2. Des priorités qui doivent être rappelées cette année encore
a) Les problématiques évoquées lors des manifestations d'Arles et Perpignan

LES RENCONTRES D'ARLES ET VISA POUR L'IMAGE

Les Rencontres d'Arles

Les Rencontres d'Arles sont un festival estival annuel de photographie fondé en 1970 par le photographe Lucien Clergue, l'écrivain Michel Tournier et l'historien Jean-Maurice Rouquette.

- Mission : à travers plus de soixante expositions installées dans divers lieux patrimoniaux de la ville, les Rencontres d'Arles contribuent à transmettre le patrimoine photographique mondial et se veulent le creuset de la création contemporaine ;

- Fréquentation : lors de l'édition de 2011, le festival a accueilli 84 000 spectateurs . Le programme tire sa richesse de la multiplicité des points de vue d' une vingtaine d'experts d'horizons différents ;

- Budget : environ 5,5 millions d'euros en 2011.

Visa pour l'image

Visa pour l'image est un festival de photojournalisme basé à Perpignan et fondé en 1989 par le journaliste et photographe Jean-François Leroy ; il se déroule depuis lors sur deux semaines du mois de septembre.

- Mission : cette manifestation tente d' apporter au public des clés pour mieux comprendre les événements qui font l'actualité , tout en axant sa programmation autour de trois axes : « la découverte de jeunes talents, la confirmation de photographes confirmés et la redécouverte de gens formidables » ;

- Fréquentation : chaque année, ce sont environ 3 500 professionnels qui font le déplacement ainsi que 260 agences venues de 63 pays . Quant à la trentaine d'expositions , elles enregistrent près de 200 000 entrées par an ;

- Budget : environ 1,05 million d'euros en 2011 (ce qui ne comprend pas la valorisation des aides en nature de la Ville de Perpignan, très engagées aux côtés des organisateurs).

Votre commission a souhaité investir le champ de la photographie qui constitue l'un des sujets du présent avis budgétaire. Deux délégations, conduites par votre présidente, se sont ainsi déplacées cette année : les 6 et 7 juillet à Arles puis les 6 et 7 septembre à Perpignan. Des rencontres ont pu avoir lieu avec de nombreux représentants du secteur, faisant ainsi émerger des thématiques parmi lesquelles figurent :

- les problématiques budgétaires . Certaines ont été réglées depuis, comme la question du financement par l'État du déménagement des locaux de l'École nationale de la photographie de Arles, devenus inadaptés non seulement en raison de l'accroissement de la population étudiante, mais aussi au regard des normes d'accessibilité. En revanche, votre présidente a noté un déséquilibre entre les subventions de l'État versées aux deux festivals. En 2013 elles sont respectivement de 593 000 euros pour Arles et de 129 000 euros pour Perpignan. Si l'histoire et l'ampleur de ces deux manifestations n'étaient pas nécessairement similaires il y a 20 ans, la fréquentation a évolué et l'on note même un accès gratuit à l'ensemble des expositions de Perpignan, quand celles de Arles sont payantes (entre 9 et 12 euros l'entrée).

- le problème de la carte de presse dont les règles d'attribution ne sont plus en phase avec la réalité professionnelle des photojournalistes, puisque la diversification de leurs activités professionnelles (indispensable pour leur survie économique) ne leur permet plus de remplir les critères d'attribution - à tout le moins pas sans rencontrer de sérieuses difficultés.

La commission d'attribution de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP) se base sur la définition de l'activité de journaliste donnée par la loi n° 73-4 du 23 novembre 1973 et codifiée ensuite jusqu'en 2008 à l'article L. 761-2 du code du travail : « est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques, ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».

Par ailleurs la loi du 4 juillet 1974, dite « loi Cressard », a précisé que « toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel, est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties ». Bien que le statut des photojournalistes pigistes soit régi par cette loi, le statut de salariat a été progressivement abandonné, avec la montée des difficultés financières des éditeurs de presse.

