II. ANALYSE DES CRÉDITS PAR OPÉRATEUR
A. FRANCE TÉLÉVISIONS : LES PERSPECTIVES SONT TRACÉES
1. La situation de France Télévisions
a) France Télévisions en 2013
Le produit de la hausse de 2 euros supplémentaire de la contribution à l'audiovisuel public, proposée l'année dernière par votre rapporteur pour avis afin de soutenir France Télévisions, a effectivement été intégralement affecté au groupe.
Les prévisions de ressources approuvées par le conseil d'administration du 21 décembre 2012 reposaient donc, d'une part, sur une dotation publique globale de 2 501,8 millions d'euros , et d'autre part, sur des ressources de publicité et de parrainage de 340,1 millions d'euros.
Il apparaît que la trajectoire de charges de la société nationale de programme a été plutôt bien respectée au cours de l'année, même si le résultat opérationnel reste déficitaire (prévision de - 62,4 millions d'euros en 2013 dans le projet annuel de performances, hors autres éléments et autres résultats opérationnels). Par ailleurs le caractère très déficitaire du résultat d'exploitation (- 128,2 millions d'euros) tient compte, à titre provisionnel, d'un coût du plan de départs, à hauteur de 90 millions d'euros.
Sur les revenus, il existe manifestement un risque sur les recettes publicitaires de France Télévisions : les dernières prévisions de recettes publicitaires s'élèvent à moins de 320 millions d'euros, contre 340 millions d'euros dans le plan d'affaires associé au projet d'avenant. Il est pour l'instant impossible de chiffrer le montant de la moins-value publicitaire du groupe, mais celle-ci est avérée.
En outre, selon le rapport annuel de performances, les ressources publiques à fin 2013 « pourraient être en retrait de 31 millions d'euros par rapport au budget, en raison du cumul de la réserve de précaution et d'un surgel sur la dotation budgétaire destinée, aux termes de la loi, à compenser la suppression de la publicité après 20 heures sur le service public depuis 2009 ». Il apparaîtrait très étonnant que ce surgel soit effectivement appliqué, au vu des difficultés rencontrées par France Télévisions sur le marché publicitaire, en partie liées au fait que les annonceurs privilégient clairement les télévisions susceptibles de leur apporter aussi de la visibilité sur les écrans de soirée.
En dépit de ces difficultés, votre rapporteur pour avis se félicite de deux nouvelles positives pour le budget de France Télévisions :
- d'une part, la levée de l'hypothèque sur la taxe dite « télécoms ». La Cour de justice de l'Union européenne, dans une décision du 27 juin 2013, a en effet estimé que la taxe, assise sur le chiffre d'affaires des opérateurs de télécommunications n'était « liée ni à la procédure d'autorisation générale permettant d'accéder au marché des services de communications électroniques, ni à l'octroi d'un droit d'utilisation des radiofréquences ou des numéros », ne constituait donc pas une taxe administrative au sens de la directive « autorisation » visée par la Commission, et était donc conforme au droit communautaire . Rappelons que les montants recouvrés au titre de cette taxe ont été de 257,9 millions d'euros en 2011 et 180 millions d'euros en 2012 ;
- d'autre part, l'abrogation de la suppression de la publicité en journée sur France Télévisions (prévue pour le 1 er janvier 2016) par l'article 28 de la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public. Ces fortes incertitudes pesant sur l'avenir de la régie, et sur les ressources du groupe à partir du 2016, ont ainsi été levées.
b) Les dépréciations et pertes de droits
Lors de l'examen de l'avenant au contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions par la commission, votre rapporteur pour avis avait souligné que certaines critiques étaient portées sur la gestion par France Télévisions de son stock de programmes. Certains considéraient ainsi que la programmation pouvait parfois être liée à certaines choix comptables plutôt qu'à une décision d'ordre culturel, dans la mesure où la dépense engagée pour un programme, bien que décaissée en trésorerie au moment de l'achat, n'est pas comptabilisée comme une charge dans le compte de résultat .
Votre rapporteur pour avis remarque que cette règle comptable n'est pas spécifique à France Télévisions et s'applique dans tout le secteur audiovisuel.
France Télévisions, comme l'ensemble des diffuseurs, comptabilise bien les dépenses des programmes au moment de l'achat, ou tout au long du processus de production, soit bien avant le moment de la diffusion. En revanche, ces dépenses de programmes sont des investissements, comptabilisés dans les immobilisations, à l'actif du bilan .
