B. UNE POLITIQUE AGRICOLE SANS BOUSSOLE ?

1. La nécessité d'une politique agricole et alimentaire
a) De nombreux défis pour l'agriculture

L'agriculture française assure 18 % de la production agricole européenne , devant l'Allemagne (12 %), l'Italie (12 %) et l'Espagne (10 %). La puissance agricole de la France repose sur un large espace agricole : plus de 28 millions d'hectares sur les 170 millions d'hectares de surface agricole utile (SAU) que compte l'Union européenne. L'agriculture occupe donc un peu plus de la moitié du territoire national. Elle est essentielle à l'animation économique des territoires ruraux avec environ 435 000 exploitants agricoles et plus de 866 000 personnes qui travaillent directement dans les exploitations (pas toujours à temps plein : cela représente 564 000 unités de travail agricole).

L'agriculture française, très diversifiée, est le socle d'une industrie agroalimentaire également diversifiée qui compte plus de 17 000 entreprises et emploie environ 400 000 personnes, pour un chiffre d'affaires de plus de 170 milliards d'euros par an.

L'agriculture est une source de richesse pour la France, même si la part de la valeur ajoutée agricole dans le produit intérieur brut (PIB) n'a cessé de régresser depuis plusieurs décennies pour s'établir à un peu plus d'1,5 % (soit environ 75 milliards d'euros). Grâce à sa production céréalière, grâce à la viticulture, et dans une moindre mesure grâce à l'élevage, notamment dans le secteur laitier, la France réalise un excédent commercial agricole et agroalimentaire . Celui-ci a chuté en 2016 du fait de conditions climatiques très particulières qui ont affecté les rendements des céréales, et en particulier du blé, mais l'année 2017 devrait retrouver un profil habituel.

Depuis plusieurs années, le monde agricole est inquiet, devant faire face à des défis de grande ampleur :

- le défi de la préservation de l'environnement s'est installé depuis de nombreuses années, avec un renforcement des exigences environnementales de la PAC, notamment en matière de pollution des eaux ou de préservation de la biodiversité, la mise en place de plan de maîtrise puis de réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques avec le plan Ecophyto. L'activité agricole peut aussi répondre à l'enjeu de la transition énergétique en produisant des alternatives aux énergies fossiles, ou encore en contribuant au stockage de carbone dans les sols ;

- le défi de la sécurité alimentaire consiste à produire une alimentation sûre et de qualité à des conditions abordables aux consommateurs : de ce point de vue, l'agriculture répond en Europe à des critères extrêmement stricts ;

- le défi économique de compétitivité est majeur dans une économie ouverte, car sans compétitivité les exploitations s'exposent au risque de disparaître. De ce point de vue, l'ouverture croissante des marchés à travers les accords commerciaux passés par l'Union européenne avec ses partenaires à travers le monde peut constituer une opportunité pour certaines filières, mais représente une menace mortelle pour d'autres, en particulier l'élevage ;

- le défi du renouvellement des générations est lui aussi majeur pour l'agriculture française, avec un âge moyen des exploitants agricoles qui se situe autour de 50 ans, et bien plus encore pour l'élevage bovin allaitant.

Au final, l'agriculture française doit faire face au défi de la transformation du modèle agricole . Les Français sont attachés au modèle de la ferme familiale à taille humaine, où l'exploitant agricole est propriétaire de son exploitation et garde la maîtrise des décisions relatives à sa gestion, travaille effectivement la terre et s'occupe personnellement de ses bêtes. Il importe que la politique agricole encourage ce modèle, menacé en ce début de XXI ème siècle par un autre modèle qui a cours dans d'autres pays : celui de l'agriculture intégrée, propriété des institutions financières ou de l'industrie et mise au service exclusif des intérêts de grands groupes.

Les accords commerciaux de l'Union européenne :
une menace pour l'agriculture française ?

Les accords commerciaux sont de la compétence de l'Union européenne et non pas des États membres. Ils sont négociés et conclus à l'échelle européenne. Plusieurs accords ou projets d'accords inquiètent les éleveurs français, en particulier l'accord avec le Canada (CETA), déjà conclu, et l'accord en discussion avec les pays d'Amérique du Sud réunis au sein du Mercosur.

