C. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION POUR AVIS

1. Position générale
a) Un texte qui va dans la bonne direction

Le texte présenté assainit sensiblement le monde de la finance, au moins à l'échelle nationale.

Le texte fait clairement le choix du maintien du modèle français des banques universelles, choix qui repose sur une analyse et des constats étayés :

- d'abord, s'il passe par le crédit bancaire, le financement de l'économie repose aussi sur l'émission de titres financiers et des services financiers de couverture contre les risques de change, de taux d'intérêt, de cours, etc. Il ne fallait donc pas mettre en place une réforme qui aurait pu conduire les banques françaises à se détourner des activités de trading qui jouent un rôle croissant dans le financement des acteurs économiques ;

COMPOSANTES DE L'ENDETTEMENT FINANCIER DES ENTREPRISES

Source : Banque de France, données Fiben

A fin 2012, l'endettement de marché (obligations et titres de créances négociables) représente un volume de 456 milliards d'euros et connaît une croissance dynamique (+ 12,5 % en croissance annuelle sur 2012). Sa part dans l'endettement financier des entreprises est passée de 18,7 à 23 % (+ 23 % en trois ans). Une fraction de cet endettement de marché (5 % du total) contribue au financement de la trésorerie. Le poids relatif de l'endettement de marché dépend cependant très fortement de la taille des entreprises. Résiduel parmi les PME (inférieur à 2 % du total), ce type d'endettement représente respectivement 35 % et 12 % de l'endettement financier des grandes entreprises et des ETI. Le crédit octroyé par les institutions financières reste ainsi la principale source de financement des plus petites entreprises : les crédits de moyen ou long terme représentent 66 % de leur endettement financier et ceux de court terme, 9 %.

Cela montre que le maintien de positions fortes des banques françaises dans la finance de marché est un enjeu important principalement pour les grandes entreprises et, dans une moindre mesure, pour les ETI.

- par ailleurs, on sait que les banques ayant des activités diversifiées sont plus robustes que des banques mono-activité , car la diversification des activités entraine ipso facto une diversification des risques et donc une capacité accrue à absorber des pertes sur un segment précis si celui-ci est en crise. A cet égard, on peut rappeler que, si les grandes banques françaises universelles ont connu des difficultés importantes au plus fort de la crise financière et ont dû bénéficier d'une aide massive de l'État, ces aides ont été remboursées rapidement, avec un gain net pour l'État. Il n'y a donc pas eu de pertes sèches pour le contribuable. Les difficultés les plus sérieuses, qui pourraient se traduire par un bilan négatif pour les finances publiques, ont en fait concerné Dexia et, plus récemment, le Crédit immobilier de France, qui sont des établissements bancaires très fortement spécialisés sur un segment d'activité ;

- on peut mesurer, avec le recul, que le crédit bancaire a relativement mieux résisté en France depuis 2009 que dans les autres pays européens . D'après le rapport 2013 de la Cour des comptes, l'encours de crédit aux ménages, aux entreprises et aux collectivités territoriales a en effet augmenté de 1,8 % en 2009. C'est inférieur aux engagements de croissance du crédit souscrits par les banques en contrepartie du soutien financier de l'État, mais c'est nettement mieux néanmoins que ce qu'on observe dans les pays voisins. Cette année-là, les encours de crédit ont en effet baissé au Royaume-Uni (- 7,4 %), en Allemagne (- 1,8 %) et en Espagne (- 4,2 %). Par la suite, entre janvier 2010 et juin 2012, en France, l'encours des crédits au secteur privé non financier et aux administrations publiques locales a augmenté de 170 milliards d'euros pour atteindre 1 633,6 milliard, avec une croissance moyenne annuelle de près 5 % pour 2010 et 2011. Si le second semestre 2012 a été marqué par un fort ralentissement du crédit, c'est sans doute dû avant tout à une baisse de la demande de financement liée au ralentissement économique. En somme donc, s'il existe des points de fragilité dans le dispositif de crédit français (financement de la trésorerie des petites entreprises par exemple), cela appelle davantage des politiques ciblées de facilitation de l'accès aux financements, à travers des actions comme la création de la Banque publique d'investissement, qu'un bouleversement complet du paysage bancaire ;

- enfin, on peut relever que le modèle bancaire universaliste est aussi celui qui a été retenu par le rapport Liikanen , qui fixe le cadre général d'une future réforme européenne sur la séparation des activités bancaires. Sortir de ce cadre pourrait conduire la France à mettre en place une réforme incompatible avec la future architecture bancaire européenne.

