B. LA PROTECTION DES PERSONNES INTERDITES DE JEU OU AUTO-EXCLUES

L'Assemblée nationale a également introduit, à l'initiative du Gouvernement, deux articles dont l'objet est de renforcer la protection des personnes interdites de jeu ou bénéficiant d'une mesure d'auto-exclusion.

Tout d'abord, l'article 72 octies vise à compléter l'article 26 de la loi du 12 mai 2010 précitée afin d' interdire aux opérateurs de jeux ou paris en ligne agréés par l'ARJEL d'adresser toute communication commerciale aux titulaires d'un compte joueur bénéficiant d'une mesure d'auto-exclusion sur son site et, dans le cas des joueurs auto-exclus définitivement, pendant la période durant laquelle ceux-ci ne peuvent solliciter à nouveau l'ouverture d'un compte. A compter du 1 er janvier 2015, cette interdiction concernerait également les anciens titulaires d'un compte joueur dès lors qu'ils sont inscrits sur les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l'intérieur. Selon les informations dont dispose votre rapporteure pour avis, ce délai vise à laisser le temps aux opérateurs de procéder aux ajustements techniques nécessaires.

Par ailleurs, l'article 72 duodecies du présent texte a pour objet de rétablir un article 66 au sein de cette même loi du 12 mai 2010 qui appliquerait aux activités sous monopole de la Française des jeux les mêmes dispositions protectrices que celles régissant les jeux en ligne . Ainsi, cette société serait, elle aussi, expressément tenue de participer à la prévention du jeu excessif. A cette fin, elle serait autorisée à interroger les fichiers des interdits de jeu du ministère de l'intérieur . Il lui serait alors interdit d'adresser des publicités aux joueurs auto-exclus ou interdits de jeu pour son activité de loterie en ligne .

Là encore, ces évolutions apparaissent adéquates et proportionnées au but d'intérêt général poursuivi. Il convient donc que le Sénat les adopte sans modification .

C. LE RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DES AVOIRS DES JOUEURS

L'article 72 sexies , introduit par les députés à l'initiative du rapporteur Razzy Hammadi avec l'accord du Gouvernement, tend à compléter les dispositions de la loi du 12 mai 2010 précitée relatives à la protection des avoirs des joueurs.

L'article 15 de cette loi comprendrait un alinéa supplémentaire qui imposerait aux entreprises sollicitant l'agrément en tant qu'opérateur de jeux ou de paris en ligne de justifier de l'existence d'une sûreté, d'une fiducie, d'une assurance, d'un compte sous séquestre ou de tout autre instrument ou mécanisme garantissant, en toutes circonstances, le reversement de la totalité des avoirs exigibles des joueurs . De plus, l'étendue de cette garantie ne serait pas figée. L'opérateur devrait ainsi l'adapter à l'évolution des avoirs des joueurs et avertir l'ARJEL des variations de ces avoirs. En cas de besoin, le régulateur pourrait, de sa propre initiative, exiger de l'opérateur qu'il procède à ces adaptations dans un délai fixé par elle.

La rédaction de l'article 18 de la même loi serait adaptée à l'existence de ce nouvel instrument obligatoire.

Enfin, il serait ajouté à cette loi un article 70 aux termes duquel les opérateurs existants disposeraient d'un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi afin de mettre en place la garantie de protection des avoirs des joueurs. A défaut, l'ARJEL pourrait mettre en oeuvre sa procédure de sanction.

Ces dispositions constituent une réponse à la malheureuse affaire « Full Tilt Poker », prolongement en France du « Black Friday » américain de 2011.

L'affaire « Full Tilt Poker »,
illustration du danger encouru par les avoirs des joueurs

L'affaire « Full Tilt Poker » a illustré de manière spectaculaire, courant 2011, les dangers encourus par les joueurs pour leurs avoirs déposés chez les opérateurs dans le cadre actuel.

