B. LES OUTILS MIS EN PLACE POUR PERMETTRE À LA JUSTICE ADMINISTRATIVE DE REMPLIR SES MISSIONS

1. La rationalisation du parcours contentieux

• La redéfinition des compétences du Conseil d'État

Ces dernières années, des réformes ont été entreprises afin de recentrer le Conseil d'État sur son rôle de juge de cassation, en ne conservant ses compétences de premier ressort que pour les seuls contentieux justiciables d'une cour suprême. Le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 a abrogé une série de compétences de premier ressort du Conseil d'Etat, transférée aux tribunaux administratifs (articles R. 311-1, R. 312-18 et R. 312-19 du code de justice administrative).

L'impact le plus significatif de cette réforme a porté sur le tribunal administratif de Nantes, auquel ont été attribués les litiges relatifs au rejet des demandes de visa d'entrée sur le territoire de la République française relevant des autorités consulaires (2286 en 2012).

Les litiges qui ne relèvent de la compétence d'aucun tribunal administratif en application des dispositions de droit commun ont été attribués au tribunal administratif de Paris.

Les litiges intéressant le déroulement de carrière des agents publics nommés par décret du Président de la République, à l'exception des litiges concernant le recrutement et la discipline, relèvent désormais du tribunal administratif dans le ressort duquel est affecté l'agent.

Enfin, les actes dont le champ d'application s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif relèvent du tribunal dans le ressort duquel a son siège l'autorité compétente.

La mise en oeuvre de cette réforme a permis de réduire de manière significative la part du contentieux de premier ressort au sein de l'ensemble des contentieux traités par le Conseil d'Etat : de 31 % en 2009, elle est passée à 22 % en 2010 pour atteindre 17 % en 2011 et 16 % en 2012.

Cette redéfinition des compétences du Conseil d'Etat s'est également traduite par l'attribution de compétences de premier ressort aux cours administratives d'appel .

L'article 48 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures autorise désormais que, par dérogation au principe selon lequel les tribunaux administratifs sont juges de droit commun du contentieux administratif, des compétences de premier ressort soient dévolues aux cours administratives d'appel.

Cette loi a trouvé une première application avec le décret n° 2012-1130 du 5 octobre 2012 qui a transféré à la cour administrative d'appel de Paris le contentieux des arrêtés du ministre du travail relatifs à la représentativité des organisations syndicales .

Le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative (partie réglementaire), qui s'appliquera aux requêtes enregistrées après le 1 er janvier 2014, transfère aux cours administratives d'appel le contentieux des décisions de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC).

Le contentieux des décisions relatives aux attributions de fréquence pour la diffusion des services locaux de radiodiffusion ou de télévision prises par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) est attribué à la cour administrative d'appel de Paris. Le Conseil d'Etat demeurera compétent pour connaître des litiges portant sur les décisions du CSA relatives aux services nationaux de radio et de télévision ainsi que sur les décisions de sanction et de règlement des différends.

Les flux contentieux concernés par cette réforme représentaient 264 dossiers enregistrés par le Conseil d'Etat en 2012 s'agissant des décisions de la CNAC (286 en 2011) et quelques dizaines de dossiers par an s'agissant des décisions du CSA.

• Le raccourcissement ou l'allongement du parcours contentieux

Cela se traduit principalement par l' attribution de compétences de premier et dernier ressort aux tribunaux administratifs . En effet, le décret du 13 août 2013 précité révise la liste des contentieux relevant de la compétence des tribunaux administratifs en premier et dernier ressort, c'est-à-dire qui ne sont pas susceptibles d'appel mais uniquement d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat (article R. 811-1 du code de justice administrative). Cette réforme s'appliquera à compter du 1 er janvier 2014.

Ainsi, l'appel sera supprimé pour les contentieux sociaux et le contentieux du permis de conduire , qui relèveront désormais d'un pourvoi en cassation direct devant le Conseil d'Etat.

