B. LA FRANCE VEUT Y JOUER UN RÔLE DE PREMIER PLAN
Dans ce contexte, le budget de la mission aide au développement à vocation à rassembler les moyens budgétaires d'une politique française de coopération qui se veut résolument ambitieuse. En effet, quelle que soit la majorité au pouvoir, la France a toujours souhaité jouer un rôle de premier plan dans la lutte pour le développement. De ce point de vue, on ne saurait comprendre l'évolution de ces crédits sans saisir le rôle croissant de la politique de coopération pour le développement au sein de la politique étrangère de la France.
1. L'aide au développement constitue un des éléments du statut international de la France par lequel elle manifeste une vision du monde au-delà de ses intérêts propres
La France, qui revendique au niveau international une vocation universelle héritée de la révolution, trouve dans l'aide au développement un terrain où elle peut démontrer qu'elle a une vision du monde au-delà de ses intérêts propres.
Ainsi, la participation de la France au financement des politiques relatives aux biens publics mondiaux a vocation à renforcer, aux yeux des partenaires du Sud, la légitimité de la France, puissance moyenne, à participer à la gestion des grands enjeux internationaux.
De ce point de vue, le niveau de l'aide française et la capacité des pouvoirs publics français à proposer des solutions novatrices pour faire face aux enjeux du développement durable sont des éléments importants de crédibilité.
Dans un contexte où le statut de la France au sein des instances internationales, et notamment la place de la France au sein du conseil de sécurité, pourrait être remis en cause, au regard de critères qui mesureraient exclusivement son poids économique, l'aide publique au développement, comme notre effort de défense, contribue à maintenir le rang de la France sur la scène internationale.
Au-delà de l'investissement concret des pouvoirs publics dans telle ou telle politique à l'échelle mondiale, il faut comprendre l'insistance française à accroître son aide multilatérale dans des proportions supérieures à celles de ses principaux partenaires et le souhait d'être parmi les premiers donateurs de certains fonds comme une volonté délibérée d'afficher la place et le rôle de la France dans la gestion des affaires internationales.
La recherche ces dernières années dans ce domaine d'une forte visibilité, parfois au détriment de la cohérence et de l'équilibre de notre aide, a pu susciter des critiques souvent justifiées. Il faut toutefois avoir à l'esprit que cette attitude même lorsqu'elle n'est que « gesticulatoire » correspond aussi à une stratégie de défense : la notoriété de la France en tant que puissance d'influence mondiale. Un des enjeux est ici d'associer une forte visibilité à une véritable crédibilité sur le long terme. De ce point de vue, il importe que le Gouvernement tienne ses engagements et ne fasse que des promesses qu'il sait pouvoir tenir.
2. La coopération internationale est un des volets de politique étrangère d'influence dans des pays du Sud qui font l'objet d'une concurrence accrue entre les grandes nations
Dans le monde issu de la décolonisation et de l'après guerre froide, la concurrence entre les grandes nations pour favoriser leur influence dans les pays du Sud passe par des politiques de coopération.
La situation en Afrique, où les anciens colonisateurs sont aujourd'hui concurrencés par les Etats-Unis, mais aussi la Chine et l'Inde, est symptomatique.
Dans ce contexte, les pays récipiendaires de l'aide sont à la fois très demandeurs de soutien financier et, dans le même temps, très courtisés par un nombre de bailleurs de fond sans cesse croissant. De ce point de vue, le monde de l'aide au développement ressemble, à bien des égards, à un marché dans lequel se confrontent une offre et une demande de coopération.
Cette confrontation met en concurrence les puissances occidentales entre elles, qui partagent les mêmes types de valeurs et les mêmes modalités d'intervention, mais aussi les pays occidentaux membres de l'OCDE avec les pays émergents qui ont parfois une longue tradition de coopération.
La politique de coopération fait depuis toujours partie d'une diplomatie qui vise à changer la situation socio-économique et politique des pays bénéficiaires pour les conduire vers des valeurs partagées par les pays occidentaux et notamment par les membres du comité d'aide au développement de l'OCDE, c'est-à-dire les droits de l'homme, la démocratie et le libéralisme économique et politique. De ce point de vue, l'alignement des politiques de coopération sur les priorités du bénéficiaire se fait au sein d'un champ des possibles largement prédéterminé.
La montée en puissance de la Chine, qui a multiplié son aide par deux depuis 2006, et de l'Inde, notamment dans le domaine des infrastructures, doit être interprétée comme l'arrivée d'une concurrence non seulement économique mais également politique.
L'effort budgétaire consenti dans le domaine de la coopération doit donc être considéré dans ce contexte de concurrence sur un continent africain qui n'est plus seulement perçu comme une zone de risque économique, politique, sanitaire et militaire, mais également comme un espace d'opportunité économique et politique convoité. En effet, comme nombre d'observateurs l'ont souligné depuis deux ans 4 ( * ) , le regard sur l'Afrique a changé. On observe, d'une part, un décollage économique dans certains pays et la naissance d'un marché intérieur soutenu par une très forte croissance démographique et, d'autre part, que la pression croissante exercée sur les marchés internationaux des matières premières accroît l'intérêt de l'ensemble des acteurs économiques pour un continent qui dispose d'immenses ressources.
Cette concurrence est économique bien sûr, technique également et il y a de ce point de vue des enjeux considérables pour l'expertise française, mais aussi politique.
