B. LES PRINCIPAUX SUJETS DE PRÉOCCUPATION
La décennie qui s'achève aura été celle du déploiement de la troisième génération d'armes conventionnelles depuis la Seconde Guerre mondiale. Nombre de ces armes tels le char Leclerc, les VBCI, le Rafale, les hélicoptères Tigre, les FREMM, les sous-marins nucléaires SNLE-NG, SNA font et feront pendant longtemps la fierté de nos armées, ainsi que de tous les personnels, civils ou militaires, qui les ont conçus et développés.
Néanmoins, ces succès technologiques et industriels ne doivent pas nous dispenser de porter un regard critique sur certains programmes en cours d'exécution dont le déroulement n'est pas conforme à la planification ni sur ceux dont le lancement fait l'objet de retard ou d'hésitations de la part de l'Etat.
Dans la première catégorie, le principal sujet de préoccupation concerne la livraison de l'avion de transport militaire A400M 3 ( * ) . Le premier vol de cet appareil devrait avoir lieu, dans la première décade du mois de décembre 2009. Le premier appareil livré à l'armée de l'air française (le septième de la série) devrait l'être fin 2012, avec quatre ans de retard par rapport au calendrier initial. L'ensemble des problèmes techniques semble maintenant maîtrisé. Trois standards d'évolution sont prévus afin de faire évoluer les logiciels de navigation (FMS) en 2013, 2014 et 2015. Le surcoût de ce retard fait l'objet d'une renégociation entre l'industriel, EADS, et les Etats, (par ordre d'importance de la commande, il s'agit de l'Allemagne, de la France, de l'Espagne, de l'Angleterre, de la Turquie, de la Belgique et du Luxembourg). Concernant les Etats, certains ont annoncé leur intention d'accepter une partie du surcoût en réduisant le nombre des commandes. C'est le cas de la Grande-Bretagne, qui pour le même prix a accepté de réduire le nombre d'avions livrés de 25 à 19, ce qui représente une augmentation du coût unitaire par avion de l'ordre de 30 %. D'autres pays, comme la France, ont préféré étaler les livraisons dans le temps, ce qui néanmoins générera des surcoûts du fait de la nécessité de financer des solutions palliatives. Au-delà de ces surcoûts, ce retard occasionnera une « réduction temporaire de capacité » importante en matière d'aéromobilité, c'est-à-dire une altération de la capacité de nos forces armées à remplir leur contrat opérationnel.
Concernant les hélicoptères, le programme d'hélicoptère de combat Tigre , dont trois unités ont été déployées en Afghanistan et ont montré, en opérations, l'excellence des solutions techniques retenues, connaît quelques difficultés d'acceptation à la livraison. Six unités seulement, au lieu des huit prévues, seront livrées en 2009, occasionnant un rapport de charge de deux unités sur l'année 2010 et qui ne sera résorbé vraisemblablement qu'à la fin du programme. Par ailleurs, les quatre hélicoptères de transport NH-90 NFH marine , qui jouent un rôle crucial pour les opérations de secours en mer, ne seront livrés qu'en 2010 et opérationnels en 2011, alors qu'ils devaient l'être en 2009. Là encore des solutions palliatives ont dû être mises en oeuvre, occasionnant des surcoûts. Quant à l'armée de terre, dont la flotte de Puma s'épuise, elle ne verra son premier NH-90 TTH terre qu'en 2011 et huit autres en 2012.
La réduction de la cible des FREMM de 17 à 11 frégates , avec de façon concomitante la modification, pour trois d'entre elles, de leurs spécifications afin d'en faire des frégates de défense aérienne (FREDA) a occasionné une majoration par coût unitaire du programme de l'ordre de 22 %. L'équilibre financier de ce programme dépendait en effet pour partie de la matérialisation de contrats export, dont il faut malheureusement reconnaître que, pour l'instant, ils ne sont pas au rendez-vous.
Dans la catégorie des programmes qui n'ont pas encore été lancés et où la procrastination coûtera cher, on citera l'absence de décision sur les drones MALE, domaine dans lequel les échéances ont sans cesse été repoussées depuis la loi de programmation 2003-2008. Il apparaît évident que la somme de 150 millions d'euros prévue dans la loi de programmation 2009-2014 n'est pas à la mesure des montants nécessaires pour développer des systèmes d'armes entièrement sous contrôle national. Dans ces conditions l'achat d'équipements sur étagères semble malheureusement inéluctable, tant le besoin opérationnel est fort.
Le même type de problèmes se rencontre avec les missiles de moyenne portée terrestre MMPT , et en particulier avec le remplacement du missile Milan de MBDA. En effet, le retour d'expérience d'Afghanistan a conduit l'état-major des armées à faire évoluer le besoin opérationnel. La nécessité d'avoir des missiles de type « tire et oublie » capables d'être tirés à partir de milieux confinés (maisons, terrains accidentés) conduit, au détriment du projet Milan ER de MBDA pour remplacer le Milan, à l'achat sur étagères de l'un des deux seuls missiles capables de répondre à ce nouveau besoin : le Spike de l'israélien Rafael ou le Javeline de l'américain Raytheon environ trois fois plus onéreux que le Milan. Mais indépendamment du besoin opérationnel des armées, qu'il n'appartient pas aux Parlementaires de juger, ce sont les délais et la procédure retenus pour choisir le successeur du Milan qui font débat car ils risquent de provoquer la sortie de l'industriel européen MBDA de ce segment du marché et, malgré la « francisation » des matériels étrangers, une perte de souveraineté industrielle d'autant plus inquiétante qu'elle risque de se diffuser à l'ensemble de la trame missile moyenne portée terrestre, en particulier pour ce qui est du successeur des missiles tirés à partir d'hélicoptères.
Le programme d'avion de transport stratégique ravitailleur MRTT ( Multi Role Tanker and Transport ) n'a toujours pas été lancé. Or ce programme devra nécessairement être lancé afin d'assurer le renouvellement des ravitailleurs en vol dédiés aux Forces Aériennes Stratégiques qui assurent la composante aérienne de la dissuasion. En outre, l'achat de quelques ravitailleurs disponibles A330-200 aurait pu, sous réserve d'un prix raisonnable, apporter pour partie une réponse à la lacune capacitaire d'aéromobilité.
Enfin, vos rapporteurs s'inquiètent de la faiblesse des investissements prévus dans les domaines technologiques dans les domaines intéressant la défense antimissile balistique . Il s'agit en effet d'un segment de l'industrie de l'armement hautement innovant dans lequel notre pays dispose de compétences avérées. Face au développement continu des capacités balistiques dans le monde, la défense antimissile fait désormais partie intégrante de la diplomatie de l'armement. Ce type d'équipement jouera un rôle structurant dans les alliances, au même titre que la dissuasion nucléaire pendant la guerre froide. Faute de réaliser les études amont nécessaires, la France et l'Europe courent le risque de demeurer absentes dans un domaine où s'exprimera une offre exclusivement américaine.
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* 3 V. rapport préc. Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier, l'Airbus militaire A400M sur le chemin critique de l'Europe de la défense