création de 2 850 postes d'enseignants titulaires à la rentrée 2019, essentiellement destinés à achever le dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire.
Ces créations de postes sont compensées par la suppression de 1 050 postes d'enseignants stagiaires dans le premier degré, 2 650 postes d'enseignants dans le second degré, 550 dans l'enseignement privé et 400 de personnels administratifs. Je regrette l'absence d'une programmation pluriannuelle des emplois, qui permettrait de donner au système éducatif de la stabilité et de la prévisibilité, ce dont il a tant besoin.
Le budget 2019 poursuit le rééquilibrage de la dépense d'éducation en direction du primaire. L'école primaire, moment de l'acquisition des fondamentaux - lire, écrire, compter, respecter autrui - fait l'objet d'un sous-investissement continu dans notre pays. La France dépensait en effet 6 550 euros par écolier en 2017, soit un tiers de moins que pour un élève du secondaire et près de moitié moins que pour un étudiant.
Le rééquilibrage devrait être facilité par la diminution attendue des effectifs d'élèves de l'école primaire, qui agira comme un effet de levier. Le ministère prévoit en effet une baisse importante des effectifs du premier degré, liée à une baisse inquiétante de la démographie : on attend 63 000 élèves de moins à l'école primaire en 2019, 73 000 en 2020 et 86 000 en 2021.
Dans le premier degré, la mesure principale demeure la réduction à douze de l'effectif des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire. Elle présente un coût substantiel, estimé à 11 000 postes à l'horizon 2020 et un coût brut de 500 millions d'euros.
Si cette mesure volontariste va dans le bon sens, en ce qu'elle vise à réduire l'échec scolaire à la racine et alors que les évaluations montrent un écart important dans les acquis des élèves selon qu'ils sont ou non en éducation prioritaire, j'émettrai néanmoins plusieurs réserves.
En premier lieu, je regrette l'absence d'évaluation de ce dispositif ainsi que du dispositif « plus de maîtres que de classes » qui a été largement réduit à son profit. Cela est d'autant plus important qu'une expérimentation analogue de classes de CP à effectifs réduits en éducation prioritaire, menée de 2002 à 2004, s'était révélée très décevante.
Deuxièmement, il semble que la compensation des investissements consentis par les communes a été très imparfaite. Ce n'est pas faute de dotations prévues à cet effet, puisqu'étaient notamment fléchées la dotation politique de la ville (DPV), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou encore la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Mais il semble que beaucoup de communes n'en ont pas eu connaissance à temps ; selon les départements, les priorités ont également pu varier.
Enfin, on ne peut que déplorer que cette mesure ait entrainé de nombreuses fermetures de classes en milieu rural. En juillet 2017, à l'occasion de la conférence des territoires, le Président de la République s'était engagé à ce qu'il n'y ait plus de fermeture de classes dans les écoles rurales. Contrairement à cet engagement, au moins 300 fermetures de classes ont eu lieu à la rentrée 2018 en milieu rural. Vous le savez, mes chers collègues, l'école est souvent le dernier service public présent dans les communes. Il n'y revêt pas seulement une dimension symbolique : outre les longs trajets imposés aux enfants et à leurs parents, les fermetures de classes participent d'une perte d'attractivité et de la désertification de nos campagnes. C'est tout un pan de notre pays qui se sent oublié ; lui prendre pour donner à d'autres ne peut être la solution : c'est opposer une France à l'autre ! C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter un amendement visant à transférer 10 millions d'euros de dépenses de titre 2 vers l'enseignement primaire, afin de créer des postes supplémentaires en faveur de l'école rurale.
L'autre mesure importante est l'abaissement à trois ans de l'obligation d'instruction, qui devrait entrer en vigueur à la rentrée 2019, après l'adoption du projet de loi pour une école de la confiance, dont elle constitue une mesure phare.
Selon le ministère, cette mesure se traduirait par une augmentation du nombre d'enfants scolarisés située entre 23 000 et 26 000, compensée en partie par l'arrivée de classes d'âge creuses. Cette mesure devrait en revanche se traduire par un surcoût pour les collectivités territoriales estimé à 100 millions d'euros ; du fait des délais d'instruction des demandes, la compensation de ce surcoût ne devrait être versée qu'en 2020. C'est pourquoi le PLF 2019 ne prévoit rien à cet effet. Il conviendra d'être particulièrement vigilant à ce que le surcoût engendré pour les collectivités territoriales concernées soit intégralement compensé.
Dans le second degré, le ministère a annoncé son intention de compenser en partie les suppressions d'emploi par un recours accru aux heures supplémentaires. Pour ce faire, il est prévu qu'à partir de la rentrée 2019 les chefs d'établissement pourront imposer une seconde heure supplémentaire aux enseignants dans l'intérêt du service, contre une seule actuellement. C'est une mesure qui me semble de bon sens et qui permettra d'augmenter le pouvoir d'achat des enseignants, à plus forte raison dans la mesure où ces heures supplémentaires seront exonérées de cotisations sociales.
L'année 2019 verra la mise en oeuvre des réformes du lycée général et technologique et de la voie professionnelle. Conformément à la position défendue de longue date par le Sénat, ces réformes vont dans le sens d'une optimisation de l'emploi des moyens.
La réforme du baccalauréat général et technologique, dont la mise en oeuvre progressive s'achèvera en 2021, devrait permettre de rationaliser l'offre scolaire et d'optimiser la taille des classes, notamment par :
- la suppression des séries dans la voie générale ;
- l'allègement des horaires, de l'ordre de 3 % en moyenne par élève, en lycée général ;
- l'introduction d'une part de contrôle continu et l'allègement du nombre d'épreuves terminales du baccalauréat, dont il est attendu une moindre perte d'heures d'enseignement en fin d'année scolaire.
