B. UNE RÉFORME DES PRATIQUES QUI DOIT ÊTRE POURSUIVIE
Parallèlement aux réformes structurelles et organisationnelles, la PJJ s'est efforcée d'améliorer la prise en charge des mineurs délinquants confiés par l'autorité judiciaire . Sous l'impulsion des évolutions législatives, de nombreux textes administratifs ont précisé et organisé le cadre de l'organisation et des missions de la PJJ.
1. La mesure d'activité de jour (MAJ)
Créée par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et définie par l'article 16 ter de l'ordonnance du 2 février 1945 et précisée par le décret du 26 décembre 2007 et par une circulaire du 18 février 2008, la mesure d'activité de jour (MAJ) est une mesure éducative prononcée par un juge des enfants et qui s'adresse en priorité aux mineurs déscolarisés, en voie de déscolarisation ou en marge des dispositifs de formation de droit commun. Elle consiste dans la participation du mineur à des activités d'insertion professionnelles ou scolaires soit auprès d'une personne morale de droit public, soit auprès d'une personne morale de droit privé exerçant une mission de service public ou d'une association habilitée à organiser de telles activités, soit au sein du service de la PJJ auquel le mineur est confié 8 ( * ) .
Il s'agit en quelque sorte d'une mesure de milieu ouvert soutenue par de l'activité. Sa durée hebdomadaire ne peut excéder la durée légale du temps de travail. Une note commune de la direction de la PJJ et de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) précise la situation des mineurs soumis à l'obligation scolaire ou scolarisés au-delà de 16 ans.
Ainsi, parmi les 113 000 décisions de milieu ouvert pénal suivies en secteur public et en secteur associatif habilité en 2012, 1002 étaient des mesures d'activité de jour, pour 924 mineurs. Deux fois sur trois, le juge des enfants est le prescripteur de la mesure d'activité de jour. Le tribunal des enfants et le parquet sont, chacun auteurs de 17 % de ce type de mesures. La durée d'exécution de la décision avoisinait sept mois en 2012.
La mesure d'activité de jour reste ainsi une décision peu prescrite. En effet, la mise en place du dispositif accueil-accompagnement (cf. ci-dessous) par la circulaire de 2009 puis de 2012 est venue concurrencer la MAJ en posant le principe d'une action d'éducation au pénal soutenue par des activités de jours.
2. Le dispositif « accueil-accompagnement »
Le dispositif « accueil-accompagnement » prévu par la circulaire du 3 avril 2012 relative à l'action d'éducation structurée par les activités de jour précitée renforce la « lisibilité » de l'action d'éducation auprès des mineurs suivis par les établissements et services de la PJJ. Il a été conçu comme une démarche globale et structurée à destination des mineurs hors des dispositifs de droit commun scolaires ou de formation.
Il a pour objectif de :
- retisser le « lien relationnel » favorisant les actions d'éducation auprès de mineurs dans l' « évitement » ;
- observer et évaluer leurs acquis et leurs capacités d'acquisition (compétences sociales, scolaires, etc.) ;
- remobiliser et accompagner les mineurs dans leur parcours à travers des activités proposées au début de la prise en charge ;
- réinscrire le mineur dans le dispositif de droit commun en matière de scolarité et de formation professionnelle.
Ce dispositif est ainsi organisé à partir d'activités de jour d'une durée de 1 à 3 mois renouvelable. Chaque territoire doit adapter son cadre d'intervention à partir d'un état des lieux identifiant le nombre de mineurs inactifs, recensant et analysant les ressources existantes et les moyens nécessaires à la mise en oeuvre du DAA.
Le DAA se compose de trois types de sessions :
- une phase de « socialisation », qui a concerné 53 % des mineurs ayant suivi le DAA en 2012. Ce module de scolarisation s'effectue sur une période d'environ 90 jours ;
- un bilan scolaire et professionnel, qui a concerné 27 % des sessions et 32 % des mineurs en 2012. Ces sessions se réalisaient sur 90 jours en 2012 ;
- la définition d'un projet professionnel, pour 20 % des sessions de DAA soit 31 % des mineurs passés dans le dispositif.
