LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Jeudi 26 octobre :
Délégation de Coordination SUD :
- Claire Baudot , responsable du plaidoyer pour Action santé mondiale ;
- Maé Kurkjian , responsable du plaidoyer pour ONE France ;
- Michael Siegel , responsable du plaidoyer pour Oxfam France ;
- Gautier Centlivre , responsable du plaidoyer pour Coordination SUD
Mardi 7 novembre :
- M. Jean-Michel Severino , président d'Investisseurs et Partenaires, ancien Directeur général de l'AFD
Mercredi 8 novembre :
- M. Patrice Paoli , directeur du Centre de crise et de soutien du quai d'Orsay et M. Pierre Fournier , chef de la mission pour l'action humanitaire
ANNEXE I - AUDITION DE M. RÉMY RIOUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT, LE 24 OCTOBRE 2017
M. Christian Cambon, président - Monsieur le Directeur général, l'Agence française de développement (AFD), notre grand opérateur de financement de l'aide au développement, a connu plusieurs étapes importantes à la fin de l'année 2016 et en 2017. Tout d'abord, l'AFD a fêté ses 75 ans, a inauguré un nouveau logo et une nouvelle devise « Un monde en commun ». L'Agence s'approche désormais des 10 milliards d'euros d'engagements annuels en faveur du développement, dont 4 pour l'Afrique : vous êtes ainsi sur la bonne voie pour atteindre l'objectif de 12,7 milliards annuels en 2020, fixé par le précédent Président de la République.
Je rappelle que le modèle financier de l'agence a été renforcé par la LFR 2016 : une partie de la dette de l'AFD auprès de l'État a été transformée en une dotation de l'État au capital de l'agence, soit un gain de 2,4 milliards d'euros de fonds propres, ce qui a ainsi conduit au desserrement de la contrainte réglementaire qui entravait la poursuite de la croissance de l'activité de l'AFD. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 30 novembre 2016 a confirmé par ailleurs la décision d'augmenter de près de 400 millions d'euros le montant annuel des dons bilatéraux d'ici 2020, par l'affectation d'une partie des recettes de la taxe sur les transactions financières. Vous évoquerez ce point et notamment un amendement qui a été voté par l'Assemblée nationale pour alimenter les dons de l'AFD en 2018.
Vous pourrez également nous dire si les 270 millions d'euros attribués en 2017 à l'AFD ont bien in fine pu être utilisés pour effectuer des dons et si le projet de loi de finances pour 2018 est conforme à l'ensemble de ces orientations. Néanmoins, au vu des crédits budgétaires de la mission Aide publique au développement, qui ne progressent que faiblement au sein de ce PLF 2018, nous sommes quelque peu sceptiques quant à la trajectoire annoncée pour les prochaines années.
Le CICID a également élargi le mandat de l'Agence. Il a notamment été créé, conformément d'ailleurs à une recommandation de notre collègue Hélène Conway-Mouret et de notre ancien collègue Henri de Raincourt, une « facilité d'atténuation des vulnérabilités et de réponse aux crises » pour aider les pays fragiles en sortie de crise. Ce nouvel outil est-il aujourd'hui en place ?
Enfin, votre agence a entamé, depuis début 2016, un rapprochement avec la Caisse des dépôts qui avait, à l'époque, fait couler beaucoup d'encre comme s'en souviennent mes anciens collègues. Vous souhaiterez sans doute évoquer les aspects concrets de ce rapprochement, afin de pleinement nous persuader de l'intérêt de cette opération !
Je vous laisse la parole pour une quinzaine de minutes pour présenter vos perspectives budgétaires en relation avec le PLF 2018 et vos grandes orientations pour l'AFD, puis je la donnerai à nos deux rapporteurs de l'aide au développement, M. Jean-Pierre Vial et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, et ensuite à l'ensemble des membres présents. Je rappellerai enfin que cette audition est filmée et sera retransmise sur le site internet du Sénat.
M. Rémy Rioux, Directeur général de l'AFD.- Monsieur le Président, je vous remercie pour votre accueil. Je suis également ravi de rencontrer les nouveaux rapporteurs pour avis de votre commission ; l'AFD est ainsi à leur entière disposition pour leur fournir toute précision nécessaire à leurs travaux. Je suis également très fier d'être à nouveau devant votre commission, Mesdames et Messieurs les Sénateurs.