Dans la voie professionnelle, la réforme annoncée au printemps dernier, devrait aboutir à une rationalisation de l'offre scolaire en vue d'une meilleure professionnalisation des diplômés. Les axes de travail envisagés sont :
- la création de classes de seconde professionnelle sectorielles, correspondant à des familles de métiers présentant des compétences communes ;
- la refonte des grilles horaires de CAP et du baccalauréat professionnel, qui se traduirait par une légère baisse des volumes horaires élève et un renforcement de l'accompagnement personnalisé des élèves ;
- une personnalisation accrue des parcours menant au baccalauréat professionnel, avec, selon le projet de l'élève, des modules d'aide à la poursuite d'études ou à l'insertion professionnelle ;
- la redynamisation des campus des métiers et des qualifications et l'insertion des lycées professionnels dans le tissu économique ;
- une offre de formation mieux adaptée à la réalité économique et orientée vers les secteurs les plus porteurs.
Au collège, le dispositif « devoirs faits » continuera sa montée en puissance, pour un coût de 247 millions d'euros, qui finance à la fois les heures supplémentaires des professeurs qui y participent ainsi que la rémunération des assistants d'éducation, des associations et des volontaires du service civique impliqués. Si l'on ne peut être que favorable à cette mesure de bon sens, il me semble qu'une évaluation de ce dispositif est nécessaire ; les remontées du terrain font état d'une réalisation en-deçà des ambitions du ministère, tant en matière du volume horaire proposé que du public concerné.
Je passerai rapidement sur les autres points saillants de ce budget, qui sont :
- la forte diminution des crédits prévus au titre du fonds de soutien au développement des activités périscolaires (- 168 millions d'euros) ; il s'agit de la conséquence du choix d'un grand nombre de communes - 87 % d'entre elles à la rentrée 2018 - de revenir à la semaine de quatre jours, comme le permet le décret du 27 juin 2017 ;
- la considérable augmentation des crédits consacrés à l'accompagnement des élèves en situation de handicap (+ 380 millions d'euros, soit + 33 %) ; si elle procède, pour 124 millions d'euros, d'un transfert de crédits lié à la prise en charge accrue du financement des contrats aidés par le ministère, cette augmentation finance également le recrutement de 1 500 AESH dès janvier 2019 pour faire face aux besoins en croissance constante, le recrutement direct de 4 500 AESH supplémentaires à la rentrée 2019 ainsi que la poursuite de la politique de professionnalisation de l'accompagnement des élèves handicapés, par la transformation de 11 200 contrats aidés en 6 400 contrats d'AESH à la rentrée 2019 ;
- enfin, le ministère a annoncé l'abandon du programme SIRHEN, son logiciel RH dont le surcoût et le retard semblaient hors de contrôle. Son remplacement est d'ores et déjà programmé.
J'en viens désormais à la question de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, sur laquelle j'ai souhaité porter un éclairage.
Prévu dès l'origine de l'école maternelle, l'accueil des enfants de deux ans est une exception française - ou plutôt francophone puisque seule la Belgique wallone le met aussi en oeuvre. Il ne s'est vraiment développé qu'à partir des années 1960, parallèlement à la généralisation de la scolarisation des enfants de trois à cinq ans. Nos anciens collègues Monique Papon et Pierre Martin écrivaient que « l'école maternelle a laissé venir à elle les enfants de deux ans » quand le contexte démographique et socio-économique l'a permis. Schématiquement, 5 à 6 enfants de deux ans étaient accueillis pour remplir une classe de 20 ou de 25 enfants plus âgés. De 1980 à 2001, le taux de scolarisation des enfants de deux ans s'est maintenu à environ 35 %, avant de fondre rapidement - en 2010, il n'était que de 12 %.
Cette diminution rapide a plusieurs causes : l'augmentation des effectifs d'élèves, les suppressions de postes intervenues dans l'éducation nationale, mais également une remise en question profonde, sinon de son bien-fondé, du moins des conditions de cet accueil. Le rapport annuel de 2003 du défenseur des enfants se faisait l'écho des inquiétudes exprimées par divers spécialistes de la petite enfance sur les conséquences négatives qu'entraînait l'intégration des enfants de deux ans au sein de classes de petite section voire de classes mixtes accueillant des élèves jusqu'à la grande section. En 2007 et en 2008, de nombreux rapports, comme celui d'Alain Bentolila ou de nos anciens collègues Monique Papon et Pierre Martin ont remis en cause cette politique et appelé au développement de crèches ou à la mise en place de jardins d'éveil - l'expérimentation de ces derniers, menée à partir de 2010, s'est révélée toutefois décevante.
La relance de la scolarisation des enfants de moins de trois ans constitue une des priorités de la refondation de l'école mise en oeuvre à partir de 2012. La loi du 8 juillet 2013 a prévu que l'accueil des enfants de deux ans, orienté en priorité vers les familles les plus éloignées de la langue française et de la culture scolaire, devait avoir lieu « dans des conditions éducatives et pédagogiques adaptées à leur âge visant leur développement moteur, sensoriel et cognitif ». Son rapport annexé prévoyait la création de 3 000 ETP sur la durée de la législature en faveur de cette mesure, devant permettre d'atteindre l'objectif de porter à 30 % le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans en éducation prioritaire à l'horizon 2017. À l'occasion du comité interministériel « égalité et citoyenneté » du 6 mars 2015, cet objectif a été porté à 50 % pour les REP+.
D'un point de vue quantitatif, cet objectif n'a pas été atteint : à la rentrée 2017, 12 % environ des enfants de deux ans étaient scolarisés, soit une proportion globalement stable par rapport à 2010, le taux de scolarisation ne dépassant pas 20 % en REP (elle s'y élève à 19,3 %) et atteignant 22,3 % en REP+.
La situation demeure très contrastée selon les territoires et n'est véritablement satisfaisante que dans ceux où la scolarisation des enfants de deux ans s'était maintenue : l'Ouest, le Nord et le Massif central. Il est particulièrement faible en Île-de-France, y compris dans l'éducation prioritaire, et en Rhône-Alpes. Sur les 3000 postes prévus, 1 413 seulement ont été créés, à 70 % en éducation prioritaire.
Pourquoi ? Le premier frein invoqué est l'absence de demande, voire la réticence, de la part des populations cibles de la politique de scolarisation précoce, particulièrement dans un contexte de chômage.