Pour le contentieux en matière de permis de conduire, votre rapporteur estime que la diminution du flux des recours (réduction de moitié du nombre des entrées en trois ans et apurement du nombre de dossiers en stock), mais surtout le fait que cette matière ne soulève plus désormais de questions juridiques délicates ou non tranchées qui rendraient utile un second degré de juridiction, justifie cette réforme.

S'agissant des contentieux sociaux, votre rapporteur s'est posé la question de la pertinence de la suppression de l'appel. Compte tenu du faible taux d'appel (plus de quatre fois inférieur au taux d'appel moyen), ce qui laisserait supposer un bénéfice très faible du double degré de juridiction, et du recours massif aux ordonnances de rejet par les cours, il a estimé que la mise en place d'un régime procédural spécifique pour ces contentieux (régularisation possible du défaut de motivation et renforcement de l'oralité), également prévue par le décret, permettait effectivement un traitement plus adapté de ce type de contentieux. Il sera néanmoins attentif, l'année prochaine, aux premiers éléments de bilan de la mise en oeuvre de cette réforme .

Enfin, le décret n° 2013-879 du 1 er octobre 2013 relatif au contentieux de l'urbanisme confie en premier et dernier ressort au juge administratif le contentieux des permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou des permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une commune qui se caractérise par un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements. Les jugements rendus par les tribunaux administratifs relèveront directement du contrôle du juge de cassation. Cette réforme a pour objectif de réduire la durée moyenne des procédures contentieuses pour faciliter la réalisation de programmes de logements dans un marché en tension.

S'il a parfaitement saisi l'intérêt de tels mouvements, votre rapporteur estime qu'une prudence particulière est de mise sur cette question, car la dispense d'appel est susceptible de porter atteinte aux droits du justiciable , puisque, une fois l'affaire en cassation, le Conseil d'État ne revient plus sur l'appréciation des faits.

A contrario , le contentieux de la fonction publique, dans son ensemble, pourra désormais faire l'objet d'un recours devant les cours administratives d'appel, alors que seuls les litiges concernant l'entrée au service, la discipline et la sortie du service relevaient jusqu'à présent de l'appel. Il en est de même pour les contentieux des immeubles menaçant ruine. La restauration du double degré de juridictions pour ces contentieux est justifiée par l'importance de l'enjeu concret du litige pour les justiciables, alors même qu'ils posent souvent des questions de fait qui se prêtent mal à un contrôle de cassation.

Au vu de ces multiples réformes, votre rapporteur craint une détérioration de la lisibilité du parcours contentieux , nuisible pour les justiciables, qui peinent déjà parfois à identifier le juge compétent, a fortiori , dans le cadre de contentieux dans lesquels l'assistance d'un avocat n'est pas obligatoire.

2. L'adaptation des procédures à la complexité des affaires

• L'impact limité de la dispense de conclusions du rapporteur public

L'article 188 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit a ajouté au code de justice administrative un nouvel article L. 732-1, qui organise la dispense, par le président de la formation de jugement, de présentation par le rapporteur public de ses conclusions. Cette disposition est applicable aux tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. Elle ne concerne pas le Conseil d'État.

Le rapporteur public peut ainsi, à son initiative, dossier par dossier, être dispensé par le président de la formation de jugement d'exposer publiquement ses conclusions à l'audience , en considération de la nature des questions à juger et de la pertinence, pour le délibéré de la formation de jugement ou pour les parties, de l'éclairage qu'il est oralement susceptible d'apporter.

La liste des matières susceptibles de faire l'objet de cette dispense a été fixée par voie réglementaire à l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative. Elle concerne notamment les contentieux répétitifs et factuels comme le contentieux des étrangers ou les contentieux sociaux comme le DALO.

L'objectif principal de cette réforme, entrée en vigueur le 1 er janvier 2012, était de soulager les rapporteurs publics de la charge excessive de travail qui pesait sur eux et de leur permettre de se recentrer sur les dossiers plus complexes.

