B. JEU VIDÉO : UNE « FRENCH TOUCH » A PROMOUVOIR
1. Un pays de joueurs et de créateurs de jeux
a) Une pratique culturelle bien établie
Les jeux vidéo constituent l'industrie culturelle la plus récente. Née aux États-Unis en 1962 avec l'invention du jeu Space War au Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle devient populaire dix ans plus tard avec le jeu d'arcade Pong . Le succès est immédiat et, progressivement, la production de jeux s'industrialise, donnant naissance à de puissants studios et à des jeux mythiques ( Pac-Man en 1980, Tetris en 1984, Super Mario en 1989, Tomb Raider en 1996, Les Sims en 1999 ou encore Call of Duty en 2003) de plus en plus performants grâce à l' apparition de nouvelles technologies , notamment la 3D et Internet à la fin des années 90.
La multiplication des supports (PC, consoles de salon, consoles portables, mobiles et tablettes) et la popularisation du jeu vidéo comme loisir ont conduit les industriels à diversifier à l'extrême leur offre de produits : jeux d'aventure, de course, de tir, de stratégie, de rôle, de simulation, de sport ou encore de réflexion.
Désormais, à chacun son jeu et son support de jeu : la pratique du jeu vidéo, autrefois réservée à un public d'initiés et de passionnés s'est élargie et démocratisée . On estime, en France, à environ 60 % la proportion de joueurs 8 ( * ) , ce qui en fait la première pratique culturelle des Français.
De fait, des catégories de population, fort peu consommatrices de jeux il y a encore quelques années, en constituent aujourd'hui un public privilégié : il s'agit notamment des séniors - pour un âge moyen des joueurs établi à 31,5 ans, près de 18,3 % sont âgés de plus de cinquante ans -, et des femmes (46,9 % des joueurs).
L'apparition des jeux de mémoire et des jeux de cartes a attiré des joueurs plus âgés, tandis que le développement des pratiques féminines du jeu vidéo s'explique par celui des jeux sur réseaux sociaux popularisés par Facebook et le succès des smartphones. Enfin, 51,5 % des foyers français sont équipés d'au moins une console de jeux.
Répartition des joueurs tous jeux vidéo selon le sexe (%)
répartition |
||
joueurs |
ensemble |
|
hommes |
53,1 |
49,3 |
femmes |
46,9 |
50,7 |
total |
100,0 |
100,0 |
Source : CNC
Répartition des joueurs tous jeux vidéo selon l'âge (%)
répartition |
||
joueurs |
ensemble |
|
6-9 ans |
8,0 |
6,4 |
10-14 ans |
11,1 |
8,2 |
15-24 ans |
18,4 |
15,4 |
25-34 ans |
18,0 |
16,2 |
35-49 ans |
26,2 |
26,5 |
50-65 ans |
18,3 |
27,3 |
total |
100,0 |
100,0 |
Source : CNC
Si les enfants sont proportionnellement surreprésentés dans la population des joueurs, les adultes, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, demeurent plus nombreux à jouer, notamment les 25-49 ans, qui représentent 43,4 % des joueurs . Plus de la moitié des joueurs jouent quotidiennement et 86,7 % au moins une fois par semaine, pour une durée moyenne de session de 2 heures 15.
Répartition des joueurs tous jeux vidéo selon la catégorie socioprofessionnelle (%)
répartition |
||
joueurs |
ensemble |
|
CSP+ |
30,8 |
31,5 |
CSP- |
29,7 |
30,8 |
Inactifs |
39,6 |
37,8 |
dont enfants |
19,1 |
14,6 |
total |
100,0 |
100,0 |
Source : CNC
b) Une industrie dynamique
Avec un chiffre d'affaires mondial d'environ 47,7 milliards de dollars en 2014 , réalisé à près de 70 % sur des contenus dématérialisés, le jeu vidéo s'impose désormais comme une industrie culturelle majeure.