L'autre difficulté majeure est celle liée aux conditions matérielles d'accueil, en particulier le manque de locaux en éducation prioritaire, particulièrement criant en Île-de-France, mais également dans d'autres académies, d'autant qu'ils sont sollicités pour le dédoublement des classes de CP et de CE1. En milieu rural et périurbain se pose plutôt le problème des transports scolaires, inadaptés à la prise en charge d'enfants aussi jeunes.
Enfin, parce qu'elle nécessite la mise à disposition de locaux et de mobilier adaptés et presque toujours d'un agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM), l'accueil des enfants de deux ans, particulièrement au sein de classes spécifiques, exige un investissement conséquent des communes. Sous le double mouvement de la baisse des dotations et des dépenses imposées par la réforme des rythmes scolaires, peu de communes ont pu dégager les moyens suffisants. Celles qui ne l'ont pas fait invoquent aussi l'absence de confiance dans la pérennité du dispositif : il est difficile de consentir de tels investissements lorsque l'on n'a pas foi dans l'engagement de l'État.
Sur le plan qualitatif, le bilan de la relance de la scolarisation à deux ans est difficile à établir, faute d'évaluation sérieuse. On ne peut qu'être surpris de savoir qu'aucune évaluation de cette politique n'a été prévue.
Il n'existe sur ce sujet que des évaluations sur des données anciennes. Si certaines études aboutissent à des résultats positifs, la plus récente, publiée par France Stratégie en janvier 2018, trouve un effet neutre, voire légèrement négatif, de la scolarisation à deux ans telle qu'elle était menée au début des années 2000. Sans mesurer ce qu'apporte une quatrième année de maternelle, les travaux de l'OCDE sur la petite enfance montrent des rendements décroissants de la scolarisation préélémentaire.
Ce qui est certain, c'est que les conditions d'un accueil de qualité ne sont toujours pas réunies.
Premièrement, l'accueil au sein de classes dédiées demeure largement minoritaire. Dit autrement, la plupart des enfants de deux ans scolarisés complètent des classes accueillant des enfants plus grands. Il s'agit clairement de la configuration la moins favorable, en ce qu'elle aboutit souvent à méconnaître les rythmes et les besoins particuliers de ces enfants. Ils reçoivent aussi moins d'attention de la part des enseignants. D'autre part, les classes passerelles, qui constituent une solution très intéressante, demeurent rares car coûteuses.
L'école doit également s'adapter aux enfants de deux ans et être éducative en étant moins scolaire. Si les programmes de 2015 sont satisfaisants, donnant une large place au jeu et à l'éveil, il semble que leur mise en oeuvre laisse souvent à désirer. Observant une classe mixte, des chercheurs ont pu décrire des enfants de deux ans confrontés à des exigences scolaires qui ne sont pas adaptées et qui les mettent en échec.
La qualité des encadrants n'est pas toujours au rendez-vous. Exercer auprès d'enfants de deux ans est un autre métier qu'enseigner à des enfants plus grands. Pourtant, sa spécificité est peu prise en compte par l'institution : les postes en classes spécifiques ne sont pas toujours profilés, voire sont occupés par des débutants, la formation en école supérieure du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) est inexistante et doit être compensée par des formations organisées au niveau local. Les interlocuteurs ont pu décrire l'importance du rôle de l'ATSEM, exerçant de préférence à plein temps, ce qui représente un coût important pour la commune. Il convient de reconnaître pleinement sa dimension éducative et de construire une culture commune avec les enseignants, notamment par des formations partagées.
Enfin, le succès du dispositif repose sur la qualité du partenariat entre l'école et les autres acteurs de la petite enfance : commune, PMI, CAF, etc.
Quelles conclusions faut-il en tirer ?
Il me semble urgent d'évaluer la scolarisation des enfants de deux ans selon ses différentes modalités, afin d'en connaître les effets sur les élèves.
Tous les élèves n'ont pas vocation à être scolarisés dès l'âge de deux ans ; les remontées du terrain ne font état de bénéfices réels que pour certains, notamment les allophones et ceux qui sont très éloignés de la culture scolaire.
Pour autant, je ne préconise pas de mettre fin à la scolarisation des enfants de deux ans. Notre système éducatif pâtit de ces allers-retours incessants ; il a besoin de stabilité et de prévisibilité. En revanche, là où cela est encore nécessaire, il convient de concentrer les efforts sur les classes dédiées dans les zones prioritaires ainsi que sur les classes passerelles.
Surtout, ce sujet m'amène à partager avec vous deux réflexions sur la qualité de l'accueil de la petite enfance et de notre école maternelle.
La France se distingue d'autres pays de l'OCDE, notamment les pays nordiques, par le caractère dual de sa politique de la petite enfance, dont les formes d'accueil relève d'institutions différentes. Au contraire, d'autres pays possèdent un système intégré, souvent sous l'égide du ministère chargé de l'éducation, qui prend en charge les enfants de leur première à leur sixième année, lorsqu'ils entrent à l'école élémentaire. Il ressort du rapport de l'OCDE que la France semble désormais « à la traîne » du point de vue des financements publics fléchés vers la petite enfance.
L'offre de places en accueil collectif demeure en-deçà des besoins (57 places pour 100 enfants) et marqué par de fortes disparités sociales : en 2013, seuls 5 % d'enfants défavorisés étaient accueillis en crèche, contre 22 % des enfants les plus favorisés. La dimension éducative en crèche est trop peu présente.
Le Gouvernement a annoncé la création de 30 000 places en crèches et 1 000 en relais d'assistantes maternelles ainsi qu'un plan de formation continue de 600 000 professionnels de la petite enfance avec un nouveau référentiel favorisant l'apprentissage de la langue française par les tout-petits, qui sera élaboré sous l'égide du Haut conseil de la famille de l'enfance et de l'âge (HCFEA). L'éducation nationale y sera, je l'espère, associée - en tout cas cela illustre les cloisonnements de notre système de prise en charge de la petite enfance.
