EXAMEN DES ARTICLES
TITRE IER - PRENDRE EN COMPTE LES SPECIFICITÉS DES TERRITOIRES DE MONTAGNE ET RENFORCER LA SOLIDARITÉ NATIONALE EN LEUR FAVEUR
CHAPITRE IER - REDÉFINIR LES OBJECTIFS DE L'ACTION DE L'ÉTAT EN FAVEUR DES TERRITOIRES DE MONTAGNE

Article 1er (art. 1er de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne) - Principes généraux applicables aux zones de montagne

De visée programmatique , l'article 1 er du projet de loi tend à redéfinir les objectifs généraux de la politique nationale conduite en faveur de la montagne.

Il complète l'article 1 er de la loi du 9 janvier 1985 28 ( * ) .

1. Les objectifs fixés par la loi du 9 janvier 1985

Dès 1985, le législateur a souhaité « poser le principe de la reconnaissance par la Nation de la singularité de la situation de la montagne qui implique la mise en oeuvre d'une politique spécifique par l'État, les établissements publics, les collectivités locales et leurs groupements » 29 ( * ) .

L'article 1 er de la loi « montagne » du 9 janvier 1985 fixe ainsi un principe général selon lequel le « développement équitable et durable » des zones de montagne « constitue un objectif d'intérêt national en raison de leur rôle économique, social, environnemental, paysager, sanitaire et culturel » .

Cette notion de « développement équitable et durable » de la montagne répond à deux logiques complémentaires : « une dynamique de progrès (...) qui doit permettre à ces territoires d'accéder à des niveaux et conditions de vie comparables à ceux des autres régions » , d'une part, et une évolution « sans rupture brutale » avec le passé et les traditions, d'autre part.

Ce principe général est également décliné de manière plus concrète par l'article 1 er de loi « montagne » , l'État et les collectivités publiques apportant leur concours pour :

- faciliter l'exercice de « nouvelles responsabilités par les collectivités et les organisations montagnardes » ;

- engager l'économie de la montagne dans des politiques de qualité, de maîtrise de filière, de développement de la valeur ajoutée et de diversification ;

- participer à la protection des espaces naturels et promouvoir le patrimoine culturel ainsi que la réhabilitation du bâti existant ;

- assurer une meilleure maîtrise de la gestion et de l'utilisation de l'espace montagnard 30 ( * ) ;

- « réévaluer le niveau des services en montagne, assurer leur pérennité et leur proximité par une généralisation de la contractualisation des obligations » .

Notre ancien collègue Jean Faure, rapporteur de la commission des affaires économiques et du plan du Sénat en 1985, soulignait la « nature intentionnelle » de ces dispositions mais espérait qu'elles incitent les autorités gouvernementales à « exécuter les objectifs formulés (...), notamment par une adaptation en tant que de besoin des dispositions règlementaires et dans la programmation des investissements publics » 31 ( * ) .

2. Le renouvellement des objectifs de la loi du 9 janvier 1985

L'article 1 er propose de compléter les objectifs de la loi du 9 janvier 1985 en modifiant tant le principe général de « développement équitable et durable » de la montagne que ses déclinaisons concrètes.

Trois éléments sont tout d'abord ajoutés à la définition du « développement équitable et durable » :

a) la précision selon laquelle « la montagne est source d'aménités patrimoniales, environnementales, économiques et sociétales » . D'après Mmes Bernadette Laclais et Annie Genevard, rapporteurs de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, il s'agit de « reconnaître les capacités contributives importantes de la montagne à la richesse matérielle et immatérielle de la Nation et non plus uniquement, comme le faisait la loi du 9 janvier 1985, de considérer les handicaps auxquels font face les territoires de montagne » 32 ( * ) ;

b) la notion « d'autodéveloppement » , présente dans la version initiale de la loi du 9 janvier 1985 mais supprimée par la loi du 23 février 2005 33 ( * ) ;

c) la prise en compte du changement climatique et de la biodiversité .

