B. UN FINANCEMENT PUBLIC EN STAGNATION ET DES FINANCEMENTS EXTÉRIEURS EN « PEAU DE CHAGRIN »
1. L'État est incapable d'intensifier son investissement dans l'enseignement supérieur
a) Des annonces grandioses ...
Le secrétaire d'État Thierry Mandon a affirmé tout récemment que « l'État avait les moyens de faire face » aux défis auquel est confronté l'enseignement supérieur français et, évoquant un besoin pouvant atteindre le milliard d'euros, il a même affirmé que ces sommes étaient « tout à fait à la portée de l'État » 17 ( * ) . Il a considéré à cette même occasion que les 165 millions d'euros supplémentaires de 2015-2016 constituaient un « apéritif indispensable ».
La France consacre actuellement 1,49 % de son PIB à des dépenses pour l'enseignement supérieur. C'est un peu moins que la moyenne des pays de l'OCDE (1,59 %) et nettement moins que les États-Unis 2,7 % ou le Canada, 2,8 %. L'objectif du gouvernement est de passer à 2 % du PIB soit 40 milliards d'euros par an. Selon le comité de la StraNES, seul un déploiement de moyens de cet ordre serait d'ailleurs cohérent avec l'augmentation souhaitée du taux de diplômation à 60 % et les évolutions démographiques prévisibles.
Or le financement actuel de l'enseignement supérieur est de l'ordre de 15 milliards d'euros annuels. Ce sont donc 25 milliards d'euros annuels supplémentaires qu'il conviendrait d'investir dans notre système d'enseignement supérieur. Sur dix ans, cela supposerait donc d'augmenter chaque année le budget consacré à l'enseignement supérieur de 2,5 milliards d'euros supplémentaires.
b) ... mais des faits contraires
En total décalage avec les montants évoqués ci-dessus, le gouvernement annonçait initialement pour 2016 65 millions d'euros de mesures nouvelles en faveur de l'enseignement supérieur, qui n'aboutissaient au demeurant pas à une augmentation du budget compte tenu de la fin de certaines mesures budgétées les années précédentes, pour un montant de 107 millions d'euros (par exemple la fin du désamiantage de Jussieu).
À ces 65 millions d'euros, ce sont ajoutés 100 millions d'euros votés par amendement à l'Assemblée nationale afin de répondre à la gronde née de la rentrée universitaire et d'exonérer in extremis les établissements d'une nouvelle ponction sur leurs fonds de roulement, telle qu'elle avait été opérée en 2015. Initialement, le gouvernement avait envisagé de réitérer sa ponction sur les fonds de roulement des établissements en 2016 mais il est revenu sur cette option, trop tardivement toutefois pour pouvoir la prendre en compte dans sa maquette de budget pour 2016. D'où la nécessité de procéder par amendement gouvernemental en cours de débat parlementaire.
Cette ponction de 100 millions d'euros intervenue en avril 2015 et supportée par les établissements qui présentaient plus de 70 jours de fonds de roulement avait contrarié nombre de programmes d'investissement ou de provisionnement. Cette ponction a été un très mauvais signal adressé aux établissements d'enseignement supérieur dans une période où ils font l'apprentissage progressif de l'autonomie ...
La ponction de 100 millions d'euros a été supportée plus lourdement par les grandes écoles qui ont été ponctionnées à hauteur de 24 millions d'euros alors qu'elles ne bénéficient que de 7 % du budget.
L'autonomie financière des universités Le mercredi 30 septembre 2015, la commission des finances du Sénat a examiné un rapport de la Cour des comptes relatif à « L'autonomie financière des universités : une réforme à poursuivre » 18 ( * ) . Ce rapport avait été commandé par la commission des finances à la Cour des comptes dans le cadre de l'article 58-2° de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances. Il s'agissait de réaliser un bilan des mutations engendrées par les nouvelles responsabilités financières des universités suite au vote de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (dite LRU). Les principales conclusions de la Cour des comptes étaient les suivantes : - Les universités françaises sont dans une situation financière globalement satisfaisante : leurs comptes de résultat sont régulièrement excédentaires, leurs fonds de roulement et leurs niveaux de trésorerie excèdent les normes prudentielles communément admises ; on observe toutefois des situations contrastées : certaines universités ont vu leur situation financière se dégrader à la suite du passage aux responsabilités et compétences élargies. - L'autonomie a permis de moderniser la gestion des établissements : ils se sont dotés de nouvelles compétences de pilotage et de contrôle de gestion ; le rôle des présidents d'université a été renforcé. - Politique de ressources humaines : le suivi de la masse salariale s'est professionnalisé mais certains outils offerts aux universités restent peu utilisés (c'est le cas de la différenciation du régime indemnitaire) ; les universités demeurent encore très dépendantes des choix nationaux : mesures décidées au niveau national, pas de maîtrise de la gestion individuelle des carrières, etc. - Politique immobilière : la connaissance du patrimoine immobilier des universités s'est nettement améliorée. - Renouvellement des relations avec l'État : le ministère a tardé à se réorganiser à la nouvelle donne qu'il avait lui-même insufflée puisqu'il ne s'est doté d'outils de veille financière et de prévention des risques qu'en 2012.