Je comptais vous passer deux messages. Comme viennent de le souligner les deux Ministres, la trajectoire financière de l'AFD est positive. Je reviendrai dessus ainsi que sur les réformes en cours dans notre Agence et du mandat sur lequel vous vous étiez prononcés en mai 2015 et qui avance conformément à ce que je vous avais dit lors de ma nomination. S'agissant de l'exécution de la loi de finances de 2017 et du projet de loi de finances pour 2018, l'année 2017 a été, malgré de réels aléas budgétaires, somme toute, satisfaisante. Le projet de loi de finances pour 2017, comme vous vous en souvenez, était très bon. Certes, en juillet dernier, d'importantes annulations ont été conduites, en particulier sur l'enveloppe des dons-projets gérés par l'AFD sur le programme 209, puisque environ 150 millions d'euros, à la fois en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, ont ainsi été perdus. Il nous a fallu fournir un effort significatif, un peu inédit, pour contribuer à la nécessaire maîtrise de l'équilibre de nos finances publiques. Malgré cet épisode, en exécution, si le dégel des crédits nous est accordé conformément aux annonces faites, l'AFD aura eu nettement plus de moyens en 2017 qu'en 2016. Sur les dons-projets - qui peuvent être financés à la fois sur le programme 209 et sur l'affectation du produit sur la taxe des transactions financières, nous aurons obtenu au total 465 millions d'euros, soit 150 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2016. Sur les bonifications des prêts, l'AFD disposera de 350 millions d'euros, soit 65 millions d'euros de plus qu'en 2016, tandis que la ressource à condition spéciale (RCS) - les prêts du Trésor sur compte spécial - sera abondée de 25 millions d'euros supplémentaires, à hauteur de 500 millions d'euros. Les plus grosses lignes budgétaires qui financent l'activité de votre agence enregistrent ainsi une augmentation significative, dès cette année, en exécution.
Evidemment, la Taxe sur les transactions financières (TTF) demeure la grande nouveauté de l'année 2017 puisque, pour la seconde fois, le Parlement avait affecté, avec plus d'insistance que l'année précédente il est vrai, 270 millions d'euros de ressources de la TTF directement à l'AFD. J'ai le plaisir de vous dire que cette décision du Parlement a été exécutée et que la totalité de cette somme est parvenue dans les comptes de l'agence à la date où je vous parle. Cette ressource est essentielle, puisqu'elle nous garantit un certain volume de dons, à l'égal des grandes contributions multilatérales, comme celles du Fonds mondial SIDA, de la Banque mondiale ou encore du Fonds européen de développement. Nous sommes sur plusieurs centaines de millions d'euros protégés par cette taxe affectée.
En réponse à Monsieur le Président Cambon, évidemment, les 270 millions d'euros seront intégralement utilisés cette année et ce, uniquement pour nos crédits en dons et non pour bonifier des prêts. Nous avons effectué plusieurs choix. Le premier consiste en la création d'un fonds paix et résilience, que nous avons doté de cent millions d'euros. Cet instrument est innovant pour les pays en crise. Nous avons également accordé des aides budgétaires globales pour 50 millions d'euros, à destination notamment des pays du Sahel qui avaient des besoins urgents. Nous avons complété l'enveloppe des dons-projets, qui avait été écornée en exécution, à hauteur de cent millions d'euros, en essayant de préserver les très grandes priorités de l'aide, à savoir l'Afrique, le climat, l'éducation et la santé. Enfin, nous avons redoté le FEXCT, qui nous sert de guichet auprès des entreprises françaises pour financer leurs études, favoriser leur position sur nos marchés et renforcer, en retour, l'influence française dans nos pays d'intervention.
Dernier point, nous avons alloué 5 millions d'euros au guichet FICOL destiné aux collectivités territoriales et qui permet de lancer des appels à projets de coopération décentralisée. Ce montant est d'ailleurs en augmentation continue année après année.
J'en viens au PLF 2018. Toutes les lignes budgétaires de l'AFD augmentent et dans le contexte contraint des finances publiques que nous connaissons aujourd'hui, le directeur général de l'AFD que je suis ne peut qu'être satisfait de cette confiance. Les dons vont ainsi connaître une augmentation significative : lorsqu'on additionne le programme 209 - où l'on rajoute 65 millions d'euros en autorisations d'engagement - et le produit de la TTF, on obtient plus de 700 millions d'euros de dons, soit 200 millions d'euros de plus qu'en 2017 en exécution. Le programme 110 augmente de 30 millions d'euros et le programme 853 augmente, quant à lui, de 20 millions d'euros. Cette augmentation régulière - depuis l'année dernière - de nos trois lignes budgétaires principales nous semble tout à fait bienvenue. En outre, comme vous l'avez souligné, vos collègues de l'Assemblée nationale ont, dans la nuit de samedi à dimanche, renforcé la pérennité des dons alloués à ce budget, en amendant la première partie de la loi de finances, pour maintenir une affectation directe à l'AFD des 270 millions d'euros du produit de la TTF, sans passer par le FSD.