Le présent article rappelle, en outre, l'objectif pour l'État et les collectivités territoriales de mettre en oeuvre des politiques publiques « articulées au sein d'une politique nationale répondant aux spécificités du développement équitable et durable de la montagne » et « tenant compte des enjeux transfrontaliers » . À l'initiative de son rapporteur pour avis, votre commission propose de mentionner, outre l'État et les collectivités territoriales, les groupements des collectivités territoriales qui, dans le cadre de leurs compétences, participent également à cet objectif ( amendement COM-268 ).

De même, l'article 1 er précise les missions de l'État. Ces missions peuvent être classées en trois domaines : l'organisation institutionnelle, l'économie et les services, la protection des ressources naturelles.


L'organisation institutionnelle

S'agissant de l'organisation institutionnelle, l'action de l'État devrait avoir pour finalité de faciliter l'exercice de nouvelles responsabilités par les « institutions spécifiques de la montagne » dans la définition et la mise oeuvre de la politique de la montagne et des politiques de massifs (1° du présent article). Cet ajout fait notamment référence au conseil national de la montagne et aux comités de massif 34 ( * ) .

L'État devrait également « veiller, dans l'organisation institutionnelle de la République, à ce que le principe d'égalité démographique puisse être adapté pour assurer une représentation équitable des territoires de montagne » (1° bis ).

Cette disposition est issue de trois amendements identiques de MM. Saddier, Tardy et Wauquiez (groupe Les Républicains), adoptés en séance publique contre l'avis de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Gouvernement.

Nos collègues députés ont souhaité adapter les modalités de représentation des territoires de montagne , notamment dans les assemblées délibérantes. En séance, M. Martial Saddier a évoqué le cas de Chamonix, « probablement une des stations les plus prestigieuses (mais qui) ne pèserait que 10 % dans la prise de décision finale au sein de la communauté de communes » 35 ( * ) .

Le principe constitutionnel d`égalité devant le suffrage

Conformément au principe d'égalité devant le suffrage, les représentants sont « élus sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l'égalité devant le suffrage » 36 ( * ) .

Ce principe n'implique pas, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, une proportionnalité absolue entre la population représentée et la répartition des sièges : des motifs d'intérêt général permettent de s'écarter de la proportionnalité intégrale.

Une limite a toutefois été fixée par la jurisprudence : l'écart maximal de représentation par rapport à la population moyenne représentée toléré par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État s'élève à 20 % . S'agissant des conseillers territoriaux, le Conseil constitutionnel a ainsi estimé que « toutes les régions dans lesquelles le ratio (de représentation) d'un département s'écartait de la moyenne régionale de plus de 20 % méconnaissaient le principe d'égalité devant le suffrage » 37 ( * ) . Des dérogations à ce principe existent mais sont peu fréquentes , le Conseil constitutionnel ayant par exemple accepté, au regard de motifs géographiques, un écart de plus de 20 % pour l'élection des sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin 38 ( * ) .

Le 3 février 2015, le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle de MM. les présidents Gérard Larcher et Philippe Bas visant à assouplir l'appréciation de ce principe d'égalité devant le suffrage. Il s'agissait de préciser, à l'article 72 de la Constitution, que « les territoires d'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et de leurs groupements sont représentés équitablement dans le respect de l'égalité devant le suffrage » et de fixer l'écart maximal de représentation par rapport à la population moyenne représentée à 33 % et non à 20 % 39 ( * ) . À ce stade, ce texte n'a pas encore été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Si les modalités d'application du principe d'égalité démographique soulèvent des difficultés, ce débat doit avoir lieu dans le cadre d'un projet ou d'une proposition de loi de nature constitutionnelle.

Suivant son rapporteur pour avis, votre commission propose ainsi de supprimer cette disposition et de lui substituer un objectif plus souple de prise en compte par l'État des disparités démographiques et de la diversité des territoires (amendement COM-269) .


L'économie

L'article 1 er du présent projet de loi fixe également de nouveaux objectifs à la politique économique menée en montagne.

Il mentionne ainsi :

- le soutien aux industries liées à la montagne ou présentes en montagne et la formation de « grappes » d'entreprises (2°) ;

- les aides spécifiques aux zones de montagne, dispositifs « permettant une compensation économique de leurs handicaps naturels, assurant le dynamisme de l'agriculture et garantissant un développement équilibré de ces territoires » (2° bis ) ;

- le développement d'un tourisme orienté vers la mise en valeur des richesses patrimoniales des territoires de montagne (2° ter ) ;

- l'encouragement aux innovations techniques, économiques, institutionnelles, sociales et sociétales (8°).

