II. LES CONSÉQUENCES À TIRER DES SCRUTINS ORGANISÉS EN 2012

Les élections présidentielles et législatives ont rythmé le premier semestre de cette année 2012.

A. LA MISE À L'ÉPREUVE DU PRINCIPE DE SINCÉRITÉ DU VOTE FACE AU DÉVELOPPEMENT DES NOUVEAUX MÉDIAS

1. Le respect difficile des interdictions de publication des résultats le jour du scrutin face à la multiplication des sondages

La publication de nombreux sondages lors des campagnes des élections présidentielle et législative de 2012 a de nouveau posé la question du respect des dispositions de la loi du 19 juillet 1977 44 ( * ) sur l'interdiction de publier les résultats de sondages nouveaux la veille et le jour du scrutin.

a) Une forte augmentation du nombre de sondages

Les élections législatives et présidentielles de 2012 se caractérisent par le nombre élevé de sondages réalisés. La commission des sondages 45 ( * ) a évalué respectivement à 409 et 79 le nombre de sondages réalisés dans le cadre des dernières élections présidentielle et législative. On rappellera, pour mémoire, que le nombre de sondages publiés dans le cadre des trois précédentes élections présidentielles (1995, 2002 et 2007) s'élevait, respectivement, à 157, 193 et 293. La commission constate ainsi qu' « Avec plus de 400 sondages, le scrutin présidentiel de 2012 a atteint un record, le rythme de publication atteignant environ deux sondages par jour, au cours des quatre derniers mois de la campagne et même trois en toute fin de période. »

Cette augmentation sensible du nombre de sondages est liée à la combinaison de trois facteurs, mis en exergue par la commission des sondages.

Tout d'abord, l'organisation de primaires en 2011 au sein du parti socialiste pour désigner le candidat à l'élection présidentielle a contribué à une offre de sondages, qui « alimentaient la campagne entre les candidats à la candidature, en particulier grâce à la comparaison de leur potentiel électoral ».

Ensuite, le deuxième facteur est la publication d'un sondage quotidien par l'institut Ifop, qui « a accru l'offre publique de sondages » : ainsi, la commission a évalué à 84 le nombre de sondages réalisés par cet institut.

Enfin, le troisième facteur relevé par la commission est l'interprétation extensive de la notion de « lien indirect » avec le scrutin : « Ont ainsi été regardés comme des sondages électoraux au sens de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1977, et contrôlés à ce titre par la commission, certaines enquêtes ne comportant aucune intention de vote mais dont le contenu était clairement lié à la campagne électorale, comme, par exemple, des enquêtes portant sur tel candidat et son programme électoral ou encore sur une « proposition phare ou un enjeu fort de la campagne ». La commission a également estimé que les sondages dont l'objet était de suivre les « électeurs changeants » entraient dans son champ de compétences.

Il convient de noter que la croissance élevée du nombre de sondages publiés en 2012 ne s'est toutefois pas accompagnée d'un nombre élevé de réclamations . On ne dénombre en effet que sept réclamations 46 ( * ) à l'élection présidentielle et six à l'élection législative.

b) Le respect de l'interdiction de la publication des sondages la veille et le jour du scrutin

Le premier alinéa de l'article 11 de la loi précitée du 19 juillet 1977 dispose que « La veille de chaque tour de scrutin ainsi que le jour de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l'article 1 er . Cette interdiction est également applicable aux sondages ayant fait l'objet d'une publication, d'une diffusion ou d'un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin. Elle ne fait pas obstacle à la poursuite de la diffusion des publications parues ou des données mises en ligne avant cette date. »

En d'autres termes, l'article 11 interdit, la veille et le jour d'un scrutin, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage électoral. Cette interdiction s'applique également aux sondages ayant fait l'objet d'une publication, d'une diffusion ou d'un commentaire avant la veille du scrutin. La seule exception à cette règle vise à autoriser la poursuite de la diffusion des publications parues avant la veille du scrutin et des données mises en ligne sur internet avant cette même date. Cette interdiction vaut pour les élections générales, quelles qu'elles soient, comme pour les élections partielles s'il y a lieu, sans oublier les référendums. Dans le cas d'une élection partielle ne sont concernés que les sondages portant directement ou indirectement sur cette élection. Sont ainsi visées par cette interdiction les élections législatives et sénatoriales, les élections municipales, cantonales et régionales, les élections européennes, ainsi que l'élection présidentielle .

