EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 21 octobre 2015 sous la présidence de M. Jacques Gautier, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le rapport pour avis de M. Michel Boutant, sur la proposition de loi n° 6 (2015-2016) relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.
Après l'exposé du rapporteur pour avis, un débat s'est engagé.
M. André Trillard . - Ce texte est la conséquence d'une décision du Conseil constitutionnel qui avait été saisi par soixante députés, mais aussi individuellement par le président du Sénat et par le Président de la République et qui a annulé un article de la loi relative au renseignement, pour un problème de forme plus que de fond : le texte ne contenait pas les dispositions d'exploitation, de la conservation et de la destruction des documents, ni les conditions de légalité des autorisations délivrées qu'il renvoyait à des décrets en Conseil d'État. Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions auraient dû figurer dans la loi. Il s'agit donc de combler un vide juridique. La proposition de loi est examinée au fond par la commission des lois qui apportera peut-être quelques amendements. Cette proposition de loi ne pose aucun problème ni sur le fond ni sur la forme. Le groupe Les Républicains votera ce texte.
M. Gaëtan Gorce . - J'avais exprimé des réserves lors de l'examen du projet de loi relative au renseignement. Nous aboutissons à la reconnaissance légale, et c'est tant mieux, de systèmes qui fonctionnaient en toute irrégularité, dont on a longtemps nié l'existence, y compris suite à des demandes formulées par la CNIL, mais dont on pouvait se douter qu'ils avaient été mis en place puisque d'autres puissances, comme les États-Unis en disposaient. Il s'agit de mécanismes qui continuent d'utiliser des algorithmes qui permettent d'identifier ce que l'on cherche mais dans une masses de données considérables exploitées dans des conditions que l'on peut discuter. Nous avons une vision assez fantasmatique de la surveillance et du renseignement qui consiste à penser que plus on collecte de données, plus on obtient de résultats, ce qui n'est pas aussi simple. Mes réserves sont fondées sur le fait que les contrôles sont plus faibles que pour les données collectées sur le territoire national, ce qui ne manquera pas de poser des problèmes au regard du droit européen. Je souligne que la jurisprudence européenne s'est prononcée sur l'accord « Safe Harbor » sur le transfert des données personnelles et en a suspendu la mise en oeuvre en indiquant que le régime de protection des données n'était pas satisfaisant. On peut craindre qu'il en soit de même en l'absence de contrôle a priori et de contrôle portant sur le fonctionnement des fichiers. Je m'abstiendrai.
M. Daniel Reiner . - Les questions ont déjà fait l'objet d'un large débat lors de l'examen du projet de loi relative au renseignement. Elles ont été tranchées par le choix d'autoriser l'utilisation de techniques de renseignement dans un cadre légal rénové afin de renforcer la sécurité de nos concitoyens tout en préservant les libertés. La proposition de loi est la conséquence d'une décision du Conseil constitutionnel qui a considéré, pour une fois - d'habitude ce sont plutôt les empiètements sur le domaine réglementaire qui sont reprochés que le législateur n'était pas suffisamment intervenu s'agissant de la surveillance internationale. Mais rien ne change dans l'esprit, puisqu'il s'agit de mettre en forme législative ce qui était prévu dans les décrets. Cela a néanmoins permis de travailler un peu plus certains points, notamment la question des délais de conservation, car ces délais doivent être plus longs, c'est un point qui sera certainement discuté. Le contrôle est exercé a posteriori par la CNCTR sur les décisions du Premier ministre. Il existe aussi une possibilité pour le justiciable de saisir cette autorité.
Je ne suis pas sûr que les pays européens et les États-Unis puissent venir nous donner des leçons en la matière. Nous avons là un texte observé par d'autres pays. On pourra évaluer les résultats de sa mise en oeuvre. Ce sera peut-être un texte exemplaire. Naturellement, le groupe socialiste votera ce texte et souhaite qu'il soit modifié le moins possible au regard de ce qui sera sorti de la commission des lois.
M. Jean-Marie Bockel . - Je souscris aux arguments développés par notre collègue Daniel Reiner. Comme lors de l'examen de la loi relative au renseignement, notre groupe n'est pas unanime. Les échanges que nous avons pu avoir lors de la 13 e Université d'été de la défense à Strasbourg en septembre dernier nous ont montré la pertinence d'un renforcement du renseignement, dans le respect de nos principes, pour être au niveau qui convient compte tenu des menaces. Il n'y a pas de solution idéale mais je considère qu'il faut voter ce texte.
