B. UNE MISE EN PLACE D'UNE DÉDUCTION POUR ÉPARGNE DE PRECAUTION À SALUER

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, vos trois rapporteurs avaient soutenu, à titre personnel et dans des rédactions certes différentes, des dispositifs réformant la déduction pour aléas appelant à l'émergence d'une déduction pour « épargne de précaution ».

Un an après, comme il s'y était engagé, le Gouvernement présente sa réforme allant dans le sens souhaité par vos rapporteurs : la simplification des modalités de recours à l'épargne de précaution pour que les agriculteurs puissent faire face efficacement aux aléas de plus en plus importants auxquels ils sont exposés .

L'article 18 du projet de loi finances pour 2019 supprime la déduction pour aléas (DPA) ainsi que la déduction pour investissement (DPI) et crée la déduction pour épargne de précaution (DEP).

1. La déduction pour aléas (DPA) : un outil pertinent mais sous-utilisé compte tenu de conditions d'application trop strictes

Il est vrai que l'appropriation de la DPA par les exploitants agricoles était fort peu satisfaisante.

La DPA permet aux exploitants agricoles soumis à un régime réel d'imposition de déduire une fraction de leur bénéfice pour constituer une épargne afin de faire face à des aléas.

L'objectif est de les inciter à constituer, les bonnes années, de la trésorerie qui sera utilisée, au besoin, lors des années de crise. Ces sommes peuvent être utilisées pendant sept ans pour faire face à des aléas.

En pratique, les agriculteurs souhaitant porter une DPA à leur compte de résultat ont l'obligation d'inscrire une somme comprise entre 50 et 100 % du montant de la déduction, dans la limite d'un plafond de 27 000€, sur un compte d'affectation auprès d'un établissement de crédit . Il leur est possible de recourir à une épargne en nature, dite « DPA fourrage » qui leur évite d'avoir à bloquer une épargne sur un compte spécifique 8 ( * ) . Concrètement, elle vise les éleveurs qui préfèrent constituer d'avance un stock de fourrage plutôt que d'épargner pour en acheter en cas de survenance d'un aléa.

En cas de survenance d'un aléa, ils peuvent utilisées les sommes déduites préalablement. Après utilisation, elles sont réintégrées au résultat de l'exercice concerné (ou au suivant, selon le choix comptable de l'agriculteur).

Si elles ne sont pas réutilisées, faute de la survenance d'un aléa par exemple, elles sont également réintégrées au résultat comptable du septième exercice après la déduction, majorées du taux de l'intérêt légal.

Toute la difficulté réside dans le fait que l'utilisation des sommes déduites est strictement circonscrite à la couverture de cinq cas :

- Le règlement des primes et cotisations d'assurances ;

- Si l'aléa est ouvert par une assurance, les franchises;

- Si l'aléa n'est pas couvert par une assurance mais est reconnu par une autorité compétente, le règlement de dépenses résultant de cet aléa ;

- L'acquisition par les éleveurs de fourrages destinés à être consommés par les animaux de l'exploitation  en cas de reconnaissance d'une calamité agricole ;

- En cas de baisse de la valeur ajoutée de l'exercice (supérieure à 10% par rapport à la moyenne des trois exercices précédents).

Le caractère strict et peu responsabilisant des conditions d'utilisation des sommes déduites au titre de la DPA est, sans doute, à l'origine d'une très faible utilisation du dispositif puisque seules 5 000 entreprises agricoles ont eu recours en 2018 à ce dispositif pour un coût budgétaire de 13 M€ en 2018.

2. La déduction pour investissement (DPI) : un instrument plébiscité par les agriculteurs supprimé

À l'inverse, la déduction pour investissement apparaît plus souple .

Elle permet à un exploitant de pratiquer une déduction, dans la limite de son bénéfice imposable ou d'un plafond de 27 000 euros, devant être utilisée au cours des cinq exercices qui suivent celui au titre duquel elle est réalisée pour :

- acquérir ou produire des stocks de produits ou animaux dont le cycle de rotation est supérieur à une année (élevage) ;

- ou acquérir des parts sociales dans des sociétés coopératives agricoles.

Si l'investissement est réalisé, la déduction pour acquisition de stocks ou d'animaux n'a pas à être réintégrée, sous réserve que la valeur des stocks augmente sous cinq ans. En conséquence, la déduction pour investissement octroie aux exploitants un avantage fiscal.

La suppression du dispositif proposée par le Gouvernement revient donc à supprimer définitivement cet avantage fiscal puisqu'il ne sera pas reconduit avec la déduction pour épargne de précaution.

Ce dispositif, moins restrictif, est plébiscité des exploitants agricoles. Jusqu'en 2012, ce dispositif était d'ailleurs bien plus avantageux puisque l'exploitant agricole pouvait utiliser la DPI pour acquérir ou créer des immobilisations amortissables nécessaires à l'activité de l'exploitation.

