III. LES OBSERVATIONS COMPLEMENTAIRES DE VOS RAPPORTEURS

A. LE DEUXIÈME PILIER DE LA PAC EN SURCHAUFFE BUDGÉTAIRE

1. Le FEADER, instrument indispensable de la politique agricole
a) Le deuxième pilier de plus en plus incontournable

Si le 2 ème pilier de la PAC est budgétairement moins important que le 1 er , son rôle en matière de soutien à l'agriculture française est de plus en plus essentiel.

D'abord, son enveloppe a augmenté sur la période 2014-2020 par rapport à la programmation précédente qui couvrait les années 2007 à 2013. La France bénéficie désormais d'environ 1,4 milliard d'euros de crédits européens par an, auxquels s'ajoutent près de 250 millions d'euros de crédits transférés du 1 er vers le 2 ème pilier, soit 3,33 % de l'enveloppe du 1 er pilier, pour financer diverses mesures auparavant financées par celui-ci et relevant désormais du FEADER, notamment les subventions aux assurances multirisques climatiques souscrites par les agriculteurs pour environ 100 millions d'euros par an.

Ensuite, le 2ème pilier produit un effet de levier à travers le cofinancement. Les aides versées au titre du 2 ème pilier (en dehors des aides assises sur des crédits transférés du 1 er pilier) ne sont financées qu'à 53 % au maximum par les crédits européens. Des crédits nationaux doivent venir les compléter. Ce taux est augmenté à 63 % dans les régions en transition et 85 % dans les régions de convergence et régions ultra-périphériques.

Enfin, le 2ème pilier, contrairement aux aides directes découplées, peut être ciblé sur des priorités définies par chaque État membre . Le règlement européen laisse une grande liberté pour définir les mesures du 2 ème pilier mises effectivement en oeuvre et fixer les enveloppes financières pour chacune d'entre elles. Pour la période 2014-2020, la France a fait valider par la commission européenne un document de cadrage national et 27 programmes de développement rural régional. Le 2 ème pilier est donc une politique européenne « à la carte », qui permet une réelle orientation de la politique agricole par chaque État membre et qui fait désormais l'objet d'une déclinaison régionale, chaque région étant autorité de gestion du FEADER.

La France a choisi de mobiliser une large palette d'outils : l'aide aux zones défavorisées à travers l'ICHN, le soutien aux jeunes agriculteurs, les mesures agroenvironnementales, l'aide à l'agriculture biologique ou encore le soutien à l'investissement dans les exploitations.

b) Les principales mesures financées par le FEADER


L'ICHN est la principale mesure financée par le FEADER et représente environ la moitié des crédits européens du 2 ème pilier. Elle bénéficie à près de 100 000 exploitations agricoles. L'aide est versée par l'ASP.

L'ICHN est financée à 75 % par des crédits européens du 2 ème pilier et à 25 % par des crédits nationaux provenant du programme n° 149. Avant 2014, l'ICHN était financée à 55 % par les crédits du FEADER et à 45 % par le budget de l'État.

L'enveloppe globale allouée à l'ICHN a évolué à la hausse ces dernières années du fait de plusieurs décisions :

- à partir de 2014 : revalorisation de 15 % du montant de base de l'ICHN ;

- en 2015, la création d'un complément d'ICHN de 70 €/hectare de surface fourragère, dans la limite de 75 hectares, pour remplacer la prime herbagère agro-environnementale (PHAE), supprimée dans le cadre de la réforme de la PAC ;

- en 2016, l'extension de l'ICHN aux éleveurs laitiers des zones défavorisées simples et des zones de piémont.

Les crédits nationaux en faveur de l'ICHN sont passés de 178,9 millions d'euros en 2014 à 232 millions d'euros en 2015, 256 millions d'euros en 2016 et 264 millions d'euros en 2017. La ligne budgétaire consacrée à l'ICHN est inchangée dans le projet de loi de finances 2018 par rapport à 2017, à hauteur de 264 millions d'euros.

Les crédits européens qui viennent en complément des crédits nationaux s'élèveront en 2018 comme en 2017 à 792 millions d'euros, pour porter l'enveloppe totale ICHN à 1,056 milliard d'euros.

La révision de la carte des zones défavorisées simples (ZDS), qui devait être achevée initialement pour 2018, pourrait conduire, en introduisant de nouveaux bénéficiaires de l'ICHN, soit à revoir l'enveloppe à la hausse soit à réduire le montant unitaire des aides, soit à combiner les deux. Avec l'adoption du règlement Omnibus, la révision du zonage est désormais repoussée à 2019.


• Le soutien à l'assurance multirisque climatique repose sur une enveloppe de 100 millions d'euros destinée à subventionner la souscription d'assurances par les agriculteurs. Cette enveloppe est intégralement financée par les crédits européens du 2 ème pilier. Aucun crédit budgétaire de l'État ne vient en complément. Le taux de subvention est en principe de 65 % du coût de l'assurance.

Le taux de diffusion des contrats d'assurance multirisque climatique diffère selon les types de culture : il est d'environ 25 % en grandes cultures et en viticulture, mais de seulement 15 % en maraichage et de moins de 3 % en arboriculture. En 2016, environ 65 000 contrats ont été souscrits.

Or l'enveloppe de crédits paraît insuffisance : les chambres d'agriculture estiment que le besoin pourrait être entre 114 et 139 millions d'euros en 2018, ce besoin augmentant dès lors que la diffusion de l'assurance multirisque climatique progresse.