Nous restons sur cette croissance positive. Cependant, il ne faut pas oublier que, sur ces dix dernières années, la politique de développement a perdu près de 40 % de ses crédits budgétaires. Nous avons manifestement changé, depuis 2015, de trajectoire en la matière. Evidemment, le Président de la République a pris un engagement encore plus fort, en annonçant à la tribune des Nations Unies et auparavant, devant les Ambassadeurs, que la France atteindrait l'objectif de 0,55 % de son revenu national consacré à l'APD en 2022. Il a également souhaité que soit modifiée la structure de l'aide bilatérale et que la part des dons augmente dans l'aide française. Il a enfin souhaité, en nous citant, que l'aide française soit plus efficace et rapide, afin d'atteindre plus rapidement les populations. Nous allons aller en ce sens. Atteindre 0,55 % du revenu national en 2022 représente un objectif considérable et revient à produire environ 6 milliards d'euros d'APD supplémentaires par rapport à aujourd'hui. Naturellement, des éléments non budgétaires doivent être pris en compte dans l'APD : des effets de levier existent, mais il faudra, pour atteindre un tel objectif, mobiliser plusieurs milliards d'euros supplémentaires sur la durée du quinquennat.
Si 2018 n'a pas permis d'amorcer, de manière massive, cette augmentation, on peut cependant penser que l'année 2019 sera meilleure. Un tel calendrier me convient, puisque nous devons augmenter la part bilatérale, nous améliorons nos procédures et nos méthodes de manière à forger un outil bilatéral plus puissant qui pourra générer des flux d'APD supplémentaires à compter de 2019 et pour les années qui viennent. Evidemment, il nous faudra disposer de volumes d'autorisation d'engagement placés tôt dans la trajectoire, afin d'assurer leur décaissement le plus rapidement possible et de conduire plus de projets qu'aujourd'hui. Le Ministre travaille très activement à définir cette trajectoire, avec l'ensemble des administrations et l'Agence.
Mon second message consiste à vous dire qu'avec ces moyens budgétaires, nous mettons en oeuvre très résolument le projet stratégique que je vous avais présenté. Nous souhaitons que l'AFD devienne plus grande et plus partenariale, tout en étant plus agile et innovante. Avec une augmentation annuelle d'un milliard d'euros de nos engagements, ceux-ci devraient, à la fin de cette année, dépasser la barre des 10 milliards d'euros. Nous sommes bien sur le chemin qui avait été tracé pour atteindre la cible de 13 milliards d'euros de financement par an, à horizon 2020. Dans cette croissance, nous cherchons à garder notre signature : la moitié de notre activité concerne l'Afrique, la lutte contre le réchauffement climatique, la francophonie et l'égalité entre les femmes et les hommes. En outre, nos activités sont conduites, pour moitié, avec des entités non souveraines, comme les entreprises, les collectivités territoriales ou encore la société civile, sans demander la garantie de l'Etat. Cette démarche est indispensable dans des pays qui reviennent à des zones d'endettement public.
Le Premier ministre a annoncé la convocation d'un prochain CICID le 5 février prochain, qui sera une échéance très importante pour l'Agence. Les travaux que nous conduisons actuellement, dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens, sur lequel vous serez appelés à donner un avis, ainsi que notre nouveau plan stratégique, sont conduits dans la perspective de leur approbation avant leur communication au public, en février prochain.
S'agissant des partenariats, mon projet est d'insérer l'Agence davantage dans la vie de notre pays. C'est la raison pour laquelle je considère que le rapprochement avec la Caisse des dépôts et des consignations, avec laquelle nous avons signé une charte d'alliance, me paraît idoine. Nous faisons le même métier, dans des territoires différents, et avons énormément à gagner de ce rapprochement. Depuis décembre dernier, date de la signature de notre charte d'alliance, nous avons aligné nos stratégies autour de la notion de transition, qu'elle soit démographique, sociale, territoriale, énergétique, écologique, numérique et technologique. L'AFD suit les mêmes lignes stratégiques dans ce domaine que le groupe Caisse des dépôts. Nous avons ajouté une cinquième transition politique et citoyenne, en raison de notre expérience dans des pays à la situation plus précaire avec lesquels la Caisse des dépôts n'est pas vouée à travailler. Nous avons engagé les mouvements d'échanges de personnels pour que nos experts puissent bénéficier d'une expérience à la fois nationale et internationale ; ces mouvements concernent près d'une dizaine de personnels, soit beaucoup plus que durant les précédentes années.
