F. MIEUX S'ACQUITTER DE LA DETTE DE LA NATION ENVERS LES HARKIS ET LES RAPATRIÉS

Depuis la fin des années 1950, l'Etat mène une politique de soutien et d'indemnisation à destination des Français qui, en raison de l'accession à l'indépendance de territoires placés sous la souveraineté ou le protectorat de la France (Indochine, Tunisie, Maroc, Algérie, etc.), ont dû les quitter pour se réinstaller dans l'hexagone. Il apporte également une indemnisation et une aide à l'insertion en faveur des anciens membres des formations supplétives qui servaient au côté de l'armée française en Algérie, les harkis, et de leurs ayants droit.

Le pilotage de cette politique et sa mise en oeuvre ont connu une profonde réforme dans le cadre de la MAP. Figurant auparavant au sein du programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Egalité des territoires, logement et ville », les crédits la finançant ont été rattachés au programme 169 dans le cadre du PLF pour 2014. Comme le recommandait le rapport de juin 2013 précité sur les prestations en faveur des populations relevant du ministre délégué chargé des anciens combattants, une rationalisation de la gouvernance a été entreprise.

Jusqu'en 2014 quatre organismes , l'agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer (Anifom), la mission interministérielle aux rapatriés (MIR), le service central des rapatriés (SCR) et l'Onac, ainsi que les préfectures, intervenaient dans ce champ. La décision a été prise de faire de l'Onac le guichet unique au service des harkis et des rapatriés , ce qui a conduit à la dissolution de l'Anifom au 1 er janvier 2014 36 ( * ) et de la Mir au 31 décembre 2014 37 ( * ) . Le SCR, service d'administration centrale du ministère de l'intérieur chargé d'instruire les demandes de prestations servies aux harkis et à leurs familles, apporte son concours à l'Onac dans le cadre fixé par une convention conclue le 6 mai 2015. Au terme de celle-ci, soit le 31 décembre 2017, il devrait être intégré à l'Office et devenir l'un de ses pôles spécialisés.

C'est l'action n° 7 « Actions en faveur des rapatriés » du programme 169 qui assure le financement de mesures qui sont aujourd'hui essentiellement destinées aux harkis et anciens supplétifs, afin de traduire la reconnaissance de la Nation à leur égard. Son budget s'élèvera à 17,5 millions d'euros en 2016, en baisse de 10,7 % par rapport à 2015, où il s'élevait à 19,4 millions d'euros .

Le principal poste de dépense de cette action est l'allocation de reconnaissance , instituée par la loi de finances rectificative pour 1999 38 ( * ) et réformée par l'article 6 de la loi du 23 février 2005 39 ( * ) afin que l'Etat s'acquitte enfin de sa dette envers ceux qui avaient choisi de le servir en Algérie et qui, au moment du désengagement de la France, n'en furent aucunement récompensés . Elle peut prendre trois formes :

- le versement d'un capital de 30 000 euros ;

- le versement d'un capital de 20 000 euros et d'une rente annuelle de 2 322 euros ;

- le versement d'une rente annuelle de 3 415 euros .

L'article 86 de la loi de finances pour 2015 40 ( * ) a revalorisé le montant de chacune des rentes de 167 euros par an , ce qui a représenté une hausse dans le premier cas de 5,1 % et dans le second de 7,7 % . Au total, pour 2016, le coût de l'allocation de reconnaissance devrait s'élever à 15,3 millions d'euros , pour 5 798 bénéficiaires , ce qui représente une diminution de la dépense de 11 % et du nombre de bénéficiaires de 6,5 % par rapport à 2015, malgré l'augmentation consentie l'an passé.

Les harkis et leurs familles bénéficient de plusieurs autres dispositifs d' aide financière et sociale qui leur sont propres. Leur coût reste inchangé, à 1,96 million d'euros , tout comme le montant des subventions qui peuvent être accordées aux associations de harkis en application du décret du 17 septembre 2013 41 ( * ) , à 0,24 million d'euros .

Tableau n° 8 : Evolution des dépenses liées aux prestations en faveur des harkis et des rapatriés

(en millions d'euros)

2009

2014

2015

2016

Evolution 2016/2009

Allocation de reconnaissance

26,9

16,2

17,2

15,3

- 41 %

Désendettement des rapatriés installés

7,2

0,45

0,6

0,6

- 91,7 %

Compléments de bourses scolaires et universitaires

0,44

0,27

0,3

0,3

- 31,9 %

Aides à la formation professionnelle

0,86

0,1

0,16

0,16

- 81,4 %

Aide spécifique au conjoint survivant

0,39

0,2

0,3

0,3

- 23,1 %

Sauvegarde du toit familial

0,57

0,11

0,2

0,2

- 64,9 %

Cotisations de retraite complémentaire 42 ( * )

0,4

0,4

0,4

0,4

/

Total

36,76

17,73

19,16

17,26

- 53 % 42

Dues aux anciens salariés du service des eaux d'Oran et des manufactures de tabac en Algérie en application de l'article 7 de la loi n° 63-1293 du 21 décembre 1963 de finances rectificative pour 1963.

