Annexe 1 - COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. HENRI NALLET

ANNEXE 1 - compte rendu de l'audition de M. Henri Nallet, président de l'observatoire national de l'enseignement agricole (onea)

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MERCREDI 23 OCTOBRE 2013

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Henri Nallet, président de l'Observatoire national de l'enseignement agricole, dans la perspective de la prochaine loi sur l'avenir de l'agriculture, qui contiendra des dispositions destinées à sécuriser et à promouvoir l'enseignement agricole.

M. Henri Nallet, président de l'Observatoire national de l'enseignement agricole (ONEA) . - L'enseignement agricole sera effectivement traité dans la prochaine loi, qui sera portée par M. Stéphane Le Foll.

L'enseignement agricole devant former les agriculteurs de demain, il convient de l'adapter aux évolutions de l'agriculture attendues dans les années à venir. Deux tendances lourdes semblent s'annoncer.

D'une part la nécessité de répondre à une forte croissance démographique, assortie d'une augmentation des exigences alimentaires, qui nécessitera de produire des quantités toujours plus importantes, sur des surfaces identiques voire amoindries.

D'autre part la nécessité - vitale - de parvenir à ces niveaux de production dans des conditions respectant et préservant l'écosystème. Cette exigence est maintenant prise en compte par la politique agricole commune (PAC), qui conditionne certaines aides et subventions aux conditions de production.

De ces deux tendances, découlent plusieurs conséquences, dont la première est la nécessaire promotion de l'agronomie, qui accroîtra l'efficacité des agriculteurs en leur permettant de mieux comprendre leur environnement. L'émergence de la génération des « paysans-chercheurs », que certains appellent de leurs voeux, sera favorisée par une meilleure communication et une coopération continue entre les exploitations, l'enseignement et la recherche.

Cette volonté est présente dans l'avant-projet de loi, par exemple dans le renforcement des liens entre l'enseignement technique et l'enseignement supérieur, mais de façon pas encore assez affirmée.

La deuxième conséquence est l'ouverture plus grande de l'exploitation à l'enseignement : l'exploitation ne doit plus être seulement le lieu où l'on applique des connaissances acquises auparavant et ailleurs, mais un réceptacle de formation et d'information continues et permanentes.

Troisième conséquence, le renforcement de la présence de professionnels de l'agriculture et des industries agro-alimentaires dans les instances de l'enseignement agricole. Cette présence constitue déjà un atout majeur de l'enseignement agricole, par rapport aux autres types d'enseignement professionnel.

La quatrième conséquence est le nécessaire maintien de la tutelle du ministère de l'agriculture sur la formation des professeurs de l'enseignement agricole. Ce point a été très discuté lors de la concertation, les représentants de l'Éducation nationale souhaitant remettre en cause cette responsabilité.

La dernière conséquence concerne l'ouverture du monde agricole sur l'extérieur. Sous peine de manquer de bras, l'agriculture devra employer des jeunes issus d'autres milieux, ruraux ou même urbains. À cet égard, nous plaidons pour que l'orientation scolaire relève de l'interministériel et non plus seulement de l'Éducation nationale et pour que les trois familles de l'enseignement agricole - secteur public, secteur privé et maisons familiales - soient désormais rattachées à un schéma national.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Ce n'est pas dans notre commission que sera débattu le modèle de production agricole de demain, mais c'est bien nous qui débattrons de sa transposition dans la formation des jeunes.

Mme Françoise Férat . - Je salue monsieur le président, la finesse de vos analyses. Comme vous, j'aimerais insister sur la complémentarité des trois familles de l'enseignement agricole, qui ne sont pas en concurrence. De quels professionnels avons-nous besoin pour assurer la transformation de nos modes de production et garantir la qualité de notre alimentation ? C'est la question. Vous proposez plusieurs scénarios d'évolution de l'enseignement agricole dans votre rapport. Malheureusement, je n'en retrouve pas trace dans le projet de loi d'avenir pour l'agriculture. Je regrette d'ailleurs que la concertation préalable ait été aussi courte.

Je suis personnellement favorable à l'implication des régions dans l'enseignement agricole. Cependant, nous ne pouvons que constater d'importantes disparités entre territoires. Dès lors, quel cadre national, quel mode de gouvernance devrions-nous retenir pour assurer un traitement équitable de toutes les régions ?

La question de l'orientation me paraît cruciale. Jamais on ne propose aux élèves de les orienter vers l'enseignement agricole à la sortie du collège. Les responsables des centres d'information et d'orientation (CIO) l'admettent eux-mêmes. Comment mieux faire connaître et rayonner l'enseignement agricole ?

