N° 165

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME V

OUTRE-MER

Par M. Serge LARCHER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, MM. Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 164 à 170 (2015-2016)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Comme l'a rappelé la ministre des outre-mer lors de son audition par notre commission des affaires économiques, la stabilité des crédits de la mission outre-mer prévue par le projet de budget pour 2016 est, dans le contexte de rigueur que nous connaissons, un témoignage de l'attention portée par les plus hautes autorités de l'État aux ultra-marins.

Tout en reconnaissant l'aspect positif de cette stabilisation, votre rapporteur pour avis estime avant tout nécessaire de rappeler que ce budget pour 2016 intervient dans une phase critique de l'évolution des outre-mer qui appelle des mesures offensives pour l'investissement et l'emploi .

En effet, dès 2009, notre délégation sénatoriale pour les outre-mer avait signalé un tournant majeur. L'endettement croissant des États, et en particulier de nos administrations publiques, impose une réduction des transferts et des allocations publiques : cela risque de frapper très brutalement les territoires qui en bénéficiaient traditionnellement le plus. Ce danger concerne au premier chef les outre-mer mais aussi les territoires métropolitains de la France dite « périphérique ». Le péril n'est pas seulement économique et social : on constate à l'évidence qu'au-delà de certains seuils de taux de chômage, la confiance dans les institutions et les principes démocratiques sont ébranlés : de ce point de vue, la situation est critique dans l'hexagone mais explosive dans les outre-mer.

Plus que partout ailleurs en France, il nous faut donc offrir aux jeunes ultra-marins d'autres perspectives que le choix entre une probabilité de chômage de 50 % et l'exil vers des zones économiques plus porteuses.

S'agissant des outils opérationnels à mettre en oeuvre, votre rapporteur attire l'attention sur la nécessité de préserver le secteur public mais aussi d'encourager le secteur marchand à proposer des rémunérations attractives aux jeunes diplômés : de ce point de vue, la concentration des allégements de charges sur les bas salaires et le phénomène de « trappe » qui en résulte risquent de favoriser une captation excessive des talents par la fonction publique.

Des études économiques ont constaté l'aptitude des TPE et PME ultra-marines à la performance. Elles font aussi observer que l'étroitesse des marchés des outre-mer n'est pas seulement un handicap, car les entreprises locales ont une capacité d'adaptation supérieure pour produire des biens et services répondant à une demande spécifique. Encore faut-il amplifier ce potentiel de création de richesses ultramarines en favorisant la capacité de ces petites entreprises à travailler en réseau. Sur ce point, les travaux de notre commission des affaires économiques appellent à s'inspirer des ressorts qui permettent aux micro-entreprises d'Italie du Nord de travailler en réseau et de générer de très remarquables excédents manufacturiers donnant ainsi l'exemple d'une alternative au « modèle allemand ».

L'investissement productif, le logement et la formation sont les piliers de cette nouvelle croissance. Encore faut-il - et votre rapporteur pour avis souligne avec force cette exigence fondamentale - que le cadre juridique, fiscal et administratif offre aux opérateurs ultramarins une stabilité et une visibilité suffisante.

La stabilité et la lisibilité des normes doivent être relayées par une plus grande fluidité des procédures. Pour résumer le message qu'expriment les remontées de terrain, « le temps c'est de l'argent » et on en perd encore trop dans les outre-mer. Dans le domaine du logement social, par exemple, qui est particulièrement encadré, il est urgent de permettre aux opérateurs de mieux se concentrer sur leur coeur de métier qui est de construire, car le temps consacré à remplir des dossiers atteint aujourd'hui des seuils excessifs.

Depuis plusieurs années et singulièrement depuis la publication du projet de loi de finances pour 2016, votre rapporteur pour avis s'est mobilisé sur ces différents thèmes : il approuve donc les modifications introduites par les députés et acceptées par le Gouvernement ayant pour effet de proroger les incitations fiscales à l'investissement jusqu'à la fin de l'année 2020 dans les départements d'outre-mer et jusqu'à la fin de 2025 pour les collectivités d'outre-mer (COM) disposant de l'autonomie fiscale.

Lors d'une réunion tenue le 18 novembre 2015, la commission des affaires économiques a émis, sur proposition de son rapporteur pour avis, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « outre-mer » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016.

I. DES CRÉDITS GLOBALEMENT PRÉSERVÉS EN 2016, MAIS QUI DOIVENT ÊTRE ASSORTIS DE MESURES OFFENSIVES POUR STIMULER L'ÉCONOMIE DES OUTRE-MER

Après avoir augmenté entre 2008 et 2010 d'environ 18 %, les crédits de paiement de la mission "Outre-mer" se sont stabilisés depuis 2011 un peu au-dessus de deux milliards d'euros.