L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada.

Négocié à partir de 2009, et conclu en septembre 2014, « l'accord économique et commercial global » (AECG ou CETA en anglais) entre l'Union européenne et le Canada prévoit un haut niveau de libéralisation des échanges, y compris dans le secteur agricole et agroalimentaire. Le Parlement européen a ratifié l'accord en février 2017 et son application provisoire a débuté depuis le 21 septembre 2017.

L'Union européenne dispose d'un contingent important d'exportation à droits nuls de fromages européens et bénéficie de la reconnaissance d'une liste de 145 indications géographiques (IG), dont 42 françaises, en plus des vins et spiritueux déjà protégés par un accord antérieur.

Mais en contrepartie, le Canada dispose d'un contingent plus important lui permettant d'importer de la viande bovine vers l'Union européenne sans droit de douane. L'organisation interprofessionnelle Interbev estime que l'application de cet accord conduira à faire entrer 65 000 tonnes de viande canadienne, alors que le marché européen de l'aloyau n'est que de 400 000 tonnes. Le différentiel de prix entre Europe et Canada serait de plus de 5 € le kg (13,7 €/kg en Europe contre 8,6 €/kg au Canada). Devant le risque de fermeture de nombreuses exploitations françaises bovines qui deviendraient non rentables face à ces nouveaux concurrents, Interbev demande une exclusion de la viande bovine du CETA.

La négociation d'un accord de libre-échange avec le Mercosur.

Les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) et l'Union européenne ont entamé des discussions commerciales bilatérales en 1999. Suspendues en 2004, elles ont repris à la mi-2016.

Le secteur agricole pourrait être extrêmement pénalisé par un accord, du fait d'une compétitivité plus forte des pays du Mercosur dans le secteur des viandes (volaille, boeuf, porc), mais aussi de l'éthanol.

L'éventualité d'offrir un contingent à droits réduits de 70 000 tonnes en viande bovine est source de craintes majeures pour ce secteur. Interbev demande pour ces produits une exclusion du champ de la négociation.

b) La nécessité de réarmer les politiques agricoles

Depuis 1992, la politique agricole européenne a été orientée de plus en plus vers les marchés : les droits de douane ont été abaissés et les soutiens couplés à certaines productions ont été remplacés par des aides directes, sans lien avec la production, afin de ne pas interférer dans les choix économiques des agriculteurs. La dernière synthèse publiée en 2015 par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) montre que les droits de douane appliqués sur les produits agricoles sont de 13,2 % dans l'Union européenne, davantage que les États-Unis (5,3 %) mais moins que le Japon (19 %) ou la Chine (15,6 %). En outre, l'Union européenne est faiblement utilisatrice des barrières non tarifaires.

Peu à peu, les mécanismes assurant des prix garantis aux producteurs ont été démantelés , et la régulation des marchés n'a plus constitué un objectif politique. La PAC ne conserve que quelques filets de sécurité à travers l'intervention publique et l'aide au stockage privés, mais les prix à partir desquels ces outils sont activés sont fixés à des niveaux très bas.

La flambée des prix alimentaires en 2007-2008 a fait prendre conscience que la question de la sécurité alimentaire ne pouvait être ignorée par les politiques publiques. Depuis une dizaine d'années, la volatilité des prix agricoles a montré qu'il était nécessaire d'envisager de nouvelles modalités de régulation.

Pourtant, la PAC a peu changé et l'orientation principalement vers les marchés n'a pas été fondamentalement remise en cause. La tendance à l'érosion des aides à l'agriculture est générale dans l'Union européenne . À l'inverse, comme le soulignaient nos M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé, dans leur rapport de juillet 2017 intitulé « PAC : traverser le cap dangereux de 2020 », les États-Unis, la Chine ou encore le Brésil ont fortement accru leur soutien à leur agriculture depuis le début des années 2000. D'après l'institut Momagri, le taux de soutien par habitant à l'agriculture est de 198 dollars par habitant dans l'Union européenne, 272 dollars par habitant au Brésil et 486 dollars par habitant aux États-Unis. En Chine, entre 2008 et 2015, le soutien à l'agriculture a augmenté de 145 % par habitant .