Recettes du marché des jeux vidéo dans le
monde (2012-2015)
en millions de dollars
Jeux pour ordinateurs
Jeux pour mobiles
Jeux vidéo pour consoles portables
Jeux vidéo pour consoles de salon
Source : IDATE-Gartner
À l'échelle européenne, selon
l'étude EY de décembre 2014 portant sur
« les
secteurs culturels et créatifs européens,
générateurs de croissance »
, avec
3 milliards
d'euros sur un total de 16 milliards d'euros de chiffre d'affaires, le jeu
vidéo représente
le bien culturel européen le plus
exporté.
L'Europe se place désormais
à la
troisième place mondiale pour la production
de jeux grâce
au développement des supports mobiles, qui lui permet progressivement de
s'affranchir de la contrainte que constituait son absence sur le marché
des ordinateurs et des consoles. Les studios européens emploient
désormais plus de 108 000 personnes.
L'industrie européenne du jeu vidéo
Emplois (2012) |
Chiffre d'affaires (2012) |
M€ |
||
Développeurs et éditeurs |
67 916 |
Jeux vidéo pour consoles de salon |
3 965 |
|
Revendeurs et distributeurs |
25 000 |
Jeux vidéo pour consoles portables |
1 594 |
|
Emplois dans des magasins non spécialisés |
15 100 |
Jeux vidéo pour ordinateurs hors ligne |
601 |
|
Total emploi |
108 016 |
Jeux vidéo pour ordinateurs en ligne |
5 087 |
|
Jeux pour mobiles |
2 016 |
|||
Exportations de l'UE-28 |
2 727 |
|||
Total CA |
15 990 |
Source : « Les secteurs culturels et créatifs européens, générateurs de croissance - Étude Ernst &Young, déc. 2014
C'est également l'industrie culturelle européenne dont la croissance, en progression (+ 9 % entre 2012 et 2015) est la plus dynamique avec, toutefois, des tendances différentes selon les supports considérés : si les jeux pour mobiles progressent considérablement (+ 147 %), ceux destinés aux consoles de salon (+ 47 %) et aux ordinateurs (+ 49 %) augmentent fortement, tandis que les jeux pour consoles portables poursuivent leur recul (- 30 %).
La France compta parmi les pays précurseurs sur ce marché, dans les années 70 , durant lesquelles elle a commercialisé ses premiers jeux vidéo, avant que cette industrie ne connaisse un « âge d'or » dans les années 90 , avec des studios comme Infogrames et Ubisoft, dont les productions concurrençaient alors les succès américains et japonais.
Après plusieurs exercices peu fastes en raison de la nécessaire négociation du virage technologique de la dématérialisation, l'industrie française du jeu vidéo est, depuis 2014, en forte croissance , comme le confirmait lors de son audition, Julien Villedieu, président du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV).
Selon les données du Baromètre 2015 du SNJV, le chiffre d'affaires de l'industrie du jeu vidéo (2,7 milliards d'euros en 2014), issu à près de 45 % des exportations, affiche une progression annuelle supérieure à 10 %. Près de 800 nouveaux emplois ont été créés en 2015 . Près de 57 % des studios ont moins de cinq ans d'existence et, pour plus de 75 % de leur activité, développent des jeux pour mobiles et tablettes. 650 jeux sont en phase de développement, pour un coût moyen d'1,4 million d'euros par entreprise.
Votre rapporteur pour avis se félicite de cette reprise, tant la crise des années 90, entraînant la faillite de studios mythiques, fut douloureuse, comme, après une embellie de quelques années, celle de 2008, qui replongea l'industrie française du jeu vidéo, et notamment les studios de moindre envergure, dans d'immenses difficultés. De 15 000 emplois à son apogée dans les années 90, le secteur ne comptait, en 2011, plus que 5 000 salariés, pour un chiffre d'affaires de trois milliards d'euros.