Au tribunal administratif de Lille, dans lequel votre rapporteur s'est rendu, la dispense de conclusions est quasi-systématique pour certains contentieux comme le permis de conduire. En revanche, les rapporteurs publics refusent de l'utiliser pour le contentieux des étrangers.

Selon M. Gil Cornevaux, représentant du syndicat de la juridiction administrative (SJA), entendu par votre rapporteur, cette réforme n'aurait qu'un faible impact sur l'activité des rapporteurs publics qui étudient de toute façon le dossier avant de décider de demander la dispense de conclusions au président de la juridiction. Les affaires qui donnent lieu à dispense sont celles qui ne faisaient l'objet que de conclusions très brèves avant la réforme.

De plus, symboliquement, selon le SJA, cette procédure, appliquée aux contentieux de masse, provoquerait l'incompréhension du justiciable qui voit le rapporteur public se dispenser de conclusions sur son dossier alors qu'il conclut sur le dossier suivant. Le risque serait de voir le taux d'appel augmenter, le justiciable ayant le sentiment de ne pas être traité comme les autres.

• Les limites du recours au juge unique

En principe le juge administratif statue en formation collégiale , après présentation des conclusions du rapporteur public. Toutefois, certains contentieux peuvent relever de la compétence d'un juge statuant seul. Cette procédure n'est jamais obligatoire. Le juge en charge de l'affaire peut toujours décider de la renvoyer à une formation collégiale. Cette procédure s'applique principalement devant les tribunaux administratifs 9 ( * ) .

Les principaux contentieux relevant du juge unique

Devant les tribunaux administratifs, certaines affaires relevant de la procédure de droit commun peuvent être traitées par un juge unique. Leur liste est fixée par l'article R. 222-13 du code de justice administrative (CJA). Cet article a été modifié par le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative. Seront concernés par cette procédure, à compter du 1 er janvier 2014 :

- les litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi, mentionnés à l'article R. 772-5 ;

- les litiges relatifs à la notation ou à l'évaluation professionnelle des fonctionnaires ou agents publics ainsi qu'aux sanctions disciplinaires prononcées à leur encontre qui ne requièrent pas l'intervention d'un organe disciplinaire collégial ;

- les litiges en matière de pensions ;

- les litiges en matière de consultation et de communication de documents administratifs ou d'archives publiques ;

- les litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l'audiovisuel public, à l'exception des litiges relatifs à la contribution économique territoriale ;

- les litiges relatifs aux refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice ;

- les requêtes contestant les décisions prises en matière fiscale sur des demandes de remise gracieuse ;

- les litiges relatifs aux bâtiments menaçant ruine ou aux immeubles insalubres ;

- les litiges relatifs au permis de conduire ;

- toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15.

À cette liste peut être ajouté le contentieux des contraventions de grande voirie qui, en vertu de l'article L. 774-1 (CJA), relève également de la compétence d'un juge statuant seul.

À côté de ces contentieux, les affaires instruites et jugées selon une procédure dérogatoire au droit commun , essentiellement en raison de l'urgence qui s'attache à leur traitement, relèvent également du juge statuant seul. Il s'agit, pour l'essentiel :

- du contentieux des obligations de quitter le territoire français et des reconduites à la frontière lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence (articles R. 776-15 et suivants du CJA) ;

- du contentieux du refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile (article L. 777-1 du CJA) ;

- du contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage (articles R. 779-1 et suivants du même code) ;

- du contentieux du droit au logement opposable (articles R. 778-1 et suivants du même code).

Enfin, sont également traitées par un juge unique, les procédures de référé (articles L. 511-1 et suivants du CJA) et les ordonnances des présidents de chambre ou de juridiction (article R. 222-1 du même code), y compris des présidents des sous-sections du Conseil d'État, qui leur permettent de régler, sans instruction contradictoire et sans audience, des affaires appelant une solution évidente et simple.