Comme pour toutes les immobilisations, la comptabilisation d'une charge comptable correspond à la constatation d'un amortissement ou d'une dépréciation. Pour les programmes l'amortissement correspond à sa diffusion , et la dépréciation à une anticipation d'une perte de droits valorisés.
Votre rapporteur pour avis note que la stratégie précitée ne pourrait être « intéressante » qu'à court terme, toutes les dépenses de programmes constituant à un moment ou à un autre une charge comptable pour l'entreprise. En outre, une politique tendant à préférer les diffusions au détriment des inédits, afin que les dépenses n'apparaissent pas comme des charges dans le compte de résultat, aurait pour effet d'augmenter les stocks d'une chaîne de manière importante. De même, la répétition de telles pratiques aurait forcément pour effet la perte de droits sur certains inédits jamais diffusés, avec pour conséquence d'augmenter le montant des dépréciations et des pertes de droits.
Or, il apparaît, selon les chiffres fournis à votre rapporteur pour avis, que le montant des dépréciations, comme celui des pertes de droits et des stocks de programme, est en baisse tendancielle depuis 2010 .
Dépréciations
Source : France Télévisions
Source : France Télévisions
Source : France Télévisions
Si une analyse peut être faite à partir de ces chiffres, c'est bien que le montant des dépréciations est probablement trop élevé en 2010, ce qui correspond à un choix de ne pas diffuser certains inédits, mais qu'il devient tout à fait raisonnable dès l'année suivante, et qu'il a été sérieusement réduit depuis.
La diffusion des programmes dépend alors de la politique de programmation de la chaîne, qui vise à valoriser au maximum l'exposition des programmes achetés et produits , pour favoriser la rencontre avec les publics (qualité du programme, audience, recettes publicitaires), bien évidemment dans le respect des équilibres de gestion (budgets, stocks).
Comme l'a indiqué France Télévisions, la valorisation des rediffusions, en alternance avec les inédits, est une nécessité essentielle dans cet exercice d'optimisation. Une chaine qui diffuserait en priorité tous les inédits disponibles, se verrait contrainte de proposer une longue période de rediffusions, qui ferait chuter drastiquement l'audience et la publicité.
S'agissant des pertes de droits, on peut constater qu'elles sont en diminution sensible depuis 2010 grâce à la politique de circulation au sein du bouquet et qu'elles ne correspondent pas à des inédits , mais à des secondes diffusions valorisées à hauteur de 20 % du coût d'acquisition.
Votre rapporteur pour avis rappelle à cet égard que ces 20 % n'ont pas représenté un surcoût pour France Télévisions, puisque l'apport total du groupe était nécessaire pour finaliser le plan de financement.
Pertes de droits
Source : France Télévisions
Stocks de programmes
Source : France Télévisions
2. Les perspectives définies par le contrat d'objectifs et de moyens
a) Le budget prévu pour 2014 et la programmation pour 2015
Le présent projet de loi de finances prévoit que France Télévisions reçoive les dotations suivantes :
- 2 430,3 millions d'euros TTC contre 2 293,1 millions d'euros en 2013 au titre du programme 841 « France Télévisions » de la mission « Avances à l'audiovisuel public », ce qui correspond à une augmentation des crédits de 9,6 % ;
- et 114,7 millions d'euros au lieu de 255,9 millions d'euros en 2013 au titre du programme 313 « Contribution au financement de l'audiovisuel » de la mission « Médias », ce qui correspond à une baisse de 55 % de la dotation budgétaire.
Les crédits globaux de France Télévisions pour l'année 2013 s'élèvent donc à 2 545 millions d'euros TTC, soit une baisse de 0,15 % par rapport à 2013.
S'agissant de la programmation pluriannuelle prévue par le COM, les hypothèses de ressources sont les suivantes :
- une baisse annuelle de 0,3 % des ressources publiques sur le triennal 2013-2015, après une baisse de 1 % enregistrée en 2012-2013 ;
- une progression de 2,1 % des ressources publicitaires entre 2013 et 2015 , après une baisse de 8,6 % entre 2012 et 2013 (et de 12 % entre 2011 et 2012) ;
- en conséquence, les recettes brutes seraient en quasi-stabilité entre 2013 et 2015 (2 846,6 millions d'euros en 2013, 2 844,6 millions d'euros en 2014 et 2 845 millions d'euros en 2015), du fait d'une compensation de la baisse de la dotation budgétaire par une hausse des ressources propres. Les recettes nettes seraient en baisse de 0,1 % sur la période 2013-2015, passant de 2 514,6 à 2 508,7 millions d'euros.
