II. LE TEMPS DE L'ÉVALUATION

Le plan gouvernemental ne peut être efficace qu'à condition d'être pragmatique. Rien ne serait plus préjudiciable en effet que de substituer à une approche fondée sur la réduction des risques, qui peut conduire à une relative tolérance des pratiques, une approche tout aussi - voire plus - dogmatique fondée sur l'interdit. La sélection des meilleures pratiques ne peut donc reposer que sur l'utilisation de tous les instruments disponibles pour lutter contre les drogues et les toxicomanies, qu'ils soient éducatifs, répressifs, sanitaires ou sociaux, cautionnés par une évaluation sur le long terme.

A. MENER UNE POLITIQUE PRAGMATIQUE

La restauration de l'autorité ne prend tout son sens qu'en tant que mesure de prévention. Mais, même si elle peut paraître fondamentale, elle ne saurait cependant être la seule approche face à un phénomène aussi socialement complexe que les drogues. Parallèlement, les échecs de la prévention, c'est-à-dire les consommations et toxicomanies, doivent également être prises en charge sous l'angle sanitaire et psychosocial.

1. La politique de prévention

Une politique de prévention efficace doit d'abord cibler les publics les plus fragiles. Des actions spécifiques concernant les femmes enceintes et les détenus sont ainsi développées. Mais les études, tant françaises qu'européennes, montrent qu'une attention particulière doit également être portée au milieu dit « festif ». La consommation de drogues est en effet particulièrement élevée chez les adeptes de la vie nocturne qui cumulent souvent les causes de fragilité. A côté d'un usage récréatif dans des lieux relativement encadrés, se développent des pratiques beaucoup plus porteuses de risques et difficiles à contrôler. Ainsi, le seuil maximum imposé de cinq cents participants aux « rave parties » a éclaté les pratiques festives et les a poussées vers une certaine clandestinité et le choix de localisations transfrontalières. S'y retrouvent des jeunes, parfois marginaux, et donc peu touchés par les campagnes de prévention et de réduction des risques. La consommation de stimulants y est particulièrement importante, avec un retour de pratiques quasiment disparues, comme l'injection de cocaïne, qui tend à remplacer la consommation d'ecstasy, décrédibilisée par le trafic de produits d'imitation. La part des jeunes femmes toxicomanes dans les milieux festifs est nettement supérieure à la moyenne, spécialement pour ce qui concerne la consommation d'amphétamines 9 ( * ) . Comme on l'a vu, la consommation d'héroïne se développe elle aussi dans ces milieux, dans le cadre d'une polyconsommation destinée à compenser l'effet des stimulants.

L'action sur les publics les plus fragiles doit s'accompagner d'une action sur les vecteurs et les adjuvants que sont le tabac et l'alcool. La consommation de cannabis est en France particulièrement associée au tabac qui est adjoint à la résine pour en permettre la consommation sous forme de « joints ». Tel n'est pas le cas aux Etats-Unis où la marijuana est fumée directement, sans tabac. La pratique française de consommation simultanée est tellement répandue que l'OFDT constate le développement de dépendances au tabac qui ont pour origine l'usage régulier de cannabis.

Concernant l'alcool, les conclusions de la synthèse conduite par l'OEDT sur les pratiques européennes de polyconsommation sont particulièrement claires : « L'alcool est présent dans presque tous les modèles de polyconsommation. C'est généralement le premier produit entraînant d'importants effets psychoactifs et de modifications d'état de conscience utilisé par les jeunes gens; sa grande disponibilité en fait la drogue élémentaire des combinaisons de substances chez les jeunes adultes, particulièrement dans les milieux récréatifs, ainsi que chez les usagers de drogues intensifs, dépendants et sevrés. Les conclusions de ce rapport soulignent la nécessité de renforcer les interventions ciblant l'alcool et la consommation d'alcool, tant au niveau du marché que sur le plan des normes sociales. » Les mesures d'interdiction de vente d'alcool aux mineurs et de vente au forfait, adoptées dans le cadre de la loi HPST 10 ( * ) , vont dans le sens d'une plus grande responsabilisation des producteurs et des distributeurs, mais l'effort en faveur de la modération doit être poursuivi.

2. La prise en charge sanitaire et psychosociale

La prévention, même ciblée à la fois sur les publics et sur les produits, ne suffit malheureusement pas à empêcher l'usage et les addictions. La réponse sociale, et plus précisément les modalités de prise en charge, doivent donc être développées de manière cohérente si l'on veut espérer réduire le nombre de toxicomanes.

Comme l'a indiqué le président de la Mildt à votre rapporteur, la pénalisation n'est pas en elle-même une bonne réponse au problème de la drogue. Les peines risquent en effet d'être trop faibles (comme le rappel à la loi) ou trop fortes (la prison) pour pouvoir réellement agir sur l'addiction dont souffre une personne condamnée. Une perspective pourrait être la contraventionnalisation de l'usage qui éviterait de faire intervenir le juge et aurait un effet dissuasif lié à l'amende infligée. Des peines alternatives à la prison peuvent également être envisagées pour les délits liés aux drogues, notamment l'obligation de stages sur les effets des drogues et sur les addictions, suivis aux frais du condamné. Il s'agit là de mesures raisonnables qui permettraient une véritable pénalisation sans tomber dans les excès de l'incarcération.

La prise en charge sanitaire offre aujourd'hui des perspectives particulièrement intéressantes puisque les fondements chimiques, biologiques et neurologiques des addictions sont de mieux en mieux compris. Des traitements médicaux sont aujourd'hui susceptibles d'accompagner le sevrage plutôt que d'offrir une simple alternative médicalisée à l'usage des drogues illicites. Une étude récente publiée dans la revue The Lancet a ainsi permis de mesurer l'intérêt du baclofène pour diminuer l'état de manque chez les patients atteints de cirrhose alcoolique 11 ( * ) . Par ailleurs, l'OEDT souligne l'importance d'une étude italo-espagnole multisite sur l'efficacité du vaccin anticocaïne TA-CD. Il s'agit de l'essai de plus grande ampleur mené sur ce vaccin à ce jour, avec plusieurs centaines de volontaires. Les premières études de sécurité de ce vaccin aux Etats-Unis ont fait état d'une réduction des effets subjectifs de la cocaïne et de la consommation de la drogue, ainsi que d'un meilleur suivi du traitement.

Ces perspectives thérapeutiques doivent s'insérer dans le cadre d'une prise en charge psychosociale plus large. Il serait intéressant, de ce point de vue, que soit menée une évaluation de l'efficacité des consultations dédiées aux jeunes qui, si elles fonctionnent de manière convaincante, pourraient servir de modèle pour d'autres publics fragiles. La question essentielle reste bien sûr celle de la détection et de l'orientation, pour lesquelles l'information et la formation des parents, des professeurs et des employeurs sont déterminantes.

* 9 Source OEDT, rapport précité.

* 10 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relatives aux patients, à la santé et aux territoires.

* 11 « Effectiveness and safety of baclofen for maintenance of alcohol abstinence in alcohol-dependent patients with liver cirrhosis randomised, double-blind controlled study », Addolorato G, Leggio L, Ferrulli A, Cardone S, Vonghia L, Mirijello A, Abenavoli L, D'Angelo C, Caputo F, Zambon A, Haber PS, Gasbarrini G, Lancet. 2007 Dec 8 ; 370 (9603) : 1915-22 dont une analyse figure sur le site www.infodoc.inserm.fr .

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