La finalité de cette mission, à 90 % composée de crédits d'intervention, est double. La première est de favoriser la création de richesses et d'emplois en stimulant la compétitivité des territoires ultra-marins, ce qui passe principalement par l'allégement du coût du travail outre-mer. La seconde est d'améliorer la cohésion sociale et les conditions de vie des populations qui y résident, grâce au développement du logement social, la résorption de l'habitat insalubre, ainsi que par l'accompagnement des collectivités territoriales dans l'aménagement et le développement de leur territoire.

Le document de politique transversale « outre-mer » pour 2016 permet de replacer ces deux milliards dans le total des dépenses de personnel, de fonctionnement, d'investissement et d'intervention consacrés par l'État aux outre-mer. Toutes missions confondues, avec en particulier 4,7 milliards d'euros consacrés à l'enseignement scolaire, ce montant total s'élève à 14,5 milliards d'euros en PLF 2016.

Votre rapporteur pour avis constate que ce « jaune budgétaire" est une mine d'informations mais il convient de ne pas se méprendre sur sa signification : « l'effort global" qu'il retrace n'a rien d'exceptionnel puisque tous nos concitoyens bénéficient des services publics de base sans pour autant que les chiffres correspondant aux dépenses consenties sur chaque territoire fassent l'objet d'une publication spécifique. Au demeurant, ces 14,5 milliards d'euros représentent 3,9 % des dépenses prévues pour l'ensemble du budget de l'État (374,8 milliards d'euros) alors qu'elles concernent 4,05 % de la population (2,7 millions d'habitants dans les DOM/COM et 66,6 millions pour la France entière, en 2014, selon l'INSEE).

A. LE PRÉSENT ET L'AVENIR BUDGÉTAIRES : LA STABILISATION RASSURANTE DES CRÉDITS DE PAIEMENT ET LA DIMINUTION ALARMANTE DES AUTORISATIONS D'ENGAGEMENT

1. La préservation du seuil des deux milliards d'euros pour l'emploi et les conditions de vie des outre-mer face à une situation économique et sociale explosive.

La mission outre-mer du projet de loi de finances pour 2016 peut faire l'objet de plusieurs lectures différentes.

Globalement, elle prévoit une stabilité des crédits de paiement avec un million d'euros supplémentaire par rapport à 2015 mais une diminution de 3,1 % des autorisations d'engagement .

En ce qui concerne ses deux principaux volets, on constate simultanément :

- une baisse des allocations pour le programme « Emploi » , qui mobilise les deux-tiers des moyens de la mission, avec une diminution de 2,3 % des autorisations d'engagement (AE) et de 1,3 % des crédits de paiement (CP).

- et, en revanche, une hausse de 2,7 % des crédits du programme « Conditions de vie » , qui représente un tiers des moyens de la mission.

Soulignant l'aspect positif de ce budget, la ministre George Pau-Langevin a indiqué que dans un contexte de baisse d'autres enveloppes, le budget des outre-mer (2018 millions d'euros) était préservé - avec un million d'euros de plus qu'en 2015 « à structure constante » - ce qui témoigne de l'intérêt porté aux ultra-marins par les plus hautes autorités de l'État.

Le calcul qui permet d'arriver à ce résultat figure en page 8 du « bleu budgétaire » (qui en comporte 96 au total) : il indique qu'en loi de finances 2015 « au format 2016 » 2,017 milliards d'euros (en CP) ont été alloués à la mission outre-mer tandis que, pour 2016, 2,018 milliards d'euros sont prévus.

Ce document budgétaire contient cependant des signes plus inquiétants , au premier rang desquels la diminution des autorisations d'engagements de cette mission « outre-mer », ce qui pourrait préfigurer une baisse des crédits de paiement pour les prochaines années.

Évolution des crédits de la mission « outre-mer » (en millions d'euros)

Autorisations d'engagement (AE) et crédits de paiement (CP)

Programme

LFI 2014

LFI 2015

PLFI 2016

138

Emploi outre-mer

AE 1 402,4

CP 1 386

1 391,9

1 378,6

1 361,1

1111,2

123

Conditions de vie outre-mer

AE 742,7

CP 671,4

700,9

684,6

718,5

701,9

Total de la mission

AE 2145,1

CP 2057,4

2094,9

2064,2

2079,6

2063,3

Source : projets annuels de performances annexés aux projets de loi de finances pour 2015 et 2016.