Enfin, ma seconde réflexion porte sur la qualité de notre école maternelle. Alors que notre pays a été précurseur et a longtemps été en pointe, la prise en charge des enfants de même âge s'est fortement développée dans les autres pays de l'OCDE. Les taux d'encadrement y sont plus élevés qu'à l'étranger, avec un enseignant pour 23 élèves en France contre un pour quinze dans l'OCDE. La maternelle est la grande oubliée de la formation initiale des professeurs des écoles ; un de nos interlocuteurs nous disait qu'il y avait plus de différences entre un enfant de maternelle et un enfant en élémentaire qu'entre ce dernier et un enfant de collège. Cette spécificité est aujourd'hui peu prise en compte. Sans spécialiser trop tôt les enseignants, il serait profitable qu'une mention « maternelle » soit créée dans la formation initiale et que la formation continue à leur égard soit rénovée. La question du statut, de la formation et du rôle des ATSEM est également cruciale.
Alors que le Gouvernement envisage de rendre obligatoire l'instruction dès trois ans, encore faut-il que la qualité de l'enseignement soit au rendez-vous ! Sinon je crains que celle-ci ne se réduise à une mesure d'affichage.
Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous présente, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire » du PLF 2019.
M. Antoine Karam, rapporteur pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole » . - L'exercice 2019 voit le budget de l'enseignement agricole marqué par la stabilité, dans un contexte de baisse des effectifs d'élèves et de nombreuses réformes de fond.
Alors que l'exercice 2018 marquait une consolidation après cinq années de créations de postes, 50 emplois seront supprimés en 2019. Cette réduction, parallèle à celle constatée dans le second degré de l'éducation nationale, est relativement minime, surtout au regard de la baisse continue des effectifs d'élèves, sur laquelle je reviendrai.
Rappelons également que les effectifs par classe sont singulièrement plus faibles dans l'enseignement agricole, ce qui aurait pu justifier une ponction autrement plus douloureuse.
Toutefois, cette réduction de cinquante emplois marque clairement un renversement de tendance, alors même que l'enseignement agricole doit engager un redéploiement de ses moyens pour répondre à l'évolution de la démographie.
Au total, les crédits du programme 143 augmentent de 20 millions d'euros, soit une augmentation de 1,4 %. L'augmentation des crédits est toute entière concentrée sur les dépenses de personnel, finançant par là les revalorisations liées à la pleine mise en oeuvre du protocole PPCR, la revalorisation de la rémunération des enseignants contractuels et le glissement vieillesse-technicité, c'est-à-dire l'augmentation naturelle des dépenses compte tenu de l'avancement des agents.
Les crédits qui ne relèvent pas des dépenses de personnel, qui avaient fortement augmentés l'année dernière, demeurent stables.
Le seul point d'alerte est à mon sens la réduction de la prise en compte de la compensation des charges de pension des agents titulaires sur budget des centres de formation d'apprentis (CFA) et CFPPA. Celle-ci diminue de 500 000 euros en 2019, ce qui reviendra à la mettre à la charge des établissements publics. Il ne faudrait pas, en effet, contrarier la dynamique d'amélioration de leur situation financière, qui demeure globalement fragile : à peine plus de la moitié des établissements présentent une situation financière satisfaisante.
S'agissant de l'aide sociale aux élèves, les crédits liés aux bourses diminuent de 12 millions d'euros (- 14 %). Cette baisse s'explique avant tout par une surestimation manifeste des crédits demandés en 2018 ainsi que par une baisse du nombre d'élèves et d'étudiants remplissant les conditions d'éligibilité, dans un contexte général de diminution des effectifs.
En revanche, les crédits destinés à la prise en charge du handicap poursuivent leur augmentation tendancielle. Pour 2019, celle-ci s'élève à 3,5 millions d'euros (+ 44 %) ; elle s'explique par :
- la progression constante des prescriptions d'aide humaine ou matérielle (+ 20 % par an entre les années scolaires 2016-2017 et 2017-2018) ;
- une prise en charge accrue par le ministère des contrats d'auxiliaires de vie scolaire, devenus des contrats aidés « parcours emploi compétence » ;
- la professionnalisation des accompagnants, sous la forme de contrats d'AESH ; les AESH concluant un contrat de durée indéterminée (CDI) à l'issue de six années d'exercice sont pris en charge sur le titre 2 du programme, ce qui se traduit par une dépense supplémentaire de 700 000 euros. En 2019, ils seront 25 dans ce cas.
J'en viens aux relations avec les établissements privés, qui accueillent plus de 60 % des élèves de l'enseignement agricole. On y distingue l'enseignement privé du temps plein - analogue à l'enseignement sous contrat « classique » - et celui du rythme approprié, dispensé par les maisons familiales rurales (MFR), qui proposent une pédagogie originale centrée sur l'alternance.
Ces établissements sont financés par des subventions de l'État versées en application et selon les modalités déterminées par la loi « Rocard » du 31 décembre 1984. Depuis 2002, des accords ont été conclus avec l'enseignement privé afin d'encadrer le montant des subventions versées.
L'année 2018 a vu la conclusion de nouveaux protocoles d'accord entre l'État et les différentes fédérations :
- pour les établissements relevant du rythme approprié, deux protocoles ont été conclus avec l'Union nationale des maisons familiales rurales (UNMFREO) et l'Union nationale rurale d'éducation et de promotion (UNREP) ; le montant des subventions allouées à ces fédérations augmente respectivement de 3 millions d'euros et de 200 000 euros ;
- pour les établissements relevant du temps plein, un protocole d'accord a été conclu le 30 juillet 2018 avec le conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) et l'UNREP : le montant maximal de la subvention de fonctionnement augmente de près de 4,7 millions d'euros.
Ces protocoles, qui permettent de pérenniser le financement des établissements privés, me semblent constituer une solution équitable. Les familles de l'enseignement privé sont une composante essentielle de l'enseignement agricole ; l'augmentation de leur financement permet d'envisager un nouvel avenir pour l'enseignement agricole privé, alors que certains territoires, notamment l'Ouest et les outre-mer, constituent un terreau favorable à son développement.