Ainsi, au total, en 2012, sur 60 000 mineurs suivis en milieu ouvert pénal, un peu moins du quart (14 000) ont bénéficié d'une activité de jour (en augmentation de 9 % par rapport à 2011), dont 6 500 ont suivi le dispositif accueil-accompagnement. Le DAA a donc concerné 10 % des mineurs suivis dans le cadre d'une mesure de milieu ouvert ou de placement pénal.
Presque deux mineurs sur trois bénéficiant du DAA ont entre 16 ou 17 ans, ce qui correspond bien au public ciblé par le dispositif (mineurs pris en charge dans le cadre pénal à la fin de l'obligation d'enseignement). Cependant, un mineur sur cinq est âgé de 13 à 15 ans. Il s'agit alors de mineurs en situation de décrochage scolaire précoce.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur au cours de l'audition des syndicats de la PJJ, le DAA s'avère difficile à mettre pleinement en oeuvre et le regard sur ce dispositif est très variable d'un territoire à un autre. En tout état de cause, le manque d'ateliers professionnels est particulièrement critiqué, le DAA apparaissant en pratique davantage comme un dispositif social que comme un dispositif professionnel.
3. La réforme de l'investigation
Si l'Etat s'est désengagé depuis 2008 de la prise en charge des mesures de protection ordonnées au civil par le juge des enfants au titre de la protection de l'enfance en danger, il continue à financer et à exécuter les mesures d'investigation ordonnées par le juge.
Rappelons que jusqu'en 2011, trois types d'investigations pouvaient être mis en oeuvre :
- le recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE), mesure d'aide à la décision du magistrat qui a rapidement besoin d'informations pour prendre une décision, et qui consiste en un recueil d'informations succinctes permettant une appréhension ponctuelle de la situation du mineur ;
- la mesure d'investigation et d'orientation éducative (IOE) et la mesure d'enquête sociale (ES), destinées à évaluer la situation du mineur ainsi que la situation de danger dans laquelle il se trouve éventuellement, et à formuler des propositions éducatives.
La réforme de l'investigation par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse s'est traduite par la création de la mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE) par la circulaire d'orientation du 31 décembre 2010 et l'arrêté du 2 février 2011. La MJIE remplace à la fois l'IOE et l'ES.
Extraits de la circulaire d'orientation du 31
décembre 2010 relatif à la MJIE
Les services mettant en oeuvre la MJIE rassemblent les éléments permettant aux magistrats de vérifier que les conditions de leur intervention sont réunies, en fonction de leur champ de compétence. Ces éléments doivent porter : En assistance éducative sur la personnalité et les conditions de vie du mineur et de ses parents, l'existence d'un danger pour la santé, la sécurité, la moralité de l'enfant, le caractère gravement compromis de ses conditions d'éducation et de son développement physique, affectif, intellectuel et social (art. 375 du CC et 1183, 1184 du NCPC). En matière pénale sur la situation matérielle et morale de la famille, la personnalité et les antécédents du mineur, sa fréquentation scolaire, ses aptitudes et son attitude à l'école, les conditions dans lesquelles il a vécu ou a été élevé, sa santé, son développement psychologique, les moyens appropriés à son éducation (article 8 et article 8-1 ordonnance du 2 février 1945) (...). Que ce soit dans le cadre civil ou pénal, l'investigation recueille les éléments du parcours antérieur du mineur et les éventuelles réponses sociales, administratives et judiciaires apportées dans le passé, dans l'objectif de construire des propositions en se fondant sur ce qui a déjà permis ou pas des évolutions de la situation. Les professionnels analysent ces éléments et élaborent des hypothèses de réponses éducatives et de protection. Dans les deux domaines, civil et pénal, à partir du recueil de ces informations, les professionnels doivent tendre, d'une part à l'objectivation de la situation en croisant leurs analyses des éléments recueillis à l'appui d'un travail interdisciplinaire, d'autre part à rendre compte de la complexité des problématiques. Dans ce