TRAVAUX DE LA COMMISSION
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Réunie le mercredi 25 novembre 2015, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Corinne Imbert sur la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2016.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour avis . - A 1,26 milliard d'euros, les crédits de la mission « Santé » sont en hausse de 4,7 % par rapport à 2015. Comme les années précédentes, cette tendance résulte de l'évolution en sens contraires des deux programmes de la mission. Tandis que le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », voit ses crédits diminuer de 2,6 % en raison de la poursuite des efforts de rationalisation demandés aux agences sanitaires, le programme 183 « Protection maladie » affiche une progression de près de 10 %, après 13,7 % en 2015, à cause du dynamisme des dépenses d'aide médicale de l'Etat (AME).
La mission « Santé » ne regroupe qu'une partie limitée des dépenses en matière sanitaire, dont l'essentiel relève de l'assurance maladie. Elle ne comporte en outre pas de dépenses de personnel et ne concerne que certains établissements publics dont la tutelle est au moins partiellement assurée par le ministère des affaires sociales.
Au programme 204, la participation de l'Etat au Fonds d'intervention régional (Fir) est stable, à 124,5 millions d'euros, pour un budget total du Fir de plus de 3 milliards. On constate ensuite une certaine érosion des crédits de prévention alloués au niveau national, notamment des dépenses d'accompagnement dans le domaine de la lutte contre le Sida et les hépatites ainsi que des crédits dédiés à la lutte contre les maladies neuro-dégénératives. Enfin la réduction des subventions pour charges de service public versées aux agences sanitaires se poursuit.
Comme en 2015, le programme 204 financera l'année prochaine, à titre principal ou complémentaire, huit opérateurs sanitaires de l'Etat, pour un montant total de 292 millions d'euros contre 301 millions cette année. Le montant des subventions se réduit ainsi de 3,2 % après une diminution de 4,4 % en 2015. Cette évolution s'accompagne, comme les années précédentes, d'une baisse des plafonds d'emplois : une baisse de 50 équivalents temps plein (ETP) est programmée, après une baisse de 52 ETP en 2015. Les agences sanitaires sont ainsi appelées à poursuivre leurs efforts de rationalisation pour contribuer au redressement des finances publiques.
La subvention à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) représente à elle seule 40 % du montant total des subventions inscrites sur le programme. Cette jeune agence, qui s'est substituée à l'Afssaps le 1 er mai 2012 à la suite de la crise du Mediator, a pour mission d'assurer la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie et de garantir à tous les patients un accès équitable à l'innovation. Elle dispose pour ce faire d'un pouvoir de police sanitaire et prend chaque année plus de 80 000 décisions. Opérateur sous forte tension, elle doit tout à la fois assumer de nouvelles missions, se moderniser et réaliser des efforts de productivité.
L'agence rencontre en effet des difficultés d'organisation et de fonctionnement mises en évidence par la Cour des comptes en 2014 et l'Igas en 2015. Premier constat, les missions de l'ANSM n'ont cessé de s'étendre sans que la question de l'adéquation des moyens aux objectifs poursuivis n'ait reçu de réponse. Malgré l'engagement de son personnel, l'agence n'est toujours pas en mesure de résorber les retards significatifs apparus dans le traitement des signalements et des demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM). En outre, il semble que la généralisation des règles déontologiques formalisées à la suite de la crise du Mediator ne soit pas tout à fait achevée, faute de temps et d'outils adaptés. A l'échelle européenne, l'ANSM a subi ces dernières années une perte d'influence indéniable, qui se manifeste par le recul sensible du nombre de dossiers considérés comme stratégiques traités par la France au sein des instances européennes.
Les évaluations appellent l'agence à poursuivre la remise à niveau de ses outils de gestion et de ses systèmes d'information afin de sécuriser les procédures et de gagner en productivité. Ces constats sont partagés par la direction de l'agence. La nouvelle convention d'objectifs et de performance (Cop) pour les années 2015 à 2018 tente d'y répondre en recentrant son activité sur la mission de surveillance du marché et la poursuite de la recherche d'une meilleure efficience.