2. Les outre-mer participent incontestablement à l'effort de redressement des comptes publics tandis qu'ils subissent les contrecoups de la tendance restrictive et de l'instabilité des soutiens fiscaux à l'investissement.

Au-delà de la baisse de 3,1 % des autorisations d'engagement - analysés plus en détail dans la suite du rapport - plusieurs constats témoignent de la participation des outre-mer à la rigueur budgétaire.

Tout d'abord, les crédits de la mission pour 2016 sont inférieurs de 44 millions d'euros au plafond triennal fixé dans la loi de programmation des finances publiques. Ce plafond - qui a d'ailleurs juridiquement une valeur législative et peut donc être modifié par le Parlement - a été fixé à 2,062 milliards d'euros pour 2016 et 2,102 milliards pour 2017.

Ensuite, pour la deuxième année consécutive, les crédits de fonctionnement du ministère des outre-mer diminuent (- 11 % en 2016 après une baisse de 5 % en 2015). Ils s'élèveront à 2,44 millions d'euros en AE comme en CP, contre 2,75 millions d'euros en 2015. Ces baisses de moyens concernent les services du cabinet de la ministre, de la direction générale des outre-mer (DGOM) et de la délégation interministérielle à l'égalité des chances des Français d'outre-mer (DIECFOM).

Les outre-mer subissent également les conséquences des mesures restrictives prises en 2015 . L'article 103 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 a ainsi abrogé l'aide à la rénovation hôtelière qui avait été instaurée par l'article 26 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (LODEOM). De plus, l'aide à la continuité territoriale a été réaménagée dans un souci d'économie budgétaire avec le passage d'un droit annuel à un droit que certains avaient interprété comme triennal et qui se révèle, en pratique, quadriennal.

Il convient également de rappeler qu' entre 2009 et 2013, une vingtaine de mesures restrictives ont été adoptées en matière d'aide fiscale à l'investissement.

Par ailleurs, comme en témoigne le document de politique transversale dit « jaune budgétaire » pour 2016, plusieurs missions essentielles enregistrent un fort repli pour 2016 : par exemple, la mission « Justice » baisse de 85 millions d'euros et la mission « Défense » de 70 millions alors même que l'insécurité augmente.

Votre rapporteur pour avis souligne tout particulièrement la poursuite de la baisse des dotations aux collectivités territoriales ultramarines avec une diminution de 80 millions d'euros dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales ultramarines », soit une nouvelle baisse de 4,1 % prévue en 2016 après celle de 3,6 % en 2015. Certes, on constate dans la mission « outre-mer » une légère augmentation de 6 millions d'euros des crédits en faveur de la politique contractuelle entre État et collectivités mais la seconde mesure est loin de compenser la première. Or les taux de chômage élevés engendrent de forts mécanismes d'exclusion et ce sont les collectivités qui sont en première ligne pour prendre en charge ces catégories les plus vulnérables de la population en matière d'aide sociale, de formation, d'aides à la réinsertion et de contrats aidés. C'est pourquoi votre rapporteur pour avis insiste sur l'idée d'une dotation spécifique d'amorçage pour accompagner, en Guyane et en Martinique, la toute prochaine fusion entre départements et régions .

Dotations aux collectivités territoriales ultramarines
retracées dans le « jaune budgétaire » pour 2016

(en millions d'euros)

CP 2015

CP 2016

Mission Relations avec les collectivités territoriales

2 010 932 150

(AE 1 952 105 770)

1 889 984 365

(AE 1 872 907 611)

119 - Concours financiers aux communes et groupements de communes

En 2015, les programmes 119, 120 (concours financiers aux départements avec 54,6 millions d'euros en 2014) et 121 (concours financiers aux régions avec 135 millions d'euros en 2014) ont été fusionnés.

216 377 858

216 377 858

122 - Concours spécifiques et administration

(Il s'agit des aides aux collectivités déstabilisées par des circonstances exceptionnelles et du financement de certains transferts de compétences.)

150 331 256

138 493 978

Prélèvements sur recettes

Il s'agit des prélèvements directement opérés sur les recettes du budget général de l'État. Ils financent :

- la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes d'outre-mer ;

- les dotations de péréquation communale, à savoir la dotation de solidarité urbaine (DSU), la dotation de solidarité rurale (DSR) et la dotation nationale de péréquation (DNP) ;

- la DGF des départements, qui bénéficie aux cinq DOM ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon et Saint-Martin ;

- la dotation départementale d'équipement des collèges (DDEC) et la dotation régionale d'équipement scolaire (DRES), transformées en PSR en 2008.

1 573 737 843

1 507 421 293

Source : document de politique transversale outre-mer pour 2016, p. 204 et suivantes.

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