Dans ces conditions, la crainte est que le taux de subvention soit ajusté bien en dessous de 65 %, pour respecter l'enveloppe disponible . Selon les informations fournies à vos rapporteurs, pour conserver ce taux, il faudrait mobiliser entre 85 millions d'euros à taux de diffusion constant des assurances et près de 170 millions d'euros en cas de développement modéré, d'ici la fin de la période 2014-2020.

Or, votre rapporteur Henri Cabanel souligne le caractère indispensable d'un renforcement des instruments de couverture des risques, qui avaient d'ailleurs fait l'objet d'une proposition de loi adoptée par le Sénat en première lecture en 2016 17 ( * ) .


• Le soutien à l'investissement des exploitations agricoles constitue aussi l'une des priorités mises en oeuvre dans le cadre du 2 ème pilier de la PAC.

Ce soutien est mis en oeuvre depuis 2015 dans le cadre du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE), qui a remplacé les dispositifs distincts existants alors : plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE), plan végétal pour l'environnement (PVE) et plan de performance énergétique (PPE).

Le PCAE est alimenté par des crédits européens à hauteur de 53 % et des contreparties nationales à hauteur de 47 %, principalement en provenance du programme 149.

Doté en base dans le budget de 56 millions d'euros, ce programme bénéficie de contreparties européennes de 63 millions d'euros environ. En 2016 et 2017, une enveloppe supplémentaire de 30 millions d'euros par an avait été allouée mais elle n'est pas reconduite pour 2017.


• Le FEADER finance aussi les mesures agroenvironnementales climatiques (MAEC) et l'agriculture biologique , qui connaît un développement rapide : désormais la bio représente environ 6 % de la SAU soit 1,5 millions d'hectares.

Le niveau de soutien européen sur ces mesures est de 75 %, avec un cofinancement national de 25 %. Plus de 80 millions d'euros de crédits nationaux sont prévus chaque année sur ces mesures, en contrepartie des crédits européens. Pour 2018, 82 millions d'euros sont ajoutés en CP pour payer les engagements antérieurs.

2. De nouveaux transferts en faveur du 2ème pilier et l'impératif d'une gestion plus rigoureuse
a) Un transfert supplémentaire en provenance du 1er pilier pour faire face à l'urgence budgétaire

Le point d'étape à mi-parcours de la PAC 2014-2020 a mis en évidence une sur-programmation budgétaire sur le FEADER, dans le but de ne pas rendre à l'Union européenne en fin de programmation des crédits non dépensés.

Cette sur-programmation apparaît très importante puisque le ministre de l'agriculture et de l'alimentation l'a chiffrée à 853 millions d'euros , ce qui correspond à un peu plus d'une année de budget européen sur l'ICHN.

Au-delà d'une stratégie assumée de sur-programmation, la modification des dispositifs, comme l'extension du périmètre des bénéficiaires de l'ICHN, ou encore le succès de certaines mesures comme l'assurance-récolte ou encore les aides à l'agriculture biologique, conduisent à une surchauffe budgétaire du 2 ème pilier de la PAC.

Pour faire face au besoin de financement jusqu'au bout de la période de programmation 2014-2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a annoncé le 27 juillet dernier la mise en place à partir de 2018 d'un prélèvement supplémentaire de 4,2 % sur les crédits du 1er pilier de la PAC , soit environ 300 millions d'euros par an, portant le total des prélèvements sur ce pilier à un peu plus de 7,5 %.

Si un tel prélèvement paraît nécessaire pour faire face au besoin de financement des mesures du 2 ème pilier jusqu'à la fin 2020, elle a pour conséquence d'en faire payer le coût à l'ensemble des agriculteurs, qui verront leurs aides directes diminuer de 4,2 % dès l'année prochaine.

Un autre choix aurait été possible : réduire le taux de cofinancement européen et combler le besoin de financement sur des crédits nationaux.

b) L'impératif d'une gestion plus rigoureuse du FEADER

L'épisode de juillet 2017 montre que le FEADER a été probablement sur-mobilisé ces dernières années, pour gonfler les enveloppes annoncées sur les différents dispositifs de soutien à l'agriculture.

Qu'il s'agisse des MAEC, de l'agriculture biologique, du PCAE, mais aussi des mesures en faveur de la forêt, les mesures proposées mettaient à contribution le FEADER.

Cette logique ne pouvait pas se poursuivre sans limite. Une limitation de la mobilisation du FEADER est donc à envisager en complément des ressources nouvelles transférées depuis le 1 er pilier.

Le Gouvernement a pris l'initiative d'annoncer la fin des soutiens au maintien de l'agriculture biologique dès 2018. Seules les mesures de conversion pourront, pour une durée de cinq ans, bénéficier de mesures d'aide cofinancées par des crédits du FEADER et des crédits nationaux.

Cependant, le Gouvernement permettra que l'aide au maintien reste financée en complément du FEADER par les Régions ou les Agences de l'eau, à condition qu'elles le souhaitent et mobilisent des moyens propres à cet effet.

Vos rapporteurs soulignent la nécessité d'affiner la programmation de la deuxième phase du FEADER afin de ne pas avoir à envisager de suppressions de dispositifs pour les agriculteurs ou de nouveaux prélèvements sur le premier pilier. Ce risque pourrait d'ailleurs être aggravé par le Brexit.


* 17 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl15-585.html.

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