Concernant les services , le projet de loi étend l'objectif de pérennité et de proximité des services publics à l'ensemble des « services au public » . Il s'agit, selon notre collègue député André Chassaigne (groupe Gauche, démocrate et républicaine), de prendre en compte les « services de proximité nécessaires au quotidien - professions libérales, artisanat, commerce » 40 ( * ) (7°).

Les objectifs de qualité et d' accessibilité des services publics et des services au public en montagne sont également ajoutés ainsi que la prise en compte, « notamment en matière d'organisation scolaire et d'offre de soins, des temps de parcours et des spécificités géographiques, démographiques et saisonnières des territoires de montagne » .

Le présent article fixe, enfin, un objectif de soutien à la transition numérique des territoires de montagne (8° bis ).


La protection des ressources naturelles

Les objectifs de l'État concernant la protection des ressources naturelles seraient renforcés.

L'État devrait « prendre en compte et anticiper les effets du changement climatique en soutenant l'adaptation de l'ensemble des activités économiques à ses conséquences, notamment dans les domaines agricole, forestier et touristique » (1° ter du présent article).

De même, l'usage partagé de l'eau (3° bis ), la gestion durable des forêts (3° ter ) et les travaux de recherche et d'observation portant sur les territoires de montagne (9°) devraient être encouragés.

À l'initiative de son rapporteur pour avis, votre commission propose d' ajouter un objectif d'évaluation et de prévention des risques naturels prévisibles (amendement COM-270) .

Ces risques représentent, en effet, un enjeu fondamental pour les zones de montagne (avalanches, glissements de terrain, chutes de pierres, coulées de boues, etc .).

292 communes sont par exemple concernées par les risques d'avalanche 41 ( * ) et chacun garde en mémoire des catastrophes naturelles qui se sont déroulées en montagne (l'avalanche à Val-d'Isère le 10 février 1970, les inondations dans les Pyrénées en juin 2013, le glissement de terrain à proximité du tunnel du Chambon en avril 2015, etc .).

L'évaluation et la prévention des risques naturels nécessitent, enfin, une expertise particulière - qui est notamment détenue par le service « restauration des terrains en montagne » (RTM) de l'Office national des forêts (ONF) - et qu'il convient de préserver.

Sous réserve de l'adoption de ses amendements , votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 1 er .

Article 2 (art. 2 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne) - Promotion à l'international du développement équitable et durable de la montagne

De nombreux traités ou accords internationaux ont un impact sur les zones de montagne , à l'instar de la convention sur la protection des Alpes conclue le 7 novembre 1991 et ratifiée par la France le 6 décembre 1995 42 ( * ) . Il est également rappelé que quatre des six massifs métropolitains se situent sur une zone transfrontalière.

L'article 2 du projet de loi tend à préciser les modalités d'exercice de l'action extérieure de l'État, des collectivités territoriales situées en zone de montagne et de leurs groupements. Il propose d'adapter le régime prévu par la loi « montagne » du 9 janvier 1985 43 ( * ) .

1. Le régime en vigueur

1.1. L'action extérieure de l'État

L'article 2 de la loi « montagne » précitée fixe au Gouvernement un objectif de promotion « auprès de l'Union européenne et des instances internationales compétentes (de) la reconnaissance du développement durable de la montagne comme un enjeu majeur » .

Pour remplir cet objectif, l'exécutif peut associer les « organisations représentatives de la montagne » , notion qui correspond, en pratique, aux comités de massif et au Conseil national de la montagne 44 ( * ) .

Le Gouvernement doit également veiller à la prise en compte des objectifs de la loi « montagne » par les politiques de l'Union européenne, « notamment en matière d'agriculture, de développement rural et de cohésion économique et sociale ». Cette action s'inscrit dans la logique de l'article 174 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui prévoit la mise en oeuvre d'une politique de cohésion dans les « régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions (...) de montagne ».

