EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 17 novembre 2010, sous la présidence de M. Jacques Legendre, président, la commission examine le rapport pour avis de M. David Assouline sur les crédits de la presse au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » dans le projet de loi de finances pour 2011.
M. David Assouline , rapporteur pour avis . - Je souligne d'abord que le programme 180, auparavant consacré à la presse, inclut désormais les crédits affectés au livre et aux industries culturelles. Je ne saisis pas vraiment le sens et l'utilité de ce regroupement... Le soutien financier de l'État à la presse vise à garantir l'effectivité des principes fondamentaux de liberté de l'information et de pluralisme des expressions et opinions. Les subventions à l'édition et aux industries culturelles obéissent à des impératifs spécifiques à la création culturelle et à la protection des patrimoines. Le regroupement ne va pas dans le sens d'une meilleure lisibilité de la dépense publique...
Les moyens du plan de soutien exceptionnel de l'État en faveur de la presse sont maintenus en 2011, conformément aux engagements pris à la suite des États généraux de la presse écrite à l'automne 2008. Les crédits de paiement de la presse s'établiront à 420,5 millions d'euros, dont 115,4 millions pour les abonnements de l'État à l'Agence France-Presse (AFP) et 305,1 millions d'aides à la presse.
M. Aldo Cardoso, dans son rapport sur la gouvernance des aides à la presse, fait un constat simple : le système, très ancien, est caractérisé par la fragmentation, voire le saupoudrage, et il est obsolète par rapport aux mutations du modèle économique des entreprises de presse.
Pour améliorer l'efficacité des aides, il me paraît important de conditionner leur octroi à la conclusion d'une convention entre l'État et l'entreprise de presse, sur la base d'une stratégie globale de redressement assortie d'engagements évaluables. L'accent devrait être mis sur les investissements structurels et d'avenir, favorisant l'innovation et la formation. Et nous avons besoin d'indicateurs pertinents et régulièrement réactualisés.
Il convient aussi de créer un fonds stratégique pluriannuel en faveur de la presse d'information politique et générale, qui regrouperait l'ensemble des aides à l'éditeur et qui serait consacré à la restructuration de la presse papier et numérique. Ce choix ambitieux rétablirait une cohérence des aides à l'éditeur, aujourd'hui éparpillées, voire contradictoires. M. Cardoso chiffre le montant idéal de ce fonds à 900 millions d'euros sur cinq ans, de 2011 à 2016. Le Gouvernement en aura-t-il la volonté, en ces temps de réductions budgétaires drastiques ?
Quant à renforcer les mécanismes de contrôle et d'évaluation, en mettant l'accent sur la vérité des coûts, cela n'aura de sens que si le ministère de la culture confie cette tâche à une structure indépendante, en faisant appel, le cas échéant, à l'Inspection générale des finances et la Cour des comptes.
Le plan de soutien massif annoncé par le Gouvernement à la suite des États généraux de la presse écrite ne s'est pas accompagné d'une révision des objectifs ni des critères d'évaluation. On a ainsi injecté plusieurs centaines de millions d'euros dans un système qui manquait cruellement de cohérence. On a privilégié une logique d'affichage, sans souci de cohérence globale. M. Cardoso dénonce les contradictions entre diverses mesures. Par exemple, l'aide au portage et l'aide au transport postal de la presse ont représenté respectivement 70 et 269 millions d'euros : chaque secteur est servi, mais les aides pourraient se neutraliser puisqu'il s'agit de deux modes de distribution concurrents. Il faut savoir choisir !
Rien n'a été fait jusqu'ici pour s'assurer que les aides à la presse contribuent effectivement à renforcer l'indépendance et le pluralisme. Certaines aides continuent d'être accaparées par des titres ou des familles de presse qui brillent par leur haut degré de concentration. Ne faudrait-il pas moduler l'attribution des aides en fonction du degré de concentration ? Sinon, pourquoi dépenser 12 millions d'euros en faveur du pluralisme ? On verse les aides de façon à faire plaisir à tout le monde mais leurs effets s'annulent.