Source : Projets annuels de performances annexés aux PLF

A périmètre identique , les politiques publiques de soutien aux harkis ont connu une forte baisse de leurs moyens au cours des années 2010. Cela s'explique évidemment par la diminution des populations concernées, mais semble également traduire un certain désengagement de l'Etat à leur endroit. Aux yeux de votre rapporteur pour avis, il est inacceptable de constater que les compléments de bourses ou les aides à la formation professionnelle ont diminué de 31,9 % et 81,4 % en sept ans, alors qu'ils représentaient en 2009 une dépense de seulement 1 ,3 million d'euros . Les difficultés d'insertion que rencontrent encore aujourd'hui les descendants de harkis ne pourront pas être surmontées tant que leur niveau scolaire ne se sera pas élevé. Il est de la responsabilité de l'Etat de les y aider, et il est très regrettable que celui-ci ait si peu d'ambition pour eux.

Cette situation dénote des insuffisances , au plus haut niveau, dans le pilotage de la politique relative aux harkis . L'exemple de l'allocation de reconnaissance et de l'article 51 du présent projet de loi de finances en est la parfaite illustration. La loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 42 ( * ) a prononcé, à son article 52, la forclusion des demandes d'allocations de reconnaissance dans un délai d'un an suivant son entrée en vigueur, soit à compter du 19 décembre 2014. Figurant dans le projet de loi initial, cette disposition n'est pourtant mentionnée ni dans son exposé des motifs, ni dans son étude d'impact. Moins de deux ans plus tard, le Gouvernement reconnaissait que cette forclusion hâtive privait du bénéfice de l'allocation de reconnaissance certains conjoints ou ex-conjoints survivants non remariés de titulaires de cette allocation, dès lors que le décès de ce dernier était intervenu après la date de forclusion. En conséquence, le 6° de l'article 30 de la loi du 28 juillet 2015 43 ( * ) a habilité le Gouvernement à modifier, par ordonnance, « les conditions dans lesquelles les conjoints et ex-conjoints survivants non remariés des personnes désignées au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie peuvent obtenir le bénéfice de l'allocation de reconnaissance ». La durée de cette habilitation est fixée à douze mois à compter de la promulgation de la loi.

Il semblerait toutefois que l'article 51 du présent projet de loi de finances rende cette habilitation caduque . Il crée en effet une allocation de reconnaissance des conjoints et ex-conjoints survivants d'anciens supplétifs, distincte de l'allocation de reconnaissance de droit commun. D'un montant de 3 415 euros par an , elle est allouée, dans un délai d'un an suivant le décès de l'ancien supplétif, au conjoint ou ex-conjoint survivant non remarié et n'ayant jamais perçu l'allocation de reconnaissance. Elle est exonérée d'impôt sur le revenu et peut, le cas échéant, être répartie entre conjoints et ex-conjoints en fonction de la durée effective de leur union avec l'ancien harki décédé. Les personnes dont le conjoint ou ex-conjoint serait décédé avant l'entrée en vigueur de cette disposition auraient jusqu'au 31 décembre 2016 pour déposer leur demande auprès des services départementaux de l'Onac.

Cette mesure « affectant directement les dépenses budgétaires de l'année » au sens du 7° de l'article 34 de la Lolf 44 ( * ) , il est effectivement préférable qu'elle figure en loi de finances, bien qu'il s'agisse là du domaine partagé et non exclusif de celle-ci. Il n'en reste pas moins regrettable que le législateur ait été amené, à la demande du Gouvernement, à l'habiliter à prendre des mesures relevant du domaine de la loi pour régler un problème dont il est à l'origine et que celui-ci décide, moins de trois mois plus tard, de ne pas en faire usage. Votre rapporteur pour avis est satisfait que cette rupture d'égalité entre conjoints survivants de harkis soit corrigée . Les estimations du Gouvernement font état de 218 bénéficiaires , pour un coût de 0,74 million d'euros en 2016 et qui atteindrait, à l'horizon 2020, un coût de 2 million d'euros par an . Votre rapporteur pour avis déplore toutefois, sur cette question, un manque d'anticipation du Gouvernement sur les effets de sa politique, qui contribue à perpétuer, chez les harkis et leurs descendants, ce sentiment de délaissement et de reconnaissance inachevée de la part de la Nation que le plan d'action annoncé par le Premier ministre le 25 septembre 2014 et mis en oeuvre depuis lors n'a pas permis d'atténuer.


* 36 Par l'article 127 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 37 Par le décret n° 2014-1696 du 29 décembre 2014 portant transfert des attributions de la mission interministérielle aux rapatriés à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.

* 38 Loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999, art. 47.

* 39 Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

* 40 Loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.

* 41 Décret n° 2013-834 du 17 septembre 2013 instituant des mesures en faveur des membres des formations supplétives et assimilées ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs familles.

* 42 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, art. 52.

* 43 Loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

* 44 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, art. 34, 7°.

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