Sur le long terme, l'enjeu dépasse très largement une vision mercantiliste de la coopération. Il s'agit plus fondamentalement de promouvoir à travers des actions de coopération un modèle de développement qui soit conforme aux intérêts partagés de la France et de ses partenaires.
L'enjeu n'est en effet pas de savoir si le Sud va se développer, mais comment il se développe, avec quel impact sur les équilibres régionaux et mondiaux, et avec quels partenaires ? Est-ce d'une manière qui favorise la paix et la sécurité, ou en cristallisant les sources de tensions qui menacent la sécurité régionale et mondiale ? En favorisant une élévation des conditions de vie et de travail des populations ou en laissant s'approfondir les risques de dumping social et environnemental ? En favorisant des chemins de croissance compatibles avec la survie de la planète ou en cédant à la tentation du « rattrapage économique à tout prix », sans considération des dangers sociaux et environnementaux afférents ?
La politique de coopération française ne peut se fixer comme objectif de faire pencher à elle seule la balance d'un côté ou de l'autre, mais elle tend à travers une action collective au sein de la communauté des bailleurs de fonds à participer à la définition d'une mondialisation maîtrisée et d'un mode de régulation des équilibres mondiaux partagé.
3. La France souhaite participer à la mise en place de politique de gestion des biens publics mondiaux de plus en plus incontournable
Quand on prend la mesure du poids des contributions au profit des organismes internationaux dans le budget de la coopération, c'est-à-dire plus de 45 % des crédits, on perçoit à quel point les pouvoirs publics misent sur la coopération multilatérale.
Une des raisons de ce choix, qui est commun aux autres pays occidentaux mais dans des proportions moindres, est la volonté de participer à la définition de ce qui sera demain des politiques publiques globales, menées sur l'ensemble de la planète.
A travers des questions comme la lutte contre les épidémies ou celle contre le réchauffement climatique, la communauté internationale a bien perçu la nécessité d'apporter des réponses globales à des phénomènes qui ne connaissent ni les frontières ni les nationalités.
Comme l'a souligné le Président de la République lors du sommet du G20 « nous sommes en train de construire les prémisses de ce qui sera une gouvernance mondiale. ». Et la France entend jouer un rôle moteur dans la définition de ces politiques qui structureront les années à venir. C'est pour cela que la France a été à l'initiative, hier de la création du Fonds Sida, et aujourd'hui, du Fonds vert pour l'environnement. Il s'agit tout à la fois de préserver les intérêts économiques de l'expertise française et d'assurer à la France un rôle politique qui soit supérieur à son poids économique.
4. Une politique qui constitue un volet important de la sécurisation de l'environnement international de la France
Pour la France qui borde la Méditerranée et se situe à quelques dizaines de kilomètres du continent africain, la stabilisation de ces zones par le développement est à court terme une question de sécurité et à long terme un enjeu pour la prospérité.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale souligne que le coeur des préoccupations stratégique de la France doit être un arc de crise, qui s'étend de l'Atlantique à l'océan Indien, de la Mauritanie au Pakistan en recouvrant notamment toute la zone sahélienne, de la Mauritanie jusqu'à la Somalie.
L'Afrique subsaharienne y occupe une position particulière. Les évènements récents au Niger, en Mauritanie et au Mali justifient la pertinence de cette définition. La zone sahélienne est évidemment une zone où le terrorisme islamique et les trafics illicites cherchent à se développer et où la France en particulier est menacée dans ses ressortissants et dans ses intérêts.
Le Livre blanc souligne que la France et l'Europe ne peuvent se désintéresser du continent qui leur est le plus proche. L'Afrique concentre une très grande partie des conflits et zones de tensions de notre monde. La majeure partie de la bande sahélienne, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo constituent un ensemble que le Livre blanc désigne comme des « territoires où l'autorité régalienne est remise en cause », euphémisme pour parler de zones de non droit.
Qu'il s'agisse de l'immigration clandestine, de la radicalisation religieuse, de l'implantation des groupes terroristes, des réseaux criminels, les trafics divers (drogues, armes etc.), des réseaux de prolifération, ou du blanchiment, « La bande sahélienne, de l'Atlantique à la Somalie, apparaît comme le lieu géométrique de ces menaces imbriquées et, à ce titre, appelle une vigilance et un investissement spécifique de la durée. »
Ces fragilités comme ces atouts nécessitent une action résolue pour faire progresser la paix et la sécurité en Afrique, condition évidemment essentielle du développement et de la croissance économiques.
Si pour atteindre cet objectif, il était nécessaire de procéder à une reconfiguration de nos moyens militaires et de renouveler les bases juridiques de notre présence en renégociant les accords de défense français, chacun est conscient que la stabilisation la zone du Sahel ne pourra se faire avec des moyens exclusivement militaires 5 ( * ) .
L'origine des difficultés actuelles de la zone est en effet le sous-développement économique de ces régions et la faiblesse des politiques publiques menées par les états concernés. La révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2012 le confirmera. La politique française dans cette zone relève d'une approche globale dans laquelle la coopération pour le développement joue un rôle central.
Le même raisonnement peut être tenu pour la zone méditerranéenne. L'accompagnement de la transition démocratique dans ces pays est un enjeu majeur de la sécurisation de l'environnement proche de la France.
* 4 Cf Voir JM. Severino, O. Ray, Le Temps de l'Afrique, éditions Odile Jacob, mars 2010.
* 5 Révolution verte et équilibres géopolitiques au Sahel, Revue internationale et stratégique, n° 80 (4/2010) Le monde dans 20 ans (numéro spécial anniversaire)Décembre 2010