Pour 2016, la subvention allouée à l'ANSM est fixée à 117 millions d'euros (- 9 % par rapport à 2013). Le plafond d'emplois sera réduit de 13 ETP, après une baisse de 20 ETP en 2015. Depuis la création de l'agence, des prélèvements importants ont été effectués sur son fonds de roulement dont le niveau devrait être ramené de 45 millions d'euros en 2012 à 17 millions l'année prochaine. Compte tenu des défis considérables auxquels elle est confrontée et pour tenir compte de sa capacité d'adaptation, il me paraît nécessaire de stabiliser ses moyens à compter de 2017.
La loi « Santé » mettra en place d'une nouvelle agence nationale de santé publique l'année prochaine. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une fusion à moyens constants, les plafonds d'emplois des trois opérateurs concernés, l'Institut de veille sanitaire (InVS), l'Institut pour la prévention et l'éduction à la santé (Inpes) et l'Etablissement de préparation aux urgences sanitaires (Eprus) restant inchangés. La participation à l'effort de maîtrise des dépenses publiques est quant à elle limitée à 0,6 % du montant total des subventions accordées en 2015.
Cette stabilité est bienvenue. Dans un premier temps, le regroupement des 585 agents des trois opérateurs et l'harmonisation des systèmes d'information induiront inévitablement des surcoûts. Le ministère de tutelle estime que les gains dégagés par la mutualisation se produiront progressivement à partir de 2017. Les trois agences ont réalisé d'importants efforts de rationalisation au cours des cinq derniers exercices. Enfin, la préservation des moyens dont dispose l'Eprus est essentielle. Le maintien de ses capacités d'anticipation et de réactivité est plus que jamais fondamentale dans la période que nous traversons.
Le programme 183 retrace les crédits de financement de l'aide médicale d'Etat (AME) et la dotation de l'Etat au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva). La prévision de dépenses d'AME s'élève à 744 millions d'euros, en progression de 9,9 % par rapport aux crédits initialement ouverts en 2015. Ce montant apparaît inférieur de près de 20 millions d'euros à la prévision actualisée par le projet de loi de finances rectificative pour 2015, qui prévoit d'ailleurs l'ouverture de 88 millions d'euros supplémentaires pour couvrir les dépenses effectivement constatées en fin d'année. Comme les années précédentes, une nouvelle sous-budgétisation est ainsi à craindre pour 2016.
En outre, les dotations inscrites dans les lois de finances ne couvrant pas la totalité des dépenses d'AME prises en charges par l'assurance maladie, il y aura accroissement de la dette de l'Etat vis-à-vis de la Cnam. Des apurements de dette ont eu lieu en 2007 et 2009. Une nouvelle dette s'est cependant constituée dès 2011. Son montant atteignait près de 75 millions d'euros à la fin du mois de septembre.
La Cour des comptes a critiqué le désengagement progressif de l'Etat envers l'assurance maladie dans le cadre de la mission « Santé ». Dans sa note d'analyse d'exécution budgétaire pour 2014, elle constate que « pour faire face à l'insuffisance récurrente des crédits AME, toutes les autres lignes budgétaires du programme sont progressivement réduites, voire annulées », citant en particulier la disparition du fonds CMU du périmètre de la loi de finances, l'annulation de la dotation de l'Etat au Fiva en 2014 et sa sous-budgétisation en 2015. Pour la Cour, « ces évolutions de périmètre ne suffisent pas à résoudre les difficultés provoquées par la croissance des dépenses d'AME, auxquelles la croissance de la dette vis-à-vis de la Cnam devient la réponse récurrente ».
Au-delà du nécessaire respect du principe de sincérité budgétaire, il me paraît indispensable d'approfondir les efforts déployés pour une meilleure maîtrise du dispositif.