Ne faudrait-il pas plafonner la détention, par un groupe privé vivant de la commande publique, du capital d'un grand groupe de médias ? Le Gouvernement, qui a déjà écarté la proposition de loi du groupe socialiste sur la concentration dans le secteur des médias, refuse de répondre.
Il y a, cependant, des sujets sur lesquels nous pouvons avancer ensemble, si nous raisonnons à partir d'un diagnostic honnête et rigoureux. Tout le monde souhaite une meilleure autorégulation du secteur, ce qui suppose de transformer le Conseil supérieur des messageries de presse en une véritable instance professionnelle dotée de la personnalité morale et d'un pouvoir normatif, avec, en contrepartie, la création d'une « Autorité de régulation de la distribution de la presse » appelée à trancher les différends.
Autorégulation ou non, les principes fondamentaux de la loi « Bichet » doivent s'appliquer, en particulier l'égalité de traitement entre les titres de presse. Soyons vigilants donc sur l'éventuelle pérennisation de certaines dérogations, telles que le plafonnement des quantités et l'assortiment des titres servis aux points de vente.
Enfin, en ce qui concerne l'AFP, là aussi des avancées peuvent être réalisées dans une démarche constructive. Il n'est pas envisageable de toucher aux articles 1, 2 et 14 du statut de 1957, qui fondent l'identité, l'ADN même de l'Agence. Nous pouvons donc nous féliciter que l'actuel président-directeur général (PDG) ait écarté la transformation de l'AFP en une société dotée d'un capital.
Dans un climat plus apaisé, nous pouvons travailler à la réforme de la gouvernance, et à la consécration des missions d'intérêt général de l'AFP afin de justifier au regard du droit communautaire le versement d'une compensation financière par l'État - 115,4 millions d'euros en 2011. Là encore, les principes d'indépendance et de pluralisme de l'information doivent guider nos réflexions.
Compte tenu de l'absence de réévaluation des objectifs et des mécanismes de contrôle, je ne suis pas en mesure de donner un avis favorable aux crédits de la presse au sein du programme 180.
M. Jacques Legendre , président . - Les délégués syndicaux de l'AFP avec lesquels vous vous êtes entretenu m'ont prêté des intentions sur le capital de l'Agence...
M. David Assouline , rapporteur pour avis . - Dans une dépêche de presse, le ministre vous a mis dans une position difficile en vous attribuant des intentions que vous n'aviez pas : j'ai fait une mise au point et mes interlocuteurs ont été rassurés.
Nous avons voulu suivre les projets de réforme du statut et avons organisé une table ronde ici l'an dernier. Nous avons vu combien le sujet était sensible... Le projet de l'ancien PDG est tombé à l'eau puisque celui-ci est parti ; le nouveau président a tout de suite affirmé qu'il estimait obsolètes certains aspects de la gouvernance inscrits dans la loi fondatrice de 1957. Ce sont les représentants de la presse française qui dominent au sein de l'Agence, ce qui les place dans une situation potentielle de conflits d'intérêt en poussant les prix à la baisse, alors qu'aujourd'hui l'essentiel de la clientèle est constitué par la presse internationale. Les syndicats, les politiques, tout le monde partage le diagnostic : il n'y a pas lieu de doter l'AFP d'un capital mais il n'en faut pas moins actualiser la loi de 1957 et réformer la gouvernance. J'ai demandé à l'intersyndicale de me donner son avis et les représentants syndicaux ont évoqué cette dépêche qui les avait choqués. Nous faisons un travail de dentelle ; mais M. Frédéric Mitterrand lors d'une audition à l'Assemblée nationale a affirmé que M. Legendre et le député M. Michel Herbillon travaillaient à une réforme du statut de l'AFP. Or cela n'est pas complètement vrai.
M. Jacques Legendre , président . - Plus exactement, c'est complètement faux.
M. David Assouline , rapporteur pour avis . - J'ai rassuré nos interlocuteurs mais je n'ai pas compris la communication ministérielle : peut-être s'agit-il de bloquer toute réforme ?