processus dynamique, le cadre de direction propose au juge la synthèse de cette analyse et le cas échéant une ou plusieurs propositions éducatives. Il peut conclure à l'absence de nécessité d'un suivi éducatif. Dans toutes les préconisations, il doit préciser les avantages et inconvénients supposés de chaque choix possible ainsi que sa faisabilité. Les caractéristiques de la MJIE La MJIE est interdisciplinaire et modulable dans son contenu et sa durée. Les modalités de sa réalisation sont définies d'une part selon le cadre d'exercice pénal ou civil, d'autre part selon la situation singulière du mineur concerné et enfin selon la prescription du magistrat. L'interdisciplinarité La diversité des éléments à explorer nécessite l'apport de compétences diversifiées et impose une approche interdisciplinaire de la situation du jeune et de sa famille. Cette approche se réalise à partir notamment de la composition pluridisciplinaire du service : cadres de direction, éducateurs, psychologues, assistants de service social. Selon les situations, ces ressources internes peuvent être enrichies par des professionnels recrutés par vacation, ou par le biais de conventions : médecin psychiatre, psychologue, pédiatre, pédopsychiatre, services spécialisés (Hôpitaux, CMPP, PMI, centre d'examen de santé...) conseiller d'orientation et/ou d'insertion, ou d'autres spécialités (médiateurs culturels, services de prévention...). La modularité Au regard de la diversité des situations, d'éventuelle(s) intervention(s) éducative(s) antérieure(s), l'investigation peut porter sur des domaines plus ou moins étendus. La modularité de la mesure d'investigation répond à la nécessaire prise en compte de la spécificité des situations. Il appartient au magistrat prescripteur de déterminer le contour de l'investigation, en décidant, à tout moment de la procédure, de l'opportunité ou non de l'approfondissement d'une problématique spécifique. Ainsi, la MJIE est réalisée à partir du recueil d'informations incontournables pour chaque cadre (civil ou pénal), sachant que de nombreux items leurs sont communs. Des hypothèses de réponses en termes d'action d'éducation et/ou de protection sont élaborées à partir de l'analyse de ces informations. Le cas échéant, un ou des modules d'approfondissement explorant, par une approche spécifique, des problématiques particulières repérées d'emblée ou au cours de l'investigation peuvent être ordonnés. Le recours à un module d'approfondissement nécessite que le magistrat précise dans ses attendus l'élément ou les éléments qu'il estime déterminant à sa prise de décision. Une liste non exhaustive de modules d'approfondissement est établie dans les différents cadres, civil ou pénal, auxquels le juge pourra se référer le cas échéant (...). |
La MJIE vise à porter à la connaissance du juge plusieurs hypothèses de travail sur lesquelles le service qui a mis en oeuvre l'investigation fonde des préconisations sur les modalités d'interventions et les actions d'éducation qui lui paraissent les mieux adaptées.
Elle a été conçue pour être modulable dans son contenu et sa durée afin elle permet de mieux répondre à la singularité des situations des mineurs et de leurs familles.
En effet, comme corollaire à la création de cette mesure, la DPJJ a élaboré des documents thématiques en vue d'étayer les pratiques professionnelles d'investigation et d'action d'éducation. Ces documents proposent des repères d'interventions éducatives à partir de l'état des connaissances et de pratiques ayant montré leur intérêt dans des domaines précis, correspondant ainsi aux « modules » de la MJIE : mineur auteur de passages à l'acte violent, mineur dans les infractions à caractère sexuel, approfondissement du système familial, mineur en errance, maltraitance physique et psychologique, violences sexuelles intrafamiliales, mineur usager de drogues .
L'acquisition des compétences spécifiques à la mission investigation repose en partie sur une formation dédiée dispensée par l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ). Cette formation fait notamment partie du plan de formation statutaire des directeurs et des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse.