Concrètement la commission vérifie si le demandeur de carte de presse tire au moins 50 % de ses revenus de cette activité de journaliste. Le lien employeur-salarié est l'indicateur de référence, ce qui complique la situation, pourtant de plus en plus courante, des journalistes payés en droits d'auteur. Même si une telle situation est prise en compte 5 ( * ) , les demandeurs doivent défendre leur dossier pendant de longs mois, recommençant chaque année la même démarche, ce qui pourrait laisser présumer qu'il n'existe pas de jurisprudence de la commission d'attribution.

Les professionnels ont mentionné une diminution de 7 % par an des photojournalistes en sa possession. 4 % des photojournalistes sont ainsi détenteurs de ladite carte aujourd'hui selon l'Union des photographes professionnels (UPP). Sans revenir sur les critères, il pourrait être utile dans un premier temps de mener une réflexion sur la façon dont est appréhendé le cas des photojournalistes au sein de toutes les demandes de carte de presse, afin de faciliter une vision globale des conditions d'attribution aujourd'hui.

b) Les droits d'auteur : une difficulté toujours d'actualité
(1) La nécessité de poursuivre une meilleure protection juridique des droits d'auteur des photographes

En octobre 2010, le Sénat s'est intéressé à la question des droits d'auteur des photographes en examinant la proposition de loi n° 441 (2009-2010)de votre présidente, Mme Blandin. Ce texte abordait à la fois la question des droits réservés et des oeuvres orphelines.

Il convient de rappeler que la problématique de l'utilisation abusive des « droits réservés » pour la photographie est un véritable enjeu qui va au-delà de la seule problématique des oeuvres visuelles orphelines, incorporant également la reproduction des oeuvres d'art. Elle est aussi liée à la numérisation des oeuvres de l'écrit, qui incorporent des photographies à titre d'illustration.

Les professionnels de la photographie se sont inquiétés de voir de plus en plus de photographies publiées dans la presse (photojournalisme) ou dans des ouvrages avec la mention droits réservés ou DR en lieu et place du nom de l'auteur. Ainsi l'usage de la mention DR sur les photographies tend à se banaliser chez certains éditeurs au mépris des droits d'auteur reconnus par le code de la propriété intellectuelle . Outre le non-respect du droit moral du photographe, la généralisation de ces pratiques tend à priver les photographes d'une juste rémunération de leur travail et contribue ainsi au mouvement de baisse du prix de la photographie.

L'usage des DR recouvre plusieurs cas de figure :

- la photo dite « orpheline » dont l'auteur ou ses ayants droit sont inconnus ou non retrouvés ;

- la photo dont l'auteur souhaite garder l'anonymat ;

- la photo qui circule sur Internet et dont l'auteur est inconnu mais n'a pas posé de restrictions à l'utilisation de sa photo ;

- des fonds ou bases de données photos pour lesquels certains auteurs ou ayants droit sont non identifiés ou non retrouvés et dont les propriétaires de ces fonds peuvent être cessionnaires ou non des droits d'auteur.

La proposition de loi précitée instaurait un dispositif de gestion collective obligatoire par les sociétés d'auteurs pour les droits rattachés aux oeuvres visuelles orphelines, abordant ainsi un sujet plus large que celui des droits réservés. Elle a été débattue et adoptée partiellement par le Sénat en première lecture, à l'unanimité , le 28 octobre 2010. Déposée à nouveau à l'Assemblée nationale le 2 juillet 2012, la proposition de loi n'est pas encore inscrite à l'ordre du jour, ce que regrette votre rapporteur pour avis.

Le ministère de la culture, à l'issue de son audition, a indiqué qu'« il a été convenu avec les professionnels que ce sujet devrait être traité par l'édiction de règles de bonne conduite. Il a été proposé aux professionnels d'examiner cette question dans le cadre de l'observatoire du photojournalisme mis en place en 2011 sous l'égide de F. Hémon, afin de réfléchir à un régime de bonnes pratiques en matière de mentions de l'origine des photos publiées. Mais les organisations professionnelles de photographes et des agences de presse ont préféré que la concertation, associant les représentants des éditeurs, soit menée directement par l'administration. La DGMIC a organisé une série de réunions avec les organisations professionnelles (photographes et agences d'une part et éditeurs de presse d'autre part) et un premier projet de cadre conventionnel de signature des photos de presse a été élaboré sur lequel les éditeurs de presse n'ont pas encore apporté leurs observations. La concertation se poursuit sous l'égide de la DGMIC . »

