III. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX INDICATIONS GÉOGRAPHIQUES ET À LA PROTECTION DES NOMS DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
A. LE CONTEXTE : UNE ÉVOLUTION ATTENDUE
L'information sur le produit acheté constitue plus que jamais une donnée essentielle pour le consommateur. La mondialisation entraîne à la fois une uniformisation des habitudes de consommation et une fragmentation des processus de production. Sur des marchés de plus en plus concurrentiels, il convient donc de ne pas sous-estimer l'importance de la différenciation des produits comme moyen d'attirer la clientèle. Pour cela, il est impératif que le consommateur bénéficie d'une information complète et que les savoir-faire locaux puissent mettre en avant leurs qualités.
À cet égard, les indications géographiques, comme les marques, ont pour rôle essentiel de porter à la connaissance du consommateur la valeur ajoutée d'un produit qui peut consister en une certaine qualité ou en d'autres caractéristiques qui rendent le produit en question plus attrayant que des articles concurrents sur le marché.
Dès lors, dans le contexte de la compétition économique mondiale, il s'agit de promouvoir deux approches complémentaires :
- une vision offensive qui consiste à valoriser le savoir-faire local en permettant une meilleure identification de la production au terroir : l'enjeu concret est l'extension aux produits manufacturés et artisanaux du régime des indications géographiques (IG) qui a déjà fait ses preuves dans le domaine agro-alimentaire ;
- une vision défensive qui consiste à garantir l'effectivité de la protection des noms des collectivités territoriales : leur renommée peut être génératrice d'une manne financière qui suscite une convoitise croissante des opérateurs économiques, mieux armés face au droit de la propriété intellectuelle.
1. Les indications géographiques pour les produits manufacturés : une meilleure information sur la qualité et le savoir-faire du tissu industriel et artisanal local
Depuis leur création au niveau européen en 1992, les indications géographiques protégées (IGP) pour les produits agricoles et alimentaires ont rencontré un franc succès. Elles représentent près de 20 % du chiffre d'affaires des industries agroalimentaires françaises et 30 % de la valeur de leurs exportations. Elles concernent un quart des agriculteurs français et les producteurs sont de plus en plus nombreux à vouloir y recourir.
Or une enquête réalisée par la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) en 1995, confirmée par une enquête des DIRECCTE en 2011, a montré qu'une centaine de produits industriels et artisanaux comportant une origine dans leur dénomination peuvent être considérés comme traditionnels et témoignant d'un savoir-faire reconnu et spécifique à une région. Il s'agit notamment des dentelles de Calais, de la tapisserie d'Aubusson, de la faïence de Moustiers, de la porcelaine du Berry, du granit de Bretagne, des cuivres de Villedieu-les-Poêles, de l'ardoise des Pyrénées, de la vannerie de Vallabrègues ou encore des chaussures de Romans.
Ce n'est donc pas sans fondement que l'extension de ce dispositif aux produits industriels et artisanaux fait l'objet d'une attention croissante depuis quelques années. Le rapport intitulé « En finir avec la mondialisation anonyme » rendu par Yves Jégo en mai 2010 avait ainsi recommandé la mise en place d'un cadre juridique reconnaissant les IGP dans le secteur des produits manufacturés. Le Parlement a ensuite examiné cette question à deux reprises, sans parvenir à mener le débat à son terme :
- en 2011, lors de l'examen du projet de loi relatif aux droits, à la protection et à l'information du consommateur, abandonné au stade de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale ;
- en 2012, à l'occasion de la proposition de loi de MM. Christian Jacob, Yves Censi, Daniel Fasquelle, Alain Marc et plusieurs de leurs collègues visant à mieux protéger les indications géographiques et les noms des collectivités territoriales, examinée et rejetée par l'Assemblée nationale.
L'Union européenne elle-même s'intéresse de près à cette question. Une étude de faisabilité commandée par la Commission européenne vient d'être publiée. Elle se prononce en faveur de la mise en place d'un cadre juridique harmonisé pour les IGP non agro-alimentaires, dans un contexte où environ un tiers des États membres dispose de réglementations nationales spécifiques (ex : « cristal de Bohème », « acier de Solingen »), avec de fortes disparités selon les pays concernés.
Sans attendre une harmonisation communautaire dont la mise en oeuvre peut prendre encore plusieurs années, la France a choisi d'anticiper cette évolution, conformément à sa longue tradition de précurseur en matière de protection de l'indication géographique des produits attachés à un terroir ou une région.
L'enjeu est en effet particulièrement important, tant en termes strictement économiques, qu'en matière d'image et de notoriété. Les professionnels attendent de cette protection une meilleure valorisation de leurs produits auprès des consommateurs, de plus en plus attachés à l'authenticité et à la qualité de ce qu'ils achètent. La mise en évidence des facteurs qualitatifs ou culturels des produits conçus sur un territoire donné est non seulement un moyen de protéger les productions locales, mais également de soutenir leur exportation. Le dynamisme du tissu industriel et artisanal du monde rural est ainsi renforcé, a fortiori pour les territoires les plus enclavés.
2. La protection des noms des collectivités territoriales : la nécessité d'un mécanisme préventif
L'utilisation de la dénomination de collectivités territoriales par des entreprises a essentiellement pour but de profiter de leur notoriété et de leur attractivité. Dans un certain nombre de cas, cela crée un préjudice aux acteurs locaux dont témoigne l'abondance du contentieux en la matière.
De petites communes rencontrent en effet des difficultés à se prémunir d'une appropriation de leur nom à des fins commerciales. Il s'agit notamment de lutter contre le dépôt de leur nom en tant que marque, source de confusion pour le consommateur.
La situation du village aveyronnais de Laguiole a été très médiatisée. Elle constitue un cas d'école dans la mesure où un entrepreneur sans rapport avec le village a fait enregistrer son nom à titre de marque dans 38 des 45 catégories de produits répertoriées par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Plusieurs procédures judiciaires ont été lancées par la commune qui n'a pas pu obtenir gain de cause. Dans le jugement rendu le 13 septembre 2012 par sa troisième chambre civile, le Tribunal de grande instance de Paris a notamment confirmé qu'« une commune n'est pas fondée à invoquer une atteinte à son nom, à son image et à sa renommée dès lors qu'il est établi que son nom correspond aussi à un terme devenu générique pour désigner un produit fabriqué non exclusivement sur son territoire ».
Ce cas de figure n'est heureusement pas systématique mais pour s'en prémunir, il apparaît nécessaire d'organiser une information précoce des collectivités territoriales en cas de demande d'enregistrement d'une marque incorporant leur dénomination. En effet, à l'heure actuelle, les collectivités ne peuvent que saisir, avec parfois un retard important, les juridictions civiles afin de voir reconnaître l'existence d'un préjudice en raison de l'utilisation déceptive de leur dénomination ou du risque de confusion avec leurs activités.
Le problème majeur est lié au fait que les collectivités territoriales ne jouent pas à armes égales avec les entreprises dans le monde des affaires. Il convient donc d'aménager une procédure particulière leur permettant de réagir rapidement aux éventuelles utilisations déloyales de leur dénomination.