Entre 2007 et 2012, les secteurs public et associatif ont suivi chaque année 52 000 investigations pénales et civiles hors RRSE, dont 90 % à titre civil et 10 % à titre pénal. En 2007, ces investigations étaient confiées pour les trois quarts au service associatif habilité. Aujourd'hui, un rééquilibrage partiel intervient peu à peu entre les opérateurs. En 2012, le secteur public réalise les deux tiers de l'activité en investigation hors RRSE.
Une première évaluation faisant le point sur la mise en oeuvre de la MJIE est actuellement menée par le service d'audit central national de la DPJJ. Selon celle-ci, il ressort à ce jour de cet audit que « les professionnels s'approprient progressivement au civil comme au pénal cette nouvelle mesure pour mener à bien l'évaluation du cadre familial du mineur via une approche globale qui allie méthodologie et technicité ». En effet, cette évolution de l'investigation demande un temps d'adaptation et de remise en question des pratiques et du fonctionnement des services, et des relations entre les services et les magistrats.
Les informations recueillies par votre rapporteur au cours des auditions qu'il a menées conduisent également à une appréciation mitigée du dispositif.
Selon la directrice territoriale de la PJJ Côte d'Or/ Saône et Loire, qui a fait état de l'évaluation par ses services du fonctionnement de cette mesure pour son territoire, la MJIE est certes utilisée par les juridictions mais l'appropriation de cette réforme n'est pas complète. En effet, la MJIE constitue une passerelle systématique entre le traitement contractuel et le traitement judiciaire des mineurs. Par ailleurs, les rapports d'investigation élaborés visent l'exhaustivité alors qu'ils devraient répondre à une question technique et précise. Comme l'on également signalé les autres personnes entendues par votre rapporteur, la modularité de la MJIE en fonction de la problématique du mineur concerné n'existe pas vraiment dans les faits.
Selon l'ACODEGE (Association Côte d'Orienne pour le Développement et la Gestion d'Actions Sociales et Médico-sociales), qui gère le service d'investigation éducative de la Côte d'or et que votre rapporteur a également pu rencontrer lors de son déplacement au CEF de Châtillon-sur-Seine, si la MJIE suppose une expertise psychologique renforcée, le nombre de postes de psychologues financés ne permet pas d'y faire face dans de bonne conditions, avec en l'espèce 180 mineurs par professionnel et par an en moyenne.
De même, selon le syndicat SNPES/PJJ/FSU, cette réforme n'a pas abouti à une réforme du contenu de l'investigation. Les magistrats ne se sont pas saisis de l'aspect modulaire de la mesure, modularité dont l'objectif était, selon le syndicat, de favoriser les investigations courtes.
Les fédérations d'associations estiment que la MJIE n'a pas atteint son objectif du fait de la contrainte budgétaire. La réduction forcée des fonctions supports (encadrement et secrétariat) s'avère selon elles préjudiciable à une prise en charge efficace des mesures. En outre, elles font valoir que la tarification de cette mesure est insatisfaisante et qu'il convient de la remettre à plat.
Plus généralement, les fédérations d'associations regrettent de ne pas avoir été davantage consultées pour l'élaboration de la MJIE, ce qui aurait permis, selon elles, de rendre cette mesure plus applicable sur le terrain.
* 8 Les structures compétentes pour mettre en oeuvre la MAJ sont des services du secteur public ou du secteur associatif habilité de la PJJ. Si la MAJ peut s'exécuter (mise en place de l'activité de jour) auprès des services territoriaux éducatifs d'insertion (STEI), des services territoriaux éducatifs de milieu ouvert et d'insertion (STEMOI) ou des établissements de placement éducatif et d'insertion (EPEI), elle est nécessairement mise en oeuvre (suivi du mineur tout au long de la mesure) par un service territorial éducatif de milieu ouvert (STEMO) ou un service territorial éducatif de milieu ouvert et d'insertion (STEMOI) qui, désigné par le juge des enfants, en assure le suivi.