M. Jacques Legendre , président . - Je vous remercie des précisions que vous avez données : je n'ai jamais travaillé avec M. Herbillon sur le capital de l'AFP, je m'intéresse uniquement à la gouvernance.
M. Ivan Renar . - Monsieur le rapporteur, vous laissez entendre que le climat intérieur à l'AFP s'est apaisé : ce n'est jamais totalement le cas, car l'entreprise est fragile, la concurrence vive, on joue avec le destin d'hommes et de femmes en fermant des bureaux ici ou là. L'arrivée du nouveau PDG, venu de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), a apaisé un peu les choses. Mais dans ce groupe, tout se passe toujours à fleur de peau. Après le vote du budget, il serait bon de se pencher sur ce dossier.
Je signale que la mention « source : AFP » figure bien rarement à la fin des articles. Ouest-France affirme qu'il n'a plus besoin de l'AFP. Et pourtant, combien d'articles de politique générale reprennent les communiqués de l'Agence ! Les titres n'ont plus de correspondants à Paris.
M. David Assouline , rapporteur pour avis . - J'ai indiqué que le climat avait été un peu plus apaisé à la suite des garanties apportées par le PDG sur la question du capital même si les tensions ont été ravivées par le déménagement. J'ai consacré dans mon rapport des développements à l'AFP pour exercer en quelque sorte un « droit de suite », mais ce n'est pas le sujet principal de ce rapport budgétaire. Nous pourrions aussi parler de déconcentration, car diversité de la presse ne signifie pas seulement diversité politique. La « PQR », presse quotidienne régionale, est garante de la diversité, par sa multiplicité et son enracinement local. Hélas, lorsque c'est un grand groupe qui détient plusieurs titres, les articles tournent et se ressemblent ! La diversité des rédactions tend à disparaître.
Je me réjouis que le montant des crédits promis après les États généraux soit respecté. Des garde-fous sont à imaginer contre la concentration. Si le climat s'est apaisé à l'AFP, c'est aussi que la situation était devenue explosive du temps de l'ancien PDG et que l'arrivée d'un nouveau président, Emmanuel Hoog, a rassuré.
M. Jacques Legendre , président . - Cela me fait penser à cette citation de Marivaux : « peser des oeufs de mouche dans des balances de toiles d'araignée »...
Mme Catherine Morin-Desailly . - Cette année, le bi-média a pris un essor considérable, modifiant le travail des journalistes. L'arrivée des tablettes a contribué à cette mutation. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Et quelles sont les retombées des abonnements offerts aux jeunes ?
M. David Assouline , rapporteur pour avis . - Les aides à la presse en ligne représenteront 18 millions d'euros en 2011. On observe une montée en puissance du support numérique à côté du papier, le sujet devrait être approfondi l'an prochain... Le téléchargement ne constitue encore qu'une part infime des ventes, mais la progression est exponentielle aux États-Unis... Et tant mieux car l'avenir de la presse se trouve là. Le nombre des utilisateurs de tablettes augmente. Cet instrument est pratique, il vous évite de descendre au kiosque le matin pour accéder à la presse... Il y a également la question du taux de TVA applicable à la presse numérique, nous avons préconisé une harmonisation des taux applicables au numérique et au papier.
Les crédits en faveur de la lecture de la presse par les jeunes devraient s'établir à 8,5 millions d'euros en 2011. La mesure destinée à offrir un abonnement gratuit à tout jeune à une publication d'information politique générale a débuté l'année dernière, il serait donc utile d'attendre encore un peu pour réaliser un bilan complet de son application.
Mme Françoise Laborde . - Mais les retombées sont-elles positives ?
M. David Assouline , rapporteur pour avis . - La mesure est reconduite en tout état de cause, donc oui a priori . Mais une année d'application me semble un délai un peu court pour avoir le recul nécessaire.
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Contrairement aux propositions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la presse au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».