III. UNE NOUVELLE RÉFORME INCOMPLÈTE DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE
En assurant au justiciable qu'en dépit de l'insuffisance de ses moyens un avocat pourra le défendre, l'aide juridictionnelle (AJ) conforte l'une des exigences premières de l'État de droit : la garantie que tout citoyen pourra voir sa cause entendue par un juge indépendant et impartial, dans le cadre d'un procès équitable.
Elle constitue l'aboutissement d'une évolution 12 ( * ) qui trouve ses racines dans la révolution française et, plus particulièrement, dans la loi des 16 et 24 août 1790 qui, en supprimant les charges de magistrats, a permis aux plaideurs de ne plus avoir à payer les juges saisis de leur litige.
La loi du 22 janvier 1851 sur l'assistance judiciaire constitue une seconde étape importante de cette évolution, puisqu'elle emporte reconnaissance par la loi de l'aide gracieuse que certains professionnels du droit apportaient aux justiciables indigents.
La troisième étape fut celle de la loi du 3 janvier 1972 instituant l'aide judiciaire qui a consacré, dans son article 19, le principe selon lequel l'indemnité due à l'avocat chargé de prêter son concours doit être prise en charge par l'État, ainsi que, dans son article 23, l'obligation faite aux avocats ou aux officiers publics ou ministériels désignés par le bâtonnier ou le président de leur ordre, de prêter leur concours au justiciable qui le requiert au titre de l'aide judiciaire. Elle fut complétée par la loi du 31 décembre 1982 relative à l'aide judiciaire, à l'indemnisation des commissions et désignations d'office en matière pénale et en matière civile et à la postulation dans la région parisienne , qui a fixé le régime des avocats commis d'office dans le cadre des procédures pénales.
La dernière étape de cette histoire est celle ouverte par la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique qui distingué l'aide juridictionnelle proprement dite, qui ne concerne que les procédures juridictionnelles ou celles relatives à une transaction judiciaire, l'aide à l'intervention de l'avocat, qui porte sur différentes interventions dans le cadre de procédures pénales ou administratives non juridictionnelles (historiquement, la garde à vue ainsi que, aujourd'hui, l'audition libre) et, enfin, l'aide à l'accès au droit.
Depuis plusieurs années déjà, de nombreux rapports ont dressé le constat que le dispositif d'aide juridictionnelle était à bout de souffle et qu'il était nécessaire, pour le relancer, d'engager une réforme d'ampleur 13 ( * ) .
L'an passé, le Gouvernement a proposé un premier dispositif allant dans ce sens, qui combinait certaines mesures d'économies avec la création de ressources supplémentaires, à hauteur de 43 millions d'euros, ce qui représente un peu plus de 11 % de la dépense d'aide juridictionnelle totale, laquelle s'élevait, en 2015, à 375,3 millions d'euros, dotation budgétaire et recettes nouvelles confondues.
Les recettes supplémentaires pour l'aide
juridictionnelle
La précédente loi de finances a prévu trois recettes différentes pour l'aide juridictionnelle : - une augmentation de la taxe forfaitaire sur les actes d'huissiers de justice. Initialement fixée à 9 euros 15, elle est passée à 11 euros 60, soit une augmentation de 22 %. Cette taxe est acquittée par l'huissier, pour le compte de son client (article 302 bis Y du code général des impôts). Son rendement attendu était de 11 millions d'euros ; - le presque doublement (+ 41% en moyenne) des droits fixes de procédure dus par chaque condamné à une instance pénale. Ces droits variaient de 22 euros à 375 euros, selon l'importance de l'instance. Ils s'échelonnent, après augmentation, de 31 à 527 euros, pour un rendement escompté de 7 millions d'euros ; - une augmentation de 2,6 points de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance de protection juridique, dont le taux est passé de 9 % à 11,6 %. Le produit attendu serait de 25 millions d'euros. Le produit de l'ensemble de ces taxes (43 millions d'euros) est directement reversé au conseil national des barreaux, comme l'était la contribution pour l'aide juridique (« le timbre de 35 euros ») supprimée par la loi de finances pour 2014. |
Cette année, le Gouvernement a proposé, à l'article 15 du projet de loi de finances, une réforme plus ambitieuse, qui porte, à la fois, sur une refonte partielle des dépenses d'aide juridictionnelle et sur la création de nouvelles recettes ou l'augmentation de recettes déjà existantes.
A. LE PROJET INITIAL DU GOUVERNEMENT
La refonte du dispositif d'aide juridictionnelle s'organisait, s'agissant de la dépense, autour de deux types de mesures.
Les premières concernaient la rétribution de l'avocat.
Le Gouvernement a tout d'abord proposé une revalorisation de l'unité de valeur, qui aurait été fixée à 24,20 euros, au lieu de 22,50 euros actuellement. Cette revalorisation était toutefois partiellement compensée par une modification du barème des prestations d'aide juridictionnelle, qui revenait, dans les faits, à moins rémunérer certaines prestations courantes et à mieux rémunérer d'autres prestations plus rares. Le bilan, pour les avocats, risquait d'être négatif. Pour éviter ce déséquilibre, le Gouvernement proposait de remplacer la modulation géographique de l'unité de valeur, par une contractualisation entre le président du tribunal de grande instance et les barreaux, afin de leur verser une dotation supplémentaire d'aide juridictionnelle en fonction des besoins et des efforts consentis.
Le second type de dépenses supplémentaires concernait le périmètre de l'aide juridictionnelle, qui était doublement étendu.
En premier lieu, le plafond de l'aide juridictionnelle totale était porté de 941 euros à 1 000 euros, celui de l'aide juridictionnelle partielle étant relevé dans les mêmes proportions. Ceci devait ouvrir le bénéfice de l'aide juridictionnelle à près de 100 000 nouveaux justiciables. En second lieu, les médiations judiciaires devenaient éligibles à l'aide juridictionnelle.
Au total, ces dépenses supplémentaires représentaient 25 millions d'euros en 2016, 50 millions en 2011.
Pour les financer, le Gouvernement proposait, d'une part, d'augmenter deux des trois ressources déjà accrues en 2015 ( cf . encadré) et, d'autre part, de créer une recette supplémentaire.
La première augmentation correspondait à une hausse supplémentaire des assurances de protection juridique (+ 10 millions d'euros en 2016 et + 20 millions d'euros en 2017). La seconde correspondait, quant à elle, à une hausse, dans les mêmes volumes, de la taxe prélevée sur les actes d'huissier.
La nouvelle recette créée devait être une affectation au conseil national des barreaux (CNB) d'une partie des produits financiers perçus par les avocats sur les fonds de leurs clients déposés sur les comptes qu'ils détiennent, à cet effet, auprès des caisses des règlements pécuniaires entre avocats (CARPA) constituées, en principe, auprès de chaque barreau. La ressource escomptée devait être de 5 millions d'euros en 2016 et de 10 millions d'euros en 2017.
* 12 Sur ce point, cf. Yvon Desdevises, entrée « Accès au droit, accès à la justice », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice , PUF, 2004.
* 13 Les deux plus récents sont ceux du groupe de travail de votre commission des lois, présentés par nos collègues Mme Sophie Joissains et M. Jacques Mézard (« Aide juridictionnelle : le temps de la décision », rapport d'information n° 680 (2013-2014), fait au nom de la commission des lois déposé le 2 juillet 2014. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-680-notice.html) et celui commandé par la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, à notre collègue député, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, « Financement et gouvernance de l'aide juridictionnelle. À la croisée des fondamentaux. Analyse et propositions d'aboutissement », septembre 2014.