Vos rapporteurs rappellent la nécessité de réarmer la politique agricole de l'Union européenne, en réinvestissant la notion de souveraineté alimentaire , évoquée notamment lors des états généraux de l'alimentation. Assurer une alimentation sûre et suffisante en quantité et en qualité à la population devrait être un objectif politique de premier ordre.

2. Une absence de lisibilité de la politique agricole et alimentaire
a) Au niveau européen, les incertitudes sur l'avenir de la politique agricole commune

La réforme de la PAC opérée en 2013 a mis en place le verdissement des aides directes. La France a également conservé les possibilités d'aide couplées et a introduit un paiement redistributif à travers la majoration des aides directes du premier pilier de la PAC. La France a étendu aussi son programme de développement rural financé par le deuxième pilier de la PAC et cofinancé par des crédits nationaux.

Sur le plan budgétaire, l'enveloppe pour la PAC pour la période 2014-2020 n'a pas été autant réduite que redouté : avec une enveloppe globale de 408,3 milliards d'euros (euros courants 2013), dont 312,7 milliards d'euros pour le premier pilier et 95,6 milliards d'euros pour le deuxième pilier, la dotation pour la PAC n'a été réduite que de 2 % par rapport au budget qui y était consacré en 2013. Pour la France, l'enveloppe globale prévue était de 63,6 milliards d'euros sur l'ensemble de la période 2014-2020, décomposée en 54 milliards d'euros sur le premier pilier , en baisse de 3,7 % par rapport à 2013 et 9,9 milliards d'euros sur le deuxième pilier, en hausse de 11 % par rapport à 2013. L'enveloppe globale pour la France n'avait baissé que de 2,2 % par rapport à 2013.

Or, le maintien du budget de la PAC pour la période de programmation financière au-delà de 2020 est très incertain . Le Brexit complique également l'équation financière de la future PAC, et pourrait même conduire à revoir les financements pour 2019 et 2020, les deux dernières années de la programmation actuelle. Une étude du Parlement européen publiée le 10 novembre 2017 sur l'impact du Brexit pour la PAC, montre que le retrait britannique fait apparaître un « trou » budgétaire global de 10,2 milliards d'euros par an, dont presque 3 milliards d'euros au titre de la PAC . Si les contributions des États membres ne sont pas augmentées dans le futur cadre financier pluriannuel, une réduction des moyens attribués à l'ensemble des politiques communautaires est probable et pourrait réduire le budget de la PAC jusqu'à 20 %, d'après l'étude du Parlement européen, si l'essentiel de l'effort d'ajustement était concentré sur la PAC.

D'autres hypothèses sont étudiées, comme l'augmentation des contributions des États membres, ou encore comme l'introduction de cofinancements sur le premier pilier. Aucun scénario dominant ne semble se dégager aujourd'hui. Dans leur rapport de juillet 2017 précité intitulé « PAC : traverser le cap dangereux de 2020 », nos collèges M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé mettaient en garde contre le risque de coupes budgétaires massives de la PAC couplées à un démantèlement de celle-ci après 2020.

La Commission européenne n'a pas encore publié son document d'orientation en vue de la future réforme de la PAC, mais il paraît clair, dès maintenant, que celle-ci court de sérieux risques dès 2019 avec le Brexit, et après 2020 dans le nouveau cadre financier que l'Europe se donnera.

b) Au niveau national : à la recherche d'une nouvelle politique agricole

L'agriculture a été globalement absente de la campagne des élections présidentielles de 2017. Dans son discours de politique générale du 4 juillet 2017, le Premier ministre Edouard Philippe a abordé la question de l'agriculture à travers deux annonces :

- la prise en compte de l'agriculture par le grand plan d'investissement , à hauteur de 5 milliards d'euros ;

- le lancement d'une démarche de discussion autour des questions d'alimentation entre les acteurs de l'agriculture, de l'agroalimentaire, la grande distribution, les consommateurs et la société civile : les états généraux de l'alimentation (EGA).

