B. LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE DES SPÉCIFICITÉS DU SECTEUR PAR LE DROIT DE LA CONCURRENCE
L'actualité a montré la nécessité d'améliorer la prise en compte des spécificités du secteur du cinéma pour l'application des règles régissant le droit de la concurrence.
Alors que l'institution d'un Médiateur du cinéma a montré toute la pertinence d'une régulation spécifique au secteur, la complémentarité entre politique culturelle et droit de la concurrence doit être repensée et réaffirmée.
1. L'évolution de la situation en 2007
a) Les polémiques relatives aux « cartes illimitées »
Rappelons que, lancée en mars 2000, « UGC illimité », première carte d'abonnement illimité au cinéma, avait trois objectifs :
- favoriser une augmentation globale de la fréquentation cinématographique ;
- accroître la diversité des films vus par le public en incitant les spectateurs à voir plus de films ;
- contribuer par son caractère annuel à une meilleure répartition de la fréquentation, ainsi qu'à une plus grande harmonisation des dates de sortie des films.
Le succès des cartes d'abonnement illimité auprès des amateurs de cinéma ne s'est jamais démenti et son impact sur la fréquentation, les tarifs et la diversité des films s'est avéré positif, sans déstabilisation du parc de salles .
Entre 1999 et 2006, les entrées en France ont augmenté de 35,4 millions, soit une progression de + 23,1 %. En outre, ces cartes conduisent les spectateurs davantage vers des films considérés comme « difficiles », qu'ils ne seraient pas allés voir autrement, que vers de grosses productions.
Par ailleurs, les salles indépendantes parties prenantes aux dispositifs existants bénéficient de certains effets positifs et le montant distribué aux salles adhérentes progresse d'année en année, pour représenter en 2006 1,5 million d'euros en 2006. Sur les six premiers mois de l'année 2007, l'augmentation de ce montant est en hausse de 22 % par rapport aux six premiers mois de l'année précédente.
Toutefois, le récent agrément accordé à une nouvelle carte illimitée suscite bien des polémiques.
Le lancement de la « carte 2 », associé à un changement d'alliance entre réseaux d'exploitants, a entraîné des réactions passionnelles de la part des professionnels, certains exprimant la crainte d'un déséquilibre structurel du marché parisien.
D'après les exploitants concernés, les ayants droit, dont la rémunération par film dépend à la fois du niveau moyen de revenus par entrée et du nombre d'entrées total, bénéficient directement du dispositif des cartes d'abonnement illimité, ceci pour deux raisons :
- leur revenu par entrée liée à la carte est sécurisé, et à un niveau supérieur à beaucoup de tarifs réduits d'autres cinémas. En effet, la rémunération des distributeurs est assise sur un prix de référence de 5,03 euros par billet, prix légèrement supérieur au prix moyen constaté, ce qui apporte une garantie aux ayants droit ;
- et ils gagnent sur l'effet volume du fait de l'augmentation des entrées dues à l'abonnement.
Néanmoins, de nombreux professionnels déplorent le manque de transparence du système.
S'agit-il d'un procès d'intention ou y a-t-il véritablement un risque de spoliation des ayants droit ?
Votre rapporteur ne souhaite pas arbitrer ce débat, mais il a interrogé la ministre sur ce point , à l'occasion de sa récente audition par votre commission. Cette dernière a estimé que « l''impératif de transparence s'impose pour la régulation et l'encadrement des formules d'abonnements illimitées. Ces obligations de transparence font actuellement défaut dans le dispositif légal mis en place en 2001, ce qui constitue un frein à une régulation du dispositif conforme à l'intérêt général. »
La mission lancée sur le thème « Cinéma et droit de la concurrence », mentionnée ci-après, pourra formuler des propositions à ce sujet. Parallèlement, relevons qu'une autre mission a été confiée à la présidente de la commission d'agrément des formules illimitées, Mme Marie Picard, afin qu'elle dresse un bilan de l'application du dispositif d'encadrement législatif et réglementaire des cartes.
b) La remise en cause du code de bonne conduite entre distributeurs et exploitants
L'économie de la diffusion des films en salles est extrêmement particulière puisque les distributeurs sont rémunérés proportionnellement au prix public. Le niveau de la rémunération des distributeurs, et par conséquent, de l'ensemble des ayants droit de l'oeuvre, est donc directement lié à celui du prix public des billets, prix qui est unilatéralement fixé par les exploitants de salles. Il s'agit là d'un modèle économique quasi unique, dans lequel le fournisseur ne décide pas de son prix de vente et n'a donc aucune prise sur sa propre rémunération.