Sources :
http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/
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c) Une nouvelle tranche de création de 1 000 emplois
Le gouvernement s'est engagé à créer 5 000 emplois dans l'enseignement supérieur « au service de la réussite des étudiants », principalement dans le premier cycle.
Cet engagement s'est concrétisé en 2015, comme en 2014 et 2013, par l'attribution de 1 000 emplois aux établissements relevant des programmes 150 (pour 980 d'entre eux chaque année) et 142 (pour 20 d'entre eux chaque année).
Votre rapporteur pour avis formule néanmoins deux observations.
D'une part les créations de postes promises n'ont pas toutes été effectives , certains établissements en difficulté financière ayant choisi d'affecter les crédits à d'autres dépenses ; le ministère a lancé une enquête portant sur la période 2013-2015 afin de connaître l'utilisation des postes créés. Seulement 75 % des établissements concernés ont répondu, qui concernent 65 % des 3 000 emplois notifiés sur la période. Cette faiblesse des retours sur une mesure phare votée par le Parlement est difficilement compréhensible. D'après les résultats disponibles, il apparaît que 89 % des emplois notifiés aux établissements ont été mis au recrutement dès la première année. Les recrutements différés représentent donc 11 % des emplois notifiés et s'expliquent selon le ministère par une prise en compte prévisionnelle des titularisations dans le cadre de la loi Sauvadet 19 ( * ) mais aussi par la recherche d'équilibres financiers se traduisant par le gel temporaire des postes correspondants.
Par ailleurs, les objectifs initiaux de ces créations d'emplois semblent s'être éloignés : ils avaient initialement vocation à appuyer « les actions les plus efficaces en faveur de la réussite en premier cycle : orientation, accompagnement des étudiants, innovation pédagogique, développement numérique, maîtrises des langues vivantes et entrepreneuriat étudiant ».
Répartition des emplois créés 2013-2015
Source : Réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis
Pour 2016, après concertation avec les principaux acteurs concernés, le ministère a décidé que les deux tiers (65 %) des emplois créés sur la période 2013-2017 seraient répartis au titre du rééquilibrage des dotations entre établissements. Le tiers des emplois restant à attribuer (35 %) le serait à travers les contrats de sites.
d) Des désengagements en cascade
Outre qu'il n'est pas en capacité d'augmenter ses crédits à l'enseignement supérieur, l'État se désengage du financement d'autres acteurs intermédiaires qui contribuaient pourtant puissamment au financement de l'enseignement supérieur :
- c'est d'abord vrai en ce qui concerne les collectivités territoriales qui ont vu leurs dotations diminuer de 11 milliards d'euros en trois ans !
- mais c'est aussi le cas des chambres de commerce et d'industrie , en particulier pour le réseau des grandes écoles.
2. Les conséquences désastreuses de la réforme de la taxe d'apprentissage pour l'enseignement supérieur
La réforme de la taxe d'apprentissage 20 ( * ) a en effet modifié les méthodes de calcul et le montant attribuable aux établissements de l'enseignement supérieur. Avec 51 % de la taxe brute attribuée aux régions, 26 % aux centres de formation d'apprentis (CFA), la part qui peut être attribuée à l'enseignement supérieur est réduite à 23 %.
Or, les ressources que les universités tiraient de la taxe d'apprentissage étaient loin d'être négligeables.
Montant de taxe d'apprentissage perçu par les universités (2012-2015) (en milliers d'euros) |
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Exercices |
2012
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2013
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2014
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2015
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Montants |
92 385,3 |
91 079,7 |
92 518,9 |
87 949,5 |
Source : Réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis
Sur l'ensemble de la période, le produit de la taxe d'apprentissage représente, pour les universités, 0,7 % de leurs recettes de fonctionnement encaissables.
Il est encore trop tôt pour évaluer l'impact de la réforme de la taxe d'apprentissage sur le budget des universités mais on sait d'ores et déjà que cet impact sera négatif et fort. Lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication du 4 novembre 2015, interrogé par votre rapporteur pour avis, le secrétaire d'État concédait 17 millions d'euros de manque à gagner pour les écoles d'ingénieurs, 40 millions pour les écoles de commerce et le chiffrage concernant les universités n'était pas encore disponible. La seule réponse du gouvernement est, à ce jour, la création d'un « groupe de travail » ...
3. La fonte « comme neige au soleil » des crédits CPER
Les crédits mobilisés par l'État sur les contrats de plan État-région (CPER) 21 ( * ) 2007-2015 (hors contrats de développement) se sont montés à 2,121 milliards d'euros. Fin 2014, le taux de réalisation était de 74 %. Les objectifs poursuivis étaient au nombre de deux :
- mise aux standards internationaux du patrimoine universitaire (mises en sécurité ou réhabilitations de bâtiments existants et développements d'équipements nouveaux pour des laboratoires de recherche permettant de faire des écoles doctorales des lieux de formation d'excellence) ;
- amélioration de la vie étudiante (principalement amélioration de l'offre de logements étudiants).