Cette procédure peut se cumuler avec la dispense de conclusions du rapporteur public.

Elle a été mise en place pour permettre aux juridictions de faire face à l'inflation du contentieux. Au total, environ 60 % des affaires jugées devant les tribunaux administratifs l'ont été par un juge unique ou par ordonnance en 2012, le reste l'a été en formation collégiale . Ces procédures se caractérisant par leur grande rapidité, elles ont largement contribué à la maitrise des délais de jugement, en particulier du délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock, qui ne distingue pas entre affaires ordinaires et affaires réglées selon une procédure spécifique (urgence, référés, ordonnances...).

Évolution de la part des affaires traitées par juge unique
ou formation collégiale dans les tribunaux administratifs

TA
(données brutes)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Affaires jugées
en formation collégiale

56 519

62 923

70 901

70 867

68 152

70 045

71 378

78 115

34,0%

36,2%

38,8%

36,9%

34,8%

36,10%

37,15%

39,68 %

Affaires jugées
par un juge unique

55 833

52 040

52 893

55 498

61 671

62 933

62 800

58 847

33,5%

29,9%

29,0%

28,9%

31,5%

32,44%

32,69%

29,89 %

ordonnances

54 100

58 930

58 753

65 667

66 028

61 029

57 951

59 913

32,5%

33,9%

32,2%

34,2%

33,7%

31,46%

30,16%

30,43 %

Source : secrétariat général du Conseil d'État.

Part respective des affaires jugées par ordonnances, à juge unique
ou en formation collégiale de 2005 à 2012 dans les tribunaux administratifs

Source : commission des lois à partir des données fournies par le secrétariat général

du Conseil d'État.

Les années 2007-2009 ont été marquées par une progression du nombre d'ordonnances et d'affaires jugées par un juge unique, et une baisse progressive des affaires jugées en formation collégiale, à la suite, notamment, de l'extension du champ des ordonnances par le décret du 23 décembre 2006 10 ( * ) .

Depuis 2010, cette tendance semble avoir atteint ses limites. En effet, après une baisse entre 2010 et 2011, le nombre d'ordonnances est resté stable en 2012 devant les tribunaux administratifs. Le nombre d' affaires réglées par juge unique a connu une diminution et le nombre d' affaires jugées en formation collégiale, une progression .

Devant les cours administratives d'appel , au cours des dernières années, environ trois-quarts des affaires ont été jugées en formation collégiale et seulement un quart a été jugé par juge unique par ordonnances.

En 2012, le jugement en formation collégiale a progressé de plus de 9 % dans les tribunaux administratifs et de 4,4 % dans les cours administratives d'appel.

Pour les ordonnances , ce mouvement de diminution devrait s'accentuer avec l'entrée en vigueur au 1 er janvier 2014 de la réforme du régime procédural applicable aux contentieux sociaux, issue du décret n° 2013-730 du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative.

En effet, les dispositions du nouvel article R. 772-6 du code de justice administrative subordonnent désormais le pouvoir du président de la formation de jugement de rejeter une requête par voie d'ordonnance, lorsque celle-ci n'est pas ou est insuffisamment motivée, à l'envoi préalable au justiciable d'une invitation à régulariser sa requête, accompagnée d'une information sur le rôle du juge administratif. Cette possibilité nouvelle de régularisation permettra aux justiciables qui auront complété la motivation de leur requête de bénéficier d'une instruction contradictoire et du passage à l'audience de leur dossier.