Les charges opérationnelles du diffuseur seraient en baisse de 1 % par an (- 0,5 % entre 2013 et 2014 et - 1,5 % entre 2014 et 2015), en réalisant des efforts sur l'ensemble des genres :
- l'information , via la mise en place de synergies au sein de la rédaction nationale et une contraction du coût des magazines ;
- le sport , à travers la limitation ou le partage de l'acquisition de certains droits ;
- les dépenses sur les oeuvres et les programmes de flux , grâce à une politique de renégociation des contrats suite aux audits réalisées, à la limitation de certains budgets ou à l'intensification de la circulation des programmes au sein du bouquet de France Télévisions. À cet égard, votre rapporteur pour avis a apporté un éclairage sur la stratégie de rediffusion de France Télévisions (voir infra ), qui ne doit pas nuire à la diffusion d'inédits, ni être liée à une stratégie financière au détriment des enjeux culturels. Il est à noter que les obligations en matière d'investissements restent importantes, à hauteur de 20 % du chiffre d'affaires ;
- une très légère augmentation des coûts du réseau de France 3 , qui suppose des gains de productivité, du fait de l'effet important des glissements salariaux ;
- une légère augmentation des dépenses liées au programme régional outre-mer , qui suppose là encore une absorption de l'impact naturel de l'évolution des salaires.
Votre rapporteur pour avis reconnaît que ces différents éléments prévus par le COM sont indicatifs mais il tient néanmoins à souligner la qualité et la précision de l'information fournie . Cette transparence, qui n'a pas toujours marqué les relations entre France Télévisions et le Parlement, est le gage de la réussite du projet, qui tient notamment à la bonne compréhension par tous des objectifs poursuivis et des moyens utilisés pour y parvenir .
Il est également fait l'hypothèse que les « autres dépenses du diffuseurs », fixées à 485,7 millions d'euros en 2013, passent à 476,6 millions d'euros en 2014 et 475,3 millions en 2015. Cette évolution est liée à une anticipation de baisse des coûts techniques de diffusion, de 4,7 % en moyenne par an.
Enfin les « autres résultats opérationnels » seraient plutôt en baisse d'une dizaine de millions d'euros au cours de la période (passant de 30,8 millions d'euros en prévisionnel 2013 à 20 millions d'euros en 2015) :
- avec une stabilisation des résultats de France Télévisions Distribution (FTD) . À cet égard, votre rapporteur pour avis espère que les évolutions attendues dans les relations entre les diffuseurs et les producteurs, suite à l'adoption de l'article 29 de la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, puisse apporter de bonnes nouvelles au groupe, notamment pour sa filiale de distribution, dont il paraît toujours étonnant que ses résultats ne soient pas clairement excédentaires ;
- et une dégradation de la situation de France Télévisions Éditions numériques (FTVEN) : la hausse des recettes publicitaires des sites Internet (+ 13 % par an) ne compenserait en effet pas la montée en charge du coût de la plateforme numérique, notamment jeunesse, de France Télévisions.
b) La nécessité d'un pilotage fin
L'avenant au COM 2013-2015 repose sur une hypothèse de réduction du volume de l'emploi total de 650 équivalents temps plein (ETP) nets à l'horizon 2015, par rapport au niveau d'emploi prévu au budget 2012.
La mise en oeuvre de cet objectif se traduit, aux termes du plan d'affaires, par une diminution des charges de personnel, de 904,2 millions d'euros en 2013 à 898,3 millions d'euros en 2015, qui reflète également l'effort d'absorption des glissements salariaux.
Un montant de 89,3 millions d'euros est inscrit à ce titre dans le budget 2013. Selon le groupe, il s'agit d'une estimation forfaitaire retenue pour la construction du plan d'affaires : le montant exact sera arrêté avec le plan de départs lui-même, ainsi que la liste des métiers concernés.
Face à cet effort important, dans un contexte économique et social difficile, votre rapporteur pour avis considère que le point majeur est que les défaillances du plan de départ mis en place en 2009, notamment en matière de suivi, ne soient pas reproduites, avec une stabilité de l'effectif associée à un coût très important pour l'entreprise. Le plan de départ doit faire l'objet d'un suivi particulièrement fin. Il devra probablement s'accompagner d'une simplification de l'organigramme, qui apparaît encore trop compliqué pour de nombreux interlocuteurs rencontrés.