Autre point qui me laisse dans l'expectative : la formation des enseignants. Le projet de loi initial prévoyait la création d'une école supérieure du professorat et de l'éducation agricole (ÉSPÉA). Cela ne semble plus à l'ordre du jour. Pourtant, pour produire autrement nous devons enseigner autrement. Comment pourrons-nous assurer la cohérence de la formation des enseignants de l'enseignement agricole avec celle des enseignants de l'éducation nationale ?

Je suis persuadé que les exploitations agricoles annexées aux établissements doivent jouer un rôle moteur dans le développement de l'agroécologie et de modes alternatifs de production. En avons-nous les moyens ? Le statut, le personnel et le financement sont-ils suffisants ? Comment associer équitablement les établissements publics et privés à cette politique ?

Enfin, quelle évolution des diplômes vous semble souhaitable afin d'assurer la liaison bac-3/bac+3 dans l'enseignement agricole ?

M. Henri Nallet . - La question du rôle des conseils régionaux est très importante. C'est un vrai sujet de débat. Tout le monde conviendra que les régions ont parfaitement rempli la compétence qui leur a été dévolue en matière de lycées. Faut-il aller encore plus loin dès lors qu'à bien des égards, le conseil régional est plus proche du terrain que la rue de Varenne ? Certaines régions se sont équipées et disposent de personnels compétents qui leur permettraient certainement de mener une politique propre de formation agricole. Néanmoins, sans contester le rôle éminent des régions, nous ne pouvons faire l'impasse sur une coordination nationale. Il nous faut un véritable plan stratégique pour garantir la cohérence des différentes politiques régionales. L'État ne doit pas entièrement laisser la main.

En matière d'orientation, il est important de rappeler que l'enseignement agricole forme à d'autres métiers qu'à ceux de la production. Par exemple, le lycée agricole de Mirande forme des spécialistes de la couture du cuir de haute qualité, qui sont recrutés chaque année par Hermès.

Je dois vous avouer que je ne connais pas précisément l'état actuel du projet de loi, en cours d'examen par le Conseil d'État. Mais je crois savoir qu'il a un peu reculé par rapport à la version initiale. Je partage votre souci quant aux exploitations des établissements. Il faut associer les collectivités à leur gestion et assurer une égalité de traitement entre les différents ordres d'enseignement sur ce point.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Je vous confirme que les collectivités interviennent pour soutenir les exploitations. Ainsi, à Arras, l'exploitation du lycée agricole s'est orientée vers des cultures biologiques. Cette exigence nouvelle s'est traduite par une moindre rentabilité. C'est le conseil régional qui comble le déficit. Mais si nous voulons soutenir les modes alternatifs de production en utilisant les exploitations des lycées comme modèles, il faut aussi que l'État contribue à les soutenir.

Mme Corinne Bouchoux . - Pour avoir passé plusieurs années dans une école agronomique publique, je considère que l'enseignement agricole est bien plus innovant que l'éducation nationale. L'internat y est très développé, ce qui permet un travail beaucoup plus approfondi et exemplaire en matière de vie de l'élève et de gestion non violente des conflits. L'enseignement agricole, outre ses qualités pédagogiques, offre le modèle d'une éducation proche de l'élève et attentive à ses besoins. Nous devons trouver le moyen de diffuser cette culture au sein de l'éducation nationale. Ne pourrions-nous pas identifier des moments dans la formation des enseignants de l'éducation nationale, au sein des nouvelles ÉSPÉ, pour leur faire connaître l'enseignement agricole ? Cela contribuerait aussi à résoudre le problème de l'orientation vers cet enseignement encore délaissé.

J'aimerais aussi vous faire part d'expérimentations menées dans le Maine-et-Loire qui s'appellent « une école, un jardin » et « un collège, un jardin ». Elles permettent de diffuser une culture de la production biologique dans de petites parcelles auprès des enfants. Elles ouvrent des coopérations entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole au niveau local pour un budget très modeste. Je pense qu'elles mériteraient d'être diffusées et imitées.

M. Jean-Claude Carle . - L'agriculture raisonnée, que l'on pourrait aussi appeler raisonnable, n'est pas celle de la course à la productivité. Pour soutenir notre filière agricole, nous devons privilégier la création de valeur ajoutée plutôt que la hausse des volumes. Je partage tout à fait les orientations de votre rapport.

