C. LA FIN DE LA POLITIQUE DU CHIFFRE ?
1. Des évolutions annoncées
Votre rapporteur pour avis avait déjà dénoncé en 2011 les conséquences d'une politique du chiffre imposée à tous les niveaux de la police et de la gendarmerie nationales. Il avait pu constater, lors de l'audition des principaux syndicats de police et quelle que soit leur orientation politique, à quel point cette « bâtonite » était responsable de la démoralisation, voir de la souffrance au travail des agents. Il avait également rappelé les graves dérives auxquelles pouvaient mener cette manière de conduire l'activité des forces de l'ordre.
Dans son rapport sur l'organisation et la gestion des forces de sécurité, la Cour des comptes avait également pointé les dysfonctionnements dans l'utilisation des statistiques par les forces de police et de gendarmerie, constatant que le pilotage des services territoriaux de la direction centrale de la sécurité publique, en particulier, était assuré par le biais d'objectifs de plus en plus nombreux, assortis de leviers d'action pour les atteindre, qui réduisaient beaucoup la marge d'initiative et d'arbitrage des DDSP. Dérive bien connue, elle note que la lutte contre le trafic de stupéfiants était orientée principalement vers l'interpellation des petits consommateurs « sans amélioration significative des résultats en matière de revente ou de trafics. [Cette pratique] a joué un rôle de variable d'ajustement pour rehausser le taux moyen d'élucidation » .
Dans ce contexte, les propos tenus par le ministre de l'Intérieur, tendant à l'abandon d'une évaluation de l'efficacité des forces de l'ordre fondée sur les seuls objectifs chiffrés , constituent un signal qui, s'il doit être confirmé, va dans la bonne direction. Le ministre a en effet indiqué que serait demandée aux inspections générales de l'administration, de la police et de la gendarmerie (IGA, IGPN, IGGN) une évaluation des pratiques d'enregistrement statistique en vue d'une remise à plat de l'ensemble du système.
Selon le directeur général de la police nationale, entendu par votre rapporteur, de nouveaux indicateurs seront ainsi mis en place afin de mesurer de manière pertinente non seulement l'évolution de la délinquance, mais encore les différents aspects du service rendu à la population par les agents, notamment dans le domaine des actions de proximité (présence sur la voie publique, disponibilité, qualité du conseil à la population). Cette évolution supposera à son tour, la mise en place de réunions police-population permettant d'instaurer, deux ou trois fois par an au niveau du quartier, un échange de vues entre les agents et les habitants.
2. Les indicateurs du projet annuel de performance pour 2013 : une première évolution
Les indicateurs fournis à l'appui du projet annuel de performance 2012 n'échappaient pas aux écueils de la politique du chiffre, critiqués par votre rapporteur pour avis l'année passée. La situation s'était certes déjà améliorée depuis qu'une circulaire du ministère de l'Intérieur du 12 février 2010 avait remplacé, dans les tableaux de bord des forces de police comme dans les documents joints à la loi de finances, les agrégats de la délinquance générale et celui de la délinquance de proximité, particulièrement dépourvus de pertinence dans la mesure où ils additionnaient des faits très hétérogènes, par quatre indicateurs plus précis : les atteintes aux biens, les atteintes volontaires à l'intégrité physique des personnes, les escroqueries et infractions économiques et financières et enfin les infractions révélées par l'action des services. Toutefois, le projet annuel de performance continuait à décliner à l'unité près les faits de délinquances prévus pour l'année couverte par le PLF et prévoyait un taux d'évolution pour l'année suivante.
Le projet annuel de performance pour 2013 marque une rupture en indiquant simplement, pour chaque agrégat, la tendance prévue pour 2013 et une tendance-cible à l'horizon 2015. Cette présentation plus réaliste, qui traduit le fait que les forces de l'ordre ne sont pas « productrices » de la délinquance, présente toutefois l'inconvénient d'aboutir à n'afficher que des prévision et des objectifs « en baisse » quel que soit l'indicateur : elle ne peut ainsi constituer qu'une étape transitoire avant l'élaboration d'indicateurs plus représentatifs . Sont en revanche logiquement préservés les indicateurs relatifs à l'activité générale des services : part de l'activité consacrée à la surveillance générale, taux d'engagement des effectifs sur le terrain, délai moyen d'intervention de nuit.
3. L'évolution de la délinquance en 2011 d'après les enquêtes de victimation
a) Des atteintes aux biens en diminution
D'après les résultats de l'enquête de victimation «Cadre de vie et sécurité» 2012 9 ( * ) , on observe qu'un peu plus de 0,5 % des personnes de 14 ans et plus ont déclaré avoir été victimes de vols ou tentatives de vols personnels avec violences ou menaces en 2011. Le nombre de « victimes déclarées » correspondant est estimé à 264 000 personnes de 14 ans et plus. La part des personnes de 14 ans et plus se déclarant victimes apparaît ainsi comme stable depuis 4 ans : elle est comprise entre 0,4 % et 0,6 %.