La réforme de la tarification des séjours hospitaliers devrait entraîner une économie de 60 millions d'euros en 2016. De son côté, la Cnam travaille à harmoniser les procédures d'instruction tandis que les caisses primaires ont renforcé leurs contrôles pour lutter contre les fraudes.
L'examen des dossiers d'AME est cependant souvent rendu difficile par le caractère déclaratif des informations fournies par les demandeurs. Il arrive en particulier que des personnes demandent à être prises en charge au titre de l'AME alors qu'elles sont arrivées en France avec un visa de court séjour et qu'elles sont en principe assurées dans leur pays d'origine. La Cpam de Paris m'a ainsi indiqué que l'examen de certaines demandes donne des raisons sérieuses de penser que le demandeur pourrait disposer d'un visa. C'est la raison pour laquelle il me paraîtrait utile de prévoir, comme les caisses le demandent, un accès aux informations contenues dans la base « Réseau mondial visas 2 » du ministère des affaires étrangères. Il pourrait s'agir d'un accès indirect par lequel les caisses se verraient communiquer les renseignements nécessaires à la bonne instruction des dossiers (nature et durée de validité du visa). Je vous présenterai un amendement en ce sens.
La dotation de l'Etat au Fiva était initialement maintenue à son niveau de 2015, soit 10 millions d'euros. Je ne reviens pas sur nos réserves sur la faiblesse persistante de cette contribution par rapport à celle consentie par la branche AT-MP du régime général (430 millions). A l'Assemblée nationale, la dotation de l'Etat au Fiva a été majorée, à l'initiative du Gouvernement, de 3,4 millions d'euros, par cohérence avec l'adoption de l'article additionnel 62 quinquies rattaché à la mission « Santé ». Cet article prévoit une remise de créance au profit de victimes de l'amiante ayant perçu des indemnités du Fiva pour un montant supérieur à celui effectivement dû à l'issue d'une procédure contentieuse. Il régularise ainsi une situation particulièrement préjudiciable aux victimes. Je vous proposerai d'y être favorable.
En revanche, compte tenu des considérations émises sur le programme 183, les crédits de la mission « Santé » ne me paraissent pas pouvoir recueillir en l'état un avis favorable de notre commission.
Mme Catherine Génisson . - Cet intéressant rapport met en évidence l'augmentation de 4,7 % des crédits de la mission. Si certains peuvent considérer que c'est insuffisant, l'augmentation est assez substantielle dans le contexte d'encadrement budgétaire pour 2016. Merci de ce focus sur l'ANSM ; nous attendons avec impatience le rapport de MM. Daudigny et Barbier sur le médicament. S'agissant de la nouvelle agence nationale de santé publique, malgré la fusion de trois agences, le budget global restera stable.
Nous aurons un débat sur l'AME en séance. Différents publics y sont éligibles. Demandez à la sénatrice-maire de Calais : ceux qui y prétendent là-bas sont très différents de ceux qui la demandent ici. Je le redirai en séance, dans les rares cas de détournement, il y a deux coupables : ceux qui sollicitent ce détournement et ceux qui le réalisent.
M. Georges Labazée . - Selon vous, l'ANSM « n'est toujours pas en mesure de résorber les retards significatifs apparus dans le traitement des signalements ». Pourriez-vous préciser la notion de signalement et nous donner quelques exemples de « dossiers considérés comme stratégiques » dont le recul aboutit à la « perte d'influence » de l'Agence ?
Mme Laurence Cohen . - La réduction de 2,6 % des crédits du programme 204 sont-ils imputables uniquement aux moindres moyens accordés aux agences sanitaires ou également à la réduction des programmes de prévention ? Les chiffres contredisent l'intérêt que le Gouvernement marque pour la prévention.
Oui, l'on confie plus de responsabilités aux agences sanitaires, et j'y suis sensible en tant que membre du conseil d'administration de l'ANSM. Mais je regrette la diminution de leurs effectifs sur deux ans : comment peuvent-ils faire plus et mieux ?
