CHAPITRE III BIS - QUALIFICATION DE CERTAINS APPAREILS ET DISPOSITIFS TECHNIQUES
Article 22 (art. L. 2371-2 du code de la défense) - Qualification des matériels utilisés pour les techniques de renseignement
L'article 22 du projet de loi vise à autoriser la direction générale de l'armement du ministère des armées ainsi que certaines forces armées à procéder, sur le territoire national, à des essais de qualification des appareils et matériels utilisés pour la mise en oeuvre des techniques de renseignement.
1. Des possibilités de test sur les matériels de renseignement actuellement limitées
L'article 226-3 du code pénal prohibe la fabrication, l'importation, la détention, l'exposition, l'offre, la location ou la vente d'appareils ou de dispositifs techniques permettant la captation ou l'enregistrement de communications privées, sauf en cas d'autorisation ministérielle .
En application de cette disposition, le ministère des armées est autorisé à détenir , dans le cadre du régime d'autorisation prévu par les articles R. 226-7 et R. 226-8 du code pénal, des appareils ou dispositifs techniques utilisés en matière de renseignement militaire .
Jusqu'à récemment, aucun cadre légal ne l'autorisait en revanche à tester ces matériels . Or, dès lors qu'il ne rentre pas dans les cas de recours aux techniques de renseignement prévu par le titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, l'usage de matériels de renseignement à des fins de test, sur le territoire national, est susceptible de porter atteinte au secret des correspondances et au droit au respect à la vie privée et, par conséquent, de faire l'objet de recours.
Selon les informations communiquées à votre rapporteur au cours de ses travaux préparatoires, des campagnes d'essai de matériels de renseignement ont pu, dans la pratique et malgré l'absence de cadre légal, être réalisées. Dans la plupart des cas toutefois, ces campagnes d'essai ont concerné des moyens militaires de renseignement d'origine électromagnétique, dont le fonctionnement reposait sur l'exploitation de bandes de fréquences électromagnétiques dédiées et pour lesquels les tests réalisés n'impliquaient pas l'interception de communications privées.
L'insécurité juridique dans laquelle se déroulaient ces tests a toutefois récemment conduit le législateur à créer un premier cadre juridique afin d'autoriser la direction générale de l'armement et certaines unités des armées à réaliser des campagnes de tests sur des matériels de renseignement . Ainsi, l'article L. 2371-2 du code de la défense, introduit par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, autorise désormais la direction générale de l'armement ainsi que certaines troupes des forces armées, limitativement énumérées par décret, à procéder à des essais de matériels utilisés pour l'interception des communications empruntant exclusivement la voie hertzienne.
2. L'objet du projet de loi : étendre le cadre légal des essais de matériels de renseignement
Selon l'étude d'impact annexée au projet de loi, l'évolution actuelle des conflits armés, notamment dans le cadre des opérations extérieures menées contre des groupes terroristes, rend l'usage de l'ensemble du spectre des techniques de renseignement de plus en plus nécessaire pour les forces armées. Alors que pendant longtemps, notamment dans le cadre de conflits entre forces armées conventionnelles, les services de renseignement militaire procédaient principalement à l'interception de communications empruntant la voie hertzienne, il leur est désormais nécessaire de pouvoir intercepter, en dehors du territoire national, des communications empruntant les réseaux d'opérateurs de communications électroniques, voire des réseaux privatifs.
Dès lors, la direction générale de l'armement (DGA) et les forces armées sont confrontées à de nouveaux besoins en matière de tests et de qualification de matériels.
Afin de répondre à ce besoin, l'article 22 du projet de loi modifie l'article L. 2371-2 du code de la défense afin d'étendre le cadre légal autorisant la réalisation d'essais sur des matériels de renseignement aux équipements utilisés pour la mise en oeuvre de quatre autres techniques de renseignement :
- le recueil des données techniques de connexion et des données relatives à la localisation des équipements terminaux (article L. 851-6 du code de la sécurité intérieure) ;
- l'interception de correspondances émises ou reçues par un terminal, anciennement connue sous le terme « interception de sécurité » (II de l'article L. 852-1 du code de la sécurité intérieure) ;
- l'interception des communications empruntant la voie hertzienne dans le cadre d'un réseau conçu à des fins privatives, soit pour un groupe fermé d'utilisateurs (article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure) ;
- la surveillance des communications électroniques internationales (article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure).
En contrepartie de l'extension des possibilités de tests, l'article 22 prévoit d' encadrer plus strictement la réalisation des campagnes d'essais sur ces matériels de renseignement.
En premier lieu, tout essai conduit sur un matériel de renseignement devrait faire l'objet d'une déclaration préalable à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), précisant le champ et la nature des essais effectués. La CNCTR serait destinataire, à cet effet, d'un registre recensant les opérations techniques réalisées. À l'initiative de son président et rapporteur, M. Jean-Jacques Bridey, la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale a précisé que ce registre ne serait pas communiqué à la CNCTR de manière systématique, mais uniquement à sa demande.
En deuxième lieu, les essais ne pourraient être réalisés que par des agents individuellement désignés et habilités.
Enfin, les données recueillies à l'occasion d'un essai devraient être détruites « au plus tard à leur terme ».
Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la CNCTR, déterminerait les conditions d'application de l'article 22.
3. La position de votre commission : renforcer le contrôle de la CNCTR sur la réalisation des essais de qualification
Si elle regrette que le Gouvernement modifie, quelques mois seulement après sa création, l'article L. 2371-2 du code de la défense, votre commission observe que l'extension du champ des campagnes d'essais à de nouveaux matériels de renseignement ne soulève pas de difficulté de principe si elle est entourée de garanties suffisantes de nature à prévenir toute atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
À cet égard, l'introduction d'un contrôle de la CNCTR sur les conditions de réalisation de ces campagnes d'essais, lui permettant de s'assurer du respect du champ et de la nature des tests mis en oeuvre, lui parait constituer une avancée majeure.
À l'occasion de la discussion de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017, votre commission n'avait pas estimé nécessaire de placer les campagnes d'essais visées par l'article L. 2371-2 du code de la défense sous contrôle de la CNCTR dès lors qu'étaient visés uniquement les matériels permettant l'interception de communications empruntant exclusivement la voie hertzienne, considérée comme moins attentatoire au droit au respect de la vie privée. L'extension des campagnes d'essais à des matériels utilisés pour la mise en oeuvre de techniques de renseignement plus attentatoires au droit au respect de la vie privée nécessite en revanche un contrôle strict de leur mise en oeuvre par les services du ministère des armées.
À l'initiative de son rapporteur, votre commission a toutefois adopté un amendement COM-117 renforçant les prérogatives de contrôle de la CNCTR, de manière à garantir sa capacité à effectuer un contrôle plein et entier sur les conditions de réalisation de ces tests. Ainsi, la commission aurait la possibilité, à la seule fin de s'assurer du respect de la nature et des champs d'application des essais, de se faire présenter sur place les capacités d'interception ayant fait l'objet du test.
Sous réserve de l'adoption de son amendement, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 22.