M. Claude Malhuret . - Nous touchons à un sujet préoccupant depuis les révélations de l'affaire Snowden sur le fonctionnement de la NSA et qui pose des questions fondamentales, Amnesty International, la commission nationale de contrôle de défense des droits de l'homme s'en sont saisi. J'avais pour ma part plusieurs observations et questions. D'abord, j'avais déjà fait remarquer que les pouvoirs de contrôle de la CNCTR étaient restreints, de plus la nomination comme président d'un ancien secrétaire général de la défense nationale m'interpelle s'agissant de l'indépendance de cette autorité.
M. Daniel Reiner . - Membre du Conseil d'Etat, c'est un procès d'intention !
M. Claude Malhuret . - En matière de surveillance internationale, le contrôle de la CNCTR n'est qu'a posteriori, elle a donc peu de pouvoir. Vous évoquez un avis du Conseil d'Etat sur la proposition de loi de M. Bas, peut-on en avoir connaissance ? Pourquoi a-t-on procédé par une proposition de loi sur une matière aussi régalienne de l'action de l'Etat à l'étranger, qui relève de l'exécutif, si ce n'est pour éviter la publication d'une étude d'impact juridique et économique. J'ajoute que les communications reçues à l'étranger, depuis le territoire national vers un identifiant étranger, le serveur Google par exemple, pourront être surveillées sur la base de ce régime, or nous utilisons quotidiennement ces outils, toutes les communications sont concernées. Je ne suis pas contre la DGSE, mais à partir du moment où cela concerne un très grand nombre de nos concitoyens ou les personnes résidant en France, c'est donner aux services de renseignement des pouvoirs, à mes yeux, démesurés. Les techniques de renseignements autorisées ne sont pas définies alors qu'elles le sont de façon précise pour le territoire national. Cela fait beaucoup de questions que j'aurais souhaité pouvoir développer plus longuement.
M. Joël Guerriau . - Nous sommes dans le prolongement du débat que nous avons eu lors de l'examen du projet de loi relative au renseignement. Nous avons eu des doutes, émis des critiques, il est donc normal que l'on y revienne, notamment sur les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des données qui sont des points importants. L'intérêt du texte, c'est qu'il permet de fixer plus clairement la nature du contrôle de légalité des autorisations qui seront mises en oeuvre, ce qui constitue une avancée. Je pense que l'on est dans une courbe d'expérience qui nous permettra peut-être dans le futur de revenir sur certaines dispositions pour mieux les encadrer. Je voterai cette proposition de loi.
M. Jeanny Lorgeoux . - Je salue la pondération de l'analyse de notre rapporteur et l'honnêteté intellectuelle de notre collègue Malhuret. Pour autant, je considère que l'efficacité de nos services de renseignement justifie que nous votions sans réserve un texte qui aboutit à un équilibre satisfaisant entre l'exigence de liberté et l'exigence de sécurité.
Mme Leila Aïchi . - Je m'associe à nombre d'observations développées par notre collègue Malhuret. Pour ce qui me concerne, j'ai deux interrogations. Le texte omet de détailler les modalités d'interception autorisées et, s'agissant d'un texte concernant les droits et les libertés fondamentales, je m'interroge sur le recours à la procédure accélérée pour l'examen de cette proposition de loi. Je voterai conte.
M. Michel Boutant, rapporteur . - Il est important de légiférer rapidement car nos services ont besoin d'une sécurité juridique que l'annulation des dispositions votées par le Parlement par le Conseil constitutionnel en juillet dernier, a affaiblie.
La saisine du Conseil d'Etat qui était en grande partie l'objet de la démarche du président Philippe Bas en déposant sa propre proposition de loi, qui est très proche dans sa rédaction de celle déposée à l'Assemblée nationale, a permis d'éclaircir certaines interrogations légitimes quant à la constitutionnalité et la conventionalité des dispositions proposées, notamment au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, que plusieurs d'entre vous ont évoquée. L'ensemble des garanties inscrites dans la proposition de loi permettent, selon les termes de l'avis du Conseil d'Etat, de « regarder l'ingérence dans la vie privée que rendent possible les mesures contenues dans la proposition de loi comme étant nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale et à la prévention des infractions pénales, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
Enfin, la CNCTR intervient certes a posteriori et ne formule pas d'avis préalable avant les autorisations délivrées par le Premier ministre, mais elle est informée systématiquement. Elle dispose de larges moyens d'exercer son contrôle, de solliciter le Premier ministre pour mettre fin à des opérations de surveillance et de saisir le Conseil d'Etat si le Premier ministre ne donne pas suite à ses recommandations.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport pour avis à la majorité, MM. Gaëtan Gorce, Jean-Noël Guerini, Robert Hue, Claude Malhuret, Alex Türk et Raymond Vall s'abstenant, Mmes Leïla Aïchi, Michelle Demessine, Nathalie Goulet, Sylvie Goy-Chavent et M. Yves Pozzo di Borgo votant contre.