Elle rappelle cependant que l'industrie française du jeu vidéo n'est pas à l'abri d'une nouvelle crise, compte tenu de la fragilité de nombreux studios indépendants, confrontés à une production internationale massive de jeux à petits budgets destinés aux mobiles mis en vente à moindres frais sur les plateformes comme Steam . D'aucuns craignent ainsi, dans les années à venir, une « indiepocalypse » au sein de la filière du jeu vidéo.
Si plus de la moitié des entreprises du jeu vidéo sont établies en Ile-de-France, la production est également développée en région, dans les pôles historiques de Languedoc-Roussillon avec Ubisoft , de Rhône-Alpes, d'Aquitaine et du Nord-Pas-de-Calais avec Ankama .
Ces territoires accueillent également des écoles mondialement reconnues pour leur niveau de formation des jeunes talents , à la « french touch » désirable pour les studios étrangers. Les professionnels du jeu vidéo de toutes nationalités s'accordent ainsi à reconnaître unanimement la qualité des formations françaises ( Supinfogames à Valenciennes ou Les Gobelins à Paris, parmi d'autres), dont est issue en grande partie l'élite mondiale des programmateurs et des designers de jeux. Les Français auraient, dans ce domaine, une marque de fabrique, équilibre efficace entre créativité artistique et maîtrise technologique , tout en faisant état d'un niveau de culture générale rare dans ce milieu et fort apprécié en matière de narration.
2. Un savoir-faire à conserver face à la concurrence étrangère
a) Le renforcement bienvenu du dispositif de soutien français
Les studios français, pour dynamique que soit leur activité, ne disposent majoritairement pas d'une capacité d'investissement suffisante au développement de créations ambitieuses. Il est donc heureux que, même de manière limitée, le secteur du jeu vidéo bénéficie de deux types d'aides spécifiques : le fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) et le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo (CIJV).
(1) Le fonds d'aide au jeu vidéo
Cofinancé par le ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique et le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), et doté modestement de 3,5 millions d'euros par an en moyenne , le FAJV, géré par le CNC, a pour objectif de soutenir la recherche et développement, l'innovation et la création dans le secteur du jeu vidéo, à travers deux dispositifs d'aides portant respectivement sur la pré-production et la création de propriétés intellectuelles.
Créée en 2003, l'aide à la pré-production apporte aux studios de jeux vidéo un accompagnement financier à l'innovation dans la phase de pré-production, en vue de la réalisation d'un prototype non commercialisable. Elle vise à soutenir le travail d'études sur les composantes nécessaires à la mise en place d'un jeu vidéo et à identifier toutes les contraintes techniques à lever jusqu'à la réalisation du prototype. Le montant de l'aide est plafonné à 35 % des dépenses de pré-production du jeu. Elle est attribuée par une avance remboursable pour 50 % du montant, le reste étant versé sous forme de subvention. En 2014, trois projets ont été soutenus pour un montant global accordé de 400 000 euros . Cette dotation devrait être bien supérieure en 2015, compte tenu de la reprise observée des projets de grande envergure, dynamisés par l'arrivée des consoles de nouvelle génération.
Pour sa part, l'aide à la création de propriétés intellectuelles de jeux vidéo est une aide sélective à la production mise en place en 2010. Dans le contexte d'une évolution des modes de distribution dématérialisée qui bouleversent la chaîne de valeur, le dispositif favorise de nouvelles créations et incite les entreprises à créer une valeur patrimoniale autour des jeux vidéo qu'elles produisent en les engageant à conserver les droits de propriété intellectuelle. L'aide, attribuée sous forme de subvention, est plafonnée à 50 % du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros sur trois ans par entreprise bénéficiaire. En 2014, quarante-trois projets en ont bénéficié pour un montant global de 3,1 million d'euros . Au cours du premier semestre 2015, huit projets ont déjà été soutenus.
Ces dispositifs attachés à la production d'oeuvres sont complétés par une aide aux opérations à caractère collectif destinée à l'accompagnement de colloques, journées professionnelles, festivals de portée nationale ou internationale, qui relèvent de la promotion de l'ensemble de la filière du jeu vidéo.