En outre, nous venons de créer un fonds d'investissement dans les infrastructures, doté de 600 millions d'euros de fonds propres et susceptible de générer 8 milliards d'euros de financement. La France avait un peu disparu des grandes d'opérations d'infrastructures dans les Pays du Sud au profit notamment des Chinois. Désormais, nous allons retrouver une capacité financière pour monter dans des grandes opérations en partenariat public-privé, en amenant un financement initial de 15 à 20 millions d'euros de fonds propres, avec des investisseurs privés français, afin de reprendre notre place sur ce marché. En outre, nous avons organisé une grande convention en juillet dernier qui a rassemblé tous nos directeurs pays avec les directeurs territoriaux de la Caisse des dépôts. Durant cette convention, nous avons décidé de mettre en synergie nos réseaux afin que les projets des territoires parviennent jusqu'à l'AFD, tandis que les informations que nous glanons sur les pays du Sud arrivent également aux acteurs français, en passant par le réseau de la Caisse des dépôts. Nous travaillons beaucoup avec les entreprises françaises, grâce au guichet FEXCT notamment, et nous avons été les partenaires de l'université d'été du MEDEF pour capter les intentions d'investissements internationaux et les transformer en projets. Nous travaillons de plus en plus avec les collectivités territoriales et cette démarche me paraît, à ce stade, perfectible. Je fais d'ailleurs le tour des régions et suis à votre disposition pour parler avec vous des enjeux du Sud et du développement du grand international dans vos propres territoires. Le partenariat avec les organisations non gouvernementales (ONG) est le plus ancien que nous ayons bâti. Cette année, certains crédits ont été annulés, mais nous tentons de retrouver la même capacité pour nos partenaires de la société civile, cette année et l'année prochaine.
Enfin, le nouveau projet européen présenté par le Président de la République à la Sorbonne accordait une part importante au développement. Cette perspective n'est pas, en soi, nouvelle. En effet, dès le discours prononcé, en 1950, par Robert Schuman dans le grand salon de l'horloge du Quai d'Orsay, on parle non seulement de charbon et d'acier, mais aussi d'Afrique et de développement. La CECA avait ainsi pour finalité le développement de l'Afrique, ce qui souligne que le développement est au coeur du projet européen, auquel il nous faut redonner tout son sens aujourd'hui. Le travail que nous menons avec les Espagnols, les Italiens, ou encore les Allemands, se fait entre agences bilatérales. Nous pourrions également travailler avec les Suédois dans des logiques à plusieurs Etats, dans le dialogue avec la Commission européenne et pour porter cette politique européenne aux résultats déjà probants.
Je souhaitais en outre vous signaler un nouveau partenariat : l'AFD vient de prendre la présidence de « l'International Development Finance Club » qui a six ans d'existence et qui regroupe l'ensemble des banques et des agences nationales de développement du monde entier. Ces opérateurs financent à la fois le développement de leur propre pays et leur projection internationale. La présidence de ce nouveau cercle me paraît fournir à la France une capacité d'influence que nous mettons à votre disposition.
Enfin, il nous faut être plus agiles et innovants. Nos techno-procédures ne sont pas assez rapides lorsqu'il s'agit d'intervenir dans des pays en crise. Il nous faut également inventer des outils nouveaux et faire preuve d'agilité. Ce fonds, que vous avez évoqué, Monsieur le Président, et que nous avons dénommé Minca, - ce qui signifie en langue vernaculaire le Phénix -, est destiné à favoriser la renaissance des Etats. Il a été abondé à hauteur de 100 millions d'euros cette année et devrait l'être encore l'année prochaine. Cette démarche s'inscrit tout à fait dans l'esprit du rapport de M. Henri de Raincourt et de Mme Hélène Conway-Mouret qui préconisait la préservation d'une capacité en dons afin de développer des initiatives au Sahel, au Lac Tchad, en Centrafrique, au Proche-Orient, avec des projets à impact rapide et au plus près du terrain. Tous ces programmes s'inscrivent dans un programme international - l'Alliance pour le Sahel - qui a été lancé le 13 juillet dernier par le Président de la République et la Chancelière Merkel, avec les pays concernés du G5 ainsi que six partenaires internationaux, qui sont les plus actifs dans la zone et dont on essaie d'accroître l'effort pour faire face à l'importante crise de la zone sahélienne. L'année 2018 devrait être marquée par l'intensification de la simplification de nos procédures et le développement de notre gamme d'outils, pour être en capacité de délivrer en 2019 plus d'APD. De nombreux chantiers, comme la transformation numérique ou l'innovation financière, sont également en cours pour moderniser l'Agence. Nous sommes d'ailleurs à votre entière disposition pour vous communiquer des éléments à leur sujet.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. - Merci Monsieur le Président. Je ne reviendrai pas sur votre présentation, qui nous rassure, des trajectoires et des objectifs de 0,55 % du produit intérieur brut (PIB) et les sommes mobilisées en 2017 et les projections à hauteur de 13 milliards d'euros en 2020. Je ne reviendrai pas non plus sur l'affectation de la TTF de 270 millions d'euros.