A l'inverse, le reste des affaires pouvant être tranchées par un juge statuant seul (hors ordonnances) pourrait repartir à la hausse l'année prochaine en raison de l'extension par le décret du 13 août 2013 du champ des matières pouvant relever du juge unique 11 ( * ) :

- aux contentieux sociaux, définis comme les « litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi » ;

- aux litiges relatifs à la consultation d'archives publiques, désormais assimilés aux litiges relatifs à la communication de documents administratifs ;

- aux recours en indemnisation introduits à la suite d'un refus de concours de la force publique alors que jusqu'à présent seuls les recours pour excès de pouvoir introduits à la suite d'un tel refus relevaient d'un magistrat statuant seul ;

- aux litiges relatifs aux immeubles insalubres, désormais assimilés aux litiges relatifs aux bâtiments menaçant ruine.

Si ces procédures de simplification contentieuse ont permis à la juridiction administrative de faire face à l'augmentation du contentieux et de réduire ses délais de jugement, votre rapporteur s'interroge néanmoins sur leur impact éventuel sur la qualité de la justice rendue .

En effet les « litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi » , tels que le contentieux du DALO, du RSA ou des plans de sauvegarde de l'emploi, sont également ceux qui peuvent faire l'objet de dispenses de conclusions du rapporteur public et qui sont jugés en premier et dernier ressort par le tribunal administratif, sans possibilité d'appel. Or, le pourvoi en cassation, avec représentation obligatoire par un avocat au conseil n'est pas le moyen d'accès à la justice le plus facile pour les justiciables les plus fragiles.

Par ailleurs, selon les magistrats rencontrés au tribunal administratif de Lille par votre rapporteur, le recours au juge unique est limité en pratique car il se heurte à la capacité de traitement des rapporteurs publics, moins nombreux que les magistrats rapporteurs. Le risque est que le rapporteur public utilise la dispense de conclusions pour faire face à cet engorgement, ce qui n'est pas la raison d'être de cette procédure. De même, le nombre d'affaires examinées par audience ne peut augmenter indéfiniment en raison des effectifs de greffe limités.

Enfin, selon le représentant du syndicat de la juridiction administrative (SJA), le recours aux ordonnances et au juge unique seraient à l'origine de l'augmentation du taux d'annulation des décisions.

De fait, la prévision actualisée pour 2013 fait état d'un taux d'annulation par le Conseil d'Etat des jugements des tribunaux administratifs de 25,6 %, bien supérieur à ce qui était prévu pour 2013 (15 %) et bien supérieur à la proportion relevée en 2012 : 17,7 %. Selon le Conseil d'Etat, cette dégradation de l'indicateur résulte en grande partie du traitement de séries et ne devrait pas compromettre l'objectif cible fixé pour 2015.

3. La volonté des juridictions administratives de se recentrer sur la fonction de juger

Lors du déplacement et des auditions qu'il a réalisés, votre rapporteur a constaté un certain sentiment d'impuissance des magistrats face aux procédures récentes relevant davantage, selon eux, du précontentieux, que du contentieux.

Tel est le cas en particulier du contentieux spécifique en matière de droit au logement opposable (DALO), pour lequel, le juge ne peut qu'enjoindre l'État, éventuellement sous astreinte, de trouver un logement à la personne déclarée prioritaire. Le juge ne tranche aucune question de droit, il ne règle pas non plus la situation du justiciable, puisqu'il n'est évidemment pas en mesure de lui attribuer un logement. Il constate seulement un état de fait.

Un premier bilan de cette procédure a été dressé par nos collègues Claude Dilain et Gérard Roche 12 ( * ) . Leurs conclusions sont, à cet égard, éclairantes. L'utilité réelle du DALO « soulève question [...] les juges, qui assurent une charge de travail très importante, peinent à percevoir leur réelle plus-value et font face à l'incompréhension des requérants, déçus de ne pas obtenir de logement ou de relogement à l'issue directe de leur recours. »

De même en matière de contentieux liés au refus d'attribution du revenu de solidarité active (RSA) ou à la radiation de pôle emploi, les magistrats ont exprimé leur sentiment de jouer davantage un rôle de conciliateur social que de juge. Selon Mme Véronique Hermann, secrétaire générale de l'union syndicale des magistrats administratifs, entendue par votre rapporteur, le juge administratif intervient de plus en plus pour transiger ou discuter alors que son rôle est de trancher.