(2) Le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo
Le dispositif de CIJV, en application depuis 2008, a pour finalité de préserver et accroître la productivité des entreprises de création de jeux vidéo. Il permet aux studios installés en France de déduire 20 % des dépenses éligibles pour la production de jeux vidéo contribuant à la diversité de la création française et européenne.
Le CIJV a été renforcé par la loi n° 2013-1279 du 30 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013. Autorisées par la décision de la Commission européenne du 11 décembre 2014 et précisées par le décret n° 2015-722 du 23 juin 2015, trois modifications principales sont entrées en application :
- l'abaissement du seuil d'éligibilité du coût de développement des productions de 150 000 euros à 100 000 euros . Cette disposition doit permettre d'attirer des jeux au budget plus modeste, correspondant à l'émergence des nouveaux marchés du jeu mobile et du jeu indépendant ;
- la prise en compte, dans l'assiette des dépenses éligibles, des dépenses salariales des personnels techniques et administratifs pour autant qu'ils concourent à la création du jeu concerné ;
- l'éligibilité de certains jeux destinés à un public adulte (classés « 18 + » par le système de classification paneuropéen PEGI), lorsqu'ils contribuent de façon significative au développement et à la diversité de la création. Cette dernière mesure permet d'ouvrir le régime à des projets abordant des problématiques complexes, comptant parmi les plus innovants et les plus ambitieux sur le plan créatif et narratif, et présentant des coûts de production particulièrement élevés. Il est précisé que ces jeux doivent faire la démonstration d'une contribution particulièrement significative à la diversité de la création française et européenne , et remplir un critère supplémentaire lié à la contextualisation de la violence présente dans le jeu.
Cette dernière modification a fait l'objet de virulentes critiques chez ceux qui estiment que des jeux potentiellement violents ne devraient nullement bénéficier d'une aide des pouvoirs publics. À cet égard, votre rapporteur pour avis souhaite rappeler que ces jeux, au développement et à la production coûteux, sont créateurs de nombreux emplois et moteurs de croissance pour l'industrie française, fortement concurrencée sur ce créneau par les grands studios étrangers.
Outre les aides publiques, une charte export du jeu vidéo entre le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et l'État a été signée en 2012. Elle vise à soutenir la vente à l'international de la production française, sous l'action concertée et coordonnée des différentes administrations intéressées - ministères des affaires étrangères, de la culture et de la communication, de l'industrie et du commerce extérieur -, des opérateurs publics - Institut français, CNC, Ubifrance, OSÉO, Coface, etc. - et des entreprises. Les actions menées sous cette bannière ont été fédérées sous une nouvelle marque baptisée Le Game.
b) Une concurrence efficace
(1) Les ambitions canadiennes
Le Canada a instauré, depuis de nombreuses années, une politique fiscale attractive pour inciter les développeurs de jeux vidéo à s'y installer. Selon les données de l'Association canadienne du logiciel de divertissement (ACLD), 329 studios de développement employaient directement en 16 500 personnes en 2014, dont plus de la moitié au Québec. Le Canada se positionne aujourd'hui comme le troisième employeur mondial du secteur, derrière les États-Unis et le Japon. Certains éditeurs s'attendent à une croissance de plus de 25 % au cours des deux prochaines années.
Parallèlement aux crédits d'impôt mis en place par les différentes provinces du Canada, le gouvernement fédéral a établi le programme Scientific Research and Experimental Development , qui propose aux sociétés des incitations fiscales sous forme de crédit d'impôt ou de remboursement des dépenses liées à la recherche et au développement. Il propose également des services de conseil en matière de définition de modèles économiques, développe des produits financiers adaptés, soutient les exportations et la recherche de nouveaux marchés. L'état fédéral incite par ailleurs le secteur privé à innover via des leviers financiers variés. Les demandes de déductions au titre de ce dispositif totalisent désormais 1,3 milliard de dollars par an.