1.2. L'action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements

Le rôle des collectivités territoriales et de leurs groupements n'est pas explicité au sein de l'actuel article 2 de la loi « montagne » .

Pourtant, force est de constater que la coopération décentralisée s'est développée en montagne sur la base du régime de droit commun prévu par les articles L. 1115-1 à L. 1115-7 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

À titre d'exemple, un groupement européen de coopération territoriale (GECT) a été créé en 1987 pour réunir le parc national du Mercantour (France) et le parconaturale delle AlpiMarittime (Italie).

Le régime général de la coopération décentralisée

Le CGCT permet aux collectivités territoriales et à leurs groupements de « mettre en oeuvre ou (de) soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire » (article L. 1115-1).

Il prévoit, pour ce faire, trois outils de coopération :

- les conventions conclues avec les autorités locales étrangères (article L. 1115-1 précité) ;

- l'adhésion à un organisme public de droit étranger ou la participation au capital d'une personne morale de droit étranger 45 ( * ) (article L. 1115-4) ;

- la création d'un groupement local de coopération transfrontalière (GLCT, article L. 1115-4-1) ou d'un groupement européen de coopération territoriale (GECT, article L.1115-4-2) 46 ( * ) . C'est uniquement à cette occasion que les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent conclure une convention avec un État étranger (article L. 1115-5).

La commission nationale de la coopération décentralisée est chargée « d'établir et de tenir à jour un état de l'action extérieure des collectivités territoriales » (article L. 1115-6). D'après le ministère des affaires étrangères et du développement international, 12 800 projets de coopération sont actuellement conduits par près de 5 000 collectivités territoriales et groupements français, sans qu'il soit possible « d'isoler » les actions propres à la montagne.

2. La clarification de l'action extérieure des autorités publiques en faveur des zones de montagne

Le présent article vise à conforter le rôle des collectivités territoriales et de leurs groupements en les insérant dans le dispositif de l'article 2 de la loi « montagne » précitée 47 ( * ) .

Il mentionne, en outre, le Conseil national de la montagne et les comités de massif comme des acteurs éventuels de la coopération extérieure et supprime la notion générique « d'organisations représentatives de la montagne ».

Par rapport au droit en vigueur, l'article 2 précise également que l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements veillent à la prise en compte des objectifs de la loi « montagne » dans « les accords et les conventions, internationaux ou transfrontaliers, auxquels ils sont partie » .

S'agissant de cette dernière disposition, il convient de distinguer :

- l'État, qui peut conclure tout type d'accord ou de convention ;

- les collectivités territoriales, qui peuvent principalement contracter avec des collectivités territoriales étrangères. Leur capacité de contractualisation avec un État tiers resterait limitée à la création d'un groupement local de coopération transfrontalière ou d'un groupement européen de coopération territoriale (Cf. supra) .

Sous réserve de l'adoption de son amendement de précision COM-271 , votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 2.

Article 3 (art. 8 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne) - Principe d'adaptation des politiques publiques aux spécificités de la montagne

L'article 3 du projet de loi vise à préciser le principe d'adaptation des « dispositions de portée générale » aux spécificités des zones montagneuses.

Issu de l'article 8 de la loi « montagne » du 9 janvier 1985 48 ( * ) , ce principe permet d'adapter, « en tant que de besoin, (...) des dispositions de portée générale à la spécificité de la montagne » . Il prévoit, en outre, la possibilité d'adapter « à la situation particulière de chaque massif ou partie de massif » les dispositions relatives au développement économique, social et culturel et à la protection de la montagne.

D'après notre ancien collègue Jean Faure, rapporteur de la commission des affaires économiques et du plan du Sénat en 1985, l'article 8 de la loi « montagne » vise principalement à inciter le Gouvernement à adapter les dispositions règlementaires relatives à la montagne 49 ( * ) .

Dans leur rapport au Premier ministre de juillet 2015, Mmes Bernadette Laclais et Annie Genevard ont toutefois souligné que cette possibilité d'adaptation n'a jamais été mise en oeuvre , « faute de publication de décret ou faute de volonté politique qui auraient permis et facilité la mise en place des outils les plus innovants » .