Ces annonces ont été plutôt bien accueillies par le monde agricole, car elles répondent à un besoin de dessiner de nouvelles orientations, mais dans le même temps, des mesures concrètes qui risquent à court terme d'impacter négativement l'agriculture ont été annoncées : interdiction à brève échéance de produits phytopharmaceutiques ou encore suppression de certains allègements de charges (cotisations d'assurance-maladie, CICE).

(1) Les Etats généraux de l'alimentation : une mobilisation générale pour quel résultat ?

Lancés à la mi-juillet, les EGA ont été l'occasion de réunir très largement de nombreux acteurs intervenant autour des questions d'agriculture et d'alimentation : syndicats agricoles, représentants de l'agroalimentaire, de la grande distribution, acteurs de la restauration collective, partenaires sociaux, représentants des consommateurs, organisations non gouvernementales et associations de protection de l'environnement.

Pilotée par le Gouvernement, cette démarche visait à recueillir les propositions de tous ces interlocuteurs, pour contribuer à l'atteinte d'un double objectif :

- permettre aux agriculteurs de vivre du juste prix payé et permettre plus largement à tous les acteurs économiques dans la chaîne de valeur des produits alimentaires de vivre dignement ;

- permettre à tous d'avoir accès à une alimentation saine, durable, sûre .

Une plate-forme de contribution citoyenne a été ouverte du 20 juillet au 10 novembre 2017 et les débats se sont déroulés au sein de 14 ateliers thématiques.

Le 11 octobre 2017, le Président de la République a dressé un premier bilan des travaux des EGA , qui se poursuivent encore, et annoncé le dépôt d'un projet de loi pouvant prendre la forme d'une habilitation à légiférer par ordonnance pour le 1 er semestre 2018 afin de tirer les conséquences de ces travaux.

L'essentiel des annonces du Président de la République concerne les relations commerciales au sein des filières agricoles et alimentaires, qui sont incitées à élaborer des plans de filière d'ici la fin 2017.

États généraux de l'alimentation :
les annonces d'Emmanuel Macron lors du discours du 11 octobre 2017

Lors de son discours du 11 octobre 2017 à Rungis, le Président de la République a annoncé envisager des modifications législatives portant sur les points suivants :

- une inversion du mécanisme de la contractualisation en agriculture est envisagée, en partant d'un contrat proposé par l'agriculteur et non par l'acheteur ;

- concomitamment, le rôle des organisations de producteurs serait renforcé et les producteurs seraient incités à y adhérer (à travers le conditionnement de certaines aides, non précisées dans le discours) ;

- l'observatoire des prix et des marges (OPM) serait renforcé pour fournir des données aux acteurs économiques ;

- le droit de la concurrence devrait être adapté pour sécuriser les négociations commerciales, à travers l'intervention de l'Autorité de la concurrence en amont des discussions ;

- le rôle du médiateur des relations commerciales serait renforcé, en lui donnant notamment la possibilité de « mettre au pilori » les mauvais joueurs de la contractualisation ;

- une plus grande transparence des prix pratiqués par les coopératives est proposée ;

- le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et un encadrement des promotions sont envisagés, mais seulement en fonction des résultats des discussions sur les plans de filière ;

- l'objectif de 50 % de produits bios ou locaux en 2022 est réaffirmé ;

- la séparation de la vente et du conseil en produits phytopharmaceutiques est proposée ;

- la réduction des délais de mise en oeuvre des projets de méthaniseurs est prévue.

Si les propositions faites par le Président de la République lors des EGA ont été bien accueillies par les participants, vos rapporteurs Laurent Duplomb et Françoise Férat doutent cependant de l'efficacité ou de la faisabilité de certaines d'entre elles : ainsi, l'inversion des mécanismes de la contractualisation en agriculture est une mesure intéressante mais difficilement praticable. Au demeurant, la prise en compte des coûts de production dans les formules de prix est déjà prévue par la loi Sapin II. En outre, cette mesure n'a pas d'impact sur le distributeur, qui n'est que rarement l'acheteur direct des produits agricoles.