Sur le plan international, le Gouvernement fédéral a souhaité faciliter les investissements étrangers en appuyant plusieurs dizaines de propositions d'investisseurs chaque année, en contrepartie de leur engagement à créer des emplois au Canada, à soutenir des projets de recherche avec le concours de l'industrie et des programmes de développement artistique novateurs.
Enfin, un avantage non négligeable pour les sociétés réside dans le taux d'imposition sur le revenu des sociétés (taux combiné fédéral-provincial) du Canada, limité à un maximum de 26,9 % en 2014.
Cette politique produit des résultats évidents : entre 2003 et 2011, le Bureau américain des brevets et des marques de commerce a délivré plus de 1 000 brevets liés au multimédia à des inventeurs établis au Canada, dont 323 octroyés pour des jeux vidéo.
Le cas du Québec Depuis 1997 et l'ouverture d'un premier studio Ubisoft à Montréal, le Québec est devenu une destination de choix pour de nombreux développeurs : la province a connu une croissance de 600 % des effectifs dans l'industrie du jeu vidéo depuis 2003 ; on compte aujourd'hui plus de 120 entreprises employant au total plus de 10 000 personnes. Ce dynamisme a engendré des retombées fiscales de 145 millions de dollars en 2014. Cette évolution s'explique par une politique fiscale très attractive du Gouvernement québécois , qui soutient le secteur des jeux vidéo grâce à un certain nombre de dispositifs, notamment le programme titres multimédias (PTM) consistant en un crédit d'impôt remboursable couvrant jusqu'à 37,5 % des dépenses de main d'oeuvre admissibles (30 % pour la production d'un jeu commercial et 7,5 supplémentaires pour la création d'une version française). Ubisoft et Warner Bros représentent plus de la moitié du montant annuel du crédit d'impôt versé. En 2014, le gouvernement du Québec a annoncé une baisse de son crédit d'impôts à 30 %, très mal accueillie par l'industrie du jeu vidéo. La restriction budgétaire fut de courte durée puisque, dès 2015, le Gouvernement de Philippe Couillard a rétabli le taux initial. Un plafond d'aide fiscale a certes été fixé, mais il a un niveau élevé de 37 500 dollars canadiens (27 700 euros), soit un salaire annuel de 100 000 dollars (73 900 euros), assorti d'une exception : jusqu'à 20 % des employés pourront être exemptés de ce plafond. Le Gouvernement est même allé plus loin en prévoyant la création un nouveau fonds de 5 millions de dollars pour la création de nouvelles licences locales et la possibilité, pour le Québec, d'investir directement comme actionnaire dans un projet de jeu vidéo québécois. Source : Ministère de la culture et de la communication |
Si les prévisions de croissance se montrent optimistes, le modèle canadien n'a pas été totalement épargné par la crise. Les studios montréalais de l'éditeur THQ , du studio Visceral Games (appartenant à Electronic Arts ), Funcom et Trapdoor ont fermé leurs portes ou fortement réduit leurs activités au cours de l'année 2014. En outre, les autorités canadiennes, soumises aux contraintes budgétaires, ont dû amender certains dispositifs d'aide, notamment les incitations fiscales. Le budget fédéral adopté fin mars 2013 prévoit ainsi la suppression progressive (en 2017) du crédit d'impôt de 15 % pour les fonds de solidarité travailleurs.
(2) Les mastodontes américains
Lors de la dernière étude de grande ampleur publiée en 2010 par l'association des logiciels de divertissement américaine, l'industrie du jeu vidéo y représentait plus de 24 milliards de dollars. Ce marché très changeant et évolutif est stimulé d'une part par la multiplicité de supports et d'autre part par le grand nombre et la réactivité des éditeurs. Selon une étude de cette même association publiée en 2014, l'industrie américaine du jeu vidéo a bénéficié d' une croissance quatre fois supérieure à celle de l'économie américaine dans son ensemble (9 % tous les ans depuis 2009).