La DPI représente aujourd'hui ainsi une dépense fiscale de 87 millions d'euros, qui bénéfice à plus de 40 000 bénéficiaires, soit 8 fois plus que la DPA.

3. La déduction pour épargne de précaution (DEP) : une « DPA sans aléa »

La déduction pour épargne de précaution (DEP) proposée à l'article 18 du projet de loi de finances pour 2019 remplace ces deux dispositifs.

a) Une simplification des critères d'utilisation de la déduction

Elle s'apparente à une « maxi-DPA » puisqu'elle permet aux exploitants de réaliser une déduction pour constituer une épargne de précaution sans aucune restriction sur les cas d'utilisation, tant que les dépenses sont « nécessitées par l'activité professionnelle » .

Dans la mesure où les aléas concernés ne seront plus limitativement listés et ne requerront plus aucune reconnaissance officielle, l'article opère une simplification majeure du dispositif .

Plus largement, il revient sur la position prise par le législateur en 2012 en permettant de nouveau aux agriculteurs de réaliser une déduction pour toute acquisition d'immobilisation amortissable, soit un champ plus large que l'actuelle DPI.

Un seul garde-fou est prévu : l'exonération des plus-values sur la cession de matériels roulants acquis au cours d'un exercice au titre duquel la DEP a été rapportée ne sera pas applicable si la cession intervient dans les deux ans suivant l'acquisition.

b) Une condition d'épargne monétaire assouplie lors du débat parlementaire

La seule condition stricte demeurant dans le projet initial était liée à la constitution d'une épargne monétaire. L'exploitant devait inscrire sur le compte courant dédié une somme correspondant a minima à 50 % de la déduction réalisée, ce critère étant également à respecter de manière pluriannuelle.

L'épargne exigée n'a pas à être intégralement monétaire . C'est absolument essentiel pour la viabilité du dispositif dans la mesure où pour épargner, il faut du revenu, ce qui, dans les conditions actuelles, se fait de plus en plus rare dans le monde agricole.

Ainsi, les coûts d'acquisition ou de production de stocks de fourrage destiné à être consommé par les animaux de l'exploitation (comme dans la DPA) ainsi que les coûts d'acquisition ou de production de stocks de produits ou d'animaux à rotation lente (dépense non réintégrée dans la DPI) sont assimilés à de l'épargne monétaire. La condition d'inscription d'une épargne sur le compte courant dédié est réputée satisfaite pour ces coûts.

Si le projet de loi initial plafonnait la prise en compte de ces coûts à 50 % du montant total épargné, un amendement adopté en séance publique a supprimé ce plafond. L'éleveur pourra donc, s'il respecte les conditions évoquées, réaliser une DEP sans constituer aucune épargne monétaire.

c) Un allongement des délais de réintégration de la déduction

Les sommes déduites pourront même être utilisées sur une période plus longue que les DPI et la DPA puisque les dix exercices suivant l'année de la déduction seront éligibles .

Si la déduction n'a pas été utilisée au terme des dix ans, elle doit être réintégrée lors du dixième exercice sans majoration reposant sur l'intérêt légal.

d) Une hausse des plafonds afin de mieux adapter le dispositif aux besoins des exploitations

Le plafond du dispositif est augmenté pour mieux faire correspondre le montant de la déduction réalisée avec le bénéfice des exploitations. Le plafond de 27 000 euros devient dès lors un « plafond-plancher », le plafond maximal de déduction étant de 41 400 € pour les exploitations réalisant un bénéfice supérieur à 100 000€.

Comme pour la DPA et la DPI, ce plafond est multiplié par le nombre d'associés d'un GAEC ou d'une EARL dans la limite de quatre. Au regard du principe de transparence, ce plafond est difficilement compréhensible.

Le plafond pluriannuel actuel du total des déductions non rapportées est maintenu à 150 000 euros par exploitant (multipliable par le nombre d'associés pour les GAEC et les EARL par quatre au maximum).

e) Un dispositif dont devraient se saisir les exploitants suscitant quelques interrogations d'ordre juridique et pratique

Le coût total du dispositif proposé serait en rythme de croisière, selon l'évaluation préalable, de près de 130 M€ (soit 26 M€ de plus que l'addition du coût de la DPA et de la DPI).

Le dispositif serait subordonné au respect des règles « de minimis ». Cette contrainte, si elle était confirmée, pourrait se révéler extrêmement préjudiciable au déploiement de la nouvelle déduction d'abord en limitant le potentiel d'aides au secteur agricole et surtout, parce qu'il demeure malaisé de connaître le plafond des aides déjà appréhendées par l'exploitant et prises en considération pour l'appréciation de ce plafond.


* 8 Si la valeur du stock de fourrages destiné à être consommé par des animaux de l'exploitation s'est accrue par rapport à la valeur moyenne du stock des trois derniers exercices, les agriculteurs étaient dispensés de la condition d'épargne monétaire à hauteur de l'accroissement de cette valeur de stocks

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