Du fait du système de la remontée des recettes propres au cinéma, la rémunération des différents intervenants du secteur est donc calculée selon un pourcentage de la recette encaissée aux guichets des salles.
C'est en raison de cette particularité que les pouvoirs publics avaient , dès 1997, fortement incité les professionnels à réguler de façon collective les mouvements de prix à la baisse. En effet, au delà d'une certaine ampleur, ceux-ci présentent des répercussions immédiates très négatives sur l'économie de l'ensemble de la filière cinématographique, de l'exploitation jusqu'à la création.
C'est pourquoi, en 1999, un code de bonne conduite 4 ( * ) avait été adopté, qui pouvait servir de référence pour la mise en oeuvre des diverses politiques tarifaires des salles de cinéma :
- les opérations promotionnelles devaient être limitées à deux semaines par an et par établissement cinématographique. Elles devaient faire l'objet d'une information auprès des distributeurs au plus tard deux semaines avant leur début ;
- en cas de désaccord entre un distributeur et un exploitant sur l'application ou l'interprétation de ce code de bonne conduite, la saisine des commissions de conciliation professionnelles étaient prévues.
Cependant, en 2001, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'un dossier relatif à la situation de la concurrence dans le secteur de l'exploitation des salles de cinéma portant sur cet accord. Et, le 10 octobre 2006, le Conseil a exprimé des préoccupations de concurrence relatives à plusieurs dispositions du code de bonne conduite et à leur mise en oeuvre.
Ce code ayant été ainsi invalidé , les organisations professionnelles signataires ont pris des engagements afin de répondre à ces préoccupations.
2. Le cadre de la réflexion à conduire
a) Pour une régulation de la concurrence adaptée aux particularités du marché du cinéma
Il n'existe donc plus aujourd'hui d'outil de régulation collective permettant de contenir d'éventuelles tensions sur les prix.
Or, il est évidemment souhaitable d'éviter tout phénomène de « guerre des prix » dans le secteur du cinéma, en raison des effets très négatifs que cela pourrait avoir :
- à la fois pour la création, une baisse de la remontée de recettes aux producteurs entraînant un appauvrissement des moyens à réinvestir dans de nouvelles oeuvres ;
- et pour l'exploitation, car une baisse des prix affaiblirait ce secteur à faible rentabilité -ainsi qu'il sera exposé ci-dessous- et pourrait se solder par la fermeture de salles.
Interrogée par votre rapporteur sur ce sujet, Mme Christine Albanel a estimé que « s'il faut encourager les politiques promotionnelles, notamment celles visant certaines catégories de publics, elles ne doivent pas aboutir à une guerre des prix qui ne peut satisfaire le spectateur à long terme ». Votre rapporteur partage ce point de vue.
Il se réjouit qu'une mission sur le thème « cinéma et droit de la concurrence » ait été confiée, par les ministres respectivement chargées de l'économie et de la culture et de la communication, à Mme Anne Perrot et à M. Jean-Pierre Leclerc. Son objectif est d'explorer tout moyen permettant de restaurer une forme de régulation des pratiques tarifaires des exploitants et de leur relation aux distributeurs , qu'assurait en partie le code de bonne conduite précité et remis en cause par le Conseil de la concurrence. Cette régulation pourrait passer par la mise en oeuvre de normes de droit sectoriel adaptées aux particularités du marché du cinéma.