S'agissant des collaborations entre l'AFD et Expertise France, la convention de 2015 prévoit que l'AFD lui confie un volume de 25 millions d'euros de projets dans le domaine de la gouvernance, qui relève de son coeur de métier. Or, le montant atteint en 2017 serait en-deçà de l'objectif visé. Plus globalement, en 2016, la part des financements de l'AFD n'a représenté que 8 % de l'activité d'Expertise France qui travaille aujourd'hui bien davantage avec la Commission européenne. Comment comptez-vous renforcer cette coopération ? Quelles sont les difficultés qui expliquent cette situation ?
J'en viens à un second sujet : la coopération décentralisée. L'AFD soutient les collectivités territoriales dans leurs actions de coopération via notamment le FICOL qui a fait l'objet d'appels à projet en 2017. Toutefois, malgré les efforts de l'AFD, il semble qu'il soit parfois plus facile de travailler avec des bailleurs étrangers, comme le Kreditanstalt für Wiederaufbau allemand (KFW). Comment comptez-vous à la fois renforcer et simplifier votre soutien à la coopération décentralisée ? Comment le rapprochement avec la Caisse des dépôts peut-il contribuer à cette démarche ?
Ma troisième question portera sur les relations de l'AFD avec les grands émergents que sont l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Ainsi, les autorisations de financement de l'AFD dans ces pays se sont élevées à 1,5 milliard d'euros en 2016, soit en hausse de 45 % par rapport à l'année précédente. Il s'agit de prêt à taux de marché qui permettent à l'Agence de soutenir son modèle économique sans coûter, il est vrai, d'argent au budget de l'Etat. Ce n'est donc plus de l'aide à proprement parler, mais plutôt une coopération sur de grands enjeux transversaux, comme le développement durable. Comme ces pays sont aussi pour nous de grands concurrents dans l'économie internationale, il s'agit également, de manière explicite, de favoriser l'expertise technique française et, in fine, de nos entreprises. Comment l'AFD compte-t-elle renforcer sa contribution à cet objectif de promotion du savoir-faire et des entreprises françaises dans les pays émergents, dans les années à venir ?
Concernant les relations avec les Balkans, le CICID de novembre 2016 a élargi le champ de coopération de l'Agence aux Balkans occidentaux. Quels travaux ont-ils été menés pour explorer les possibilités d'intervention dans cette région et quels seront les grands axes qui y seront privilégiés ? Enfin, pour terminer, vous avez insisté sur l'importance de la coopération avec l'Afrique. J'aborderai le fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique créé à la Valette en 2015, afin de lutter contre les causes profondes de migration dans 26 pays du continent. Il comprend 2,5 milliards d'euros et en 2016, 11 projets ont été confiés par la Commission européenne à l'AFD. Pouvez-vous nous informer sur les opérations conduites en 2017 ? En outre, votre évocation, Monsieur le directeur général, du Fonds Minca m'amène à vous interroger sur les fonds de gestion de crise qui sont portés par la cellule de crise du Quai d'Orsay et qui représentent quelque 30 millions d'euros. Nous savons que la cellule de crise souhaiterait que ce fonds, extrêmement précieux dans le contexte actuel, puisse être augmenté. Une telle perspective est-elle envisagée ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - J'aurais deux questions qui porteront sur les prêts et les dons. D'une part, les règles de comptabilisation de l'APD définies par l'OCDE vont connaître une importante évolution en 2018. Ainsi, les prêts ne seront plus considérés comme de l'APD positive lorsqu'ils sont versés, avant de l'être comme de l'APD négative lors de leur remboursement. Ils produiront désormais un montant d'APD en fonction de leur « élément-don », c'est à dire de leur caractère plus ou moins concessionnel. En outre, plus le pays auquel un prêt sera accordé sera pauvre, plus l'élément-don du prêt sera considéré comme élevé. Du fait de ces nouvelles règles, les grands bailleurs, comme l'AFD, devraient être incités à prêter davantage aux pays les plus pauvres à des taux plus bas. Ma question porte sur trois volets : ces nouvelles règles ne risquent-elles pas de diminuer le montant d'APD comptabilisé pour les prêts de l'Agence aux pays à revenus intermédiaires, comme en Asie ou en Amérique du Sud, puisque l'élément-don de ces prêts sera considéré comme plus faible ? L'AFD sera-t-elle en mesure de prêter davantage aux pays les plus pauvres d'Afrique ou ceux-ci sont-ils incapables d'absorber davantage de prêts ? S'agissant des limites réglementaires de la capacité des prêts de l'AFD, celle-ci est limitée par la réglementation applicable aux établissements financiers qui imposent le respect de ratios fonds propres - prêts. Or, récemment, l'AFD était presque parvenue à la limite de ce qu'elle devait prêter à certains pays. La conversion récente d'une partie de la ressource à condition spéciale de l'Etat en fonds propres redonne une certaine marge de manoeuvre à l'AFD. Cela est-il suffisant ? Je pense au Maghreb, au Maroc et à la Tunisie qu'il nous faut absolument soutenir dans la phase actuelle de construction démocratique et économique.