Parallèlement aux crédits d'impôt mis en place par les différents États, le Gouvernement fédéral propose, à l'instar du Canada, des incitations fiscales sous forme de crédit d'impôt ou de remboursement des dépenses liées à la recherche et au développement.
Le secteur des ordinateurs et des jeux vidéo emploie directement ou indirectement plus de 146 000 personnes , dont 42 000 directement, notamment dans des studios de très grande taille comme Electronic Arts . Fondée en 1982, l'entreprise est l'un des principaux développeurs et producteurs mondiaux de jeux vidéo pour ordinateurs et consoles. En 2014, elle a enregistré un chiffre d'affaires record de 4,5 milliards de dollars.
Le secteur connaît toutefois quelques difficultés dues au recul des ventes de consoles, jeux et accessoires. Afin de se renouveler et de trouver de nouveaux relais de croissance, les industries du cinéma et du jeu vidéo cohabitent de plus en plus fréquemment pour adapter un film en jeu et inversement. Ainsi, l'éditeur français Ubisoft , très implanté aux Etats-Unis, a adopté une stratégie de développement transmédia sur ses franchises depuis quelques années : après avoir participé au film Avatar en 2010, l'éditeur a lancé, en 2011, Ubisoft Motion Pictures , pour adapter directement ses licences jeux vidéo au cinéma et à la télévision.
(3) Le renouveau européen : le Royaume-Uni et la Finlande
Au Royaume-Uni, les trois dernières années ont été marquées par un fort recul de l'industrie vidéoludique, avec une croissance en berne et de nombreuses fermetures de studios. Le désengagement de Sony Computer Entertainment du territoire britannique en 2012 aura ainsi occasionné la fermeture de deux studios majeurs, Sony Liverpool et BigBig Studios , tandis que d'autres développeurs de grande taille comme Eurocom et Monumental Games ont également cessé leur activité.
La fermeture en chaîne de studios n'aura cependant pas tué l'industrie nationale puisque cette dernière est entrée dans une phase de profond renouvellement : selon une étude publiée par The Independent Games Developers Association (TIGA), organisation pour la promotion du jeu vidéo britannique, les studios historiques désormais disparus ont donné naissance à un grand nombre de nouveaux développeurs de plus petite taille (cent nouveaux studios auraient ainsi été créés entre 2011 et 2012), oeuvrant désormais sur le secteur des jeux pour mobile plutôt que sur celui des consoles de jeux.
L'annonce du budget britannique pour 2013, en avril 2012, a été l'occasion, pour le Gouvernement britannique, d'appuyer plus encore son soutien à l'industrie. Le Chancelier de l'Echiquier, George Osborne, a ainsi dévoilé, dans son discours budgétaire à la Chambre des communes, son ambition de « transformer le Royaume-Uni en centre technologique de l'Europe ». Plus concrètement, il a été annoncé la mise en place d'un abaissement fiscal ( tax relief ) pour les industries du jeu vidéo, de l'animation et de la création télévisuelle . Depuis le 1 er avril 2014, le Royaume-Uni a donc étendu son dispositif de crédit d'impôt audiovisuel et cinéma au jeu vidéo , avec notamment :
- une part minimum de 25 % du budget total localisé au Royaume-Uni pour que le projet soit éligible au crédit d'impôt ;
- un test culturel transposé de celui en vigueur pour les programmes audiovisuels et adapté très marginalement au secteur du jeu vidéo (notamment pour les postes clés) ;
- un taux de crédit d'impôt de 20 % si le projet présente des dépenses au Royaume-Uni inférieures à 20 millions de livres et 25 % lorsqu'elles sont supérieures à ce seuil ;
- un plafonnement des dépenses éligibles à 80 % des dépenses totales réalisées sur le territoire national.
Le 27 mars 2014, la Commission européenne a conclu, après une enquête approfondie, que le projet britannique d'accorder certains allègements fiscaux à des fabricants de jeux vidéo était conforme aux règles de l'UE en matière d'aides d'État. Elle a estimé, en particulier, que la mesure incite les créateurs à concevoir des jeux respectant certains critères culturels, conformément aux objectifs de l'UE.