Dès lors, nos collègues députées ont proposé de redéfinir les conditions de modulation des normes en montagne et ont donné des exemples concrets d'application comme le renforcement des charpentes pour résister à la charge de neige ou la meilleure isolation des ouvrants et des parois pour lutter contre les températures négatives 50 ( * ) .

L'objectif de l'article 3 est de rendre ce principe d'adaptation des normes plus opérationnel en :

a) mentionnant l'adaptation des dispositions de portée générale
- comme en l'état actuel du droit - mais également des politiques publiques et des mesures prises pour leur application ;

b) dressant une liste non exhaustive de quatorze domaines potentiellement concernés 51 ( * ) ;

c) précisant que l'adaptation peut, le cas échéant, faire l'objet d'une expérimentation .

À ce stade, il est difficile de déterminer si ces modifications faciliteront réellement la mise en oeuvre de l'article 8 de la loi « montagne » . Ce dernier offre, en effet, un outil aux producteurs de normes (Gouvernement, législateur, collectivités territoriales, etc .) mais son utilisation reste facultative.

En toute hypothèse, le recours au principe d'adaptation des normes devra respecter les exigences constitutionnelles : conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel 52 ( * ) et du Conseil d'État 53 ( * ) , toute différence de traitement entre les résidents des territoires de montagne et les autres citoyens doit être justifiée par une différence de situation et des motifs d'intérêt général suffisants.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 3.

Article 3 bis A - Prise en compte de la montagne par la dotation globale de fonctionnement (DGF)

L'article 3 bis A du projet de loi a été introduit en première lecture par l'Assemblée nationale. Il dispose que, « dans son principe » , la dotation globale de fonctionnement (DGF) doit intègrer les spécificités des zones de montagne , ce qui correspond concrètement :

- aux « surcoûts spécifiques induits par des conditions climatiques et géophysiques particulières » ;

- et aux services, « notamment écologiques et environnementaux, que la montagne produit au profit de la collectivité nationale » .

Cet article est issu de l'adoption en séance publique de quatre amendements identiques de nos collègues députés Marie-Noël Battistel, Janine Dubié, Martial Saddier et Laurent Wauquiez, sous-amendés par Mmes Bernadette Laclais et Annie Genevard, rapporteurs de la commission des affaires économiques 54 ( * ) , et ayant reçu un avis favorable du Gouvernement.

Principal concours financier de l'État aux collectivités territoriales, la DGF représente environ 33 milliards d'euros (dont 4,4 milliards pour les régions, 9,6 milliards pour les départements, 12,4 milliards pour les communes et 6,6 milliards pour les intercommunalités) 55 ( * ) .

La DGF prend d'ores et déjà en compte certaines caractéristiques du milieu montagnard. À titre d'exemple, la part forfaitaire de la dotation du bloc communal comprend une « dotation de superficie » - environ 225 millions d'euros - qui s'établit à 5,37 euros par hectare pour les communes de montagne, contre 3,22 euros par hectare pour le reste du bloc communal. De même, la longueur de voirie prise en compte dans le calcul de la dotation de solidarité rurale (autre composante de la DGF) est doublée pour les communes de montagne.

Selon deux rapports récents, les spécificités de la montagne ne sont toutefois pas suffisamment prises en compte dans la répartition de la DGF.

En premier lieu, Mme la députée Christine Pires Beaune et notre regretté collègue Jean Germain ont indiqué que « la majoration de la dotation de superficie pour les communes de montagne (...) ne suffit pas à embrasser l'ensemble des charges de ruralité , d'autant que les montants totaux qui y sont consacrés sont limités au regard des autres composantes de la DGF » 56 ( * ) .

En second lieu, Mmes Bernadette Laclais et Annie Genevard ont proposé dans leur rapport sur l'acte II de la loi « montagne » d' intégrer deux nouveaux critères dans la dotation globale de fonctionnement :

- un critère concernant l'altitude à laquelle les communes se situent ;

- un critère permettant de « prendre en compte la production de services environnementaux par les territoires de montagne » . Ce critère « reconnaîtrait les efforts consentis par les collectivités (territoriales) qui adoptent des mesures réelles de protection, de gestion durable, ou de reconstitution (...). Il s'agirait donc d'une péréquation entre des collectivités qui font des efforts pour entretenir la biodiversité et des collectivités dont la population bénéficie des efforts accomplis par d'autres » 57 ( * ) .