Selon M. Benoît Rivaux, président du tribunal administratif de Lille, il conviendrait de développer pour ces matières la procédure précontentieuse , à travers les recours administratifs préalables obligatoires , pour que l'administration à l'origine de la décision réexamine le dossier en cause et opère ainsi un premier filtre avant la saisine du juge.

Le principe du recours administratif préalable obligatoire (RAPO) a été fixé par la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. En 2008, le Conseil d'Etat a rendu un rapport très favorable à l'extension de cette procédure, notamment en matière de fonction publique et de permis de conduire. Or, celui-ci a peu progressé ces dernières années.

L'utilisation du recours administratif préalable obligatoire (RAPO)

La loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit fixe un cadre pour ces recours préalables obligatoire et notamment les règles à respecter lors de leur instauration ainsi que les mentions à faire figurer dans les décisions.

Cette loi a également prévu l'expérimentation, pendant une durée de trois ans, de la procédure des recours administratifs préalables obligatoires pour les recours contentieux formés par certains fonctionnaires à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle, à l'exception de ceux concernant le recrutement ou l'exercice du pouvoir disciplinaire 13 ( * ) .

Deux autres mécanismes de recours administratif préalable obligatoire ont également été mis en place.

En matière d'allocation du revenu de solidarité active (RSA), la loi n° 2008-1249 du 1 er décembre 2008 a subordonné « toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active » à un recours administratif auprès du président du conseil général « préalablement à l'exercice d'un recours contentieux ». Le président du conseil général bénéficie pour l'instruction de ces recours du concours de la commission de recours amiable instituée auprès des caisses d'allocations familiales.

En matière d'acquisition de la nationalité française, la déconcentration du traitement des demandes de naturalisation et de réintégration dans la nationalité française présentées par les ressortissants étrangers résidents sur le territoire français auprès des préfets décidée, à titre expérimental, par le décret n° 2009-1671 du 28 décembre 2009, puis, à titre définitif, par le décret n° 2010-725 du 29 juin 2010, s'est accompagnée de l'instauration d'un mécanisme de recours administratif préalable obligatoire devant le ministre chargé des naturalisations.

Selon votre rapporteur, l'extension du RAPO constitue une piste pour les prochaines années . La garantie de l'accès à un juge ne signifie pas que celui-ci doive intervenir systématiquement, dès la contestation d'une décision de l'administration par un usager. En matière fiscale, par exemple, le recours administratif préalable obligatoire donne des résultats satisfaisants. Il ne constitue pas un obstacle à l'accès au juge.

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la justice administrative.


* 9 Ce n'est qu'en matière d'ordonnances que la compétence des présidents de cour administrative d'appel est plus large qu'en première instance.

* 10 Réservée à l'origine aux hypothèses de désistement, de non-lieu et d'irrecevabilité manifeste, puis en 1995 aux hypothèses d'incompétence de la juridiction administrative et d'affaires relevant d'une série, cette possibilité a été élargie par le décret n° 2006-1708 du 23 décembre 2006 aux hypothèses des requêtes qui ne comportent « que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ».

* 11 A contrario , relèveront désormais de la compétence d'une formation collégiale les litiges relatifs aux déclarations de travaux et les litiges relatifs aux taxes syndicales ainsi que l'essentiel du contentieux de la situation individuelle des agents publics.

* 12 Rapport fait au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois sur l'application de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, n° 621 (2011-2012).

* 13 Les conditions et le champ de cette expérimentation ont été définis par le décret n° 2012-765 du 10 mai 2012. Aux termes de ce texte, elle est limitée au contentieux d'un certain nombre de décisions intéressant la carrière des agents des services du Premier ministre, du ministère de la justice ainsi que de l'académie de Lyon.

Page mise à jour le

Partager cette page