L'enveloppe contractualisée dans les prochains CPER (au titre des années 2015 à 2020) par l'État pour l'enseignement supérieur s'élève à 990 millions d'euros. Les crédits contractualisés par les régions sont également en baisse, mais moins forte que la baisse des crédits de l'État.
Source : Réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis
Les objectifs poursuivis sont désormais offrir aux acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche des campus attractifs et fonctionnels et soutenir une politique de site dynamique, cohérente et économiquement soutenable.
Pour cette nouvelle génération de CPER, seront privilégiés les projets de restructuration, réhabilitation ou démolition/reconstruction sans création de surfaces supplémentaires.
Les crédits contractualisés par
l'État pour l'enseignement supérieur
dans le cadre des CPER
2015-2020
(en millions d'euros) |
CPER
|
CPER
|
Évolution |
Programme 150 Immobilier |
1 925,85 |
898,6 |
-53 % |
Programme 231 Logement étudiant |
168,67 |
91,65 |
-46 % |
Total |
2 121,52 |
990,25 |
-53 % |
Source : Annexe au PLF 2016
Le PIA 3 « Le Président de la République a annoncé le 12 mars 2015 la probable mise en place d'un PIA 3 en 2017. Le chef de l'État a précisé que le montant de la nouvelle enveloppe serait fixé ultérieurement, une fois que les ressources des deux premiers "grands emprunts" auraient été épuisées. À l'occasion de la présentation - le 9 mars dernier - du rapport 2014 des investissements d'avenir, Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement, a plaidé pour la mise en oeuvre d'un PIA 3 associant plus étroitement les régions. Il a en outre indiqué qu'une enveloppe de 10 milliards d'euros ne serait "pas déraisonnable". Le président de la République a, depuis, confirmé la pertinence de ce cadrage budgétaire. Un PIA 3 pourrait notamment être l'occasion de mobiliser de nouveaux financements pour l'immobilier universitaire qui nécessitera d'importants investissements dans les années avenir. Cela pourrait s'accompagner d'une nouvelle vague de dévolution aux établissements ayant accédé aux responsabilités et compétences élargies qui seraient volontaires (...) ». Source : Réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis |
Il semble toutefois étonnant à votre rapporteur pour avis que les régions aient contractualisé avec l'État à peine quelques mois, voire semaines dans certains cas, avant des élections régionales qui pourraient aboutir à des changements de gouvernance et peut-être aussi d'orientations politiques pour la période 2016-2021.
4. Le miroir aux alouettes du marché de la formation professionnelle continue
Le gouvernement, s'appuyant sur le rapport du comité de la StraNES, fait aujourd'hui miroiter aux établissements monts et merveilles (un « formidable gisement » selon les termes du secrétaire d'État) en provenance du 1,6 milliard d'euros annuel de dépenses de formation professionnelle continue où évoluent quelques 58 000 prestataires.
Actuellement, les institutions publiques d'enseignement supérieur ne représentent que 3,1 % de ce marché. Si les établissements étaient capables de prendre ne serait-ce que 5 % de ce marché d'ici deux ans, elles pourraient compléter leurs ressources à hauteur de 400 millions d'euros annuels. Quant à l'objectif posé par le comité de la StraNES, il s'établit à 10 % du marché d'ici 2025.
Un rapport remis le 6 novembre dernier à la ministre par M. François Germinet, président de l'université de Cergy 22 ( * ) , préconise de « recruter des enseignants-chercheurs avec les ressources générées par la formation continue, sous statut de contractuel d'une part, et de fonctionnaire sur des supports d'emplois d'autre part ». C'est l'une des 37 propositions de son rapport sur le développement de la formation continue dans l'enseignement supérieur et la recherche. Passer de 400 millions d'euros à 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires nécessiterait en effet d'y consacrer, d'après ses calculs, environ 7 000 postes.
Il serait cependant illusoire de penser que ce déploiement vers de nouvelles activités se fera à coûts et moyens constants pour les établissements, en particulier pour toutes les formations non diplômantes qui constituent un véritable « nouveau métier » nécessitant de nouvelles compétences que les établissements devront acquérir.
* 17 Colloque AEF-Institut Montaigne-Terra Nova du 6 octobre 2015.
* 18 http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/finances/Enquete_Universites.pdf
* 19 Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dite « loi Sauvadet ». Les titularisations réalisées dans ce cadre s'effectuent sur emplois vacants.
* 20 Voir loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale et décret n° 2014-985 du 28 août 2014 relatif aux modalités d'affectation des fonds de la taxe d'apprentissage.
* 21 Les contrats de plan État-Région (CPER) sont les principaux outils contractuels de l'État avec les territoires qui visent à la mise en oeuvre de politiques nationales à fort impact territorial. Conclus au niveau local entre les préfets de région et les présidents des conseils régionaux, ils présentent les projets que l'État et les collectivités territoriales s'engagent à soutenir financièrement.
* 22 « Le développement de la formation professionnelle continue dans les universités », rapport de M. François Germinet, novembre 2015.