Au final, l'intention affichée d'améliorer les équilibres au sein de la chaîne de valeur agricole et alimentaire pour ne plus faire de l'amont agricole la variable d'ajustement des crises est certes louable, mais il existe encore un certain flou sur les résultats que l'on peut attendre des EGA sur ce point. Vos rapporteurs saluent la décision de votre commission des affaires économiques de mettre en place un groupe de suivi des EGA afin de pousser à des solutions concrètes, au-delà des effets de manche des discours.

(2) Le grand plan d'investissement : quelles retombées pour l'agriculture et l'agroalimentaire ?

Remis au Premier ministre fin septembre, le rapport Pisani-Ferry sur le grand plan d'investissement 2018-2022 préconisait de consacrer une enveloppe de 5 milliards d'euros pour « stimuler la transformation des filières agricoles et agro-alimentaires », au sein du programme d'investissement de 57 milliards d'euros.

Les modalités de réalisation de cet investissement n'ont cependant pas été précisées. Elles sont renvoyées aux discussions dans le cadre de l'atelier 14 des EGA. Il semblerait qu'un milliard sur les cinq nécessaires proviendrait des fonds européens. Dans la mesure où l'utilisation des crédits de la PAC est déjà programmée en totalité jusqu'en 2020, ce milliard d'euros consisterait soit à redéployer des financements de dispositifs existants soit à labelliser des soutiens qui existent déjà au titre du grand plan d'investissement, ce qui présente un intérêt limité pour les filières agricoles et alimentaires.

Au demeurant, sur l'ensemble du plan de 57 milliards d'euros, seuls 24 milliards d'euros devraient correspondre à des mesures nouvelles, 12 milliards d'euros correspondant à des réorientations de crédits, 10 milliards d'euros résultant de l'intégration du programme des investissements d'avenir (PIA) et 11 milliards d'euros étant mobilisés sous forme d'instruments financiers (prêts, garanties, dotations en fonds propres) sans effet sur le solde budgétaire des administrations publiques.

Vos rapporteurs soulignent que le grand plan d'investissement pour l'agriculture et l'agroalimentaire ne peut pas se résumer à un recyclage des mesures déjà prévues au plan pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations agricoles (PCAEA) , faute de quoi l'espoir suscité par l'annonce du volet agricole du plan risque d'être très vite déçu.

(3) La compétitivité des exploitations agricoles pénalisée par la suppression de mesures récentes

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 supprime le dispositif d'allègement de cotisation d'assurance maladie des exploitants agricoles (dite cotisation AMEXA) qui avait été mis en place en 2016. Cet allègement réduisait de 7 points le taux de cotisation applicable, qui était passé de 10,04 % à 3,04 %.

L'article 7 remplace ce dispositif spécifique au secteur agricole par un nouveau barème progressif de cotisations d'assurance maladie qui s'appliquera de la même manière aux exploitants agricoles et aux travailleurs indépendants. Le taux de cotisation variera de 1,5 % à 6,5 % selon les revenus de l'exploitation agricole, ce taux de 6,5 % s'appliquant pour les revenus supérieurs à 110 % du plafond de la sécurité sociale, soit environ 43 000 euros par an.

Cette mesure favorisera les agriculteurs disposant d'un faible revenu mais pénalisera les autres. D'après les informations fournies à vos rapporteurs, tous les agriculteurs touchant plus de 13 500 euros par an de revenus professionnels seront redevables en 2018 de davantage de cotisations d'assurance maladie qu'en 2017. Le total des cotisations supplémentaires payées par les agriculteurs en 2018, à revenu égal à celui de 2017, est estimé par la mutualité sociale agricole à 121 millions d'euros.

En outre, les agriculteurs seront pénalisés par la hausse de cotisation sociale généralisée (CSG) de 1,7 point, qui devrait représenter une charge supplémentaire de 160 millions d'euros par an.

