B. UNE AUGMENTATION INSUFFISANTE DES CRÉDITS DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Dans un contexte de surpopulation carcérale toujours alarmant, le budget présenté pour l'administration pénitentiaire dans le projet de loi de finances pour 2018 apparaît très insuffisant.

1. Un contexte d'évolution dynamique des crédits depuis une décennie

Les crédits du programme de l'administration pénitentiaire progressent régulièrement depuis plusieurs années. Entre 2007 et 2017, ils ont ainsi augmenté de 101,2 % en autorisations d'engagement et de 61,3 % en crédits de paiement.

Cette évolution a été principalement soutenue par le plan immobilier de 2010 (augmentation de 10,8 % des crédits du programme par rapport à l'année précédente), le plan de lutte antiterroriste en 2015 (+ 5,7 % des crédits du programme par rapport à l'année précédente) et l'annonce d'un nouveau programme immobilier en décembre 2016 (+5,8 % des crédits du programme par rapport à l'année précédente).

Évolution du budget de l'administration pénitentiaire (en milliers d'euros)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Cette augmentation régulière ne doit pas occulter les besoins toujours considérables de l'administration pénitentiaire . Ainsi, l'exécution du budget de l'année 2016 a mis en évidence une gestion tendue, avec un taux d'exécution des crédits de paiement de 97,8 % par rapport aux crédits prévus par la loi de finances initiale 6 ( * ) .

2. Une évolution insatisfaisante des crédits pour 2018

Dans le projet de loi de finances pour 2018 déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, les crédits du programme s'élèvent à 3 488,63 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 3 558,23 millions d'euros en crédits de paiement, soit des diminutions respectives de 39,17 % et d'1,55 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2017.

Cette évolution s'explique par une mesure de périmètre : à compter du 1 er janvier 2018, le financement des dépenses de santé des détenus sera assuré directement par l'assurance maladie ; en conséquence, le montant des crédits du programme n° 107 a été diminué de 135,9 millions d'euros.

Les crédits du programme « Administration pénitentiaire »
dans le projet de loi de finances déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale

(en euros)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en LFI 2017

Prévues par le PLF 2018 7 ( * )

Évolution

Ouverts en LFI 2017

Prévus par le PLF 2018 1

Évolution

Dépenses
de personnel

2 349 477 641

2 443 731 475

+ 4 %

2 349 477 641

2 443 731 475

+ 4 %

Autres dépenses

3 413 621 242

1 178 364 021

- 65,5 %

1 264 847 093

1 247 956 164

- 1,3 %

Total
du programme

5 763 098 883

3 622 095 496

- 37,2 %

3 614 324 734

3 691 687 639

+ 2,1 %

Source : commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires du projet initial

À périmètre constant, les crédits consacrés à l'administration pénitentiaire sont en progression de 2,1 % : cette évolution s'explique par la seule augmentation des dépenses de personnel, de 4 %.

La répartition par action des crédits du programme

(en euros)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en LFI 2017 8 ( * )

Prévues par le PLF 2018

Évolution

Ouverts en LFI 2017

Prévus par le PLF 2018

Évolution

Action n° 1 :
garde et contrôle
des personnes placées sous main de justice

3 630 717 276

2 325 050 843

- 36 %

2 149 807 276

2 163 607 482

+ 0,6 %

Action n° 2 :
Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice

1 652 690 145

763 455 170

- 53,8 %

994 165 996

1 050 855 170

+ 5,7 %

Action n° 4 :
soutien
et formation

346 229 886

398 327 907

- 15 %

336 889 886

343 763 411

+ 2 %

Total

5 629 637 307

398 327 907

- 38,1 %

3 480 863 158

3 558 226 063

+ 2,2 %

Source : commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires du projet initial

Les crédits hors masse salariale , qui s'élèvent à 1 112,4 millions d'euros, diminuent d'1,3 % 1 .

Plus alarmant, les dépenses d'investissement , qui s'établissent à 236,6 millions d'euros, diminuent de 18,2 % 1 en crédits de paiements et de 77,26 % en autorisations d'engagement .

Ces diminutions ont été accentuées lors de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi de finances en première lecture, puisque sont désormais prévus 3 487,15 millions d'euros en autorisations d'engagement et 3 556,74 millions d'euros en crédits de paiement , soit des diminutions respectives de 39,49 % et d'1,59 %.

Le budget présenté pour 2018 apparaît donc très insuffisant pour répondre aux besoins de l'administration pénitentiaire.

Outre le faible montant de crédits consacré aux constructions nouvelles, deux points inquiètent particulièrement votre rapporteur : la diminution des crédits de paiement consacrés à la maintenance du parc immobilier carcéral et celle des crédits consacrés aux aménagements de peine et à la lutte contre la récidive.

a) L'insuffisance des moyens consacrés à la maintenance du parc

Depuis dix ans, la maintenance du parc immobilier carcéral souffre d'un sous-investissement chronique et notoire , souligné dès 2006 par la Cour des comptes 9 ( * ) : pour la période 2007-2016, le déficit cumulé de sous-investissement est estimé à 710 millions d'euros.

Alors que, selon les estimations de l'administration, entre 130 et 140 millions d'euros devraient être dépensés chaque année pour entretenir le parc, seulement 261 millions d'euros ont été dépensés entre 2012 et 2015.