Concernant les dons, le faible montant de crédits dont disposait l'AFD il y a quelques années a induit un certain saupoudrage, avec des dons allant de 5 à 18 millions d'euros. De tels montants ne peuvent avoir d'impact significatif notamment dans le domaine de l'éducation et de la santé. Les nouveaux crédits versés par l'AFD, en application des amendements votés par le Parlement à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2017, ont-ils permis d'accroître ces montants ? Il m'a semblé que tel était le cas, mais j'aimerais que vous me le confirmiez. Après des années de versement faible, l'AFD dispose-t-elle encore du savoir-faire, mais aussi de la marge de manoeuvre nécessaire ? Ce type d'intervention en dons est-il désormais l'apanage - ce qui me paraîtrait dommage - des grands fonds multilatéraux ?
Enfin, et en dehors de l'aspect budgétaire, vous avez fait référence aux avantages de la Charte avec la Caisse des dépôts. Nous en avons bien conscience et nous soutenons cette démarche. Je souhaiterais que vous nous exposiez les bénéfices qui résulteraient d'un renforcement des synergies entre l'AFD et Expertise France, pour la politique de coopération et de développement, pour notre politique d'influence et plus largement, pour la diplomatie économique de la France. Je vous en remercie, Monsieur le directeur.
M. Richard Yung. - Je rebondis sur Expertise France dont la situation a été évoquée à plusieurs reprises. Nous avons l'impression que cet organisme, qui résulte de la fusion de plusieurs entités, a du mal à trouver sa voie. Avec une dotation de 26 millions d'euros, Expertise France demeure modeste et peu lisible. Ne faudrait-il pas plutôt intégrer Expertise France dans l'AFD, à l'instar de ce qui prévaut Outre-Rhin ? L'AFD aurait alors un bras séculier à l'instar de son homologue allemand !
S'agissant également de l'aide bilatérale, j'ai toujours été étonné qu'une partie de cette aide reste gérée par le Ministère des finances via l'opérateur Natixis. Je ne trouve pas cette situation logique tant il me semble que devrait incomber la totalité de la gestion de cette aide bilatérale à l'AFD. Je comprends qu'il vous est difficile de répondre à ces deux questions.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Monsieur le directeur général, vos annonces nous réjouissent. Je suis également très heureuse que les rapports de notre commission vous soient utiles. Vous avez parlé de l'augmentation de la part des dons et du bilatéral. Ce sont là des voeux déjà exprimés par notre commission. Nous nous félicitons que l'objectif de 0,55 % devienne enfin une réalité. L'augmentation de 6 milliards d'euros va se dérouler durant le quinquennat, ce qui représente un temps assez court. Comment allez-vous vous organiser en interne pour absorber cette augmentation très conséquente de crédits ? Votre plan stratégique a-t-il intégré très concrètement cette augmentation des moyens ?
M. Rémy Rioux. - Je connais l'attachement de votre assemblée vis-à-vis d'Expertise France dont la création avait été actée lorsque j'étais secrétaire général adjoint du Quai d'Orsay et que le directeur général était le conseiller du Ministre des affaires étrangères. Je me souviens très bien comment cette innovation avait été introduite dans la loi française. Je dois dire, comme M. le Sénateur Yung, que le travail de fusion de plusieurs établissements, aux cultures différentes, débuté depuis le 1 er janvier 2015, est à saluer. Cet opérateur est certes perfectible, mais il existe et dispose d'une marque plus importante que la somme de ses parties. Notre engagement consiste à apporter des crédits bilatéraux à hauteur de 25 millions d'euros et mes équipes m'ont communiqué un chiffre de l'ordre de 15 millions d'euros pour l'année dernière. Nous sommes sur la bonne voie. Ce point est très stratégique pour l'AFD. Nous sommes le financeur tandis qu'Expertise France est un opérateur d'expertises, qui apporte l'assistance technique et aide au renforcement des maîtrises d'ouvrages. La complémentarité entre les deux établissements est essentielle. Les grands pays émergents - comme j'ai pu dernièrement le constater au Brésil -, qui nous sollicitent recherchent un accès certes à des financements moins chers. Sur ce point, avec un AA+, la France ne peut proposer des financements moins élevés que l'Allemagne qui bénéficie d'une meilleure note. Mais au-delà, ces pays émergents recherchent notre expertise et, de manière générale, un accès vers la France. L'AFD est en mesure de le financer, mais l'instrument qui est capable de créer des liens avec tous les ministères demeure Expertise France. C'est là un métier très particulier, qui n'est pas simple, mais qui s'avère essentiel à la politique de développement.