Pour faire un bref résumé de cet épisode évoqué par notre collègue François Trucy dans son rapport d'information d'octobre 2011, rappelons qu'il est parti du « Black Friday » américain, expression désignant le vendredi 15 avril 2011, jour où a été rendue publique la décision du Gouvernement des Etats-Unis de fermer l'accès aux sites « .com » de trois de leurs principaux opérateurs de poker : Pokerstars, Rekop Limited (propriétaire du groupe Full Tilt Poker) et Absolute Poker. Les noms de domaines des sites ont également été saisis.

Il en est résulté le blocage de plusieurs centaines de millions de dollars de dépôts et gains réalisés par les résidents américains. Si les joueurs de Pokerstars ont pu être remboursés après la réouverture du site, ceux inscrits sur les sites de Full Tilt ont été confrontés à de réelles difficultés. En outre, onze dirigeants de ces trois opérateurs ont été mis en examen , à la suite d'une action initiée par le FBI et le Département de la justice de l'Etat de New-York. Des mesures conservatoires de blocage d'environ 75 comptes bancaires , dont ceux des dirigeants et des sites incriminés, ont été prononcées 34 ( * ) .

Cette action judiciaire marquante a rapidement mis en péril l'activité de l'opérateur Full Tilt et a exercé des conséquences en Europe , plus particulièrement au Royaume-Uni et en France où il disposait d'agréments. Le blocage des comptes bancaires de Raymond Jack Bitar, propriétaire exclusif de Rekop Limited, a en effet directement affecté la capacité financière de l'opérateur. Le 29 juin, l'autorité de régulation d'Alderney , l' Alderney Gambling Control Commission , a dès lors prononcé la suspension des licences octroyées à quatre sociétés du groupe en vue de protéger le public.

Cette décision a eu pour effet de bloquer l'accès sur le territoire français du site fulltiltpoker.fr , dont certaines infrastructures informatiques sont situées au Royaume-Uni. Ce faisant, elle a également empêché l'accès des joueurs français à leur compte joueur, et potentiellement mis en péril le retrait de leurs fonds ou leur remboursement.

Constatant l'absence de continuité du service de jeu en ligne et les « conséquences d'une particulière gravité qui en découlent pour les joueurs français », le collège de l'ARJEL - après une mise en demeure adressée le 29 juin et demeurée infructueuse - a suspendu à titre provisoire l'agrément de Rekop Limited le 4 juillet 2011 . Cette décision a été maintenue le 15 septembre, après audition le même jour des dirigeants de la société.

Cette affaire, qui a montré les failles du système actuel en matière de protection des avoirs des joueurs, s'est heureusement bien terminée, Full Tilt Poker ayant finalement été repris par l'opérateur PokerStars au cours de l'été 2012 . Le nouvel opérateur , sous forte pression de la justice américaine, a restitué leurs avoirs à l'ensemble des joueurs ayant des comptes sur Full Tilt Poker partout dans le monde. Ainsi, le 24 septembre 2012, le collège de l'ARJEL a adopté une décision qui valide la procédure permettant aux joueurs inscrits sur le site fulltiltpoker.fr d'accéder à nouveau à leurs comptes et de récupérer leurs avoirs, au travers de la plateforme de « pokerstars.fr » De plus, à la demande de l'ARJEL, le groupe de Pokerstars.fr a mis en place un dispositif de trust à Londres destiné à sécuriser l'ensemble des fonds des joueurs français et à garantir leur remboursement en toute circonstance. Selon l'ARJEL, au 13 mars 2013, près de 4,1 millions d'euros avaient déjà été reversés à plus de 13 000 joueurs. Ce montant représentait près de 90 % des 4,7 millions d'euros d'avoirs initialement retenus.

Votre commission des finances approuve les orientations l'article 72 sexies , qu'il convient d'adopter au bénéfice de l'adoption d'un amendement de précision sur la portée des exigences que pourra formuler l'ARJEL afin que les opérateurs adaptent l'étendue de leur garantie.


* 34 De telles mesures de blocage avaient déjà été mises en oeuvre auparavant, mais les fonds avaient vraisemblablement été déplacés vers d'autres prestataires.

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