Précisons que, parallèlement, la présidente de la commission d'agrément des formules illimitées du CNC, Mme Marie Picard, doit dresser un bilan de l'application du dispositif d'encadrement législatif et réglementaire des cartes.
b) Une illustration concluante : le Médiateur du cinéma, autorité administrative indépendante
L'anniversaire des 25 ans du Médiateur du cinéma, en 2007, marque le succès de cette autorité administrative indépendante, spécifique au secteur du cinéma et qui permet de prendre pleinement en compte ses modes de fonctionnement afin d'en améliorer efficacement la régulation.
Votre rapporteur a souhaité auditionner son titulaire : M. Roch-Olivier Maistre, entretien qui a permis de conforter sa conviction de la grande utilité de cette autorité pour les professionnels du secteur. Réactive et souple, cette institution apparaît en effet très complémentaire de l'action conduite par le Conseil de la concurrence.
Rappelons que le Médiateur du cinéma a été institué par la loi du 29 juillet 1982. Il est chargé d'une mission de conciliation préalable en cas de « litiges relatifs à la diffusion en salle des oeuvres cinématographiques et qui ont pour origine une situation de monopole de fait, une position dominante ou toute autre situation ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et révélant l'existence d'obstacles à la plus large diffusion des oeuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général ».
La fonction essentielle du Médiateur du cinéma est la conciliation par laquelle il invite les parties à mettre fin au litige qui les oppose en parvenant à un accord amiable. Le cas échéant, le Médiateur rappelle l'existence des règles applicables, qu'elles soient relatives à la concurrence, aux pratiques commerciales, à l'exploitation des films en salles et à leur distribution. En cas d'échec de la conciliation, il peut, dans un délai maximum de deux mois à compter de la saisine, émettre une injonction, décision exécutoire qui s'impose aux parties. Il prescrit alors les mesures qui lui paraissent de nature à mettre fin à la situation litigieuse.
En outre, il s'est vu attribuer, par la loi du 15 mai 2001, le pouvoir de faire appel des décisions des Commissions départementales d'équipement cinématographique (CDEC) devant la Commission nationale d'équipement cinématographique (CNEC) chargée de statuer sur les demandes d'autorisation de complexes cinématographiques supérieurs à 300 fauteuils.
Le Médiateur est l'objet chaque semaine d'un nombre croissant de saisines. D'une petite dizaine par an lors de sa création, ce sont à présent plus de 90 dossiers qui sont officiellement ouverts chaque année : difficultés d'accès aux films, problèmes de concurrence entre salles indépendantes et grands circuits, questions tarifaires, conflits entre entreprises privées et entreprises soutenues par les pouvoirs publics, litiges liés à des initiatives à caractère non commercial, conséquences de la modernisation ou de l'extension du parc cinématographique sur une zone de chalandise, cartes illimitées ou encore mise en oeuvre des dispositifs scolaires.
Près des deux tiers des cas qui lui sont soumis trouvent une issue positive, que ce soit par conciliation (60 % des dossiers en 2006) ou injonction (5 dossiers en 2006). La médiation est rapide : les réunions de conciliation se tiennent dans les jours qui suivent les demandes, permettant ainsi de suivre au plus près l'actualité cinématographique et les « sorties » du mercredi.
Depuis sa création, cette autorité administrative indépendante s'est imposée comme l'un des acteurs importants du paysage cinématographique français. Par ses médiations et des injonctions , il contribue , de manière discrète mais efficace, au règlement des conflits et participe à la régulation du marché. Par ses avis et ses recommandations, il veille au respect des règles du jeu et du droit de la concurrence . Le Médiateur du cinéma joue ainsi un rôle essentiel en faveur de la préservation de la diversité de l'offre cinématographique .
* 4 Accord du 6 janvier 1999 intitulé « code de bonne conduite sur les politiques promotionnelles des salles de cinéma », conclu entre la Fédération nationale des distributeurs de films, la Fédération nationale des cinémas français, la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs de films français (désormais dénommée la Chambre syndicale des producteurs de films) et le Syndicat des producteurs indépendants.