Au total, le choix de s'appuyer sur le modèle existant de grandes banques universelles peut se justifier. À partir de là, la seule question pendante concerne le positionnement précis du curseur de la séparation des activités bancaires pour faire la distinction entre les activités de trading vraiment utiles à l'économie, qui ont vocation à demeurer dans le champ d'activité des banques, et les activités de négociation spéculatives, qui doivent être interdites ou filialisées. Cette question n'a cependant pas de réponse évidente, car la frontière entre activités spéculatives et non spéculatives est délicate -sinon impossible- à établir a priori. Les États-Unis ont tenté de le faire à travers la règle de Volker, qui pose en principe l'interdiction de la négociation pour compte propre. Mais ils échouent depuis deux ans à mettre en pratique cette réforme parce que, dans les faits, les services financiers rendus à l'économie réelle impliquent presque toujours, par ricochet, des activités de trading pour compte propre.

Plutôt que de poser une interdiction a priori et générale de la spéculation, il paraît donc plus judicieux, comme le propose le projet de loi, de mettre, en quelque sorte, « des bâtons dans les roues » de la spéculation . Le présent rapport a déjà indiqué quelles étaient ces entraves : filialisation couteuse de certaines activités ; internalisation des pertes éventuelles au sein des établissements bancaires grâce aux mécanismes de résolution ; contrôle drastique des opérations de trading par une autorité prudentielle aux pouvoirs considérablement accrus ; menace permanente d'une filialisation plus poussée en cas de dérapage, qui constitue une sorte d'épée de Damoclès au-dessus de la tête des banques.

Grâce à tous ces nouveaux mécanismes de contrôle et de dissuasion, spéculer deviendra une activité beaucoup moins fructueuse. Inversement, gagner de l'argent en se consacrant à la mission fondamentale des banques deviendra une option plus intéressante que par le passé. La réforme dessine ainsi une modification durable du modèle économique des banques et c'est par ce biais qu'elle impactera positivement in fine le financement de l'économie, en redirigeant vers le financement de l'activité économique des ressources aujourd'hui stérilisée dans la spéculation. Ces effets devraient certes être peu visibles à court terme, mais la nouvelle règlementation induira une réallocation des ressources bancaires bénéfique sur le long terme.

b) Des points de vigilance
(1) Ne pas fermer la porte à une séparation plus rigoureuse

Peut-être aurait-on pu aller plus loin dans la filialisation des activités de compte propre. Le cantonnement prévu ne devrait concerner qu'un faible volume de l'activité bancaire (de l'ordre de 1 à 2 % du chiffre d'affaires, selon les estimations fournies par certains établissements). Le projet de loi retient en effet une définition des activités de compte utiles au financement de l'économie extrêmement large. La liste des activités de compte propre non soumises à la séparation comprend ainsi les opérations liées à la fourniture de services d'investissement à la clientèle, la compensation d'instruments financiers (autrement dit, l'activité des chambres dont il est question au chapitre 3 du Titre V du texte), la tenue de marché, la gestion « prudente » de la trésorerie et l'acquisition durable de titres financiers, par exemple pour entrer au capital d'une société financière ou non financière.

Le cantonnement des opérations de tenue de marché n'aurait pas paru scandaleux ni de nature à nuire à la situation compétitive des banques. C'est une mesure qui est d'ailleurs préconisée par le rapport Liikanen. Votre commission pour avis souligne cependant que la loi donne au ministre le pouvoir de le faire, plus tard, par un simple arrêté. Ce pouvoir nouveau résulte d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale. La frontière réglementaire entre le spéculatif n'est pas figée une fois pour toute, mais pourra être déplacée à l'avenir pour être rendue plus restrictive. L'avenir reste donc ouvert sur ce point.

(2) Assurer une supervision stricte

Une bonne partie de l'effectivité du dispositif dépendra de la diligence et de la compétence des régulateurs. Ces derniers, la crise de 2007-2008 l'illustre avec éclat, n'ont pas toujours su détecter et infléchir les comportements risqués. Par ailleurs, on sait que les banques sont un groupe d'intérêt influent et que les phénomènes de capture du régulateur n'existent pas que dans la littérature économique. Votre commission pour avis aurait donc vu d'un bon oeil que le texte comporte quelques dispositions claires et fortes dans ce domaine. Il faut convenir cependant qu'il n'est pas facile de proposer un dispositif plus efficace que ce qui est déjà prévu pour prévenir les phénomènes de conflits d'intérêts ou, plus simplement, pour lutter contre la proximité sociologique et culturelle qui existe entre le secteur bancaire et la haute administration et qui conduit peut-être parfois à des biais dans l'analyse des situations.

