IV. LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
La criminalité organisée est un phénomène complexe, tantôt proche de la « bande organisée », tantôt, dans son expression la plus aboutie, assimilable au « système mafieux ». Au niveau communautaire, l'article premier de l'action commune 98/733/JAI définit l'organisation criminelle, de manière assez complète, comme une « association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d'une peine privative de liberté [...] d'un maximum d'au-moins 4 ans ou d'une peine plus grave [...]que ces infractions constituent une fin en soi ou un moyen pour obtenir des avantages patrimoniaux et, le cas échéant, influencer indûment le fonctionnement des autorités publiques ».
La criminalité organisée recouvre donc un large spectre d'activités : trafics d'armes, trafics de produits stupéfiants, traite des êtres humains, fraude, contrefaçon, trafics de déchets toxiques, etc. Le trafic de stupéfiants constitue l'activité dominante car la plus rémunératrice.
Or, paradoxalement, cet aspect de la délinquance, aux conséquences humaines et financières immenses, ainsi que la manière dont elle est combattue par les forces de l'ordre, sont souvent méconnues.
A. LE DISPOSITIF FRANÇAIS DE LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
1. Un dispositif légal performant
Les services de police et de gendarmerie et la justice disposent d'un cadre légal spécifique 16 ( * ) permettant de s'attaquer à la criminalité organisée : surveillances par sonorisation, infiltrations, prolongation des gardes à vue, perquisitions de nuit, gels d'avoirs, rétributions d'informateurs. En outre, huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ont été créées et placées sous l'autorité du procureur général chargé d'animer la politique de regroupement des dossiers de dimension nationale ou transnationale.
En outre, l'arsenal juridique permettant la saisie et la confiscation des avoirs criminels a été étoffé par la loi du 9 juillet 2010 17 ( * ) , avec la mise en place d'une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) et un renforcement des mécanismes de coopération pénale en matière de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
Enfin, 36 groupes d'intervention régionaux (GIR) 18 ( * ) ont été créés. Il s'agit de services pluridisciplinaires chargés d'agir contre la délinquance organisée sous tous ses aspects en utilisant l'ensemble des moyens législatifs et réglementaires en matière pénale mais également fiscale, douanière ou administrative. Parmi ces GIR, 22 relèvent de la police nationale et 14 de la gendarmerie nationale.
2. Les analyses stratégiques du SIRASCO
Le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO) a été mis en place en 2009 au sein de la direction centrale de la police judiciaire afin de détecter et analyser les groupes criminels organisés et de diffuser une information à la fois stratégique et opérationnelle sur ces groupes . Le SIRASCO comprend une quinzaine d'agents. Il recueille du renseignement sur la criminalité organisée auprès de l'ensemble des administrations concernées : douanes, services de renseignement, justice, administration pénitentiaire.
Entendu par votre rapporteur, M. François-Xavier Masson, chef du SIRASCO, a tout particulièrement souligné la dimension prospective de cet organisme, là où la DCPJ fonctionne plutôt de manière réactive par rapport à la délinquance. Par ailleurs, les services répressifs privilégient traditionnellement une approche de la délinquance fondée sur les infractions pénales de l'état 4001 des statistiques de la police et de la gendarmerie. Ainsi, parmi la centaine d'infractions répertoriées, 21 renvoient à la criminalité organisée, représentant environ 28 000 faits de délinquance sur les quelque 3 millions de crimes et délits enregistrés. Cette approche particulièrement réductrice met sur le même plan les faits les plus graves et la délinquance « quotidienne ». Le SIRASCO s'efforce de promouvoir une approche différente en rattachant les faits de délinquance à des organisations criminelles, chacune de ces organisations, souvent construite sur une base clanique, familiale ou technique, étant susceptible de mener de front une pluralité d'activités criminelles. Il est ainsi organisé par secteurs géographiques : Europe, Afrique, Asie, Amériques, Est et Balkans.
Le SIRASCO produit d'une part des notes vertes, comprenant une analyse stratégique et prospective d'un type de criminalité organisée (par exemple les gangs de motards, la délinquance environnementale, etc.) et visant à éclairer les choix des décideurs administratifs ou judiciaires, d'autre part des notes grises, s'adressant aux services de terrain et permettant d'apporter des éléments exploitables sur des individus ou des groupes dans le cadre des enquêtes. Le SIRASCO peut, en sens inverse, être sollicité pour réaliser des analyses criminelles dans le cadre d'une enquête.
Enfin, le SIRASCO entretient des liens avec des homologues étrangers - l'Espagne et le Royaume-Uni, entre autres, disposent de services analogues plus développés que la France.
La réponse européenne à la criminalité organisée L'office européen de police (EUROPOL), créé le 7 février 1992 par le traité de Maastricht et opérationnel depuis le 1er juillet 1999, facilite l'échange de données, coordonne et fournit une analyse criminelle opérationnelle aux services répressifs des Etats membres. En outre, depuis quelques années, l'UE se dote d'instruments permettant d'accroître l'efficacité de la lutte contre le crime organisé transnational : -En septembre 2004, un pôle régional de lutte contre la criminalité organisée originaire du sud-est de l'Europe a été créé à Zagreb en Croatie. Cette structure de veille est coordonnée par un diplomate et composée d'un magistrat, d'un commissaire de police, d'un officier de gendarmerie et d'un représentant des douanes ; -Le mandat d'arrêt européen (MAE), issu de la décision cadre du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002, transposée en droit français par la loi du 9 mars 2004, permet d'uniformiser au sein de l'espace européen les procédures de remise de criminels ; -Les équipes communes d'enquêtes (ECE) permettent depuis 2005 à des agents des Etats membres de l'UE d'enquêter (sans pouvoirs coercitifs) sur le territoire d'un autre Etat, aux côtés des agents nationaux compétents ; -Enfin, après le système d'information Schengen (SIS), le traité de Prüm, signé en 2005 et étendu à l'ensemble de l'Union Européenne, facilite l'échange d'informations entre services de police européens dans les domaines des empreintes digitales et génétiques ainsi qu'en matière d'immatriculation des véhicules. |
* 16 Cadre mis en place, en particulier, par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.
* 17 Loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010.
* 18 Les GIR ont été créés par une circulaire interministérielle du 22 mai 2002.