Ce développement est pour moi, mes chers collègues, l'enjeu central.
Dire de l'enseignement agricole qu'il est une filière de réussite et d'excellence est quasiment devenu un élément de langage convenu, tant je l'entends répéter par tous et partout.
Et pourtant, alors que nous le répétons sans cesse, nous voyons les effectifs d'élèves se réduire année après année. Ils devraient passer sous la barre des 160 000 élèves cette année, soit 6 % de moins qu'en 2008.
Cette baisse concerne toutes les composantes de l'enseignement agricole et tous les niveaux, y compris au lycée général et technologique où l'on attend pourtant une hausse des effectifs au niveau national.
Pourquoi ? Plusieurs facteurs expliquent la baisse des effectifs :
- l'implantation traditionnelle de l'enseignement agricole dans des régions en baisse démographique, et a contrario une sous-représentation dans les régions où la demande existe ;
- le maintien d'une forme de concurrence entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole, surtout là où les effectifs d'élèves diminuent ;
- surtout, un défaut de visibilité auprès des élèves, peu informés sur l'enseignement agricole et ce qu'il offre ; combien de collégiens savent que l'on peut devenir ingénieur en intégrant une classe de première technologique agricole ? Combien savent que sept mois après sa sortie de formation, un élève de terminale professionnelle agricole a 59 % de chance de trouver un emploi, contre 42 % pour son homologue de l'éducation nationale ?
Je ne vous surprendrai pas, mes chers collègues, en vous disant à quel point je crois en l'avenir de l'enseignement agricole. La préservation de l'environnement et des ressources naturelles, la transition agro-écologique, les nouvelles formes d'agriculture, dont par exemple l'agriculture urbaine, sont des enjeux de la plus haute importance, auxquels l'enseignement agricole peut apporter des réponses.
J'ai été satisfait d'apprendre qu'une campagne de communication devrait être lancée en 2019, visant à mettre en avant l'enseignement agricole et la diversité des métiers auxquels il prépare. Elle devrait être menée en partenariat avec la FNSEA pour les métiers agricoles, et surtout avec l'éducation nationale. Une convention a d'ailleurs été conclue entre les deux ministres le 27 février 2018, identifiant les domaines dans lesquels l'éducation nationale et l'enseignement agricole vont collaborer plus étroitement. La convention cite ainsi
- l'orientation et l'affectation des élèves ;
- l'élaboration des référentiels de formation ;
- la conduite des politiques éducatives, en particulier l'accueil des élèves handicapés et la lutte contre le décrochage ;
- l'éducation artistique et culturelle ;
- la cohérence de l'offre de formation et la mobilisation de la ressource humaine (remplacement, formation continue, solutions de mobilité) ;
- les partenariats en matière statistique et de systèmes d'information, afin notamment de faciliter la transmission des dossiers.
Vous savez que je suis très attaché à la coopération entre ces deux ministères ; l'enseignement agricole a tout à y gagner. Espérons qu'elle se traduira de manière concrète, au niveau local.
Enfin, l'année 2019 verra l'achèvement des chantiers d'ampleur - réforme du baccalauréat général et technologique, réforme de la voie professionnelle, réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle - qui ne seront pas sans conséquence sur l'enseignement agricole.
En premier lieu, vous remarquerez que beaucoup d'éléments de ces réformes s'inspirent de ce qui a déjà cours dans l'enseignement agricole : l'importance accordée à l'oral, l'accompagnement individuel, le contrôle continu, la place importante des stages et de l'expérience professionnelle, etc.
Au milieu de ces changements, l'enseignement agricole devra maintenir tant sa spécificité que de son attractivité.
S'agissant de la réforme de la voie professionnelle, les conséquences sur les maquettes de formation dans l'enseignement agricole devraient être limitées, en ce que le volume horaire de formation y est déjà inférieur à celui de l'éducation nationale. Le ministère annonce tout de même réfléchir à une meilleure articulation entre les enseignements généraux et professionnels et à une augmentation des périodes de stages.
En ce qui concerne la réforme du lycée général et technologique, le baccalauréat « sciences et technologies de l'agronomie et du vivant » (STAV), seul baccalauréat technologique proposé dans l'enseignement agricole, ne devrait pas être substantiellement modifié.
Il en va autrement dans la voie générale, sachant que n'est proposée aujourd'hui dans l'enseignement agricole que la filière S, avec une spécialité spécifique : « écologie, agronomie et territoires ». Dans le cadre de la nouvelle organisation, il a été fait le choix de conserver le caractère scientifique du baccalauréat général proposé par les lycées agricoles.
En classe de première, trois enseignements de spécialité seront proposés : mathématiques, physique-chimie et biologie-écologie, cette dernière étant spécifique à l'enseignement agricole. Deux de ces trois spécialités seront conservées par les élèves en classe de terminale. Après une période de flottement, le ministère a confirmé que tous les lycées agricoles seront en mesure d'offrir aux élèves une certaine liberté dans le choix des spécialités en terminale.
En effet, alors que la réforme du lycée général met en avant la liberté de choix des élèves, il était à craindre que n'afficher qu'un choix limité, voire absent, décourage l'orientation vers l'enseignement agricole. Il conviendra de demeurer vigilant sur cette question, au regard de l'évolution des effectifs d'élèves.
Enfin, la mise en oeuvre de la loi du 5 septembre 2018, qui réforme en profondeur la formation professionnelle et l'apprentissage, exigera un important travail d'adaptation des établissements de l'enseignement agricole. Le ministère vient de lancer un plan triennal d'accompagnement des équipes pédagogiques, afin de les préparer au mieux à la nouvelle donne. Je suis néanmoins résolument optimiste quant à la place de l'enseignement agricole dans le nouveau système. Il possède en effet de nombreux atouts : des formations de qualité, un savoir-faire reconnu, des établissements qui entretiennent des relations étroites avec le tissu économique et qui possèdent la faculté de répondre vite et bien aux besoins des territoires et des entreprises.
Vous le voyez, mes chers collègues, en ces temps de réformes profondes, c'est un message d'espoir que je porte. L'enseignement agricole a un rôle à jouer dans les territoires, il y répond à un réel besoin.