Enfin, au plan européen, une proposition de directive du Parlement et du Conseil, sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines, vient d'être adoptée par le Parlement européen le 13 septembre 2012 . Son champ d'application se limite à autoriser les grandes institutions publiques comme les bibliothèques, les établissements d'enseignement, les musées et les archives à numériser et à exploiter des oeuvres orphelines écrites, cinématographiques ou audiovisuelles.

Les photographies, ou, de manière générale les oeuvres visuelles, ne sont pas en elles-mêmes dans le champ de la directive mais peuvent être concernées par ce projet dès lors qu'elles sont incorporées dans un ouvrage écrit . Ce texte est encore en cours de discussion.

(2) La nécessité de mieux tenir compte du nouveau modèle économique de rémunération des photographes

L'évolution du modèle économique du secteur de la presse, avec l'apparition de l'Internet, a considérablement modifié les modes de rémunération des photographes, notamment des photojournalistes.

Comme le décrit très bien le rapport de 2009 de l'inspection générale des affaires culturelles sur le photojournalisme 6 ( * ) , la crise économique touchant la presse a entraîné la disparition des services de photographie au sein des organismes de presse, et la diminution du nombre de photographes salariés. La rémunération par le paiement des droits d'auteur est ainsi devenue la règle la plus souvent suivie.

Parallèlement, la généralisation du recours aux « microstocks », fonds photographiques proposant des photos pour un prix dérisoire (14 centimes d'euros) constitue évidemment un défi supplémentaire pour les photojournalistes qui y voient une concurrence déloyale et méprisant les règles de la propriété intellectuelle, puisque le nom des auteurs n'y figure généralement pas, des pseudonymes étant souvent utilisés. En outre, le rapprochement entre Getty et l'Agence France-Presse a eu pour effet de tirer les prix vers le bas.

c) Le photojournalisme : une catégorie qui peine à trouver sa place dans les politiques publiques

Votre rapporteur a auditionné les représentants de l'observatoire du photojournalisme ainsi que ceux de l'Union des photographes professionnels (UPP). Tous ont regretté les éléments suivants :

- l'absence de ligne budgétaire dédiée , puisque leur spécificité ne leur permet pas de prétendre aux aides en faveur de la création artistique, ni aux aides en faveur de la presse. « Coincés » entre deux secteurs, ils peinent à trouver une place dans les actions ciblées de l'État ;

- l'absence de prise en compte administrative de la diversification des activités. Auditionnés par votre rapporteur, les représentants de l'observatoire du photojournalisme ont indiqué qu'en diversifiant leurs activités , les professionnels les plus entreprenants parviennent à compenser cette baisse des revenus de la presse. Mais cela les oblige à concilier plusieurs types de revenus (droits d'auteur, aides au financement de projets documentaires, etc.)

L'exemple de Samuel Bollendorff, auditionné avec d'autres membres de l'observatoire du photojournalisme, illustre bien cette évolution du métier car l'intéressé doit chaque année passer plusieurs fois devant la commission d'attribution de la carte de presse afin de justifier de la réalité de son métier de photojournaliste. Confronté au problème de la raréfaction du salariat au sein des organismes de presse, il a développé une activité de réalisation de web-documentaires (devenant ainsi réalisateur). La production de ces documentaires a nécessité de se tourner vers le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) (qui attribue des aides) et vers France Télévisions. A cela s'ajoutent les revenus issus de son activité d'enseignant ou de celle des piges.