Comme l'avaient relevé nos collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur 47 ( * ) , « La publication d'un sondage électoral la veille du scrutin donnerait donc l'occasion aux journalistes d'intervenir directement dans la campagne électorale alors que les candidats n'ont plus de droit de réponse. [Or,...] la veille d'une élection et, a fortiori, le jour du scrutin, paraissent se prêter à la réflexion personnelle de l'électeur, sans interférence extérieure, ou le moins possible. Ces deux jours doivent être sanctuarisés afin que l'électeur se retrouve seul avec lui-même, dans une sorte de « recueillement républicain ». »

Pour le premier tour de scrutin de l'élection présidentielle, cette période de réserve a débuté dans l'Hexagone le samedi 21 avril 2012 à minuit et, pour le second tour, le samedi 5 mai 2012 à minuit. Pour certains départements et collectivités d'outre-mer 48 ( * ) , où le vote était organisé, en raison du décalage horaire, les samedis 21 avril et 5 mai 2012, la période de réserve a débuté les vendredi 20 avril et 4 mai 2012 à minuit.

La question de la diffusion des résultats, mêmes partiels, des élections présidentielle et législative, s'est trouvée confrontée à un contexte inédit : en effet, avec le développement des réseaux sociaux, de nombreux commentateurs ont jugé dépassées les règles de l'article 11 précité « au motif qu'il n'était plus possible de la faire respecter » et ont annoncé leur intention de passer outre cette interdiction. Comme l'a constaté la commission, « La question de la diffusion, le jour du scrutin avant 20 heures, des premières estimations des résultats s'était déjà posée en 2007. En dépit de certaines déclarations fanfaronnes, l'interdiction avait été bien respectée. Dès la fin de l'année 2011, elle a à nouveau, mais avec une ampleur accrue, alimentée la chronique médiatique jusqu'à devenir un des enjeux de la campagne électorale donnant lieu à des prises de position de plusieurs candidats ».

Votre rapporteur se félicite du dispositif pédagogique mis en place par la commission, en collaboration avec la commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle, à destination des instituts de sondage et des médias qui avaient annoncé leur volonté de contourner l'interdiction législative. Ce dispositif a permis d'assurer l'efficacité des dispositions de la loi du 19 juillet 1977 ainsi que leur respect par les médias français et étrangers. Aucun sondage, réalisé la veille du scrutin, n'a ainsi été rendu public.

Toutefois, lesdites dispositions n'ont pas été respectées le jour du scrutin. Le rapport de la commission a fait état des infractions commises, lors des deux tours du scrutin, par l'Agence France Presse, la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF), plusieurs sites internet dont certains créés uniquement pour contourner la loi et enfin, par des particuliers utilisateurs de réseaux sociaux.

Votre rapporteur estime que, face à ce constat, les dispositions de la loi du 19 juillet 1977 doivent être maintenues. Il en va notamment du respect de la démocratie et du respect de l'indépendance des électeurs lors du vote, afin d'éviter toute tentative de manipulation préjudiciable à la sincérité du scrutin. Comme l'a d'ailleurs rappelé la commission des sondages, votre rapporteur souligne que l'interdiction de publier les résultats de nouveaux sondages deux jours avant le scrutin a pour objectif de « sanctuariser » le choix des électeurs, afin que chacun d'entre eux puisse se prononcer en toute indépendance. La diffusion d'informations - dont certaines peuvent relever d'une volonté manifeste d'influencer le corps électoral en publiant des résultats falsifiés - peut porter atteinte à la sincérité du scrutin.

Néanmoins, comme l'avaient préconisé nos collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, le maintien de cette règle peut faire l'objet d'un double aménagement :

- « les sondages politiques publiés ou diffusés avant vendredi minuit doivent pouvoir continuer de faire l'objet de commentaires et, le cas échéant, demeurer en ligne. Dans les deux cas, la date de première publication ou diffusion devrait être indiquée afin de ne pas induire le public en erreur » ;

- l'interdiction de publication des sondages doit s'imposer pour l'ensemble du territoire national à partir du vendredi minuit, y compris pour les parties du territoire qui votent le samedi.

En outre, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans ses observations portant sur les élections présidentielles de 2007 et 2012, le droit n'ayant pas évolué au contraire des technologies, il pourrait être envisagé de :

- reformuler la portée des interdictions prescrites par l'article L. 52-2 du code électoral ;

- préciser les dispositions de la loi précitée du 19 juillet 1977.


* 44 Loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion.

* 45 « La commission des sondages face aux élections présidentielles et législatives de 2012 », Commission des sondages, 2012.

* 46 Le nombre de réclamations lors des élections présidentielles précédentes s'élevait à 9 (1995), 5 (2002) et 7 (2007).

* 47 Rapport d'information sur les sondages en matière électorale, n° 54 (2010-2011) de MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-054-notice.html.

* 48 Guadeloupe, Guyane, Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie française.

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