Vous m'avez interrogé sur le renforcement de la coopération pour atteindre ces 25 millions d'euros. M. Sébastien Mosneron Dupin, directeur général d'Expertise France, et moi, nous passons régulièrement des messages à nos managers. Je suis persuadé que deux établissements publics possèdent leur mouvement propre. Nous n'avons pas encore systématiquement le réflexe de proposer un volet expertise dans les projets dont nous assurons le financement. Or, je serais très heureux si, dans un avenir proche, nous parvenions à le proposer systématiquement. Si le réseau de l'AFD assure la commercialisation des produits d'Expertise France, qui n'aura jamais un réseau de représentants dans 85 pays dans le monde, nous allons générer un flux d'affaires nettement accru par rapport à celui d'aujourd'hui. Force est de constater que nous en sommes loin, et je ne souhaite aucunement présager de la forme à venir de ce rapprochement. Il nous faut en revanche travailler sur le contenu concret de ce rapprochement avec Expertise France pour y parvenir avec efficacité.
Sur la coopération décentralisée, nous disposons d'un guichet dédié dont on fait actuellement croître les crédits, ainsi que nos partenariats avec la Caisse des dépôts et Cités-Unies France qui est une association implantée dans les mêmes géographies que nous. Je n'ai pas en tête que la KFW soit extrêmement active, mais je vais vérifier ce point. Nous avions confié, l'année dernière, un rapport à M. Henry de Cazotte qui a expliqué, de manière très précise, le modèle allemand, sans pour autant explorer cette dimension.
Nous sommes présents dans les pays émergents sur les problématiques de bien commun, dont celles du climat, en lien avec les entreprises françaises. L'orientation qui est celle de votre question me convient parfaitement et nous développons toute une série de nouveaux instruments pour réaliser plus d'affaires dans ces pays et y conforter les intérêts français.
Nous avons conduit une inspection dans les pays de la zone des Balkans, conformément à la demande du CICID. Nous avons proposé de travailler d'abord avec la Serbie et l'Albanie, en partenariat avec nos partenaires multilatéraux qui y sont présents. Le sujet est à la décision du gouvernement.
Le FFU représentait, en 2016, 70 millions d'euros de fonds délégués. Cette année, ce montant devrait être moins élevé, puisqu'il nous faut à présent mettre en oeuvre tous ces projets. Nous avons probablement été le bailleur le plus actif en délégation de crédits du FFU, que ce soit au Mali, au Niger, au Tchad ou encore au Sénégal. Aujourd'hui, nous allons également chercher 500 millions d'euros, par divers mécanismes de mutualisation, à Bruxelles. Un tiers de nos ressources concessionnelles provient ainsi de la Commission européenne dans un réseau de plus en plus intégré avec les autres agences des Etats-membres.
Le centre de crise du Ministère des affaires étrangères agit dans le court terme et met en oeuvre l'humanitaire. A l'inverse, en Suède, l'Agence nationale de développement assure également la réalisation des opérations humanitaires. La frontière entre ce qui relève de la crise et du développement peut s'avérer malaisée. Il nous faut ainsi nous concerter avec le centre de crise afin d'éviter toute redondance. Allouer plus de moyens au centre de crise qu'à l'AFD, c'est à dire davantage à l'humanitaire qu'au développement, relève d'une décision politique que le directeur de votre agence n'a pas à commenter.