Cette ambition, je me réjouis de savoir que le nouveau ministre, notre collègue Didier Guillaume, la porte avec nous, comme il l'a exposé hier devant notre commission.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je recommande de donner un avis favorable à l'adoption des crédits affectés à l'enseignement agricole au sein de la mission « Enseignement scolaire ».
M. Jacques-Bernard Magner . - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je tiens à souligner les insuffisances de ce projet de budget. Les moyens ne sont en effet pas à la hauteur des ambitions. J'en veux pour preuve le recours aux heures supplémentaires, qu'il est dommage d'imposer aux enseignants et qui de surcroît, ne sont pas assez nombreuses pour compenser les suppressions de postes. Il n'est pas certain que cela bénéficie aux élèves. En ce qui concerne la maternelle, je rappelle que 97 % des enfants de trois ans et plus sont scolarisés. La maternelle donne de très bons résultats et les nouveaux programmes semblent donner satisfaction. L'extension de l'obligation de scolarité devra être accompagnée de moyens supplémentaires et d'une profonde réorganisation, par exemple pour les transports scolaires.
S'agissant de l'enseignement agricole, je prends acte des propos du ministre, qui s'engageait à rendre indolores les suppressions de postes.
Mme Céline Brulin . - L'audition du conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) a montré que le système scolaire reproduisait les inégalités. La conjonction entre les mesures budgétaires et les réformes annoncées devrait encore les renforcer que ce soit au niveau social, territorial, ou encore dans l'insuffisante prise en compte du handicap. Il faudrait plus de moyens pour ces enfants pour lesquels les élus locaux peinent à trouver des solutions année après année. Le Gouvernement essaie de faire croire à un rééquilibrage mais les moyens pour les REP et REP+ sont encore insuffisants et mènent à la suppression de postes d'enseignants dans les écoles rurales. Ainsi 2 650 suppressions de postes sont prévues dans le secondaire, alors même que les effectifs augmentent et que les phénomènes de violence en milieu scolaire nécessitent un encadrement renforcé. De même, tous les bassins de vie et tous les territoires ne pourront pas proposer l'ensemble des spécialités prévues par la réforme du baccalauréat. Enfin, lors de son audition la semaine dernière, j'ai trouvé le ministre très peu précis sur les moyens accordés aux collectivités territoriales au regard de l'obligation de scolarité à trois ans. Je constate avec regret que le projet de loi finances pour 2019 ne prévoit aucun crédit pour sa mise en oeuvre.
M. Olivier Paccaud . - La présentation des rapporteurs m'amène à poser deux questions.
La première concerne le soutien à la ruralité qui génère beaucoup de mécontentement. Je rappelle que moins d'1 % des collèges classés en éducation prioritaire sont en zone rurale ce qui fait de ces territoires les oubliés de la République. Il faudrait revoir les modalités de classification en REP pour lever les incompréhensions de nos concitoyens.
D'autre part, en ce qui concerne le plan numérique en faveur des zones rurales, je m'étonne de son caractère très flou et m'interroge sur son financement.
Mme Annick Billon . - Je m'interroge sur l'attractivité du métier d'enseignant. Les mesures prises pour les renforcer sont clairement insuffisantes, comme l'a montré le travail de nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde.
En ce qui concerne les ouvertures et fermetures des classes, il convient effectivement d'accorder une grande attention aux territoires ruraux, comme la Vendée. Notre collègue Alain Duran mène actuellement un travail sur les conventions de ruralité qu'il faudra suivre de près. Je ne peux que faire part de mon inquiétude quant à la concentration des moyens sur les zones en difficultés qui conduit à négliger les autres territoires. Il n'est pas possible de fermer des classes sans s'interroger sur les transports. Enfin, la réduction des postes administratifs ne me paraît pas répondre aux nouvelles problématiques de l'enseignement.
Mme Colette Mélot . - Je félicite les rapporteurs pour leur présentation très riche et conforme à la réalité. Ce budget prévoit un rééquilibrage en faveur du primaire afin de lutter à la racine contre l'échec scolaire. Mon département de Seine-et-Marne compte un grand nombre d'établissements classés en REP et REP+ et je confirme que le dédoublement des classes permet d'obtenir des résultats notamment sur l'acquisition de la lecture. On part de très loin.
La transformation des contrats aidés en AESH est positive, pour autant qu'elle s'accompagne d'une formation, car la bonne volonté ne peut remplacer la compétence.
Il faudra attendre pour pouvoir se prononcer sur la réforme de l'orientation. Je tiens également à souligner la qualité de l'enseignement agricole. À propos des territoires ruraux, il faut faire preuve de réalisme concernant les regroupements. Le Président de la République s'est engagé à ne pas fermer d'écoles, ce qui ne signifie pas qu'il n'y aura pas de fermetures de classes. Je soutiendrai les rapporteurs dans leurs propositions d'avis.
Mme Françoise Laborde . - Nous sommes satisfaits du rééquilibrage en faveur du primaire. Cependant, si on évoque une diminution du nombre d'élèves dans le primaire, c'est aussi que les enfants nés lors du « baby-boom » des années 2000 sont aujourd'hui dans le secondaire. On ne voit pas dans ces lignes budgétaires l'adéquation avec la réforme du baccalauréat.
Nous nous abstiendrons sur les crédits de l'enseignement scolaire mais donnerons un avis favorable sur ceux de l'enseignement agricole.
M. Claude Kern . - J'observe que les AESH sont dans une situation précaire et que beaucoup décident de quitter leur poste. Le budget prévoit 380 millions d'euros en plus mais cela ne répond pas au problème de reconnaissance qu'ils connaissent en tant que professionnels du handicap. Il faudrait leur accorder un statut au sein de la fonction publique.
Mme Dominique Vérien . - Je m'exprimerai seulement sur l'enseignement agricole. Je déplore la fragilisation financière des CFA et des CFPPA sur la réduction des subventions pour la prise en charge des agents sur budget. C'est une source d'inquiétude réelle compte tenu du désengagement des régions et du risque de fermeture de places.