L'article 3 bis A fixe ainsi un principe de prise en compte des spécificités de la montagne dans la répartition de la DGF. Il s'agit principalement d' une disposition « d'appel » visant à préparer - sans la contraindre - la réforme de cette dotation prévue pour 2018.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 3 bis A.

Article 3 bis - Prise en compte des spécificités de la Corse

L'article 3 bis vise à reconnaître les spécificités de la Corse et notamment son caractère « d'île-montagne » . Il est issu d'un amendement de M. François Pupponi et de plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain, adopté par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale avec un avis favorable des rapporteurs et du Gouvernement.

D'après notre collègue député Camille de Rocca Serra, il s'agit de prendre en compte « les cumuls de contraintes auxquelles est confronté cet archipel de montagne dans la mer (...) qu'est la Corse, le cloisonnement, la difficulté de créer une économie, la faible densité démographique et, conséquemment, un marché intérieur très faible » 58 ( * ) .

L'article 3 bis met en exergue les spécificités de la Corse, territoire qui comprend à la fois 800 kilomètres de côtes et 120 sommets de plus de 2 000 mètres 59 ( * ) . La Corse est ainsi qualifiée de « territoire montagneux et insulaire présentant le caractère d'île-montagne, par suite soumis à un cumul de contraintes » .

Les spécificités du territoire corse devraient « être prises en considération, conformément aux stipulations de l'article 174 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » 60 ( * ) .

Le présent article précise, enfin, que l'État et la collectivité territoriale de Corse doivent « veiller à la prise en compte, par les politiques publiques, des objectifs mentionnés à l'article 8 de la loi (...) montagne » . Il s'agit ainsi d'encourager l'adaptation des différentes politiques publiques aux spécificités des zones de montagne corses.

Le terme « d'objectifs » paraît toutefois maladroit . En effet, l'article 8 de la loi « montagne » ne mentionne pas des objectifs en tant que tels mais un principe d'adaptation des normes aux particularités de la montagne 61 ( * ) . Votre commission a adopté l'amendement COM-272 pour clarifier ce point : la notion de « mise en oeuvre » de l'article 8 précité a été préférée à celle « d'objectifs » .

Enfin, votre rapporteur pour avis s'interroge sur la portée concrète du présent article 3 bis : il paraît avant tout programmatique et ne semble pas emporter de conséquence concrète pour la Corse.

Sous réserve de l'adoption de son amendement , votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 3 bis .

Article 3 ter (art. 4 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne) - Application outre-mer de la loi « montagne »

L'article 3 ter vise à prendre compte les spécificités des zones montagneuses des régions et départements d'outre-mer « dans l'adaptation des dispositions de portée générale, des politiques publiques et de leurs mesures d'application » .

Il est issu d'un amendement de Mmes Bernadette Laclais et Annie Genevard, rapporteurs de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, adopté en séance publique avec un avis de sagesse du Gouvernement.

Il s'agit, selon les rapporteurs, de « prendre en compte les Hauts de La Réunion, les massifs de Guadeloupe et de la Martinique dont le caractère insulaire et fortement montagnard les met eux aussi en situation de cumul de contraintes » 62 ( * ) .

Votre rapporteur pour avis rappelle toutefois que ces territoires sont d'ores et déjà inclus dans le périmètre de la loi « montagne » du 9 janvier 1985 et que le principe d'adaptation des normes 63 ( * ) trouve à s'y appliquer.

L'article 4 de la loi « montagne » dispose, en effet, que les zones de montagne comprennent :

- à La Réunion, les zones situées à une altitude supérieure à 500 mètres ainsi que celles dont l'altitude est comprise entre 101 et 499 mètres mais dont « la majeure partie du territoire présente des pentes de 15 % au moins » ;

- en Guadeloupe et en Martinique, les zones situées à une altitude supérieure à 350 mètres ainsi que celles dont l'altitude est comprise entre 101 et 349 mètres mais dont « la majeure partie du territoire présente des pentes de 15 % au moins » .