S'agissant du CAD, on constate en effet une évolution des règles qui fait encore l'objet de débats dans la commission de l'OCDE qui exerce une grande influence sur nos métiers et nos instruments financiers. Je pense en particulier à l'actuel débat sur les garanties. En effet, une garantie n'est aujourd'hui comptabilisée en APD que si elle est appelée ; ce qui demeure rare. On a tout intérêt à faire plutôt un prêt plus qu'une garantie. Or, pour mobiliser le secteur privé dans de nombreux pays, on aurait beaucoup plus intérêt à mettre plus d'argent dans des fonds de garantie, mais l'on constate une forme de désincitation, dans les règles de l'OCDE, de l'emploi d'un tel instrument financier. La comptabilisation des prêts a quant à elle déjà été modifiée - l'élément-don étant comptabilisé et non plus les flux bruts ni les remboursements - et devrait induire des effets neutres sur l'aide française. Nous devrions le constater en 2019. Cette modification devrait modifier la comptabilisation des prêts de l'AFD - pour une baisse de près de 700 millions d'euros -, mais nous devrions nous rattraper sur d'autres instruments financiers, comme les prêts notamment du Trésor qui devraient, en revanche, faire plus d'aide au développement qu'aujourd'hui.
S'agissant du ratio grand-risque, la recapitalisation de 2,4 milliards d'euros nous redonne des marges significatives. Je prendrai, en guise d'illustration, un seul exemple : au Maroc, alors que notre engagement annuel s'élevait jusqu'à présent environ 150 millions d'euros par an, la recapitalisation devrait nous faire franchir le seuil annuel de 350 à 450 millions d'euros. Ce saut, en termes de volume, est important et se répercutera en fonction des pays et de leur importance stratégique pour la France.
J'en viens à votre question sur les capacités d'absorption : après les annonces vient le moment nécessaire du décaissement. En Tunisie, où je me suis rendu avec le Premier ministre, certains crédits engagés qui restent à verser s'élèvent à quelque six cent millions d'euros. Avant d'en conduire de nouveaux, il est nécessaire d'assurer le décaissement des financements des projets déjà engagés durant les années précédentes.
Sur les dons, je souhaiterais cependant rectifier une perception que vous pouvez avoir. En effet, on dit souvent que l'AFD fait surtout des prêts et très peu de dons. Lorsque vous additionnez tous nos instruments de dons - crédits européens compris -, l'AFD gère tout de même entre 10 et 15 % de son activité en dons. Au-delà des crédits du programme 209, qui comprend 200 millions d'euros parfois frappés par la régulation budgétaire, l'ensemble des instruments représente un bon milliard d'euros de crédits en dons, y compris grâce à la TTF désormais gérée par l'AFD. C'est moins que je ne le souhaiterais afin d'intervenir beaucoup plus fortement dans les pays les plus pauvres et dans les secteurs sociaux, mais l'AFD est loin d'être dépourvue d'une capacité d'intervention en dons. Nous sommes une agence, qui suit une logique de banque, mais notre activité est celle du développement qui implique des dons.
Sur l'aide liée, je considère que nous exerçons de nombreux mandats pour le compte du Ministère des finances et il n'est pas absurde de penser que la banque publique qui assure le back-office financier pour l'Etat pourrait également le faire pour l'ensemble des instruments qui contribuent à la politique de développement.
Enfin, en réponse à Madame Conway-Mouret, nous transformons en effet l'Agence. Nous le faisons résolument, année après année. A la suite d'une mission de l'Inspection des finances sur notre productivité et notre organisation, le Gouvernement nous a autorisés à embaucher près de huit cent personnes. Pour une maison qui compte 2 500 collaborateurs, une telle perspective induit un changement de taille conséquent. Nous n'avons toujours pas épuisé cette enveloppe que nous gérons de manière extrêmement prudente, afin de garder des charges maîtrisables. En passant de 8 à 13 milliards d'euros, l'AFD est une entreprise qui augmente de près de 60 % son activité, voire plus, lorsque nous aurons atteint l'objectif national de 0,55 %. Nous conduisons ainsi un gros chantier interne, dont nous pourrons, si vous le souhaitez, vous rendre compte, s'agissant notamment de l'évolution de nos ressources humaines. Il n'est de richesses que de femmes et d'hommes et il est important de bénéficier de nombreux experts et de la bonne diversité dans notre Agence, afin d'assumer pleinement le mandat qui nous est confié.
M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur le directeur général, pour les nombreux éléments que vous venez de nous communiquer. Comme vous le savez, nous sommes très attentifs à la situation d'Expertise France, dont j'ai eu l'honneur de co-rapporter, avec mon ancien collègue, M. Jean-Claude Peyronnet, le texte qui en est à l'origine. J'aurai également une pensée pour notre ancien collègue M. Jacques Berthou qui avait beaucoup travaillé sur cette question. Pourquoi ne pas envisager à terme un rapprochement d'Expertise France et de l'AFD ? Mais laissons peut-être d'abord ce nouvel établissement prendre sa vitesse de croisière afin d'éviter d'en ruiner les perspectives. Monsieur le directeur général, je vous remercie.