LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

I. PRÉSERVER LE LIVRE ET DÉVELOPPER LA LECTURE À L'ÈRE NUMÉRIQUE

A. UNE PRATIQUE CULTURELLE EN LENTE ÉVOLUTION

1. La résistance de l'imprimé

Première industrie culturelle française en termes de chiffre d'affaires à 5,5 milliards d'euros, le marché du livre est majoritairement porté à l'activité éditoriale, dont le chiffre d'affaires s'établit à 2,7 milliards d'euros pour l'année 2014 , correspondant à 422 millions d'ouvrages vendus, selon les derniers chiffres rendus publics par le Syndicat national de l'édition (SNE) 1 ( * ) . Ce chiffre d'affaires est à près de 94 % issu des ventes de livres.

La filière du livre, qui représente 80 000 emplois , est faite de multiples composantes :

- les auteurs , dont le nombre varie, selon les estimations, entre 20 000 et 50 000 personnes en fonction de la définition retenue (écrivains, scientifiques, universitaires, etc.). Sur ce nombre, moins de 2 400 auteurs déclarent à l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) des revenus tirés de leur plume supérieurs à 700 euros par mois, avec de très grandes inégalités de gains puisque le revenu moyen s'établit à 34 300 euros annuels ;

- les éditeurs, dont le marché apparaît extrêmement concentré. Ainsi, si 4 000 structures affichent l'édition comme activité principale, seulement 1 000 d'entre elles ont une activité économiquement significative et les dix premiers groupes concentrent 60 % du chiffre d'affaires ;

- les distributeurs et diffuseurs , désormais majoritairement contrôlés par les éditeurs ;

- enfin, les détaillants et autres commerces de livres , auxquels votre rapporteur pour avis consacre un développement ci-après.

La particularité du secteur du livre réside dans son quasi maintien (diminution à peine supérieure à 1 % par an depuis 2007) à un niveau élevé malgré la révolution numérique : les mutations technologiques n'ont nullement entamé cette industrie culturelle traditionnelle , à la différence notable du secteur de la musique. Pourtant, le livre représente la filière culturelle proportionnellement la moins aidée par l'État.

Intervention de l'État en faveur de différents secteurs culturels

En millions d'euros, Données 2012

Aides et subventions

Autres

Total

En % de la VA sectorielle

Livre

43,6

-

43,6

0,8 %

Cinéma

475,8

-

475,8

13%

Télévision

1 112,0

3 893 (1)

5 005,9

97,6 %

Image et son

37,8

-

37,8

1,1 %

Source : Insee, d'après L'apport de la culture en France , rapport IGF-IGAC, décembre 2013

(1) Service public de l'audiovisuel

Cet équilibre, qui devrait se maintenir en 2015, réside sans nul doute dans la relative stabilité de la proportion de lecteurs dans la population française. Selon les enquêtes du ministère de la culture et de la communication sur les pratiques culturelles des Français, réalisées régulièrement depuis les années 70, la proportion de non lecteurs est demeurée stable à 25 % de la population . Ce résultat masque toutefois un phénomène contraire : tandis que la proportion de grands lecteurs (plus de quinze livres achetés par an), qui constituent le coeur de la clientèle des librairies, s'est fortement réduite pour s'établir à moins de 7 % de la population, la proportion de lecteurs moyens (entre six et quinze ouvrages) a parallèlement progressé.

Cette situation, globalement satisfaisante dans le contexte économique actuel des industries culturelles, cache cependant des contrastes entre les catégories éditoriales.

Ainsi, à la faveur du ralentissement économique et d'une préoccupation accrue sur le pouvoir d'achat, le format poche, en croissance régulière a représenté, en 2014, 13,6 % des ventes de livres et 24,5 % des volumes, à près de 62 % composés d'ouvrages de littérature. Avec un chiffre d'affaires de 342 millions d'euros, le livre de poche continue à soutenir le marché.

Le livre de poche parmi les ventes de livres

Source : SNE

Par ailleurs, les livres consacrés à la jeunesse, notamment les séries destinées aux adolescents comme Hunter Games , la bande dessinée et les sciences humaines et sociales progressent, tandis que les beaux livres, même s'ils demeurent des cadeaux recherchés en fin d'année, les livres pratiques et les manuels scolaires pèsent sur les ventes.