Outre que les dotations accordées chaque année en loi de finances sont insuffisantes , les crédits dédiés à la maintenance des établissements sont régulièrement annulés en exécution. Entre 2012 et 2016, plus de 157 millions d'euros de crédits liés à la maintenance des établissements pénitentiaires ont en réalité contribué à l'effort de redressement des comptes publics.

Or le sous-investissement massif et durable pour l'entretien du parc immobilier de l'administration pénitentiaire entraine une dégradation précoce des établissements existants et augmente les coûts des rénovations futures. En 2017, 35,7 % des cellules du parc immobilier carcéral sont considérées comme vétustes .

Ce défaut régulier de maintenance et d'entretien est à l'origine des opérations d'envergure en cours au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis et à la maison d'arrêt Paris La Santé comme de la situation catastrophique de la maison d'arrêt de Fresnes.

Aucune maintenance ni rénovation n'est programmée pour la maison d'arrêt de Fresnes où notre ancien collègue Jean-René Lecerf avait pourtant constaté en 2014 « les défaillances régulières du système d'adduction en eau potable, l'exiguïté des cellules et des locaux du personnel ou encore la difficulté de contrôler la présence de rongeurs dans l'établissement ». Construit en 1898, le bâtiment « n'a manifestement pas bénéficié des investissements minimaux nécessaires aux exigences contemporaines et au respect de conditions d'hygiène acceptables, fussent-elles sommaires » selon une recommandation urgente du 18 novembre 2016 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan, qui se concluait ainsi : « La rénovation du centre pénitentiaire de Fresnes constitue une urgence, notamment en ce qui concerne les locaux d'hébergement, les parloirs et les cours de promenade. Sans l'attendre, des mesures de dératisation et de désinsectisation d'une ampleur adaptée à la situation, avec obligation de résultat, doivent être mises en oeuvre immédiatement . »

Votre rapporteur regrette que dans le PLF pour 2018, seulement 80,7 millions d'euros soient consacrés à la maintenance des établissements, contre 114 millions en 2017, soit une baisse de plus de 29,3 %.

b) Des crédits anormalement en baisse pour les aménagements de peine

Le 31 octobre dernier, le Président de la République a annoncé, en marge des chantiers de la justice, la création d'une agence « chargée de développer et d'encadrer les travaux d'intérêt général » .

Cette annonce a défavorablement surpris les personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) qui suivent d'ores et déjà les personnes condamnées à un travail d'intérêt général et recherchent activement des partenariats pour développer cette peine.

Elle surprend également votre rapporteur puisqu'aucun crédit, bien au contraire, n'est consacré à cette agence ou au développement du travail d'intérêt général dans le budget pour 2018.

Loin de traduire les ambitions affichées par le Gouvernement en matière d'accompagnement des sorties de détention et de lutte contre les sorties « sèches », les dépenses de fonctionnement consacrées aux aménagements de peine (placements sous surveillance électronique et placement à l'extérieur) diminuent de 46,1 % en autorisations d'engagement et de 14,3 % en crédits de paiement .

Les dépenses de fonctionnement allouées aux aménagements de peine

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

2017

2018

Évolution

2017

2018

Évolution

Placement sous surveillance électronique ( locations)

32,4
(15,4)

15,6
(11,2)

- 51,9 %
(- 27,2 %)

18,5
(15,4)

17
(11,2)

- 8,1 %
(- 27,2 %)

Placement à l'extérieur

9,5

7

- 26,3 %

9,5

7

-26, 3%

Total

41,9

22,6

- 46,1 %

28

24

- 14,3 %

Source : documents budgétaires

Les crédits alloués aux placements sous surveillance électroniques diminuent de 8,1 % en crédits de paiement par rapport à 2017 : hors crédits consacrés au renouvellement logiciel, les crédits strictement liés à la location des bracelets électroniques diminuent de 27,2 % .

Contrairement à toutes les hypothèses prévues en termes de population pénale et de prononcé des aménagements de peine, l'administration pénitentiaire semble envisager une baisse des personnes placées sous bracelet électronique. Pourtant, au 1 er novembre 2017, 10 124 personnes étaient écrouées en placement sous surveillance électronique , soit 3 % de plus par rapport au 1 er novembre 2016 .

A la même date, le nombre de condamnés écroués en placement extérieur était également en hausse de 7,6 % par rapport au 1 er novembre 2016. Pourtant, le budget pour 2018 prévoit également une baisse de 26,3 % des crédits consacrés au placement extérieur.


* 6 Voir le rapport annuel de performances annexé à la loi de règlement pour 2016.

* 7 Afin de tenir compte des mesures de périmètre, la comparaison s'effectue entre les crédits votés par la loi de finances initiale pour 2017 et les crédits (périmètre constant) du projet de loi de finances pour 2018. En conséquence, les chiffres diffèrent du projet de loi initial de finances pour 2018 (périmètre courant).

* 8 Les chiffres de la loi de finances initiale pour 2017 ont été retranchés de la mesure de périmètre liée aux dépenses de santé des détenus.

* 9 Rapport de la Cour des comptes, janvier 2006, « Garde et réinsertion. La gestion des prisons ».

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