(3) Rechercher une articulation optimale avec les évolutions en cours en Europe

Le dernier point sur lequel votre commission pour avis appelle à une certaine vigilance concerne l'articulation de la réforme bancaire française avec le droit européen. L'Europe travaille à transposer les accords de Bâle III dans la directive CRD IV ; elle s'emploie à la création d'un mécanisme de résolution bancaire européen et à la mise en place d'outils pour encadrer les rémunérations au sein de la finance. Ce contexte évolutif oblige à trouver un équilibre délicat entre l'audace et la prudence :

- audace, parce que les initiatives prises par tel ou tel pays peuvent rapidement faire tâche d'huile. On a pu le vérifier récemment : l'amendement adopté à l'Assemblée nationale obligeant les banques à plus de transparence sur leurs filiales installées à l'étranger, notamment dans les paradis règlementaires, a été immédiatement repris au niveau européen pour être intégré dans le texte de la directive CRD IV. De la même manière, la spectaculaire initiative suisse concernant les rémunérations bancaires pourrait inciter le texte européen à se montrer plus ambitieux que prévu en la matière ;

- prudence, parce qu'une initiative isolée peut également se payer cher. Dans un monde où les capitaux sont parfaitement mobiles, les différences de règlementations ouvrent en effet la voie aux arbitrages règlementaires, c'est-à-dire aux stratégies des acteurs financiers pour contourner les règlementations les plus sévères. Outre que cela peut impacter négativement le secteur bancaire national, cela peut aussi, paradoxalement, conduire à une perte de contrôle sur le fonctionnement du système financier.

2. Les amendements à la réforme bancaire proposés par votre commission pour avis
a) Un encadrement renforcé des rémunérations dans le secteur bancaire

Un premier amendement part du constat que, si les dispositions du projet de loi relatives à la résolution bancaire apportent bien la garantie que les actionnaires et les créanciers des banques seront mis à contribution, la question de l'implication des principaux preneurs de risque, à savoir les mandataires sociaux et les traders, n'est, pour sa part, pas abordée clairement. Il est donc essentiel que les plans de résolution soient étoffés et comportent des éléments assurant que les mandataires sociaux et les salariés dont les activités ont une incidence significative sur le profil de risque d'une banque sont personnellement impactés par une procédure de résolution. L'amendement adopté par votre commission pour avis prévoit donc que :

- les contrats qui déterminent les règles de rémunération des « preneurs de risque » doivent comporter des stipulations permettant de déterminer la part de leur rémunération à laquelle ils renoncent en cas de résolution bancaire ;

- ces stipulations sont constitutives du plan de résolution et sont donc soumises au contrôle de l'autorité de régulation, qui peut exiger leur modification si elle estime qu'elles ne garantissent pas une participation suffisante des preneurs de risques au coût de la résolution bancaire ;

- cet encadrement législatif des contrats fixant la rémunération des preneurs de risque s'applique à tous les contrats conclus après la publication de la loi. Les contrats en cours devront pour leur part être modifiés dans les trois ans suivants la publication de la loi.

Un deuxième amendement reprend une préconisation formulée par la Cour des comptes dans son rapport annuel de 2013. Constatant que l'encadrement des rémunérations dans le secteur bancaire est encore insuffisant, la Cour recommande d'inscrire dans la loi une disposition spécifique aux établissements de crédit sur le vote des actionnaires en assemblée générale relatif aux enveloppes de rémunération des professionnels et des mandataires sociaux. Cela introduit dans le secteur bancaire le principe du « say on pay ».

b) Une meilleure information du Parlement sur le travail du conseil de stabilité financière

Un troisième amendement de votre commission pour avis renforce le droit à l'information du Parlement pour ce qui touche aux activités du conseil de stabilité financière, en charge de la surveillance macro-prudentielle. Les membres de ce conseil sont en effet soumis à une obligation de secret professionnel qui peut être levée dans certaines circonstances limitativement énumérées par la loi. Cet amendement prévoit que, parmi ces circonstances, figure l'audition par les commissions permanentes du Sénat ou de l'Assemblée nationale réunies à huis clos.

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