Nous débattrons du programme 183 en séance, mais je refuse, pour ma part, de stigmatiser les bénéficiaires de l'AME.
M. Jean-Pierre Godefroy . - L'Etat n'intervient pas suffisamment dans le Fiva, comme je le signalais dans le rapport que j'avais rédigé en 2005 avec MM. Vanlerenberghe et Dériot. L'Etat ajoute 10 millions d'euros cette année ; cela ne suffit pas, mais espérons que c'est le début d'un cercle vertueux.
Merci d'être favorable à l'article additionnel 62 quinquies qui règlera le problème douloureux du trop-perçu, à la suite du jugement de la cour d'appel de Douai. Il évitera à certains ayants droit de régler une somme dont ils ne disposent pas, du fait d'une mauvaise compréhension de l'indemnisation.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général . - Deux à trois ans après la crise du Mediator qui avait tout bouleversé, l'ANSM tarde à traiter des signalements et des demandes. C'est regrettable après tous les engagements pris par les gouvernements successifs. Les problèmes budgétaires ne sont pas de nature à empêcher toute solution. Sécurisons le contrôle de l'utilisation des médicaments mis sur le marché. Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur l'inachèvement de la généralisation des règles déontologiques, faute de temps et d'outils adaptés ? Cela ne devrait pourtant pas coûter cher...
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour avis . - A l'ANSM, il y a un avant et un après Mediator. Auparavant, la mission prioritaire de l'ANSM était l'instruction des dossiers d'AMM, et la seconde mission le suivi de la vie du médicament. Désormais, les priorités sont inversées et beaucoup d'AMM sont européennes. La durée de traitement des dossiers s'est allongée, avec une perte d'influence au niveau européen. En 2013, l'agence a été rapporteur dans 4 % des essais cliniques contre 37 % en 2010. Elle reçoit de nombreux signalements sur les effets indésirables des médicaments et effectue un important travail de suivi et d'instruction. Mais les retards de traitement n'ont pas encore été résorbés.
Je regrette aussi fortement la réduction des crédits de prévention au niveau national : ainsi, les crédits consacrés à la maladie d'Alzheimer et aux maladies dégénératives ont été divisés par deux, pour revenir à 200 000 euros, un niveau très faible au regard du nombre de malades.
Loin de moi l'idée de stigmatiser les bénéficiaires de l'AME : je n'ai abordé qu'un aspect du programme 183 : une personne étrangère en situation irrégulière sera toujours soignée si elle se présente à l'hôpital, mais on constate une dérive croissante des crédits à la charge de l'assurance maladie. La Cnam et la Cpam de Paris demandent depuis plusieurs années de croiser les données pour l'AME, au lieu de se contenter de déclarations. Appelons les choses par leur nom, il y a du tourisme médical. Mon amendement sera au moins un amendement d'appel sur les difficultés de l'assurance maladie à vérifier la réalité des droits.
Je remercie M. Godefroy de saluer mon avis favorable à l'amendement du Gouvernement sur le Fiva. C'est un avis de bon sens.
L'Igas constate que le contrôle de conformité des déclarations d'intérêts au fil de l'eau n'est pas systématique. Sur un échantillon de 180 déclarations d'experts, 12 % étaient non conformes, et trois présentaient des liens potentiellement incompatibles avec le mandat d'expert dans une instance consultative. Il faudrait également vérifier la mise à jour des déclarations à l'occasion de chaque réunion de commission pour les experts qui y siègent.
M. Alain Milon, président . - Nous examinons l'amendement de la rapporteure.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour avis . - L'amendement n° II-195 propose que la caisse d'assurance maladie puisse instruire les demandes d'AME en ayant accès de façon indirecte au fichier des demandes, délivrances et refus de visas selon des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il servira au moins d'amendement d'appel.
La commission adopte l'amendement n° II-195.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2016.