En outre, la littérature, qui représente encore le quart du chiffre d'affaires , stagne en valeur et en volume, malgré la persistance d'une relative croissance du lectorat féminin et populaire autour de phénomènes d'édition comme Cinquante nuances de Grey . C'est également le cas des essais et des ouvrages religieux, même si, comme l'indiquaient les représentants de la FNAC à votre rapporteur pour avis, les attentats du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo ont eu pour conséquence une rare progression des ventes d'ouvrages de Rousseau et de Voltaire, mais également de Bible et de Coran .

En revanche, la poésie, le théâtre, les dictionnaires et encyclopédies, les cartes et atlas comme les livres scientifiques affichent des pertes inquiétantes et ne survivent que grâce aux recommandations scolaires et universitaires.

Part des secteurs éditoriaux dans le chiffre d'affaires des ventes de livres en 2014 (2 517 millions d'euros)

Source : SNE

2. La concurrence modérée du livre numérique

Toujours minoritaire, le livre numérique n'en poursuit pas moins sa croissance en s'affirmant chaque année davantage dans les habitudes de lecture des Français, sans pour autant mettre en péril le livre imprimé. En effet, les lecteurs de livres numériques sont majoritairement de grands lecteurs de livres imprimés, qui choisissent, pour des ouvrages de littérature sentimentale ou policière, un support éphémère. Tandis que le support numérique va être choisi pour son prix et son usage mobile, le livre imprimé demeure préféré pour le confort de lecture et la variété de choix, mais également comme cadeau.

De manière générale, les données publiées au sujet du poids du marché du livre numérique en France et à l'international sont à considérer avec précaution, le périmètre des études étant susceptible de varier selon les sources. Si les données publiées tendent en général à se focaliser sur le poids du numérique sur le seul marché des ventes de littérature aux ménages ( « adult trade » dans les catégories anglo-saxonnes), les sources les plus pertinentes pour mesurer le degré réel de pénétration du numérique sur le marché du livre demeurent les enquêtes réalisées auprès des éditeurs.

Ainsi, selon le Syndicat national de l'édition (SNE), auditionné par votre rapporteur pour avis, les revenus de l'édition numérique ont progressé de 53 % en 2014, pour s'établir à 161,4 millions d'euros, soit 6,4 % du chiffre d'affaires des éditeurs.

La part du numérique sur support physique (CD, DVD, clés USB) continue de diminuer (11 % du chiffre d'affaires numérique), tandis que le numérique en ligne stricto sensu (téléchargement et streaming) représente désormais 144 millions d'euros, en hausse de 56 % par rapport à 2013, soit 89 % du chiffre d'affaires numérique et 5,7 % du chiffre d'affaires des éditeurs.

Pour les éditeurs français, le marché professionnel (ventes de licences aux universités et entreprises, abonnements aux bases de données) représente plus de 50 % du chiffre d'affaires numérique. L'édition numérique grand public, dont la part de marché avait doublé en 2013, a cependant continué sa progression en 2014 et représente désormais 45 % du chiffre d'affaires numérique des éditeurs, signe de la démocratisation lente mais réelle de la lecture digitale.

Le baromètre annuel sur les achats de livres communiqué par le ministère de la culture et de communication indique, de fait, une augmentation des achats de livre numérique des ménages en 2014, de 18 % en valeur et de 13 % en volume . Il représente ainsi 2,3 % des achats de livres des ménages en valeur et 2,8 % en volume.

Selon cette fois le baromètre SOFIA/SNE/SGDL sur les usages du livre numérique, le nombre de lecteurs de livres numériques est également en augmentation avec 18 % de la population française âgée de 15 ans et plus qui déclarent avoir déjà lu, en partie ou en totalité, un livre numérique.

Par comparaison, le livre numérique représente une part conséquente du marché du livre (entre 15 % et 25 %) dans les pays anglo-saxons. On assiste cependant, depuis le début de l'année 2015, à un net ralentissement de la progression des ventes de livres numériques sur les marchés nord-américains, qui contraste avec la poursuite du développement des ventes numériques sur les marchés européens.

Part du numérique en valeur par pays 2013-2014

Source : SNE

Les observateurs du marché du livre considèrent, à cet égard, que la proportion atteinte dans les pays anglo-saxons pourrait constituer un seuil maximum pour la capacité du livre numérique à s'imposer sur le marché éditorial, seuil dont la majorité des pays européens sont encore éloignés. Le rapport d'EY « Creating growth : measuring cultural and creative markets in the EU » , publié en décembre 2014, évaluait ainsi à 3 %, tous pays européens confondus, la part des ventes de livres numériques en 2013.


* 1 Les repères statistiques du Syndicat national de l'édition en France 2014-2015.

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