La spécificité de l'enseignement agricole exige qu'il soit maintenu sous la tutelle du ministre de l'agriculture, malgré les velléités périodiques de le rattacher à l'éducation nationale. La concertation avec les professionnels est une des clefs du succès incontestable de l'enseignement agricole. C'est une excellente chose que la présidence du conseil d'administration des établissements puisse être confiée à un représentant du monde économique. Dans la loi Fillon de 2005 dont j'étais rapporteur, nous avions ouvert la même possibilité dans les lycées de l'éducation nationale à titre expérimental. Devant les résistances internes au ministère cette expérimentation a malheureusement fait long feu.

Pour garantir le développement de l'enseignement agricole, il convient de ne pas se disperser mais au contraire de se concentrer sur l'agronomie. Je partage totalement votre avis sur ce point. Je considère que c'est la région qui constitue le meilleur échelon de planification pour l'enseignement agricole. Il faut regretter à cet égard que les directeurs régionaux de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) ne soient pas autant impliqués que les recteurs dans l'élaboration des contrats de plan régionaux de développement des formations professionnelles (CPRDFP).

M. Jacques-Bernard Magner . - Vous avez émis une critique à peine voilée de l'agriculture telle que nous la vivons encore aujourd'hui. Si j'en juge par ce que j'observe dans mon département, en moyenne montagne, l'heure reste à la concentration des exploitations laitières sur les fermes de 1 000 vaches, qui, loin de produire de manière plus raisonnée, voire en bio, servent à la fois lait et biomasse.

La place des céréaliers et de l'agriculture intensive au sein de la formation reste dominante par rapport aux nouveaux systèmes de production. Il faut rompre avec ce modèle obsolète.

Je partage votre conviction : la formation des agriculteurs doit rester confiée aux établissements, placés sous la responsabilité du ministère de l'agriculture. En revanche, la formation des enseignants ne relève pas seulement d'une formation spécifique. Elle doit donc être assurée au sein des ÉSPÉ. Enfin, je me félicite que les crédits de l'enseignement agricole progressent de 1,5 % au sein du projet de loi de finances pour 2014, ce qui devrait satisfaire votre rapporteure que je sais très attentive sur ce point.

M. Pierre Bordier . - Évoqué il y a quelques années, l'institut des sciences et techniques du vivant n'a pu voir le jour.

Il pourrait être utile de remettre ce sujet sur la table. J'ai d'ailleurs posé une question orale au ministre de l'agriculture sur l'avenir de l'École nationale vétérinaire d'Alfort (ENVA) et du centre d'application de Champignolles, dans l'Yonne le 11 septembre dernier.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - L'agriculture est aujourd'hui confrontée à des défis majeurs, notamment alimentaire, démographique ou encore environnemental. Mais il y a aussi, à mon sens, un enjeu démocratique avec la participation des citoyens aux débats relatifs à l'exploitation agricole. Dans ce cadre, je considère d'ailleurs que l'enseignement agricole a un rôle important à jouer puisqu'il peut faire le lien entre la recherche, l'expérimentation et les apprentissages. Comme M. Magner, je suis aussi sensible au sujet de la formation des enseignants pour laquelle la question se pose de la mise en place d'un lieu spécifique.

En outre, dans le cadre d'une réflexion sur les enjeux industriels français, nous ne pourrons pas, évidemment, nous passer de traiter le cas de l'agriculture. Sur le plan de la politique agricole, quelle sera l'articulation avec le pouvoir régional ? À cet égard, je considère qu'il faut une véritable stratégie, à l'échelle nationale voire européenne, et non une simple coordination entre les différents acteurs.

Enfin en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, je considère qu'il est aussi intéressant d'étudier la question de la place des femmes, encore trop minorée dans l'agriculture.

M. Henri Nallet . - Monsieur Magner, vous avez senti dans ma présentation une forme de critique à l'égard de l'agriculture actuelle. Je tiens à souligner que le travail d'intensification de la production agricole a été remarquable. Les agriculteurs de cette génération ont mené à bien une formidable modernisation.

Il reste qu'il existe un mouvement et une demande dans notre société, au demeurant assez contradictoires : se nourrir pas cher avec des aliments guérissant de toutes les maladies ! Il faut en tenir compte en encourageant une production efficace présentant des coûts peu élevés et offrant une nourriture de qualité. Ce qui est en train de s'effondrer en Bretagne est à cet égard un modèle artificiel, importé des États-Unis. Il faut développer aujourd'hui une agriculture plus ménagère, notamment en retrouvant des vieilles traditions agronomiques. On redécouvre ainsi la polyculture élevage, car c'est efficace et écologiquement sûr. Il faut ainsi réfléchir aux risques de la concentration notamment dans l'élevage, car ces formes de production ont des effets écologiques non maîtrisables.