Par ailleurs, l'industrie du jeu vidéo bénéficie en Finlande d'un véritable âge d'or : il y a quelques années, le jeu Max Payne , créé par la société finlandaise Remedy Entertainment , a rencontré un tel succès qu'il fut adapté au cinéma ; en outre, le succès ne se tarit pas pour Angry Birds (plus d'un milliard et demi de téléchargements) de la société de production finlandaise Rovio puisque la deuxième version du jeu lancée en août 2015 a été téléchargé plus de vingt millions de fois lors de la première semaine ; enfin, Super Cell , studio à l'origine du jeu de stratégie très populaire Clash of clans , a levé 120 millions de dollars en 2013 pour une valorisation de près de 800 millions de dollars.
Sur les 260 entreprises de jeu vidéo que compte la Finlande, près de la moitié ont été créées ces trois dernières années . Selon les estimations de la Neogames Finland Association , le chiffre d'affaires de l'industrie finlandaise du jeu vidéo a atteint 1,8 milliard d'euros . L'Agence de financement finlandaise pour la technologie et l'innovation (TEKES) joue un rôle majeur en faveur du développement de cette industrie : en 2014, le montant total du financement alloué au secteur des jeux vidéo s'est établi à 28 millions d'euros.
c) Les propositions du groupe de travail sénatorial : des solutions malheureusement évincées
Un groupe de travail sur les jeux vidéo commun aux commissions de la culture et des affaires économiques a, en février 2013, été confié aux sénateurs André Gattolin et Bruno Retailleau. Leur rapport 9 ( * ) propose une série de mesures en faveur de l'industrie vidéoludique française demeurées sans suite à ce jour.
Les propositions du groupe de travail portent notamment sur :
- la création d'une plateforme de valorisation et de distribution de la production française
Sur le modèle de la plateforme américaine Steam , cet instrument, ouvert à l'ensemble des studios, aurait pour vocation de faire connaître et de commercialiser, sans commissionnement prohibitif, la production française de jeux vidéo, mais également d'assurer aux consommateurs la qualité de la production proposée grâce à une sélection exigeante et originale ;
- la mise en place d'un fonds participatif
Il s'agit ici de permettre aux studios de renforcer leurs fonds propres nécessaires aux investissements mais également au maintien de leur indépendance vis-à-vis des éditeurs. À cet effet, pourrait être créé un fonds d'octroi de prêts participatifs financé par la BPI, sur le modèle du prêt participatif innovation. Cet outil pourrait être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ;
- la création d'un guichet unique au sein du CNC pour l'ensemble des demandes de soutien ;
- un renforcement du FAJV et une simplification des critères d'octroi du CIJV ;
- la création d'une nouvelle ressource sous la forme d'une taxe sur la vente de jeux sur supports physiques
Sur le modèle du financement des productions audiovisuelles et cinématographiques françaises grâce à la perception d'une taxe sur les entrées en salles, une telle ressource, de quelques centimes d'euros par jeu, alimenterait un fonds géré par le CNC à destination des productions vidéoludiques françaises ;
- enfin, une meilleure articulation entre formations et création d'entreprises
Cet objectif passerait notamment par l'introduction d'une formation à la gestion dans les écoles de jeu vidéo, tant il est vrai que la faiblesse managériale des professionnels du jeu est source de nombreux échecs de création de studios. Afin d'aider les jeunes diplômés à développer leur propre projet et de renforcer l'ancrage territorial de l'industrie du jeu vidéo, il serait également judicieux de développer localement des pépinières d'entreprises dans le sillon des écoles.
* 8 Les pratiques de consommation des jeux vidéo des Français (2 e semestre 2013) - Les études du CNC - Octobre 2014.
* 9 « Jeux vidéo : une industrie culturelle innovante pour nos territoires » - Rapport d'information n° 852 (2012-2013).