Enfin, l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 baisse les cotisations patronales à compter de 2019, pour compenser la fin du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), qui représente 7 % du coût salarial total. Pour les employeurs du secteur agricole utilisant le dispositif dit TODE (travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi), en particulier dans les secteurs des fruits et légumes ou de la viticulture, la perte du CICE est une perte sèche. En effet, il octroyait déjà une exonération totale de cotisations patronales jusqu'à 1,25 SMIC et dégressive jusqu'à 1,5 SMIC. La baisse de cotisations sera donc inopérante pour beaucoup de ces salariés qui étaient déjà dans le dispositif TODE.

Ces mesures vont donc dans le sens d'une perte de compétitivité des exploitations agricoles françaises , dans un contexte pourtant de concurrence internationale féroce.

(4) Les perspectives en matière d'utilisation de produits phytopharmaceutiques

Une autre inquiétude des agriculteurs provient des dernières annonces du Gouvernement sur la volonté d'accélérer les perspectives de réduction très forte voire d'interdiction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques.

Le débat sur le glyphosate a focalisé l'attention depuis le début de l'été. Alors que le renouvellement de l'autorisation de cette substance utilisée depuis plus de 40 ans par les agriculteurs comme herbicide devait intervenir fin 2015, la Commission européenne a repoussé sa décision et accordé une prolongation temporaire jusqu'à la fin 2018, faute d'obtenir une position claire du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (CPVADAAA) représentant les experts des États membres. Depuis l'été, le vote sur la prolongation du glyphosate est sans cesse repoussé : si le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), dépendant de l'OMS a classé le glyphosate en mars 2015 dans la catégorie des cancérigènes probables (ce classement ayant au demeurant été controversé), l'EFSA et l'ANSES sont plus nuancés et une étude américaine sur une série longue montre à l'inverse une absence de lien entre glyphosate et cancer.

Dans ce contexte, le Gouvernement a arbitré en faveur d'une prolongation du glyphosate mais pour une durée courte . Alors que le Gouvernement en septembre proposait une prolongation pour cinq ans maximum, il défend désormais une prolongation pour trois ans. Au final, la Commission européenne prolonge l'autorisation pour cinq ans, mais le Président de la République s'est engagé à en interdire l'usage au terme d'un délai de trois ans. La mise en application de cette mesure d'interdiction conduirait la France à être de nouveau dans la « surapplication » ou « surtransposition » du droit communautaire, à rebours des engagements pris par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle de 2017.

Dans ce contexte, votre rapporteur Henri Cabanel insiste sur la nécessité de mettre en place une politique de traçabilité , de manière à ce que les consommateurs soient informés des conditions de production des produits alimentaires, faute de quoi, l'agriculture française serait lourdement pénalisée et les consommateurs lésés.

Votre rapporteur Laurent Duplomb souligne que pour le moment, les scientifiques indiquent qu'il n'existe pas de produit capable de remplacer le glyphosate pour désherber , ce qu'a indiqué l'INRA dans ses récentes communications, notamment lors de l'audition à l'Assemblée nationale de son président-directeur général le 22 novembre 2017.

En France, 8 000 tonnes de glyphosate sont utilisées chaque année. Les agriculteurs imaginent mal comment se passer de ce produit, faute d'alternatives disponibles. Une étude auprès des agriculteurs permet de chiffrer à environ 2 milliards d'euros, dans le secteur des productions céréalières et de la viticulture, le coût de l'abandon du glyphosate, sous forme de coûts supplémentaires ou de perte de rendement. L'interdiction pourrait aussi inciter les agriculteurs à utiliser d'autres produits, pouvant d'ailleurs être plus nocifs. Le délai de trois ans pour disposer d'alternatives paraît extrêmement court, et probablement intenable.

Au final, le débat sur le glyphosate revêt une forte charge symbolique, et révèle une certaine défiance vis-à-vis de l'agriculture . De leur côté, les agriculteurs, conscients de la nécessité de faire évoluer les modèles de production, ne souhaitent pas se retrouver dans des impasses techniques.

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