Mme Laure Darcos . - Sur le numérique, j'ai exprimé mon inquiétude concernant les manuels qui sont souvent à la charge des régions. C'est le cas en Ile-de-France pour 35 millions d'euros. Le ministre de l'éducation a évoqué la possibilité que des crédits d'investissement soient mobilisés, on peut penser au plan Peillon sur l'investissement dans le numérique. Je n'ai pas eu connaissance, par contre, de crédits affectés à l'achat de manuels numériques.
M. Pierre Ouzoulias . - Les enseignants ne pourront pas supporter de se voir imposer une heure supplémentaire de plus devant leur classe. Ce serait prendre le risque que nombre d'entre eux choisissent le temps partiel avec, pour conséquence, une baisse du temps global travaillé.
Je rejoins Max Brisson sur le mal-être enseignant. Nous sommes à la limite de la rupture. Il existe des disparités dans l'accès à l'enseignement qui sont devenues insupportables. Concernant l'enseignement technique agricole et Parcoursup des différences de traitement ont été constatées entre les candidats issus de l'enseignement général et ceux de l'enseignement technologique et professionnel en termes de délai de réponse qui pose question et nécessite un examen approfondi. J'aimerais savoir ce qu'il en est pour l'enseignement agricole. Il y a une forme de malhonnêteté à ne pas faire le bilan de Parcoursup dans ce budget.
Je rejoins ce qu'a dit notre collègue Dominique Vérien sur les CFA. Notre projet consiste à transformer la société par l'éducation et les CFA ont un rôle à jouer. Les moyens publics sont importants pour préparer les filières d'avenir. Je prends l'exemple de la filière bois en Nouvelle-Aquitaine, où il est fait preuve d'une réelle volonté politique pour son développement.
M. Stéphane Piednoir . - Peu de métiers sont aussi exigeants que celui d'enseignant, en termes de connaissances et de formation, et aussi mal payés tout au long de la carrière. Au demeurant, les professeurs sont assimilés à des cadres et, à ce titre, les heures supplémentaires me paraissent faire partie des contraintes liées à ce statut. Gardons à l'esprit la souplesse que cette seconde heure supplémentaire est susceptible d'apporter aux chefs d'établissement dans l'organisation des nécessités de service.
Je m'étonne du flou entretenu par le Gouvernement sur le financement de l'obligation d'instruction à partir de trois ans. Il n'est fait mention que d'investissements, surtout dans les départements d'outre-mer. L'impact financier de cette nouvelle mesure ne sera pas neutre pour les collectivités territoriales. Une nouvelle fois, je constate que le Gouvernement impose aux collectivités territoriales des dépenses qui ne leur incombent pas.
M. Laurent Lafon . - Il me parait difficile de comprendre les conséquences budgétaires des réformes décidées par le Gouvernement, ce qui rend délicat l'exercice de notre mission de contrôle. Est-il envisagé de recruter des enseignants pour les nouveaux enseignements, à l'instar de la nouvelle spécialité numérique et sciences informatiques ? Il est clair que le corps des enseignants ne dispose pas aujourd'hui de ressources ni suffisamment compétentes, ni suffisamment nombreuses en la matière.
Je regrette qu'aucun accent particulier n'ait été mis sur la question de la formation continue. Le CNESCO prévoyait d'évaluer l'efficacité de la dépense en matière de formation continue. J'espère que cette évaluation sera effectivement réalisée en dépit de l'évolution à venir de cet organe.
Le rapport de la Cour des comptes sur l'éducation prioritaire met en lumière une véritable décorrélation entre les priorités retenues en la matière, les budgets qui y sont alloués et la manière dont les crédits sont effectivement affectés dans les différentes zones prioritaires. Il s'avère que les moyens n'arrivent pas forcément là où ils sont souhaités et attendus. Il me semblerait intéressant que nous procédions à des auditions à ce sujet.
Mme Claudine Lepage . - Je souhaitais attirer votre attention sur le fait que le dédoublement des classes a un impact direct sur les écoles françaises à l'étranger, puisqu'il réduit mécaniquement le nombre d'enseignants susceptibles d'être détachés dans ces écoles, obligeant à procéder à des recrutements locaux. La qualité de l'enseignement dispensé pourrait s'en ressentir, sans oublier le coût que cela constituera pour les familles dont les enfants fréquentent ces établissements, dans la mesure où le recrutement d'un enseignant local est entièrement à la charge des familles.
M. Max Brisson . - Deux ambitions me paraissent faire défaut dans ce projet de budget.
D'une part, la formation continue : il faut que le ministère fasse preuve de volonté rapidement sur ce sujet et que des crédits soient débloqués en conséquence. Lorsque nous avons travaillé avec Françoise Laborde sur le métier d'enseignant, nous avons insisté sur l'intérêt qu'il y aurait à rendre obligatoire la formation continue, en particulier pour les professeurs du secondaire.
D'autre part, je regrette que la nécessité de revaloriser les rémunérations des jeunes professeurs ne soit pas prise en compte. C'est un élément clé de l'attractivité et de la dignité du métier d'enseignant. Je crois cependant que la revalorisation des rémunérations des professeurs doit aller de pair avec une réforme de leur temps de travail. L'annualisation est une nécessité, non forcément pour que les professeurs travaillent plus, mais pour qu'ils travaillent de manière plus adaptée aux besoins des élèves et plus innovante.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Sur tous ces sujets qui viennent d'être évoqués, je rappelle que notre commission a essayé de faire passer des amendements ou des idées au cours de l'année écoulée, que ce soit à l'occasion de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ou avec mon rapport sur la formation à l'heure du numérique. Les réponses apportées par les ministres n'ont jamais été pleinement satisfaisantes. Il existe une vraie carence dans la formation au numérique dans les ÉSPÉ aujourd'hui. Sans oublier le plan informatique mis en place sous le précédent quinquennat, qui avait pour vertu d'inciter les collectivités territoriales à investir ces questions, mais qui semble désormais abandonné.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis . - Je me suis efforcé de faire l'évaluation des crédits de la manière la plus objective possible. Je partage vos interrogations sur la question des heures supplémentaires. Il y avait bien plus de volontaires parmi les enseignants pour effectuer des heures supplémentaires lorsque celles-ci étaient défiscalisées jusqu'à deux heures par semaine. C'était aussi un moyen d'améliorer la rémunération des enseignants, notamment de celle des jeunes professeurs, qui pose particulièrement problème.