Constatant le caractère superfétatoire de l'article 3 ter tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, votre commission en propose une nouvelle rédaction afin de réellement prendre en compte les spécificités des territoires ultramarins.

En effet, en l'état du droit, Mayotte, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ne sont pas considérés comme des zones de montagne au sens de l'article 4 de la loi du 9 janvier 1985 alors que leur relief présente certaines spécificités. À titre d'exemple, Saint-Martin compte de nombreux petits monts - désignés sous le vocable de « mornes » - dont le pic Paradis (424 mètres d'altitude) et le mont Careta (401 mètres).

Depuis l'ordonnance n° 2016-391 du 31 mars 2016, le code rural et de la pêche maritime qualifie les terrains de Mayotte (article L. 181-6) et de Saint-Martin (article L. 183-6) dont la pente est supérieure à 15 % de zones de montagne mais uniquement en ce qui concerne les politiques agricoles 64 ( * ) .

Par conséquent, le code rural et de la pêche maritime ne met que partiellement en oeuvre la loi « montagne » à Mayotte et à Saint-Martin. D'après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, ce régime « asymétrique » s'avère peu lisible et particulièrement complexe à appliquer sur le terrain.

Dès lors, il semble préférable d'appliquer l'ensemble des principes de la loi « montagne » aux terrains de Mayotte et de Saint-Martin , ce qui permettrait de mieux prendre en compte les spécificités de ces territoires ultramarins. Il est également proposé d'étendre la loi « montagne » à Saint-Barthélemy , île dont le point culminant est le morne de Vitet situé à 286 mètres d'altitude.

Pour mémoire, Saint-Barthélemy et Saint-Martin bénéficiaient des dispositions de la loi « montagne » jusqu'en juillet 2007 65 ( * ) . L'amendement proposé par votre commission permet ainsi de revenir à l'état antérieur du droit et de remédier à une erreur de coordination en ce qui concerne ces deux collectivités d'outre-mer.

Application de la loi « montagne » en outre-mer

État du droit et PJL transmis au Sénat

Amendement de votre commission

La Réunion

Communes situées à une altitude supérieure à 500 mètres

Communes dont l'altitude est comprise entre 101 et 499 mètres et dont la majeure partie du territoire présente des pentes de 15 % au moins

Guadeloupe et Martinique

Communes situées à une altitude supérieure à 350 mètres

Communes dont l'altitude est comprise entre 101 et 349 mètres et dont la majeure partie du territoire présente des pentes de 15 % au moins

Mayotte et Saint-Martin

Communes dont la majeure partie du territoire présente des pentes de 15 % au moins (mais uniquement pour la politique agricole)

Communes dont la majeure partie du territoire présente des pentes de 15 % au moins

Saint-Barthélemy

Aucune application

Source : commission des lois du Sénat.

Cette extension du zonage « montagne » permettrait de mieux prendre en compte les spécificités de ces territoires .

Sous réserve de l'adoption de son amendement COM-273, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 3 ter .


* 28 Loi n° 85-30 relative au développement et à la protection de la montagne.

* 29 Rapport n° 40 (1984-1985) fait par M. Jean Faure au nom de la commission des affaires économiques et du plan du Sénat et relatif au projet de loi sur le développement et la protection de la montagne, p. 47. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/1984-1985/i1984_1985_0040_01.pdf.

* 30 Disposition qui renvoie principalement aux politiques foncières menées en zone de montagne.

* 31 Rapport n° 40 (1984-1985) précité, p. 47.

* 32 Rapport n° 4067 fait au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, p. 54. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r4067.pdf.

* 33 Loi n° 2005-157 relative au développement des territoires ruraux. Les raisons ayant justifié la suppression de cette notion en 2005 n'ont pas été précisées lors du débat législatif. Votre rapporteur pour avis n'exclut pas qu'il s'agisse d'une erreur matérielle.

* 34 Cf. les commentaires des articles 5 et 6 du présent projet de loi pour plus de précisions.

* 35 Compte rendu intégral de l'Assemblée nationale, première séance du lundi 10 octobre 2016.