Ainsi, comme le montre cet exemple, pour résister économiquement à la baisse des revenus issus de la presse, les photojournalistes les plus avisés ont dû déployer un modèle économique « à 360° » (expression utilisée par l'observatoire du photojournalisme). Comme l'ont indiqué les personnes auditionnées : « En fonction de leur personnalité, de leur situation ou des opportunités, ceux-ci diversifient leur production et surtout cherchent à en élargir la diffusion. En restant dans le domaine de la photographie : production d'images d'entreprises, vente de tirages d'art dans les galeries, animation de stages et workshops, poste de formateurs dans les écoles de photographie ; en produisant des documents audiovisuel traditionnels : reportage et documentaires vidéo ; ou encore en s'engageant sur la voie du transmédia au sein d'équipes de production,» d'objets audiovisuels » destinés à une diffusion sur le web » .

Toutefois ceux-ci se heurtent en permanence à la question de leur statut, face aux interlocuteurs auxquels ils s'adressent : producteurs audiovisuels, galeristes, agences, ONG, éditeurs, institutions d'État. Ils se comportent par ailleurs souvent comme de véritables artisans en autofinançant leur production. Dans la plupart des cas les statuts n'étant pas compatibles entre eux, il leur est parfois difficile de rester dans les stricts cadres règlementaires, soit de profiter des cotisations pourtant versées (indemnités chômage notamment) ;

- un modèle économique en profonde mutation dont les conséquences remettent en cause non seulement la survie d'un secteur d'activité, mais aussi et surtout le maintien du principe démocratique de pluralité des sources d'information.

Votre rapporteur souhaite souligner le danger que représente la concentration des sources d'information et la nécessité de ne pas éluder le problème d'une pluralité des points de vue y compris dans le domaine du photojournalisme.

Parmi les solutions envisageables, les professionnels du secteur ont notamment évoqué l'idée d'assujettir l'attribution d'un numéro d'agrément des organismes de presse d'une obligation à produire un quota de photographie, ce qui mériterait évidemment une réflexion approfondie.

Interrogé par votre rapporteur, le ministère a indiqué avoir engagé une action en faveur de cette profession depuis deux ans avec la commande d'un rapport à l'inspection générale des affaires culturelles, la création de l'observatoire du photojournalisme ou encore le lancement de la concertation évoquée ci-avant avec les professionnels sur la question de l'usage de la mention « droits réservés ». Il ajoute :

« Le ministère entend poursuivre le travail mené en faveur de cette profession qui subit de plein fouet les conséquences d'une mutation profonde du modèle économique de la photographie de presse et de la presse en général, conséquences qui se manifestent souvent par une détérioration des conditions d'exercice de ce métier et l'apparition de nouvelles précarités. L'Observatoire du photojournalisme a lancé, dans son rapport d'étape de mai 2012 rendu public auprès des professionnels, plusieurs pistes de réflexion qui seront étudiées par les services » .

* *

*

Au total, le secteur des arts plastiques, malgré les efforts du ministère de la culture pour en protéger les crédits d'intervention, n'échappe pas au repli budgétaire global, alors que les acteurs de la filière souhaiteraient la sanctuarisation des crédits du ministère dès 2013.

Cela prive ce secteur de toute ambition du développement et des marges de manoeuvre nécessaires, notamment pour faire reculer la précarisation de la filière des métiers et de la création dans les arts plastiques, action dont tous les acteurs soulignent la nécessité.

A titre personnel, votre rapporteur propose, compte tenu de l'ensemble de ces observations, de donner un avis défavorable. Il laisse à votre commission le soin d'apprécier l'état des crédits proposés et inscrits dans l'action 2 du programme « Création » de la mission « Culture ».

* *

*

Après avoir entendu l'ensemble des rapporteurs, la commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits inscrits dans la mission « Culture » .


* 5 « Dans ce cas, la Commission recherchera s'il s'agit d'une activité d'auteur ou de journaliste en fonction de la description des activités exercées et de la nature des entreprises. S'il s'agit bien d'une activité journalistique exercée à titre principal et procurant à l'intéressé la majorité de ses ressources, la carte sera délivrée. C'est cependant l'occasion de rappeler que tout journaliste doit normalement être rémunéré en salaires, au mois ou à la pige ». Source : site Internet de la CCIJP.

* 6 « Photojournalistes : constat et propositions », rapport n° 2010-23 du 23 juillet 2010, Marie Bertin et Michel Balluteau.

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