La réforme abaissant l'âge de l'obligation d'instruction à trois ans n'est rien d'autre qu'un écran de fumée, puisque 98 % des enfants de trois ans sont déjà scolarisés. Si elle n'engendrera, somme toute, qu'un surcroît modeste pour l'État, elle aura indéniablement un impact sur les finances des collectivités territoriales.
En ce qui concerne la formation des enseignants, j'observe un fossé de plus en plus important dans les ÉSPÉ. Enseigner aux enfants en maternelle est un métier très spécifique. Dans plusieurs pays européens où l'âge de la scolarité obligatoire n'est pas aussi précoce, un travail plus important est fait dans les jardins d'enfants sur le développement sensoriel.
Je partage votre sentiment sur le fait que les réponses du ministre à nos questions sur la réforme du baccalauréat la semaine dernière ont été floues. Je voudrais souligner à cet égard le problème que la réforme risque de susciter en milieu rural où la formule du baccalauréat à la carte ne permettra pas, en réalité, aux élèves de ces zones géographiques de choisir, contrairement à ceux qui résident en ville.
La suppression de classes dans les écoles situées en milieu rural est une vraie préoccupation. Dans ce contexte, il serait intéressant d'entendre notre collègue Alain Duran, chargé par le Gouvernement d'une mission sur les conventions de ruralité.
En matière d'éducation prioritaire, le ministère n'annoncera aucune nouvelle mesure dans l'attente des conclusions du rapport Mathiot-Azéma. Il faudrait dresser toutefois une évaluation sérieuse des résultats obtenus depuis la mise en place du dédoublement des classes de CP et de CE1 en REP et REP+.
Il y a certainement une réflexion à mener sur la répartition des postes administratifs au niveau de l'administration centrale et dans les rectorats, de manière à « dégraisser le mammouth » pour reprendre les mots d'un ancien ministre de l'éducation nationale. Il faut en tout état de cause éviter toute suppression de poste parmi les emplois dans les établissements.
L'augmentation du nombre d'élèves pour des raisons démographiques concerne essentiellement le second degré. Une baisse des effectifs est en revanche constatée dans le primaire. Cela devrait donner quelques marges de manoeuvre au Gouvernement.
Les inquiétudes concernant la situation des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) sont légitimes. Un mouvement de professionnalisation et de titularisation de ces accompagnants est toutefois engagé.
Le projet de loi de finances pour 2019 ne comporte pas d'augmentation notable du financement dédié aux manuels scolaires.
Mme Laure Darcos . - Les nouveaux professeurs attendent pourtant un outil pour les premières années.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis . - Aucun recrutement pour les enseignements liés au numérique n'est prévu. Ceux-ci seront assurés par les personnels en place.
La formation continue du corps enseignant a été négligée au détriment de la formation initiale depuis de nombreuses années.
Le temps de travail des enseignants doit être repensé à travers une présence plus importante dans les établissements ou une annualisation. Cette réflexion doit être conduite en prenant en compte la disparité des territoires.
M. Antoine Karam, rapporteur pour avis . - J'ai voulu vous faire partager mon inquiétude concernant la baisse des effectifs dans des lycées agricoles qui ne relève pas, surtout de mon point de vue, de la baisse démographique dans les territoires ruraux. Il convient d'adapter le lycée agricole à l'évolution du monde rural et urbain. L'enseignement agricole ne doit pas être considéré comme une voie de garage. Il y a un véritable travail de communication à réaliser pour redorer le blason de cet enseignement car celui-ci a de l'avenir !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous en sommes tous convaincus.
M. Jacques Grosperrin . - Je propose un avis favorable à l'adoption des crédits sous réserve de l'adoption de cet amendement qui propose de transférer 10 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement de titre 2 du programme 141 au profit du programme 140 afin de financer la création de 300 postes d'enseignants supplémentaires dans le primaire au profit des écoles rurales. En effet, une école qui ferme dans un village, souvent c'est un village qui meurt.
Mme Françoise Laborde . - Nous ne voterons pas cet amendement, le symbole déshabiller Pierre pour habiller Paul ne nous convient pas.
Par ailleurs, pour rebondir sur les propos d'Annick Billon, je précise qu'en Vendée il n'y a pas suffisamment d'écoles publiques et que, trop souvent, il n'existe dans les villages ou communes qu'une école privée.
M. Jacques-Bernard Magner . - Pour les mêmes raisons que celles invoquées par Mme Laborde, nous ne pouvons voter un amendement qui dépouillerait l'enseignement secondaire, qui a trop de besoins non satisfaits.
L'amendement est adopté .
M. Jacques-Bernard Magner . - Notre groupe s'abstiendra sur l'ensemble des crédits de la mission.
Mme Françoise Laborde . - Notre groupe portant un regard négatif sur les crédits de l'enseignement scolaire et un avis positif sur les crédits de l'enseignement agricole, nous nous abstiendrons également et donnerons un avis définitif lors de l'examen des crédits de la mission.
M. Pierre Ouzoulias . - J'ai été impressionné par la qualité du travail effectué par nos collègues rapporteurs ainsi que par leur état d'esprit. L'accès de l'ensemble des sénateurs de la commission, aux auditions des rapporteurs permet un contact direct, simple et très enrichissant avec les personnes entendues. Ceci étant dit, je vous précise que notre groupe votera contre l'adoption des crédits de la mission.
M. Jacques Grosperrin . - Je précise que sur la suppression de 300 emplois d'enseignants stagiaires en contrepartie de l'ouverture de 300 postes dans les écoles rurales est une contrainte liée à l'application des règles de la loi organique relative aux lois de finance.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances 2019 .