* 36 Conseil constitutionnel, 8 août 1985, Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie , décision n° 85-196 DC.

* 37 Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010, p. 20 (www.conseil-constitutionnel.fr).

* 38 Conseil constitutionnel, 8 janvier 2009, Loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés , décision n° 2008-573 DC.

* 39 Cf. le rapport n° 254 (2014-2015) fait sur cette proposition de loi constitutionnelle par notre collègue Hugues Portelli au nom de la commission des lois du Sénat. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l14-254/l14-2541.pdf.

* 40 Compte rendu intégral de l'Assemblée nationale, première séance du lundi 10 octobre 2016.

* 41 Source : Club alpin français.

* 42 Loi n° 95-1270 autorisant la ratification de la convention sur la protection des Alpes. Composée de quatorze articles, cette convention vise, « dans le respect des principes de précaution, du pollueur-payeur et de coopération, (à assurer) une politique globale de préservation et de protection des Alpes » .

* 43 Loi n° 85-30 relative au développement et à la protection de la montagne.

* 44 Cf. le commentaire des articles 5 et 6 pour plus de précisions sur ces institutions.

* 45 Le montant de cette participation ne pouvant être supérieur à 50 % du capital de la personne morale concernée.

* 46 Les GLCT et les GECT sont des structures comparables. Toutefois, à la différence des GLCT, les GECT bénéficient d'un régime unifié à l'échelle européenne et peuvent accueillir des États comme membres.

* 47 Article qui ne concerne, aujourd'hui, que l'action du Gouvernement (Cf. supra) .

* 48 Loi n° 85-30 relative au développement et à la protection de la montagne.

* 49 Rapport n° 40 (1984-1985) fait par M. Jean Faure au nom de la commission des affaires économiques et du plan du Sénat et relatif au projet de loi sur le développement et la protection de la montagne, p. 57. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/1984-1985/i1984_1985_0040_01.pdf.

* 50 « Un acte II de la loi montagne pour un pacte renouvelé de la nation avec les territoires de montagne » , rapport au Premier ministre, 27 juillet 2015, p. 20, 24 et 25

(www.ladocumentationfrancaise.fr).

* 51 Soit le numérique, la téléphonie mobile, la construction, l'urbanisme, l'éducation, l'apprentissage, la formation professionnelle, la santé, les transports, le développement économique, social et culturel, le développement touristique, l'agriculture, l'environnement et la protection de la montagne.

* 52 Conseil constitutionnel, 7 janvier 1988, Mutualisation de la caisse nationale de crédit agricole , décision n° 87-732 DC.

* 53 Conseil d'État, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques , n° 88032 et n° 88148.

* 54 Ce sous-amendement a consisté à ajouter l'expression « dans son principe » (Cf. supra) .

* 55 Source : article 14 du projet de loi de finances pour 2017.

* 56 « Pour une dotation globale de fonctionnement équitable et transparente : osons la réforme » , rapport au Premier ministre, 15 juillet 2015, p. 65

(http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000507.pdf).

* 57 « Un acte II de la loi montagne : pour un pacte renouvelé de la nation avec les territoires de montagne » , rapport au Premier ministre, 27 juillet 2015, p. 72-73.

(www.ladocumentationfrancaise.fr).

* 58 Compte rendu intégral de l'Assemblée nationale, deuxième séance publique du lundi 10 octobre 2016.

* 59 Source : objet de l'amendement de M. François Pupponi adopté par l'Assemblée nationale.

* 60 Pour mémoire, cet article du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne fixe les objectifs de la politique de cohésion, politique qui vise à « promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de l'Union » .

* 61 Cf. le commentaire de l'article 3 pour plus de précisions.

* 62 Compte rendu intégral de l'Assemblée nationale, deuxième séance du lundi 10 octobre 2016.

* 63 Principe prévu par l'article 8 de la loi « montagne » . Cf. le commentaire de l'article 3 du présent projet de loi pour plus de précisions.

* 64 Aucun critère n'étant fixé en matière d'altitude par le code rural et de la pêche maritime.

* 65 Ces territoires faisaient alors partie de la Guadeloupe, avant de devenir des collectivités d'outre-mer à part entière le 21 février 2007.

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