La formation des enseignants doit être ouverte sur l'éducation mais en y associant des professionnels de l'agronomie.

En réponse à M. Carle sur la spécificité de l'enseignement agricole et le rôle positif joué par ses structures de gouvernance sur son succès, je tiens à souligner que la loi du 9 juillet 1984 constitue un instrument formidable, que j'ai obtenu de haute lutte au prix de deux dispositifs, l'un consacré à l'enseignement agricole public et l'autre à l'enseignement agricole privé, et qui est désormais apprécié de tous les professionnels.

Pour autant, la concertation avec les professionnels mériterait d'être rajeunie et redynamisée. Les professionnels, qui sont nombreux et assument bien souvent plusieurs responsabilités, semblent effectivement un peu moins présents dans la gouvernance des établissements.

Je souscris pleinement à la piste excellente évoquée par Mme Bouchoux qui consisterait à renforcer les liens entre les établissements d'enseignement agricole et les établissements situés en zone urbaine, afin de favoriser les échanges entre les enseignants et les classes, notamment dans le cadre de parcours de découverte des exploitations.

À M. Bordier qui m'interrogeait sur les innovations apportées par le projet de loi en matière d'enseignement supérieur et d'enseignement vétérinaire, je répondrai qu'un certain nombre de reculs peuvent être relevés dans la dernière version du texte par rapport aux propositions qui avaient été formulées au départ. Le projet de loi envisageait initialement la création d'un Institut vétérinaire de France qui aurait rassemblé les quatre écoles vétérinaires de notre pays. C'est peu dire que les quatre établissements concernés ont mal accueilli cette proposition, parfois avec une certaine virulence.

Le même type de recul a été observé en ce qui concerne la mise en place de regroupements, proposition qui a également fait l'objet de réactions négatives de la part des établissements. Pourtant, et je ne suis pas le seul à partager cette idée, les regroupements s'imposent pour permettre l'émergence de quatre à cinq grands établissements qui accueilleraient en moyenne 15 000 étudiants chacun. C'est une des conditions pour garantir leur rayonnement à l'international.

La résistance opposée par certaines réactions corporatistes explique en partie les reculs que je viens de décrire. Cette situation n'est pas sans rappeler l'échec, que je considère comme le plus important de ma carrière, du projet de création au début des années 1990 de l'Institut des sciences et techniques du vivant (ISTV), fermement combattu par l'École nationale vétérinaire d'Alfort. Les élus, tant de la Marne que de la région, étaient pourtant prêts à s'engager pour financer le projet.

La question du défi démocratique et de la maîtrise par les citoyens de l'avenir de notre agriculture, posée par Mme Gonthier-Maurin, est à la fois essentielle et complexe dans ses éléments de réponse. Au lendemain de la guerre, quand l'heure était à l'intensification de la production et à l'ouverture de notre agriculture à d'autres formes de culture, nos concitoyens semblaient globalement en phase avec les ambitions agricoles du pays. Le même accord a prévalu par la suite, non sans quelques difficultés, pour la mise en place du marché commun.

À l'heure actuelle, cet accord n'existe plus. Après la crise de confiance provoquée par le scandale de la « vache folle », les choses se sont certes améliorées depuis le Grenelle de l'environnement. Il est clair que le projet de loi est une occasion à ne pas manquer pour tenter de reconstituer une forme de consensus de la communauté nationale sur l'avenir de son agriculture, afin de se mettre d'accord sur les meilleurs moyens de relever le principal défi contemporain : parvenir à nourrir les populations sans abîmer notre environnement.

M. Jean-Claude Carle . - Quel avenir envisagez-vous pour les écoles nationales d'industrie laitière (ÉNIL), qui offrent d'excellentes formations mais qui sont aujourd'hui confrontées à de lourds problèmes de recrutement ?

M. Henri Nallet . - Les ÉNIL constituent un modèle de formation professionnelle tout à fait exceptionnel : on y forme les étudiants aux toutes dernières innovations du secteur, en s'inspirant de ce qui se fait de mieux dans les écoles nationales professionnelles. Ce n'est pas un hasard si les diplômés de ces écoles trouvent un emploi dans les 48 heures ! Les facteurs de succès des ÉNIL méritent d'être étudiés de près afin que d'autres établissements puissent s'en inspirer, et nous sommes prêts, au sein de l'Observatoire, à nous pencher sur leur modèle.

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