En 2006, le taux de vols et tentatives de vols personnels avec violences ou menaces avait été mesuré à 0,7 % des personnes de 14 ans et plus et le nombre de « victimes déclarées » se situait à plus de 340 000. Entre 2006 et 2011, la diminution de la proportion de personnes se déclarant victimes est ainsi significative .
En ce qui concerne le nombre de personnes de 14 ans et plus « victimes déclarées » de vols ou tentatives de vols personnels sans violence, ni menace, il avait diminué de 0,3 point entre 2009 et 2010, passant de 2,1 % à 1,8 %. La tendance s'est confirmée en 2011 : le taux observé en 2011 est inférieur à 1,7 %. Le nombre de « victimes déclarées » de vols ou tentatives de vols personnels sans violence, ni menace est évalué, sur cette dernière année, à moins de 870 000 personnes de 14 ans et plus.
b) Les atteintes aux personnes : une confirmation de la tendance à la baisse
Les deux enquêtes « Cadre de vie et sécurité » les plus récentes, celles de 2011 et de 2012, font ressortir une part des personnes de 14 ans et plus ayant déclaré avoir été victimes de violences physiques hors ménage sur un an au même niveau de 1,3 %, le nombre estimé de « victimes déclarées » n'ayant quasiment pas varié : 657 000 en 2010 et 651 000 personnes de 14 ans et plus en 2011.
Ces résultats obtenus contrastent avec ceux observés en 2008 et 2009 : le taux de victimation annuel des violences physiques hors ménage atteignait alors près de 1,7 % et on évaluait à plus de 830 000 le nombre de « victimes déclarées ». Déjà, en 2007, ce nombre se situait à plus de 800 000 personnes de 14 ans et plus se déclarant victimes, soit 1,6 % d'entre elles.
En conséquence, la proportion de personnes de 14 ans et plus qui ont dit avoir subi au moins un acte de violences physiques hors ménage en 2011 est inférieure de 0,3 à 0,4 point, par rapport à celles de 2007, 2008 et 2009. Une telle baisse est très significative au sens statistique du terme .
c) Un « sentiment d'insécurité » globalement en hausse
Une part d'environ 16 % des personnes de 14 ans et plus interrogées entre janvier et avril 2012 lors de l'enquête « Cadre de vie et sécurité », ont déclaré qu'il leur arrivait de se sentir en insécurité à leur domicile . Parmi elles, environ 9 % ont déclaré que cela se produisait « souvent » ou « de temps en temps ». Ces proportions sont les plus élevées depuis 2007, date de la première enquête « Cadre de vie et sécurité » .
En ce qui concerne le sentiment d'insécurité dans le quartier ou le village, en 2012, 20,7 % des personnes de 14 ans et plus ont déclaré qu'il leur arrivait de l'éprouver. Ce taux est également en hausse significative par rapport à 2011 . Il avait alors été mesuré à environ 20 %. Toutefois, en 2010, cette proportion se situait à un niveau proche de celui de 2012, soit 20,6 % ; elle était alors très significativement supérieure à celle des trois années précédentes. Il en est de même en 2012, notamment en comparaison de la valeur observée en 2008 à 18,1 %. En quatre ans, la progression a été de 2,6 points.
En outre, en 2012, 49,5 % des personnes de 14 ans et plus ont choisi, parmi les huit choix proposés, la délinquance comme étant, selon elles, l'un des trois problèmes « les plus préoccupants dans la société française actuelle 10 ( * ) ». En 2009, moins de 43,5 % des personnes de 14 ans et plus avaient déclaré que la délinquance était l'un des trois problèmes les plus préoccupant dans la société française. Cette part a ainsi connu deux hausses très significatives en 2010 (+ 6,7 points) et en 2011 (+ 2 points). Elle a atteint près de 52 % en 2011. En 2012, elle est toutefois en baisse très significative par rapport à cette valeur, tout en restant très significativement supérieure à celle de 2009 .
Ainsi, si l'enquête de victimation ne montre pas de hausse de la délinquance, elle révèle une progression du sentiment d'insécurité . L'amélioration du « service rendu » à la population, évoquée ci-dessus, tout comme la création des zones de sécurité prioritaires, permettront peut-être d'agir sur ce phénomène.
* 9 http://www.inhesj.fr/fr/ondrp/les-publications/rapports-annuels/8
* 10 Plus des trois quarts des personnes interrogées en 2012 ont cité « le chômage, la précarité de l'emploi » (76,5 %) et un peu moins de 60 %, la pauvreté (58,6 %).